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Full text of "OEuvres complètes de Eustache Deschamps, pub. d'après le manuscrit de la Bibliothèque nationale par le marquis de Queux de Saint-Hilaire"

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SOCIÉTÉ 


DES 


ANCIENS  TEXTES  FRANÇAIS 


ŒUVRES  COMPLETES 
D'EUSTACHE    DESCHAMPS 


I.c  IJuy,  typographie  de  Marchessou  fils,  boulevard  SaijJt-I.aureiit,  2  3 


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OEUVRES  COMPLETES 


DE 


EUSTACHE  DESCHAMPS 


PUBLIÉES   D'APRÈS    LE   MANUSCRIT 


DE    LA     BIBLIOTHEQUE     NATIONALE 

PAR 
LE    MARQUIS 

DE  QUEUX   DE  SAI  NT-  H  I  L  A  I  R  E 


PARIS 

LIBRAIRIE    DE    FI  RM  IN    DIDOT   ET   O 

56,    RUE    JACOB,    56 


M  DCCCLXXXVI! 


Publication  proposée  à  la  Société  le  24  février  1876. 
Approuvée  par  le  Conseil  le  9  mars  1876  sur  le  rapport  d'une  com- 
mission  composée   de   MM.    le  baron    de   Ruble,   Siméon    Luce    et 
A.  Longnon. 

Commissaire  responsable  : 
T\  fi  M.  Gaston  Paris. 

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Tiré  à  cent  exemplaires  sur  ce  papier 


BALADES 


Balades. 


DCCCXXXII 

Balade. 
{Regrets  d'avocats.) 

'autrier  esbanoier  m'aloie  a 
Ou  marché,  bien  près  de  Ducler  ; 
Si  vi  assez  près  de  ma  voie 
D'avocas  un  moult  grant  parler  b . 
Dist  li  uns  :  «  Je  m'en  veil  aler;  5 

Venez  disner  en  ma  maison  ; 
.    Assez  pou  vous  pourray  donner  : 
Perdu  avons  nostre  saison. 

«  J'ay  veu,  quant  disner  vouloie, 

Uen  faisoit  presens  présenter;  10 

De  prendre  le  desdaing  faisoie. 

i.  près  du  ducer. 

a.  J'allais  m'amuser.  —  b.  Assemblée. 

T.  V  , 


2  BALADES 

Nul  ne  daingnoie  l  déporter; 
Les  nobles  faisions  deffubler  a 
Et  tout  oster  leur  chapperon  ; 
1 5  Or  ne  nous  daingnent  regarder  : 

Perdu  avons  nostre  saison. 

«  L/argent  ont  que  avoir  souloie,  21 7  a 

Dont  il  me  fauldra  recouper  b. 
Du  leur  treslargement  vivoie  ; 
20  Or  fault  la  dance  retourner, 

Qu'aeulx  me  fault  gaige  tourner 
Et  estre  en  leur  subjection, 
Et  si  n'osons  un  mot  sonner  : 
Perdu  avons  nostre  saison.  » 


DCCCXXXIII 

Balade. 
(77  faut  être  bien  portant  pour  plaire.) 

Povre  signe  est  que  d'avoir  mal  es  rains, 
Plaindre  son  doux  c  et  devenir  goûteux, 
Mal  es  costez  et  avoir  chaudes  mains 
Et  de  sentfr  quant  le  temps  est  pluieux  ; 

Telz  signes  ne  valent  rien  ; 
Car  qui  devient  tel  astronomien 
Et  de  certain  il  2  scet  quant  il  plouvra 

I,  daingnoit. —  2.  il  manque. 

a.  Décoitïer.  —  b.  Retrancher.—  c.  Dos. 


BALADES  0 

Pert  ses  amours,  toute  joye  et  tout  bien  : 
Jamaiz  dame  forment  a  ne  l'aimera. 

Car  de  doleur  procèdent  tous  ses  plains  :  10 

Se  plouoir  doit,  il  devient  1  angoisseux  ; 
S'il  s^est  armé,  es  lieux  ou  fu  attains 
Des  cops  se  deult  qui  le  font  dolereux; 

Lors  le  fault  vivre  du  sien 
Et  visiter  par  le  fisicien  b  i  5 

Qui  medicine  ou  puison  lui  donrra; 
Lors  dit  Amours  :  «  De  li  cure  ne  tien  »  2; 
Jamaiz  forment  dame  ne  l'aimera. 

Seuffre  tes  maulx,  l'en  ne  veult  que  gens  sains 
Et  qui  soient  puissans  et  vertueux,  20 

Juenes,  jolis,  de  toute  joye  plains, 
Trippens  c,  saillans  d  comme  est  uns  escuireux  e; 

Et  se  Tomme  est  ancien, 
Voist  conceiller  et  soit  saint  Julien  3, 
Et  le  juene  non  goutteux  poursuira,  25 

Car  se  saint  Mor  l'agrippe  4  en  son  lien, 
21 7  &  Jamaiz  dame  forment  ne  l'aimera. 


1.  plouuoir  dont  il  vient.  —  2.  curer  te  tien.—  3.  saint  julian.—  4  sant  mort 
la  trippe. 

a.   Beaucoup.  —  b.  Médecin.  —   c.  Dansant.  —   d.  Sautant. 
e.  Écureuil. 


BALADES 


DCGGXXXIV 

Autre  Balade. 
(Contre  le  mal  de  dents.) 

Aucuns  dient  :  «  Grant  peine  est  de  veiller, 
D'avoir  tierçaine  ou  lièvre  tout  a  fait, 
Ou  mai  ou  ventre,  ou  d'estre  prisonnier, 
D'avoir  goûtes  de  quoy  Ten  crie  et  brait, 
5  Ou  gehinez  estre  pour  son  merïait.  a  » 

Maiz  c'est  tout  riens  au  regart  que  je  prens  : 
Il  n'est  doleur  fors  que  l  le  mal  des  dens! 

Tel  meschief  n'a  femme  pour  travailler  b, 
Mal  de  teste  telle  doleur  ne  fait, 
10        Car  on  ne  puet  ne  boire  ne  mangier, 

Mais  fault  crier  mal  gré  que  Ion  2  en  ait; 
On  ne  pourroit  pis  avoir  par  souhet; 
Qui  a  tel  mal  plus  est  que  hors  du  sens  : 
Il  n'est  doleur  fors  que  l  le  mal  des  dens. 

i  5        On  ne  pourroit  dormir  ne  sommeillier; 
Qui  tel  mal  a  mainte  maie  nuit  trait, 
Quant  il  espoint  c,  il  convient  erragier  d  ; 
La  joe  enffle,  li  viaires  défiait, 
Et  d'en  garir  ont  pluseurs  moult  de  plet  e, 

20        Qui  tout  gastent  quant  il  couchent  dedens  : 
Il  n'est  doleur  fors  que  3  le  mal  des  dens. 

i    que  fors.  —  2.  l'on  mangue.  —  3.  que  manque. 

a.  Etre  torturé  pour  sa  faute.  —  b.  Accoucher.  —  c.  Quand  il  pi- 
que. —  d.  Enrager.  —  e.  De  peine. 


BALADES 


DCCCXXXV 


Balade  \ 


(//  ne  doit  plus  s'appeler  Eustache,  mais  Brûlé 
des  Champs.) 


j 


e  fu  jadiz  de  terre  vertueuse, 
Nez  de  Vertus,  le  paiz  renommé 


Ou  il  avoit  ville  tresgracieuse 

Dont  li  bon  vin  sont  en  maint  lieux  nommé  ; 

Jusques  a  cy  avoit  mon  nom  nommé,  5 

Eustace  fu  appelle  dès  enfans; 

Or  sui  tous  ars,  s'est  mon  nom  remué  a  : 

J'aray  desor  a  nom  Brûlé  des  Champs. 

Dehors  Vertus  ay  maison  gracieuse 
Ou  j'avoye  par  long  temps  demouré,  10 

Ou  pluseurs  ont  mené  vie  joyeuse, 
21 7  c  Maison  des  champs  l'ont  pluseurs  appelle  ; 
Mais,  Dieu  merci,  toute  plaine  de  blé, 
Ont  les  Angles  le  feu  bouté  dedens  ; 
Deux  mille  frans  m'a  leur  gerre  cousté  :  1 5 

J'aray  desor  a  nom  Brûlé  des  Champs. 

Las  !  ma  terre  est  destruitte  et  ruyneuse  ■  b,  ' 

Je  suis  désert,  destruit  et  désolé; 

Fuir  m'en  fault,  ma  demeure  est  doubteuse, 

Se  2  je  ne  sui  d'aucun  reconforté;  ,    20 

'  Publiée  par  Crapelet,  p.  i. 
I.  rayneuse  —  2.  Se  manque. 
a.  Changé.  —  b.  Ruinée. 


BALADES 


Ainsi  seray  de  mon  lieu  rebouté, 
Comme  essilliez  a,  dolereux  et  meschans, 
Se  mes  seigneurs  n'ont  de  mon  fait  pitié  : 
J'aray  desor  a  nom  Brûlé  des  Champs. 


DCCCXXXVI 

Balade. 
[Sur  le  désastre  de  la  ville  de  Vertus.) 

Se  vous  voulez  veoir  grant  povreté, 
Pays  destruit  et  ville  désertée  l, 
Murs  ruineux  ou  le  feu  a  esté, 
Povre  logis  et  gent  desconfortée, 
5  Droit  a  Vertus  est  la  chose  esprouvée; 

Vous  y  aurez  povres  lis  et  ors  b  draps, 
Et  pour  chevaulx  dolereuse  livrée  : 
Pour  ce  te  pri,  gardes  bien  ou  tu  vas  ! 

Les  murs  chéent,  c'est  trestout  tempesté, 
10        Mauvaiz  y  fait,  c'est  périlleuse  alée. 

Li  Angles  ont  par  tout  le  feu  bouté; 

A  poines  yert  de  nul  temps  relevée  c, 

Et  s'ont  en  eulz  aucun  2  maie  goulée 

D'autruy  parler  et  de  faire  debas, 
i5        Dont  la  ville  est  3  de  pluseurs  moins  amée  : 

Pour  ce  te  pri,  gardes  bien  ou  tu  vas  ! 

i.  déserte.  —  2.  aucune.  —  3.  est  manque. 

a.  Dépeuplée.—  b.  Sales.—  c.  Elle  ne  sera  relevée  de  longtemps. 


BALADES  7 

Le  terroir  yert  désormais  déserté, 
On  ne  tendra  compte  de  la  vinée  a, 
Car  il  sera  mal  fait  et  labouré 
Et  si l  yra  par  tout  la  renommée  :  20 

L'en  paiera  mal  ceste  première  année; 
217  d  Telz  parloit  haut  cfon  fera  parler  bas, 
Ainsi  sera  la  ville  anichilée  : 
Pour  ce  te  pri,  gardes  bien  ou  tu  vas  ! 


DCCGXXXVII 

Balade. 
(Les  hommes  d'armes  sont  seuls  estimés.) 

Qui  ne  chevauche  et  qui  n'est  bien  montez, 
Qui  ne  poursuit  et  qui  n'a  grant  estât, 
Bassinet  nuef  et  tout  entier  armez, 
Et  qui  ne  va  la  2  ou  l'en  se  combat, 

Chascun  dit  qu'il  ne  vault  rien:  5 

C'est  uns  chetifs  qui  espargne  le  sien  ; 
Oncques  ne  vit  sachier  du  fuerre  espée  •  ; 
Maiz  se  pluseurs  s'avisassent  tresbien, 
Ja  ne  deissent  sur  autrui  tel  3  goulée. 

Pluseurs  y  vont  qui  en  sont  endebtés,  10 

Qui  de  paier  font  souent  grant  débat 
Et  en  la  fin  en  sont  déshéritez, 

1 .  si  manque.  —  2    la  manque.  —  3.  telle. 

a.  Vendange.  — •  b.  Tirer  l'épée  du  fourreau. 


8  BALADES 

Et  se  portent  leurs  besongnes  de  plat  ; 
De  telz  gens  compte  ne  tien, 
1 5        C'est  droictement  un  va  tost  et  revien 

Sur  povres  gens  qui  composent  Tannée; 
Maiz  s"*il  sceussent  qu'ont  fait  li  ancien, 
Ja  ne  deissent  sur  autrui  tel  >  goulée. 

S'uns  homs  ne  va,  est  il  donc  reboutez, 
20       Destruire  autrui  2,  grever  et  faire  mat, 
Et  acquérir  mille  péchez  mortelz 
Ou  nulle  honeur  maintes  foys  ne  s'embat? 

Nennil;  mieulx  li  vaurroit  bien 
Vivre  envers  Dieu,  comme  vray  crestien, 
25        Que  faire  mal  pour  avoir  renommée. 
S'aucuns  seussent  ce  mot,  or  le  retien, 
Ja  ne  deissent  sur  autrui  tel  8  goulée. 


DCCCXXXVI1I 

Balade. 
(Raillerie  sur  une  dévote.) 

Haro!  dame,  souffrez  que  l'en  vous  voye  ! 
Vous  me  semblez  trop  précieuse  chose  ; 
Maiz  sans  vo  gré  approucher  n'oseroye 
Si  doulx  saffir  ne  si  4  vermeille  rose;  218  a 

Trop  est  hardiz  qui  atouchier  vous  ose; 
Vous  n'estes  pas  de  manière  amoureuse  : 

;.  telle.  —  2     Autrui  destruire.  —  3.  telle.  —  4   si  manque. 


BALADES  9 

Haro!  haro!  est  ce  bien,  gracieuse? 

Qui  vous  verroit  aler  parmi  la  rue, 

Jhesu  semblez  dedens  vostre  habit  close  ; 

Vous  parlez  bas  afin  qu'on  ne  vous  oye,  10 

La  trinité  est  dedens  vous  enclose  ; 

Par  saint  Trotin,  homme  regarder  n'ose, 

Car  homme  voir  est  chose  périlleuse  : 

Haro!  haro!  est  ce  bien,  gracieuse? 

Toudiz  plourez,  nulz  temps  ne  faictes  joye,       i5 

Ne  vostres  cuers  fors  en  Dieu  ne  repose; 

Si  fait  grant  bien  qui  un  po  vous  resjoye, 

Et  quant  a  moy  je  tesmoingne  et  suppose 

Que  qui  feroit  avec  vous  longue  pose 

Que  vous  seriez  un  po  bien  l  amoureuse  :  20 

Haro!  haro!  est  ce  bien,  gracieuse? 


DCGCXXXIX 

Autre  Balade. 
(L'habit  ne  fait  pas  le  moine.) 

Telz  fait  souvent  bien  le  religieux 
Et  telle  fait  aussi  la  Magdalaine, 
Portans  cotes  et  habis  marmiteux  *, 
Qui  ont  toudiz  aussi  verde  la  vayne  b 

1 .  bien  manque. 

a.  Humbles,  modestes.  —  b.  Le  sang  aussi  vif. 


10  BALADES 

5  Que  de  telz  gens  mènent  vie  mondaine, 

Combien  qu'aucuns  l  dient  de  tel  et  telle  : 
«  Cest  droitement  Jhesus  sur  une  pelé  a.  » 

Devant  les  gens  font  sy  le  gracieux 
Qu'a  paine  ist  il  de  leurs  corps  poux  n'alayne  b, 
10        Maiz  ce  font  il  comme  malicieux; 

L'en  çongnoist  mal  le  mouton  a  la  layne  ; 
Tel  malice  leur  voulenté  amayne 
A  leur  effort;  rouges  sont  dessoubz  l'ele  c: 
Cest  droitement  Jhesus  sur  une  pelé. 

i5        De  telles  gens  dist  nostre  sire  2  Dieux, 

Quant  on  les  voit  vestus  de  pel  humaine, 
Gomme  brebis  faisant  3  le  précieux,  218  b 

Que  bonne  euvre  n'est  pas  en  eulx  certaine  ; 
Faictes  leurs  diz ,  maiz  nulz  leurs  faiz  ne  praigne, 

20        Car  qui  les  voit  a  leur  couleur  mortelle, 
C'est  droitement  Jhesus  sur  une  pelé. 


D 


DCCCXL 

Balade. 
Un  de  perdu,  deux  de  retrouvés.) 

ieux,  que  je  suis  dolente  et  esbahie 
Comme  je  voy  sans  cause  mon  ami 


i.  que  aucuns.  —  2.  messire.  —  3.  faisons. 

a.  Sans  doute  :  sur  une  patène.  —  b.  Le   pouls  ni  l'haleine. 
c.  Rusés,  métaphore  prise  sans  doute  de  la  fauconnerie. 


BALADES  i I 

Desloyaument  faire  nouvelle  amie, 

Qui  dès  long  temps  s'estoit  donné  a  mi, 

Et  il  se  part l  et  m'a  du  tout  guerpi  5 

Sens  dire  adieu,  li  desloyaulx  prouvez  ! 

Maiz  j'en  reprends  2  bon  reconfort  aussi  : 

Pour  un  perdu  j'en  ay  deux  retrouvez  ! 

Qui  loyaulx  est  en  l'amoureuse  vie 

A  poine  ara  jamès  joye  de  lui,  10 

Maiz  qui  y  ment  et  sert  de  tricherie, 

Il  est  amé,  comme  a  esté  cellui 

Qui  en  mentant  m'a  de  tous  poins  failli. 

Bien  est  par  moy  faulx  amensesprouvez  ; 

Courcée  en  sui,  or  m'en  conforte  3  ainsi  :  i5 

Pour  un  perdu  j'en  ay  deux  retrouvez  ! 

Voist  donc  a  Dieu,  par  ma  faulte  n'est  mie  4. 
Pour  ce,  dames,  a  toutes  voussuppli  5 
Que  vous  servez  de  la  nappe  ployé  a 
A  ces  6  amens  qui  font  sy  le  joly;  20 

Piz  leur  ferez,  mieulx  arez,  je  vous  dy, 
Et  plus  servans  tousjours  les  trouverez  7. 
D'Amours  me  plaing,  maiz  au  fort,  Dieu  merci, 
Pour  un  perdu  j'en  ay  deux  retrouvez  ! 


1.  départ. —  2.  reprendre.—  3    reconforte.  —  4.  trayc.    —    î>.  supplie.  — 
.  Assez.  —  7.  trouverrez. 

a.  Locution  signifiant  sans  doute  :  que  vous  rendiez  la  pareille, 
ou  bien  :  que  vous  fassiez  des  tours  d'escamotage. 


12  BALADES 


DCGCXLI 

Autre  Balade. 
{Sur  une  ordonnance  du  Roi.) 

Oez,  oez  l'ordenance  du  roy, 
Vous  qui  avez  a  son  père  servi  ; 
Soyez  aise  se  vous  avez  de  quoy  : 
Tous  vous  retient,  ne  soyez  esbahis  ! 
5  Vous  aurez  tuit  bouche  a  court,  218  c 

Maiz  l'en  vous  fait  d'avoir  gaiges  le  sourt  a, 
Et  si  n'arez  rien  pour  fourbir  vos  dens 
Fors  bouche  a  court,  senz  riens  mettre  dedens. 

Establi  est  a  la  court  comme  loy 
10        Que  viel  servant  ne  soyent  conjoy  b  ; 

Ainsi  l'ont  dit  l  li  ancien,  se  croy, 

N'oncques  encor  meilleur  règle  ne  vi. 
L'un  s'en  fuit  et  l'autre  acourt  : 

Ainsins  le  prix  de  l'un  a  l'autre  court  c, 
i5        Qui  ne  départ  ilec  a  povres  gens 

Fors  bouche  a  court  sens  riens  mettre  dedens. 

Li  viel  servant  eurent  riche  conroy, 
Que  li  présent  estoient  apovri  ; 
Or  est  li  temps  retournez,  que  je  voy, 
20        Que  des  derrains  d  sont  li  premier  bany; 
Ainsi  leur  gloire  decourt, 

1.  dit  manque. 

a.  La  sourde  oreille.  — -  b.  Caressé.  —  c.  Aussi  le  bénéfice  passe 
de  l'un  à  l'autre.  —  d.  Que  par  les  derniers. 


BALADES  1 3 

Dont  se  paigne  u  ou  le  leur  nés  secourt  b, 
Li  viel  l  n'auront  desormès,  hors  ne  ens, 
Fors  bouche  a  court  sens  riens  mettre  dedens. 


DGCGXLII 

Balade. 
{Allégorie.) 

Je  fu  jadiz  emprisonnez 
En  la  tour  Dangier  le  villain, 
Pour  ce  que  trop  énamourez 
Fu  de  la  tresbelle  que  j'ain. 
La  m'assailli  Honte  et  Desdain  5 

Et  Faulx  Semblant  li  ypocrites, 
Maiz  je  leur  respondi  le  plain  : 
«  Mes  seigneurs,  j'oy  bien  que  vous  dites.  » 

Par  eulx  fu  lors  interroguez  ; 
A  moy  mirent  de  fait  la  main  io 

En  disant  :  «  Voir  confesserez, 
Vueilliez  ou  non,  hui  ou  demain. 
Dire  vous  faultles  démérites.  » 
Adonc  leur  diz  :  «  Je  ne  vous  crain, 
2i8d     «  Mes  seigneurs,  j'oy  bien  que  vous  dites.  »       i5 

Lors  furent  il  tuit  forcenez 

Et  virent  que  f  n'i  fait  pas  sain, 

i.  11.  —  2.  qui. 

a.  Ce  mot  paraît  altéré.  —  b.  Ou  leur  peigne  bien  ne  les  aide. 


14  BALADES 

A  mon  conseil  estoit  Pitiez 
Et  Raisons  disans  :  «  Toy  refrain  *, 
20  Laisse  dire,  sache  ton  frain  b, 

Lors  seras  de  ta  prison  quittes.» 

Si  les  aux  c,  disans  ce  refrain  : 

«  Mes  seigneurs,  j'oy  bien  que  vous  dites.  » 


DCCCXLIII 

Autre  Balade. 
(Sur  les  différentes  manières  de  rire.) 

Avoir  ne  puis  trop  grant  merencolie 
Des  ris  que  font  au  jour  d'ui  mainte  gent 
L'un  rit  des  yeux  et  en  riant  colie  d 
Et  l'autre  rit  qui  ne  passe  le  dent  ; 
5  Li  autres  rit  si  tresorriblement 

Qu'il  semble  folz,  tant  li  siet  son  ris  mal 

Que  se  semble  le  ris  d'un  cardinal. 

Aucuns  si  '  font  un  riz  d'ipocrisie, 
io        Combien  qu'il  n^nt  de  rire  nul  talent  ; 
Et  l'autre  rit,  qui  ne  se  mocque  mie, 
Du  bon  du  2  cuer,  pour  quelque  esbatement  ; 
Aucuns  y  a  qui  rient  francement, 
Et  l'autre  rit  qui  a  joye  du  mal; 

i.  si  manque.  —  2.  du  manque. 

a.  Retiens-loi.  —    b.  Tiens-toi  en   bride.  —   c.  Je  les  laisse. 
d.  Tend  le  cou. 


BALADES  1 5 

Des  oreilles  rit  aucuns  tellement  1 5 

Que  se  semble  le  ris  cTun  cardinal. 

Senz  cause  rit  aucuns  par  sa  folie, 

Qui  de  rire  n'a  certain  mouvement  ; 

L'autre  est  joyeux  qui  a  plaine  voix  crie 

Et  qui  le  fait  sans  mau^aiz  pensement  ;  20 

Et  l'autre  rit  maiz  traiteusement, 

Car  son  ris  vient  de  parfont  et  d'aval  a  ; 

Pour  ce  en  tel  cas  dit  on  communément 

Que  ce  semble  le  ris  d'un  cardinal. 


DGCCXLIV 

Autre  Balade. 
[Sur  les  différentes  manières  de  manger.) 


T 


ristes,  pensis,  mas  b  et  mornes  estoye 
Par  mesdisance  et  rappors  de  faulx  dis 
21  g  a  A  une  court  royal  ou  je  dinoye, 

Ou  pluseurs  gens  furent  a  table  assis; 

Maiz  oncques  mais  tant  de  nices  c  ne  vis  5 

Que  ceulx  firent  que  Yen  veoit  mengier. 

D'eulx  regarder  fu  de  joye  ravis  : 

Oncques  ne  vi  gens  ainsi  requinier  d. 

Li  uns  sembloit  truie  enmi  une  voye  e, 

a.  Tiré  de  loin  et    d'en  bas    —  b.  Affligé.  —  c.    Grimaces.  

d.  Rechigner.  —  e.  Au  milieu  d'une  route. 


I 6  BALADES 

io        Tant  mouvoit  fort  ses  baulifres  a  toudiz  ; 

L'autre  faisoit  de  ses  dens  une  soye  fc, 

L'autre  mouvoit  le  front  et  les  sourcis  ; 

L'un  requignoit,  l'autre  torcoit  son  vis  c, 

L'autre  faisoit  sa  barbe  baloier  d, 
i5        L'un  fait  le  veel,  l'autre  fait  la  brebis  : 

Oncques  ne  vis  gens  ainsi  requignier. 

D'eulx  regarder  trop  fort  me  merveilloye, 
Car  en  mâchant  sembloient  ennemiz  e; 
Faire  autel  l'un  com  l'autre  ne  veoie, 
20        L'un  machoit  gros,  l'autre  comme  souriz  ; 
Je  n'oy  oncques  tant  de  joye  ne  ris 
Que  de  veoir  leurs  morceaulx  ensacher  f. 
Or  y  gardez,  je  vous  le  l  jure  et  diz  : 
Oncques  ne  vis  gens  ainsi  requignier. 

l'envoy 

25        Princes,  qui  est  courroussez  et  pensis 
Voist  gens  veoir  qui  sont  a  tabte  mis  : 
Mieulx  ne  porra  sa  tristesse  2  laissier; 
Des  grimaces  sera  tous  esbahis 
Que  chascun  fait;  j'en  fu  la  bien  servis  : 

3o       Oncques  ne  vis  gens  ainsi  requignier. 

i.  le  manque.  —  2.  trisse. 

a.  Lèvres.  —  b.  Scie.  —    c.  Contorsionnait  son  visage.  —  d.  Se 
répandre,  s'étaler.  —  e.  Diables.  — /.  Faire  disparaître. . 


BALADES  i  7 


DCCCXLV 

Autre  Balade. 
[Doléances  de  la  ville  de  Vertus) 


G 


uerre  me  font  tuit  li  .mi.  élément, 
Les  dieux  de  l'air,  de  feu,  d'eaue  et  de  terre  : 
Mars  me  destruit  par  son  embrasement 
21  g  b  Et  Saturnus  par  froit  me  vient  requerre, 

Cerès  mes  blez  acravante  et  atterre  a  5 

Et  mes  vingnes  a  destruictes  Bachus; 
Jupiter  pleut,  qui  de  grésil  m'enserre  b  : 
De  tous  ces  l  maulx  est  servie  Vertus. 

Arse  c  ay  esté  toute  generalment 

Par  ceulx  de  Bruth,  de  l'ille  d'Angleterre,  io 

Puis  m'a  forgé  foudres  espessement 

Vulcans  2  d  li  dieux  ;  contre  moy  Fortune  erre 

Tant  que  ne  sçay  fruis,  blez  ne  vins  enquerre; 

Mes  noms  est  trop  arrebours  entendus, 

Chascuns  me  fuit  ;  qui  bien  en  veult  en  querre,    1 5 

De  tous  ces  ]  maulx  est  servie  Vertus. 

Vertus  n'est  pas;  on  m'appelle  autrement  : 

Confusion,  s'en  est  la  droitte  serre; 

Fermer  me  vueil,  maisonner  ensement 

Et  n'ay  de  quoy,  ne  riens  ne  puis  acqucrre  :      20 

Autre  place  me  convandra  conq uerre 

1.  ses.  —  2.  Vultons. 

a.  Ecrase  et  renverse.—  b.  M'accable.  —  c.  Brûlée.—  d.  Vulcain. 
T.  V  2 


I 8  BALADES 

Et  autre  nom,  le  mien  est  confondus; 
Deserre  a  suis  et  chascun  me  fait  guerre  : 
De  tous  ces  maulx  est  servie  Vertus. 

l'envoy 

25        Prince  !,  et  vous,  dieux  et  déesses,  de  gent 
Qui  les  fourmes  muez  complètement  2 
Gomme  jadiz  fu  mué  Antheus, 
Muez  mon  nom  et  ostez  mon  tourment; 
Biens  me  deffuit  *,  Atropos  nVentreprent  : 

3o        De  tous  ces  maulx  est  servie  Vertus. 


DCCCXLVI 

Autre  Balade. 
(  Utilité  de  l'écriture .  ) 

Quelz  choses  sont  c'on  doit  plus  honorer 
Et  dont  chascuns  doit  plus  grant  compte  fai  re, 
Qui  font  les  gens  de  la  mort  respirer  c, 
Qui  font  paier  et  remerir  salaire,  21g  c 

5  Qui  font  l'argent  de  maint  paiz  attraire, 

Et  3  qui  nous  font  4  a  la  foy  estre  enclin? 
Ce  sont  quatre  5,  qu'en  ce  ver  vous  declaire  : 

1.  Princes.—    2.  complètement  manque.  —   3.  Et  manque.    —  4.  fait. — 
5.  quatre  manque. 

a.  Désertés.  —  b.  Tout  bien  me  fuit.  —  c.  Différer,  se  donner  du 
répit. 


BALADES  1 9 

Ancre,  cire,  pappier  et  parchemin. 

Quant  aucun  va  mourdrir  a  autre  ou  tuer, 

Chartre  lui  faut,  vers  la  court  se  doit  traire  ;      10 

Et  si  convient  pour  finance  lever 

Ancre  et  pappier,  autel  b  pour  sattisfaire  ; 

Et  la  loy  faut  escripre  a  .1.  libraire, 

Car  autrement  tost  yroit  a  déclin;, 

Pour  guérir  fault,  dont  je  ne  me  puis  taire,         1 5 

Ancre,  cire,  pappier  et  parchemin. 

Donc  doit  chascuns  la  brebis  bien  l  louer, 
Et  viez  drappiaux  c  ne  lui  doivent  desplaire  ; 
Les  mouchetés  d  font  les  lettres  sceler, 
L'ancre  les  fait  assevir  e  et  pourtraire  ;  20 

S'on  vous  doit  riens  /,  l1en  dit  au  secrétaire  : 
«  Délivrez  moy,  trop  me  fait  de  hutin.  » 
Lors  arez  vous  tout 2  ce  qui  vous  doit  plaire  : 
Ancre,  cire,  pappier  et  parchemin. 

l'envov 

Prince,  au  jour  d'ui  voit  on  tout  tribouler  S",      25 
Et 3  je  n'i  voy  nul  remède  trouver 
Fors  que  lettres  qui  vont  par  le  4  chemin  ; 
Maiz  quant  au  fort,  qui  veult  guerre  mener, 
Ne  5  li  fault  rien  6  autre  chose  ordonner 
Qu'ancre,  cire,  pappier  et  parchemin.  3o 


1.  bien  manque.—  2.  tout  manque.—  3.  Et  viatique.—  4.  le  manque  —  5.  11. 
—  6.  bien. 

a.  Assassiner.  —  b.  Autant.  —  c  Vieux  linges.  —  d.  Les  petkes 
mouches  à  miel  qui  font  la  cire.  —  e.  Accomplir.  —  /.  Quelque 
chose.  —  g.  Bouleverser. 


20  BALADES 


DCCCXLVII 

Balade. 

(Pourquoi  Dieu  a-t-il  mis  un  grand  cœur  dans  un  corps 

chétif  ?) 

J'ay  povre  corps  et  bonne  voulenté, 
Cuer  de  bien  faire  en  vérité  enclin  i, 
Dont  petit  puis  pour  ma  grant  povreté 
Et  pour  le  corps  qui  poi  puet  de  hutin  :       21  g  d 
5  Mes  le  cuer  est  a  toute  honneur  enclin, 

Qui  de  mon  corps  a  tous  se  plaint  et  tanse 

Et  dit  partout  au  soir  et  au  matin  : 

Pourquoy  mist  Dieux  grant  cuer  en  povre  pense? 


Trop  me  merveil  ce  qu'est  2  ne  qu'a  esté, 


10 


Car  leur  grandeur  est  droite  orribleté  b 
Quant  on  les  voit  aler  par  le  chemin, 
Maiz  leur  queue  mettent  comme  un  mastin 
Soubz  leur  3  jambes,  qui  rumeur  leur  commande. 
1  5        J'enrage  lors  comme  fol  4  acquarin  c  : 

Pourquoy  mist  Dieux  grant  cuer  en  povre  Dense? 

Dont  puet  venir  a  grant  corps  lascheté 
Et  au  petit  si  courageux  destin? 
Que  n'achascuns  droicte  proprietté? 

I.  enclin  manque.  —  2.  ce  qui  est.  —  3.  leur  manque.  —  4.  fol   manqua. 

a.  Il  devait,  dans  ce  vers,  être  parlé  des  Anglais.  —  b.  Horreur. 
—  c.  Voué  à  saint  Acaire. 


BALADES  2 1 

Veoir  ne  puis  en  ceste  chose  fin.  20 

Se  cuer  eust  corps,  je  fusse  palatin  >  ; 
Se  corps  eust  cuer,  ainsi  con  je  le  pense, 
Tout  alast  bien,  maiz  tout  va  a  déclin  : 
Pourquoy  mist  Dieux  grant  cuer  en  povre  pense  ? 


DCCCXLVilI 

Autre  Balade. 

[Pourquoi  Dieu  a-t-il  mis  un  petit  cœur  dans  un  grand 

corps.  ) 

Se  grant  corps  eust  cuer  en  hastivité  a, 
Grous  et  félon,  mains  fussent  orphenin 
Et  li  petis  feussent  trop  reboute'  : 
Pour  ce  est  moyen  entre  ces  deux  afin  b . 
L'en  voit  souvant  ploier  le  hault  sapin,  5 

Mes  le  buisson  ne  se  ploie  a  nul  fuer  c, 
Ains  pique  et  point  trop  plus  que  le  2  grant  pin  : 
Pour  ce  mist  Dieux  en  gros  corps  petit  cuer. 

Li  petit  sont  pour  leur  cuer  rebouté  d, 
Plus  tost  muevent  que  roe  de  moulin  ;  10 

Maiz  pour  leur  corps  ont  peu  de  poesté  e, 
Et  li  grant  sont  de  débonnaire  engin  ; 
20  d  Leur  lasche  cuer  ployent  com  3  jong  marin, 

I.  platin.  —  1.  le  manque.  —  2.  comme. 

a.  Vivacité.  —  b.  Allié.  —  c.  A  aucun  prix.  —  d.  Repousses.  — 
Puissance. 


2  2  BALADES 

Tart  se  muevent,  paour  ont,  crainte  et  pleur; 
i  5        S'autrement  feust,  tout  meissent  ■  a  fin. 

Pour  ce  mist  Dieux  en  grant  corps  povre  cuer. 

Li  petit  ont  leur  sanc  plus  aprestéa, 
Car  leur  membres  sont  prez  du  cuer  voisin  ; 
Pour  c'est  plus  tost  devers  le  cuer  monté 
20        Que  des  grans  corps  qui  ont  cuer  de  poussin  ; 
Des  membres  vient  leur  sanc  par  long  chemin, 
S'ont  mouvement  plus  tardif  par  defuer  6, 
Dont  je  concluz  par  ces  moyens  et  fin  : 
Pour  ce  mist  Dieux  en  grant  corps  povre  cuer. 


DCCCXLIX 

Balade. 
{Injures  contre  une  femme.) 

J'ain  par  amours  la  plus  belle  figure 
Que  nulz  homs  puist  de  ses  yeux  regarder  ; 
Courte  et  grosse  est,  et  s'a  la  danteure  3, 
Groin  et  cheveux  con  hure  de  saneler  3, 
Barbe  ou  manton  c;  elle  me  fait  trambler 
Quant  de  ses  yeux  gros  et  noirs  me  regarde. 
Maiz  se  semble  le  dyable  a  son  parler  : 
Je  prie  a  Dieu  que  mal  feu  d'enfer  Tarde. 

I.  missent.  —  2.  danture  —  3.  sanglier. 

a.  Vif.  —  b.  Par  dehors.  —  c.  Barbe  au  menton. 


BALADES  2  3 

Court  a  le  col  et  gros  a  desmesure, 
Maiz  des  tettes  se  '  scet  bien  acemer  a  :  10 

Troiz  piez  en  a,  qui  a  droit  les  mesure, 
Jusqu'es  jambes  2  li  voit  on  avaler  b  ; 
Elle  en  a  bien  pour  un  roucin  maler  c, 
Trippes  d'un  buef  semblent,  qu'y  poet  garder  3  d\ 
Nez  a  camus  c'on  sent  a  alener  :  i  5 

Je  pri  a  4  Dieu  que  mal  feu  d'enfer  Tarde. 

Courte  eschine  a,  ventre  plain  de  présure, 
Qui  toudiz  bruit  que  e  tonnoirre  ou  5  escier, 
Cul  de  jument,  et  6  trumeaux  /plains  d'enfleure, 
Piez  de  crapaut,  bras  qu'on  ne  doit  seler,  20 

220  b  Rons,  cours  et  gros;  ne  s'en  puet  acoler 
Ne  de  ses  mains;  pesans  est  et  felarde  Ê* 
Onques  ne  fust  faicte  que  pour  rouler  : 
Je  pri  a  4  Dieu  que  mal  feu  d'enfer  Tarde. 


Q 


DCCCL 

Autre  Balade. 

[Un  serviteur  fait  son  éloge.) 

ui  a  7  mestier  d'avoir  un  bon  servant? 
Juenes  homs  suis,  aprestés  de  servir. 


1.  se  manque—  2.  Jusques  es  jambes.  —  3.  qui  bien  y  poet  garder.  —  '  4.  a 
manque.  —  5.  en.  —  6.  et  manque.  —  7.  Qui  cncques  a. 

a.  Elle  sait  bien  parer  sa  poitrine.  —  b.  Descendre.  —  c.  Char- 
ger. —  d.  Si  on  y  regarde.  —  e.  Plus  que.  —  /.  Jambes.  —  g.  Pa- 
resseuse. 


24  BALADES 

—  De  quoy  sers  tu?  —  Je  suis  bien  chevauchant, 
Je  sçay  trancher,  moy  en  cuisine  offrir, 

5  Maie  trousser  et  au  besoing  pestrir, 

Garder  chevaux  et  une  chambre  tendre, 
Je  sçay  pignier,  un  lit  faire  et  fournir  ; 
Nulx,  Dieu  mercy,  ne  me  scet  riens  aprandre. 

Je  sçay  aler  et  parler  entre  gent, 
10        Compter,  getter  a,  le  mon  maistre  b  tenir, 
Faire  ses  fraiz,  gouverner  son  argent, 
Escripre  assez  pour  mon  fait  soustenir, 
Rendre  compte  sanz  le  sien  retenir, 
Songneusement  a  sa  besongne  entendre; 
i5        De  ce  me  puet  bien  laissier  convenir  c  : 

Nulx,  Dieu  mercy,  ne  me  scet  riens  aprandre  l. 

Je  couche  tart,  je  suis  si  diligent 
Que  je  n'en  puis  reposer  ne  dormir, 
Je  descouche  d  devant  soulaii  levant, 
20       Tousjours  sui  prest,  oncques  ne  vueil  mentir, 
On  me  puet  bien  2  ses  consaulx  descouvrir, 
Je  suis  preudon  sans  riens  de  Tautrui  prendre. 

—  Je  te  retien.  —  Et  je  vueil  obbeir  : 

Nulz,  Dieux  mercy,  ne  me  scet  riens  apprendre. 

i    Nulx  dieu  mercy  etc.  —  2.  bien  manque. 

a.  Compter  avec   des  jetons.  —   b.  Les  affaires  de   mon   maître. 
—  c.  Il  peut  bien  me  laisser  arranger  tout  cela.  —  d.  Je  me  lève. 


BALADES  2b 


0  c  /^^\ui  a  l 

V^Jeus 


DCCCLl 

Autre  Balade  * 
(Même  sujet.)    . 

220  c  f~\m  a  l  mestier  d'avoir  un  bon  servant  ? 
eusnes  homs  suis,  aprestezde  servir. 
—  lJiTquoy  sers  tu?  —  Je  suis  bien  chevauchant, 
Je  sçay  tranchier,  moy  en  cuisine  offrir, 
Malle  trousser  et  au  besoing  pestrir,  5 

Garder  chevaulx  et  une  chambre  tendre, 
Je  sçay  pigner,  un  lit  faire  et  fournir; 
Nulz,  Dieu  merci,  ne  m'en  scet  rien  aprendre. 

Je  sçay  aler  et  parler  entre  gent, 

Compter,  getter,  le  mon  maistre  tenir,  io 

Faire  ses  fraiz,  gouverner  son  argent, 

Escripre  assez  pour  mon  fait  soubstenir, 

Rendre  compte  sanz  le  sien  retenir, 

Songneusement  a  sa  besongne  entendre  ; 

De  ce  me  puet  bien  laisser  convenir  :  1 5 

Nulz,  Dieux  mercy,  ne  m'en  puet  rien  aprendre  2. 

Je  couche  tart,  je  suis  si  diligent 

Que  je  n'en  puis  reposer  ne  dormir, 

Je  descouche  devant  souleil  levant, 

Tousjours  sui  prest,  onques  ne  vueil  mentir,    20 

'  Même  balade  que  la  précédente.  Un  autre  copiste  a  commencé  avec  cette 
page.  C'est  par  erreur,  sans  doute,  qu'il  a  reproduit  la  ballade  déjà  copiée 
que  nous  réimprimons  à  cause  des  légères  variantes  qu'elle  présente. 

1.  Quiconques  a.  —  2.  ne  men  puet  reprendre. 


20  BALADES 


On  me  puet  bien  ses  consaulx  descouvrir, 

Je  suis  prudoms  sanz  riens  de  l'autrui  prendre, 

—  Je  te  retien.  —  Et  je  vueil  obéir  : 

Nul,  Dieux  mercy,  ne  me  scet  rien  aprendre. 


DCCCLII 

Balade. 
{Défauts  d'un  varlet.) 

J'ay  un  varlet,  qui  le  vouldroit  louer. 
Que  son  pareil  ne  trouveroit  on  mie. 

—  De  quoy  sert  il?  —  De  boire  et  de  jangler  a; 
Il  het  chevaulx;  ne  leva  en  sa  vie 

5  Sanz  lui  trois  foiz  appeler. 

En  cuisine  ne  scet  un  oeuf  peler, 
Non  pas  servir  lui  meismes  a  la  table, 
Mais  il  scet  bien  viande  demander. 

—  Je  n'en  vueil  point;  varletsoit  ilau  diablel  220  à 

10       —  Ba  !  si  ferez  ;  il  ne  '  met  a  lever 

En  trestous  temps  plus  de  lieue  b  et  demie, 
N'il  n'est  homme  qui  le  feist  haster 
Que  sa  teste  ne  fust  avant  pignie  ; 
S'on  ne  le  2  laisse  aprester, 

i5        Tout  a  par  li  sanz  venir  3 


I,  sc.  _  2.  le  manque—  3.  La  rime  manque;  les  deux  vers  \3  et  i\  sonl 
écrits  eu  un  seul. 

a    Babiller.  —  b    Heure. 


BALADES  .  27 

Fors  au  disner,  la  est  il  servissable  a 
Pour  desservir  souvent  sanz  commander. 

—  Je  n'en  vueil  point;  varlet  soit  il  au  diable! 

C'on  t'en  oie  :  scet  il  lire  ou  chanter 

Ne  escripre  chose  que  Ten  lui  die?  20 

—  Certes,  nenil;  mais  bien  scet  murmurer 
Et  esmouvoir  riote  a  la  mesnie  b  ; 

Trousser  ne  veult  ne  maler  c, 
Chambre  fournir  ne  cheval  estaler  <*, 
Car  il  se  tient  pour  varlet  honourable.  2  5 

Vous  ne  pouez  nul  meilleur  recouvrer. 

—  Je  n'en  vueil  point,  varlet  soit  il  au  diable  ! 


DCCCLIII 

Autre  Balade. 
(Une  dame  se  plaint  de  la  jalousie  de  son  mari.) 

La  fièvre  quarte  et  la  double  tierçainne, 
Le  mau  saint  Leu  e  et  le  saint  Matelin/, 
La  rage  es  dens,  ou  chief  goûte,  migraine, 
Les  tranchoisons  du  ventre  et  Tavertin  r, 
La  goûte  es  flans  et  le  mau  saint  Quentin  s         5 
Puist  il 2  avoir  qui  mari  me  donna, 

1.  et  de  lauertin.  —  2.  il  manque. 

tf.  De  bon  service. —  b.  Faire  naître  une  dispute  parmi  les  gens 
de  la  maison. —  c.  Faire  un  paquet  ou  une  valise.  —  d.  Mettre  un 
cheval  à  l'écurie.  —  e.  Epilepsie.  — /.  Folie.  —  g.  Hydropisie. 


2  8  BALADES 

Et  le  gros  mal  a  au  soir  et  au  matin, 
Et  panduz  soit  qui  ainsi  m'assena! 

D'ydropisie  ait  il  la  pance  plaine, 

10        Thisiques  soit  et  éthiques  en  fin, 

La  gravelle  ait  .xvin.  foiz  la  sepmaine, 
Esquinance,  soit  son  corps  palasin  bt 
De  saint  Fiacre  puist  estre  pèlerin 
Et  de  saint  Mor  qui  par  goûtes  fîna, 

1  5        Et  a  tous  mauls  soit  offert  et  enclin  221  a 

Et  panduz  soit  qui  ainsi  m'assena  ! 

Honteuse  mort  lui  soit  briefment  prochaine! 
Car  mon  baron  nVest  trop  cruel  voisin; 
Je  n'ose  aller  en  bois,  ville  ne  plaine, 
20        Dancer,  chanter,  manger,  boire  de  vin, 
Que  le  villain,  a  guise  d'un  mastin, 
Ne  m'abbaie,  crians  :  «  Que  fais  tu  la?  » 
Perdue  suis,  maudis  soit,  sy  deffin  c, 
Et  pandus  soit  qui  ainsi  m'assena  ! 


l'envoy 


25         Princes,  qui  a  franchise  en  son  demaine  rf, 
Se  saiges  est,  ja  ne  le  guerpira  e. 
Vray  mari  ai  l  qui  me  fait  trop  de  paine, 
Et  panduz  soit  qui  ainsi  m'assena  ! 

i.ai  manque. 

a.  Le  mal  caduc.  —  b.  Paralytique.—  c.  Ainsi  je  finis.  —  d.  Qui 
est  libre.  —  e.  Abandonnera. 


BALADES  29 


DGGGLIV 
Autre  Balade. 

SUR    LES   MANDEMENS    DU    ROY 

Puisqu'il  me  fault  aler  au  mandement 
Ou  mois  cTAoust  et  en  Septembre  aussi, 
En  un  pais  ou  n'a  blez  ne  nomment, 
Vigne  '  a  gaster  ne  fruis,  j'avise  yci 
Que  four  me  fault,  moulin,  bief  autressi,  5 

Grange,  grenier  pour  trousser  a  derrier  moy, 
Cave  et  celier;  je  vueil  aler  garny  : 
.  En  cel  estât  puis  bien  servir  le  roy. 

Or  me  convient  porter  hébergement  b 
Pour  reposer  quant  seray  endormi,  10 

221  b  Draps  a  couvrir,  chars  et  vaissellement  c, 
Harnois  entier  contre  mon  ennemi; 
Se  tout  ce  n'ay,  je  suis  mort  a  demi, 
Comme  Rolant  languiroie  de  soy; 
Mais  se  j'ay  foing  et  avoine  emprès  mi,  1 5 

En  cel  estât  puis  bien  servir  le  roy. 

S'un  sommier  d  puet  tout  porter  prestement, 

Du  voyage  gaires  ne  m'esbahy, 

Car  je  vivray  en  ce  cas  largement 

Et  trestous  ceuls  qui  le  feront  ainsi,  ■  20 

1.  Vignes. 

a.  Porter  sur  mon  cheval.—  b.  Tente.  —  c.  Vaisselle.  —  d.  Une 
bête  de  somme. 


3o  BALADES 

S'autre  bien  n'ont,  veu  qu'argent  est  failli 
Et  que  les  fors  tiennent  tout  soubz  leur  loy  ; 
Quoy  qu'on  die,  je  seray  desconfi  : 
En  tel  estât  puis  bien  servir  le  roy. 

l'envoy 

25         Prince,  qui  veult  en  yver  mener  gent 

Doit  moult  doubter  le  grésil  et  la  nov  a: 
Mais  quant  au  fort,  se  j'ay  or  et  argent, 
En  tel  estât  puis  bien  servir  le  roy. 


DCGCLV 

Autre  Balade  *. 

Conseil  de  ne  pas  se  rendre  aux  mandements.  ) 

[i386-i3S7.] 

On  dit  qu'eschaudez  yaue  ciaint, 
Poissons  batu  fuit  le  fille  h, 
Et  cerf  qui  a  esté  empaint  c, 
Et  chaz  qui  a  le  cul  brûlé  ; 
Mais  de  ce  sont  trop  aveuglé 
Pluseurs  qui  vont  aux  ma n démens 
Dont  ilz  sont  destruit  et  gasté  :  221c 

G'y  renonce;  a  Dieu  les  commans  d\ 


*  Publiée  par  Tarbé,  tome  I,  p.  gx. 

a.  La  neige.  —  b.  Filet-  —  c.  Poursuivi,  chassé.  —  i.  Je  les  re 
commande  à  Dieu. 


BALADES  3j 

Maint  seignour  cscrivent  a  maint, 

Qui  souvent  en  sont  taboulé  a  :  10 

«  Soiez  a  nous,  et  ne  remaint, 

A  ce  jour  monté  et  armé, 

Et  vous  ne  serez  ja  moqué; 

Pour  moys  arez  quatorze  frans, 

Chevalier  .xxx.,  est  ce  vo  gré>  »  i5 

G'y  renonce;  a  Dieu  les  commans!    . 

Car  maint  homme  de  ce  se  plaint, 

Qui  en  est  povre  et  endebté, 

Dont  il  n'est  ne  1  saincte  ne  saint 

Qui  n'en  soit  sanz  cause  blasmé  ;  20 

L'en  n'a  croix  6,  s'est  contremandé, 

La  pert  on  chastelet  despens  : 

Voist  qui  veult,  j'en  suis  retourné  : 

G'y  renonce;  a  Dieu  les  commans! 

l'envoy 

Princes,  qui  d'aler  la  se  faint,  2  5 

Considéré  les  contremans  c, 

Saiges  est  ;  si  dy  comme  abstraint  d  : 

G'y  renonce  ;  a  Dieu  les  commans  ! 


1.  ne  manque. 

a.  Bouleversés.    —    b.  Argent.  —  c.  Les  mandements  contradic- 
toires. —  d.  Comme  contraint. 


32  BALADES 


DCGGLVI 

Autre  Balade. 
(Injures  à  tin  homme.) 

Pales  et  vers,  longue  teste  et  cocue  a,       221  d 
Yeulx  de  perdriz  et  nés  de  chahuant, 
Groing  de  pourcel,  long  coul  comme  une  grue, 
Bossus  derrier  et  enfossez  b  devant, 
5  Ventre  a  soufflet,  cuisses  de  coqmarant  c, 

Hanches  de  buef  et  jambes  de  héron, 
Cul  d'estourneau,  gros  genoulz  d'oliphant  : 
Qui  onques  vit  corps  de  telle  façon? 

Uns  longs  piez  plas  qui  ont  oingnons  en  mue, 
10        Grans  chevilles  qui  se  vont  ataingnant, 
Mule  es  talons  avez  \  parmy  la  rue, 
De  lascheté  vont  voz  membres  tremblant, 
A  vostre  aler  en  faictes  bien  semblant, 
Et  voz  deux  bras  semblent  estre  baston, 
1 5        Ongles  de  chien,  longue  main  et  meschant  : 
Qui  onques  vit  corps  de  tele  façon? 

Bien  ressemblez  une  coquesague  d, 
Barbe  n'avez,  et  si  2  dient  auquant  e 
Que  vous  avez  la  creste  si  ague 
20        Qu'en  voz  fourreaux  n'a  marteau  ne  sonnant  f\ 

1.  Mule  avez  es  talons  —  2.  si  manque. 

a.  Grotesque.  —  b.  Creux.  —  c.  Cormoran.   —  d.  Coquecigrue. 
—  e.  Plusieurs.  —  /.  Grelot. 


BALADES  33 


Vous  vous  tuez,  com  fait  le  pellicant, 
A  vostre  bec  de  boire,  ce  dit  on, 
Et  de  manger  a  guise  de  gourmant  : 
Qui  onques  vit  corps  de  tele  façon  ? 


J 


DCCCLVII 

Autre  Balade. 
(Sur  sa  détresse.) 

e  n'ay  houseauls  «,  chauces  ne  esperon, 
Manteau,  pourpoint,  que  tout  ne  soit  usé, 
222  a  Hopelande,  villain,  ne  chaperon, 

Drap,  linge  entier,  et  quant  fay  bien  musé, 
De  mes  chevaulx  est  mon  hoste  rusé  b  :  5 

Finer  n1en  puis  pour  aler  jusque  l  au  boys, 
Se  gaige  n'a,  ains  2  je  suis  amusé  : 
Le  crucefis  et  je  n^ont  que  .11.  crois  c. 

Les  chevaulx  sont  vielz  ferrez  au  talon, 

Ce  qui  pis  est,  sont  de  faim  aveuglé,  10 

Grain  ne  voient;  je  n'ay  selle  n'arçon, 

Tasse,  pannel  d,  qui  ne  soit  affolé, 

Bride,  poitral  qui  ne  soit  renoué  <•', 

Cengle  rompue  en  deux  pièces  ou  3  trois  ; 

Enc  ent  lieux  doy,  mais,  quant  j'ay  bien  compté,  1 5 


t.  jusques.  —  2.  ainsi.  —  3.  ou  en. 

a  Bottes.  —  b.  Refusant.  —  c.  C'est-à-dire  :  Je  ne  possède  en 
tout  qu'une  croix,  pièee  de  monnaie.  —  d.  Couverture  de  cheval. 
—  e.  Raccommodé. 

T.  V  3 


34  BALADES 

Le  crucifis  et  je  n'ont  que  .11.  crois. 

Courroie  n'ay,  tasse  ne  fremillon  at 
Que  n'aie  ja  1  de  pieça  endebté, 
Foy  a  mentir  ne  plege  compaignon  bf 
20        Si 2  ay  argent  de  pluseurs  emprunté; 
Je  ne  voy  mais  nulle  subtilité, 
Fors  de  fuir.  Adieu  donc;  je  3  m'en  vois 
Se  je  ne  suis  d'aucun  reconforté  : 
Le  crucifis  et  je  n'ont  que  .11.  crois. 

envoy  4 

25        Princes,  qui  suit  court  de  prince  ou  baron 
Souventefoiz  devient  mon  compaignon, 
Ses  varies  oit  crier  a  haulte  vois 
Et  l'oste  brait.  Helas  !  et  que  feron  ? 
Le  crucifis  et  je  n'ont  que  deux  croix. 


DCCCLVIII 

Autre  Balade. 
[Les  bêtes  valent  mieux  que  les  gens.) 

Je  me  complaing  de  toute  créature,         222  b 
Mais  des  bestes  me  puis  assez  louer, 
Qui  ensuivent  et  aiment  leur  nature 

1.  ja  manque.  -  2.  Et  si.  —  3.  donc  je  manque.  —  4.  autre  balade. 
a.  Boucle.  —  b.  Qui  me  serve  de  caution. 


BALADES  .  35 

Et  vont  entr'eulx  pour  leur  forme  garder, 

Et  tous  oiseaulx  vont  leur  femelle  amer;  5 

Mais  seulx  homs,  dont  je  me  dueil, 
Ne  veult  amer  dame,  par  son  orgueil, 
Ains  la  defuit  et  son  per  a  aime  a  part, 
Tant  que  je  voy  par  tout  tristece  et  dueil  : 
Amour  n'y  voy  fors  l'amour  de  Renart.  10 

Ou  temps  jadis  tesmoigne  l'escripture 

Que  l'en  souloit  dancier  et  karoler  *, 

Et  que  dames  avoient  leur  droiture  c 

Des  chevaliers  veoir  et  honourer, 

Et  eulx  aussi  des  dames  entramer  i  5 

Et  estre  de  bel  acueil; 
Mais  dame  n'est  qui  ose  lever  l'ueil, 
Car  de  dolour  ont  dolereuse  part; 
De  leur  hostel  n'osent  passer  le  sueil  : 
Amour  n'y  voy  fors  amour  de  Renart.  20 

Ainsi  chascun  se  pert  et  desnature  ; 

Et  l'en  souloit  les  grans  fais  achever 

Par  vraie  amour  qui  estoit  ferme  et  pure, 

Que  les  vaillans  sçavoient  bien  celer, 

Mais  a  présent  veulent  tout  révéler,  25 

Dont  tele  honte  recueil 
Que  tous  hommes  désormais  hair  vueil 
Quant  décliner  les  voy  de  leur  droit  art; 
Je  suis  Raison,  qui  puis  juger  a  l'ueil  : 
Amour  n'y  voy  fors  l'amour  de  Renart.  3o 


a.  Son  pareil.  —    b.  Danser  en  rond.   —   c.  Que  les  dames  fai- 
saient leur  légitime  habitude. 


36  BALADES 


DCGGLIX 

Autre  Balade. 
(Sur  sa  malechance.) 

Chascun  me  dit  :  «  Dieu  gart!  Dieu  gart  a  !  2 
Plus  d'omme  compte  ne  tenez, 
Mectez  de  ces  flourins  a  part; 
Vous  faictes  ce  que  vous  voulez,  » 
5  Adonc  suis  je  tout  forsenez 

En  disant  :  «  Vous  me  rusez  b  bien  ; 
Povre  suy,  pour  ce  me  moquez  : 
Je  me  tue  et  si  ne  faiz  rien. 

«  Grans  sires  le  sien  l  ne  départ 
10  A  pluseurs,  si  com  vous  cuidez; 

Qui  trop  s'i  fie,  il  est  coquart, 

Car  s'aucune  chose  en  avez 

Ce  et  plus  y  despanderez 

Avant  qu'il  vous  en  aille  bien  2. 
1 5  De  ce  fait  suis  acertenez  : 

Je  me  tue  2  et  si  ne  faiz  rien. 

«  Mais  encor  3  vault  il  mieulx  a  tart 
Soy  congnoistre  que  estre  assotez, 
Et  que  l'en  advise  aucun  art 
20  Dont  l'en  puist  estre  gouvernez  ; 

Car  cilz  est  de  bonne  heure  nez 

1.  li  siens.  —  2.  Avant  quil  vous  aille.  —  3.  partue.  —  4.  encore. 
a-  Dieu  vous  garde.  —  b.  Vous  vous  moquez  de  moi. 


BALADES  37 


Qui  puet  et  scet  vivre  du  sien. 
Penser  y  vueil.  —  Or  y  pensez. 
! —  Je  me  tue  et  si  ne  faiz  rien.  » 


DCCCLX 

Autre  Balade. 
(On  ne  vaut  rien  si  on  ne  se  vante.) 


y  e  jamais  jour  ne  vantoit  . un.  vens, 


s 


Si  seroit  bien  ly  mondes  aventez, 
Carchascun  dit  au  jour  d'ui  :  «  Je  me  vens  a 
Que  je  suis  grant  et  bien  emparentez  ;  » 
5  Et  Pautre  dit  :  «  Que  je  suis  bien  rentez,  »  222  d 

Qui  maintefoiz  n'a  vaillent  une  moufle  b. 
Se  Pun  dit  voir,  Pautre  dit  :  «  Vous  mentez  :  » 
Il  ne  vault  rien  au  jour  d'ui  qui  ne  soufle  c. 

Chascuns  promet,  mais  que  vault  telz  convens  d 
10        Quant  sur  mentir  le  principe  est  entez  ? 
Telz  prometteurs  sont  deceuz  decepvens, 
Qui  de  voir  dit  n'ont  pas  les  dens  dentez  e  : 
C'est  cy  faulx  vens  qui  est  cy  augmentez 
Que  chascuns  dit  :  «  Cest  li  chans  de  l'escoufle  /» , 
1 5        Dont  ly  mondes  est  tout  empulentez  ff\ 

Il  ne  vault  rien  au  jour  d'ui  qui  ne  soufle.    ( 


a.  Vante.  —  b.  Un  gant;  une  chose  sans  valeur.  —  c.  Qui  ne  se 
vante.  —  d.  Promesse.  —  e.  La  bouche  meublée.  — /.  Espèce  de 
milan.  —  g.  Empesté. 


38  BALADES 

Ceste  feste  a  tous  les  mois  ses  advens 
Et  chascun  jour  en  sont  pluseurs  temptez 
Qui,  au  coucher  et  quant  ilz  sont  levez, 
20        Sourient  si  fort  qu'en  suis  l  espouentez  : 
Mauditte  soit  si  fausse  voluntez 
Et  qui  troua  premièrement  tel  sourie 
Dont  pluseurs  sont  destruit  et  tourmentez 
Il  ne  vault  rien  au  jour  d'ui  qui  ne  sourie. 


DCCGLXI 

Autre  Balade. 
(Il  faut  savoir  dissimuler.) 

On  dit  qu'il  fault  dissimuler 
Et  que  saige  2  est  qui  dissimule  ; 
Et  qui  veult  avoir  cumuler 
En  dissimulant  l'acumule  ; 
5  Et  pour  ce  vueil  porter  la  mule 

Si  qu'om  ne  me  tiengne  pour  chievre  ; 
Chascun  est  moqué  qui  recule  : 
Je  vous  di  que  la  gist  le  lièvre. 

Mais  cil  qui  veult  tout  emmuler  a 
io  Et  d'avoir  faire  un  trop  grant  mule  è,        2  23a 

Se  puet  de  legier  aculer 

i.  que  j'en  suis.  —  2.  saiges. 

a.  Amonceler,  amasser,  mettre  en  meule. —  b.  Meule,  monceau, 
tas. 


BALADES  39 


Se  largesce  ne  le  descule  a  ; 
Face  adonc  que  nulz  ne  l'acule, 
Pis  li  vauldroit  qu'acès  de  fièvre. 
Se  vous  entendez  bien  ]  ma  bule, 
Je  vous  di  que  la  gist  le  lièvre. 

Que  vault  ne  braire  ne  huler 
Au  négligent  qui  brait  et  2  hule  3? 
On  le  devroit  bien  4  anuler 
Quant  par  convoitise  s'anule  ; 
Pluseurs  laissent  la  droite  rule  *; 
Il  n'est  mais  Tristan  ne  Genièvre, 
Gauvain,  Lancelot  ne  Romule  : 
Je  vous  di  que  la  gist  le  lièvre. 


DCCCLXII 

Balade. 
[Sur  sa  pauvreté.) 

Chascuns  me  dit  que  je  5  suis  grans 
Et  que  je  fais  bien  le  seigneur 
Et  que  j'ay  grant  nombre  de  frans; 
Helas  !  dont  me  vient  ceste  honneur? 
Pour  ce  qu'om  me  voit  en  tristeur 
Et  que  je  suis  comme  nemo, 


l.  bien  manque.  —  2.  et  manque.  —  3.  hurle.  —  4.  bien  manque   —   5    je 
manque. 

a.  Désaccule.  —  b.  Règle. 


40  BALADES 

L'en  se  moque  de  ma  doleur  : 
Je  suis  de  paupere  regno. 

S^en  deviens  pensis  et  pesans, 
10  Car  ceuls  qui  bien  gardent  le  leur 

Ont  prez,  terres,  vignes  et  champs 

Et  se  vivent  de  leur  labour, 

Et  je  me  voy  au  lit  de  plour  223  b 

Par  trop  1  despendre  a  et  gaingner  po. 
i5  Mais  j'ay  mis  le  plus  beau  defueur  b  : 

Je  suis  de  paupere  regno. 

J'ay  servi,  dont  je  suis  meschans  c, 
Sanz  cueillir  ne  feuille,  ne  fleur, 
Vielle  femme  et  jeunes  enfans 
20  Qui  m'ont  faicte  mainte  langour 

Sanz  remerir  rf,  de  quoy  je  plour, 
Quant  je  n'ay  ne  recept  ne  tro  e  ; 
Pensez  y  2  bien,  grant  et  meneur  : 
Je  suis  de  paupere  regno. 


i.  trop  manque.  —  2.  y  manque. 

a.  Dépenser.  —  b.  Dehors.  —  c.  Malheureux.-—  d.  Récompenser. 
—  e.  Cachette  ni  trou. 


BALADES  41 


DCCCLXIII 

Autre  Balade  \ 

SUR    LES    MAIOURS    DE    VEUCQUESSIN 

On  ne  pourroit  l  pais  trouver 
Non  pas  pais,  mais  un  anglet  a, 
Que  chascuns  deust  2  plus  louer 
De  Vequecin,  car  on  y  fet 
Le  maieur  de  bonne  manière.  5 

Douze  villains,  en  la  vessiere  è, 
Sont  a  vesses  cueillir  enclin, 
Chascun  plain  poing  ;  puis  vont  arrière  : 
Dieux  gari  les  veaulx  de  Veucquessin  ! 

En  un  parc  se  vont  assembler  ;  10 

Chascuns  vesses  en  son  poing  met. 
Et  puis  laiss'on  le  veel  aler 
Qui  d'aler  vers  eulx  s'entremet. 
De  la  vesse  qu'il  prant  première 
223  c      Fait  on  maieur  a  liée  chiere  :  i5 

Cellui  qui  la  portoit  en  fin 
Est  levez  sur  une  espanniere  c  : 
Dieux  gart  les  veaulx  de  Veucquessin! 

Les  veaulx  doivent  assez  amer, 

*  Publiée  par  Tarbé,  tome  I,  page  38. 

—  r .  On  ne  pourroit  pas.  —  2 .  doit. 

a.  Coin  de  terre.  —  b.  Endroit  planté  de  vesces.   —    c.  Loque, 
morceau  d'étoffe. 


42  BALADES 

20  Mais  trop  leur  ont  vaches  forfet, 

C'une  foiz,  a  leur  retourner 
Des  champs  y  ot  merveilleus  fet  : 
Car  une  vache  par  derrière 
De  sa  queue,  que  elle  avoit  hère, 

25  Porta  un  escuier  souvin  a, 

Le  trouva  et  en  fist  litière  '-  : 

Dieux  gart  les  veaulx  de  Veucquessin  ! 


DCCCLXIV 

Autre  Balade  *. 

(Requête  aux  ducs  d'Anjou  et  de  Bourgogne.) 

[i38i] 

Ars  et  brûlez,  esclavez  et  destruis, 
Homs  fugitis,  sanz  borde  b  et  sanz  maison, 
Povres,  desers  et  désolez  me  truis 
Par  les  Anglois  qui  m'ont  ceste  saison 

Mis  en  toute  povreté; 
.II".1  frans  m'a  leur  guerre  cousté; 
Ne  je  ne  voy  conseil  en  ma  besongne, 
Si  je  ne  suis  briefment  reconforté 
De  mes  seigneurs  d'Anjou  et  de  Bourgongne. 

'  Publiée  par  Tarbè,  tome  I,  page  42  —  Cf.  la  ballade  DCCCXXXV,  p.  5. 

3.  livrée. 

a.  Couché  sur  le  dos.  —  b.  Petite  métairie.  • 


BALADES  43 

Or  leur  suppli  tant  humblement  que  puis  10 

Qu'avoir  vueillent  ma  supplicacion  ; 
Car  par  achat  cTostel  recouvrez  suis, 
Mais  il  ne  tient  qu'a  la  soiucion  : 
2 3  d  Aient  de  mon  fait  pitié  ; 

Si  seray  lors  a  Paris  heritié.  1 5 

Pour  .vic.  frans  me  trairont  hors  cTessoingne  l  a, 
S'en  mercieray  lors  la  bénignité 
De  mes  seigneurs  d'Anjou  et  de  Bourgongne. 

Vueillent  au  roy  monstrer  que  je  suis  cuys  : 
Il  m'aidera  par  leur  bonne  raison  2  o 

De  .111e.  frans;  d'autre  chose  ne  ruis  : 
D'autres  .111e.  2  m'a  fait  donacion 

Mon  seignour,  en  vérité, 
Qui  d'onneur  tient  la  souveraineté. 
Or  ne  vueillent  en  mon  fait  mettre  alongne  b  :  25 
Ainsi  seray  par  le  bien  conforté 
De  mes  seigneurs  d'Anjou  et  de  Bourgongne. 


j 


DCCGLXV 

Autre  Balade. 
[Sur  sa  vieillesse.) 


e  n  aray  jamais  mestier 
De  faire  le  hasselin  c, 


.  dessoigne.  —  2.  Dautres  .m0,  frans. 

r.  Embarras.  —  b.  Délai.  —  c.  Le  jeune  homme 


44  BALADES 

D'armer  ne  de  chevaucher 
Ne  d'aler  logier  a  plain  ; 
5  Je  ne  tiens  dent  de  poulain, 

On  le  voit  bien  a  ma  chiere  ; 
Vielle  *  m'a  dit  :  «  Je  te  prain  2, 
Tu  porteras  ma  bannière.  » 

Desor  me  fault  tost  coucher, 
10  Bien  couvrir,  dormir  le  main  a, 

Bonne  viande  manger, 

Avoir  bon  vin  et  bon  pain; 

Pour  les  grans  excès  me  plain 

Que  j'ay  fait  ça  en  arrière  ;  224 

1  5  Vielle  m'a  dit  :  «  Je  te  prain  2  ; 

Tu  porteras  ma  bannière.  » 

Femme  n'est  qui  plus  m'ait  chier, 
Pour  ce  que  mon  corps  est  vain  ; 
Bien  sçay  quant  il  doit  negier 
20  Ou  plouvoir,  tout  de  certain  ; 

Je  me  tien  miz  a  l'estrain  b. 
Adieu,  douce  dame  chiere! 
Vielle  ■  m'a  dit  :  «  Je  te  prain  2; 
Tu  porteras  ma  bannière.  » 

1.  Viellesce  —  2.  pran. 

a.  Le  matin.  —  b.  Paille,  litière. 


BALADES  45 


DCGGLXVI 

Autre  Balade 

FAICTE    PAR   MANIERE    DE    SUPPLICACION. 

Ames  seigneurs  sur  le  fait  du  demaine, 
Suplie  a  tous  povres  Brûlez  des  Champs, 
A  mon  seigneur  le  chancelier  en  Maine, 
Que  ses  gaiges  qui  ne  sont  pas  moult  grans 

Lui  soient  vérifiez,  5 

Ou  il  sera  perdus  et  exilliez, 
Et  ne  laira  de  chascun  la  maison 
Jusques  il  ait  verificacion. 

Ses  chevaulx  sont  a  foing  et  a  î  avoine  a, 
Qui  de  jeûner  sont  lasches  et  meschans;  10 

L'un  fault  laissier  quant  les  .11.  vont  a  Saine, 
Car  li  hostes  est  de  trop  près  guetans; 
Telz  chevaulx  sont  mieulx  veilliez 
Que  nulz  faucons,  et  s'ont  les  yeulx  silliez  *, 
24  b  Si  que  veoir  grain  c  ne  pourroient   foison         i5 
Jusques  il  ait  verificacion. 

Se  délivrez  n'est  en  ceste  sepmaine, 
Lui  retourné  sera  de  voz  charlans  <*, 
Corps  et  chevaulx  arez  a  bonne  estraine, 


I.  a  manque.  —  2.  pourront. 

a.  Sans  foin  ni  avoine  — b.  Allusion  à  la  coutume  que  l'on  avait 
2  veiller  les  faucons  pendant  la  mue,  et  de  leur  coudre  les  pau- 
ières.  —  c.  Cf  ci-dessus,  page  33,  vers  11.  —  d.  Chalans. 


46  BALADES 

20        Car  il  n'a  plus  de  quoy  faire  despens; 
Sur  ces  poins  vous  avisez, 
Et  pour  le  mieulx  ses  lettres  délivrez, 
Ou  il  vivra  a  vostre  garnison 
Jusques  il  ait  verificacion. 


DCCCLXVII 
Balade  *. 

COMMENT    ON    SOULOIT   ANCIENNEMENT    MOULT    HONOURER    LE! 
SAIGES  ET  ANCIENS   PLUS   QUE  ON    NE    FAIT  AU  JOUR  d'uI. 

[Des  têtes  chauves  à  la  cour.) 

Les  anciens  furent  jadis  moult  saiges, 
Si  doivent  bien  leurs  dis  estre  gardez 
Et  qu^om  tiengne  leurs  faiz  et  leurs  usaiges  ; 
Or  supplions  que  vous  y  regardez. 
5  Coiffes  eurent,  tel  estât  nous  rendez, 

Et  nous  prierons  tuitpour  vous  et  pour  eulx  : 

Car  bonnes  sont  a  entre  nous  pelez 

Et  a  tous  ceuls  qui  ont  pou  de  cheveulx. 

Eustace  suy  pour  les  pelez  messaiges  *  a, 
10        Coucy,  Saint  Poul,  Hangest,  Torcy  :  venez, 
G.  des  Bordes,  Brifaut,  et  a  oultraiges  2 

*  Publiée  par    Tarbè t  tome  î,  page  i55. 
1.  messaige.  —  2.  oultrages. 
a-  Messager. 


BALADES  47 

Y  est  Colart  de  Tanques  desplumez  : 
Hugues  du  Bois,  Moriaux,  sont  cnrrumez, 
Coiffe  leur  fault  et  ce  l  a  chascun  d'eulx  : 
Car  bonnes  sont  a  entre  nous  pelez  i5 

24  c  Et  a  tous  ceuls  qui  ont  pou  de  2  cheveulx. 

Hutin  d'Aumont,  Philibert,  voz  mesnages 

A  bien  mestier  que  coiffe  demandez; 

Saint  Sautlieu  pert  et  Sausset  leurs  plumaiges; 

De  Poinsinet  s'en  est  li  poilz  alez  :  20 

He  !  gentilz  rois,  vers  nous  vous  admandez  a\ 

Coiffes  donnez  aux  povres  soufraiteux, 

Car  bonnes  sont  a  entre  nous  pelez 

Et  a  tous  ceuls  qui  ont  pou  de  cheveulx. 


l'envoy 


Princes,  trop  plus  sont  les  aucuns  grevez,  25 

Qui  pour  couvrir  ont  cheveulx  reboursez  b, 

Que  ceuls  qui  n'ont  plus  3  rien  sur  le  peleux  c  ; 

Pignes  leur  fault  et  le  mirouer  delez  d\ 

Si  voussuppli  que  coiffe  leur  donnez 

Et  a  tous  ceuls  qui  ont  pou  de  cheveulx.  3o 

i .  ce  manque.  —  2.  de  manque.  —  3.  plus  manque. 

a.  Amendez.  —  b.  Retroussés.  —  c.  Tête  chauve,  pelée.  —  d.  A 
té. 


48  BALADES 

DCCCLXVIII 

Autre  Balade  *. 
(Sur  les  Anglais.) 

Franche  dogue  a,  dist  un  Anglois, 
Vous  ne  faictes  que  boire  vin  . 
—  Si  faisons  bien,  dist  li  François, 
Mais  vous  buvez  le  henequin  ; 
5  Roux  estes  com  l  pel  de  mastin. 

Vuillequot,  de  moy  aprenez 
Quant  vous  yrez  par  le  2  chemin  : 
Levez  vosire  queue,  levez  b  !  224  < 

Vous  testes  pas  de  membres  fais 
10  Si  3  comme  est  Jaques  Thommelin 

Qui  porte  si  merveilleus  fais 
Que  vous  n'y  pourriez  mettre  fin  : 
Ce  sont  deux,  tonneaulx  de  sapin  4, 
C'est  voir,  et  la  queue  delez. 
1  5  Advisez  vous,  dit  Franchequin  ; 

Levez  vostre  queue,  levez  ! 

N'alez  a  piet,  par  le  temps  frois, 
Porter  vostre  blé  au  moulin  ; 

*  Publiée  par  Tarbé,  tome  I,  page  24. 

1.  comme.  —  2.  le  manque.  —  3.  Si  manque.  —  4.  despin. 

a.  French  dog  :  chien  de  Français.  —  b.  Toute  cette  bal  lad 
repose  sur  la  plaisanterie  que  les  Anglais  ont  une  queue.  Voyez  1 
rondeau  DCLXXI,  tome  IV,  page  i3o,  et  plus  loin  la  ballad 
DCCCXCIll,  page  80. 


BALADES  49 

S'il  pluet,  troussez  vo  >  queue  prés, 

Autel  facent  vostre  voisin  ;  20 

Et  se  vous  pinciez  le  raisin, 

Afin  que  vous  ne  vous  crotez, 

Soit  en  France  ou  en  Limosin, 

Levez  vostre  queue,  levez  ! 


DCCCLXIX 

Autre  Balade. 
[Contre  un  dépensier.) 

Je  sçay  un  large  despensier 
Qui  conquiert  tout  par  pertuesse; 
A  siés  d'autrui  est  le  promier, 
La  scet  il  monstrer  sa  largesse  ; 
Tout  demande  et  prant,  rien  n'y  lesse  ;  5 

La  sert  chascun  de  trop  beaus  mos, 
Et  se  vous  demandez  :  «  Qui  esse?  d 
C'est  Alixandre  le  poing  clos. 

Il  scet  blâmer  le  bouteillier, 

Le  queux,  le  maistre  et  la  maistresse  10 

S'ilz  ne  font  bien  appareillier; 

La  veult  de  gent  veoir  grant  presse 

Et  que  la  viande  ne  cesse 

Et  que  toudis  ait  vin  en  pos 


C'est  Alixandre  le  2  poing  clos. 


i5 


i.  vostre.  —  2.  au. 
T.  V 


50  BALADES 

Chiés  li  ne  veult  riens  espargnier; 
Il  boit  vin  de  vingne  gouesse  a, 
Pain  halé,  froumaige  en  quartier, 
20  Lart,  vergus,  c'est  toute  richesse, 

Trois  et  trois  .m.  oeufs  è,  trop  se  blesse, 
Donne  mainte  fois,  tant  est  soûls; 
Aux  estrangiers  honnour  l'adresse  : 
C'est  Alixandre  le  l  poing  clos. 


DCGCLXX 

Autre  Balade. 
(Réponse  d'une  dame  à  des  propositions.) 

Le  plus  manteur  et  le  plus  desloial, 
Le  plus  faintif  en  amer  sanz  amours, 
Le  plus  vanteur  d'estre  bon  et  loial, 
Le  plus  chetif  qui  tout  fait  a  rebours 
5  Est  cellui  qui  cuide  bien 

M'amour  avoir,  mais  il  n'en  sera  rien, 
Car  je  congnois  ses  diz  et  sa  promesse. 
Or  voist  ailleurs,  je  garderay  le  mien  : 
A  grant  moqueur  fault  grande  i  moqueresse. 

10        A  toutes  dit  qu'il  seufre  trop  de  mal 

Et  qu'il  languist  en  larmes  et  en  plours  ; 

Pour  leur  amour  se  demaine  si  mal 

Qu'il  n'endort  mais  3  ne  de  nuis  ne  de  jours,  225  b 

i.  au.  —  2.  grant.  —  3.  mais  manque. 

a.  De  mauvais  raisins.  —  b.  Ce  vers  paraît  altéré. 


BALADES  5 1 

Et  que  son  cuer  n'est  pas  sien, 
Qui  sanz  elles  ne  puet  avoir  nui  bien  ;  1 5 

Mais  en  rusant  d'une  a  autre  s'adresse. 
Pour  ce  dit  on  ce  mot,  or  le  retien  : 
A  grant  moqueur  fault  grande  ■  moqueresse. 

Lui  départi  dit  qu'il  aime  a  cheval  a 

Et  qu^il  en  a  de  toutes  les  meillours  ;  20 

Vanter  s'en  suelt  et  a  mont  et  a  val, 

Mais  on  congnoist  en  pluseurs  lieux  ses  tours  ; 

De  telz  gens  compte  ne  tien, 
Chanter  puelent  b,  mais  le  sifler  detien  c  ; 
A  telz  chanteurs  respondez  courte  messe  ;  25 

Du  fust  qu'ilz  font  rendez  leur  le  merien  : 
A  grant  moqueur  fault  grande  ]  moqueresse. 


DCGGLXXI 

Autre  Balade  \ 
(Adieux  à  Paris.) 

Adieu  nramour,  adieu  douces  fillettes, 
Adieu  Grant  Pont,  haies,  estuves,  bains, 
Adieu  pourpoins,  chauces,  vestures  nectes, 
Adieu  harnois  tant  clouez  comme  plains, 
Adieu  molz  Hz,  broderie  et  beaus  seins  2,  5 

*  Publiée  par  Tarbé,  tome  I,  page  io5. 
1.  grant.  —  2.  beaus  sens. 

*  Cavalièrement.  -  b.  Peuvent.  -  c.  Mais  je  me  réserve  de  les 
ffler. 


52  BALADES 

Adieu  dances,  adieu  qui  les  hantez  \ 
Adieu  connins,  perdriz  que  je  reclaims, 
Adieu  Paris,  adieu  petiz  pastezl 

Adieu  chapeaulx  faiz  de  toutes  flourettes, 
10        Adieu  bons  vins,  ypocras,  doulz  compains, 
Adieu  poisson  de  mer,  d'eaues  doucettes, 
Adieu  moustiers  ou  l'en  voit  les  doulz  sains  225  c 
Dont  pluseurs  sont  maintefoiz  chapellains, 
Adieu  déduit  et  dames  qui  chantez  ! 
i5        En  Languedoc  m'en  vois  comme  contrains  : 
Adieu  Paris,  adieu  petiz  pastez! 

Adieu,  je  suis  desor  sur  espurettes  *, 
Car  arrebours  versera  mes  estrains; 
Je  pourray  bien  perdre  mes  amourettes, 
20        S'amour  change  pour  estre  trop  loingtains. 
Grotez  seray,  dessirez  et  dessains; 
Car  li  pais  est  détruit  et  gastez. 
Si  diray  lors  pour  reconfort  au  mains  2  : 
Adieu  Paris,  adieu  petiz  pastez  ! 

I.  chantez.  —  2.  moins. 

a.  Sainte-Palaye  croit  qu'il  faut  lire  :  espinettes. 


BALADES  53 


DCCCLXXII 

Autre  Balade  \ 
(  A  an-poète  a.) 

He  !  gentils  rois,  dus  de  Poligieras, 
Ne  vous  vueilliez  de  France  ainsi  partir, 
Metrifians  b  mieulx  de  Pitagoras, 
Rethoriques  qui  tant  pouez  sentir  ; 
Puis  que  la  mort  fist  Machaut  départir  5 

Et  que  Vitry  paia  de  mort  la  debte, 
Ne  fut  veu  tel  com  vous,  sanz  mentir, 
Si  grant  faiseur  ne  si  noble  poète. 

A  tous  propos  faictes  vers  com  Primas, 
Chascun  vous  veult  en  ce  royaume  oir;  10 

225  d  Diz  amoureus  faittes  et  de  soûlas 

Qui  font  les  cuers  des  princes  resjoir; 
Nuis  povres  homs  ne  puet  de  vous  joir, 
Chose  n'a  non  qui  par  vous  ne  soit  faitte. 
L'en  ne  pourroit  ne  >  trouver  ne  quérir  i5 

Si  grant  faiseur  ne  si  noble  poète  2. 

En  Languedoc  ne  vous  embatez  pas; 

Vueillez  de  ça  vos  escoles  tenir. 

Se  vous  partez  vous  y  mourrez,  helas! 

*  Publiée  par  Tarbé,  tome  I,  p.  148. 

1.  ne  manque.  —  2.  pouete. 

a.  Cette  pièce  semble  être  adressée  par  un  poète  à  Deschamps 
au  moment  de  son  départ  pour  le  Languedoc.  —  b.  Versifiant. 


54  BALADES 

20        Du  puis  d'amours  a  vous  vueille  souvenir. 
Nul  ne  s'i  puet  a  vous  appartenir, 
Car  pour  rimer  en  clos  ou  en  charrette  1 
N'est  au  jour  d'ui,  bien  le  puis  soustenir, 
Si  grant  faiseur  ne  si  noble  poète  *, 


DCCCLXXIII 

Autre  Balade. 
[Demande  d?un  cheval.) 

Chascuns  parle  de  divers  gieux  jouer, 
De  cliner  l'oeil,  de  porter  maie  honte, 
Et  de  la  briche  c  aux  compaignons  donner 
Et  de  soufler  le  charbon,  mais  n'acompte 
5  A  tous  ces  gieux  nulle  chose  du  monde, 

Quant  mon  cheval  m'a  au  besoing  failli  : 
Desor  me  fault  jouer  a  Tesbahi. 

Qui  trois  piez  n'a  pour  ce  ne  puet  aler. 
Dieux!  quel  cheval,  qui  n'avale  ne  monte 
fo        Et  qui  me  fait  maugré  mien  demourer! 

Est  ce  beaus  gieux  que  dolens  vous  raconte?  226  a 
Je  ne  pourray  roy  suir  d,  duc  ne  conte, 
Se  li  uns  d'eulx  ne  pourvoit  sur  ceci  : 

1    pouete. 

a.  Confrérie  poétique.  —  b.  Allusion  à  deux  espèces  de  rimes.— 
c.  Sorte  de  jeu  que  l'on  jouait  assis.  —  d.  Suivre. 


BALADES  55 

Desor  me  fault  jouer  a  l'esbahi  K 

Las  î  il  me  fault  com  saint  Joseph  troter,  1 5 

Et  en  trotant  a  pié  faire  mon  compte, 

Besasse  au  coul  sur  un  baston  porter, 

Et  adviser  que  nul  ne  me  mescompte; 

Je  suis  cellui  qui  a  2  joie  descompte, 

Si  que  s'aucuns  n'a  or  3  pitié  de  mi,  20 

Desor  me  fault  jouera  l'esbahi. 

l'envoy 

Princes,  pour  Dieu,  veuillez  moi  4  retourner; 

D'aier  a  piet  ne  sçay  pas  bien  ouvrer; 

J'ay  grant  besoing  de  trouver  un  ami. 

Or  me  faictes  un  roucin  délivrer,  25 

Car  s'il  me  fault  a  Rouen  séjourner, 

Desor  me  fault  jouer  a  Tesbahi. 


DCCCLXXIV 

Balade. 
(Sur  une  coiffure  de  queue  de  martre  a. 


V' 


ous  qui  avez  vostre  teste  pelée 
Par  accident  ou  de  foible  nature, 
226 b  Qui  cheveulx  a  soit  sa  hure  avalée  : 


1.  Desor  me  fault  etc.  —  2.  a  manque.  —  3.  or  manque.  —  4  moi  manque 
a.  Cf.  la  ballade  DCCCLXVLI,  p.  46. 


56  BALADES 

Au  lieu  couvrir  devez  bien '  mettre  cure; 

5  Un  pigne  a  aiez  toudis  a  l'aventure 

Et  chapelet  b  pour  le  vent. 
Voz  crins  c  derrier  faictes  venir  devant, 
Se  mestier  est,  pour  bien  convoitier  Pastre  d  : 
C'est  grant  meschief  de  deffubler  e  souvent. 

10        Pour  ce  vous  2  lo  /porter  queue  de  martre. 

Car  se  martre  est  dessus  le  chief  posée, 
Les  cheveulx  fait  tenir  a  leur  droiture  ; 
Pour  ce  en  yver  est  la  teste  eschaufée 
Et  se  puet  l'en  garder  de  la  froidure, 

i5        Et  si  ne  puet  percevoir  créature 
Le  mehaing  s  legierement  ; 
Qui  ainsi  fait,  il  euvre  saigement 
Car  a  son  chief  fait  gracieus  emplastre, 
Mais  cilz  est  foulz  qui  le  fait  autrement  : 

20        Pour  ce  vous  lo  porter  queue  de  martre. 

Et  se  la  teste  est  derrier  desnuée 
Et  vous  avez  devant  cheveleure, 
La  cosme  *  doit  derrier  estre  menée, 
Adonc  sera  la  besongne  plus  seure; 

25        Aler  devez  a  chevaulx  Tembleure, 

Que  voz  crins  n'aillent  balant  ; 
DefTublez  vous  toudis  en  avalant  *, 
Sanz  rebourser  que  Pen  3  voye  l'emplastre, 
Ou  vous  serez  diffamez  laidement  : 

3o        Pour  ce  vous  lo  porter  queue  de  martre. 

t.  bien  manque.  —  2 .  vous  manque.  —  3.  quen. 

a.  Peigne.—  b.  Petit  chapeau.—  c.  Cheveux.—  d.  Maison,  foyer. 
—  e.  Se  découvrir  la  tête.  — /.  Je  vous  conseille.  —  g.  Le  mal  (la 
calvitie).  —  h.  La  chevelure.  —  I,  En  descendant. 


BALADES  ^7 


DCCCLXXV 

Autre  Balade. 

(Sur  un  mariage  manqué.)- 

226  c  O  'Amours  ne  fait  par  sa  douce  pité 

O   Piteusement  recevoir  ma  clamour, 
Je  perderé  l  la  flour  d'humilité  : 
Sçavez  que  c'est  ?  De  ma  dame  l'amour  2, 

Qui  m'avoit  esté  donnée,  5 

Qu'autres  débat  ;  mais  s'elle  3  m'est  ostée, 
En  ce  monde  ne  quier  plus  remanoir  : 
N'autre  après  lui  jamais  ne  vueil  avoir. 

Car  ceuls  qui  ont  du  donner  poesté, 

Qui  sont  puissans  et  gens  de  haulte  honour,     10 

M'ont  d'un  acort  consenti  le  traité 

Ou  je  cuiday  tout  mettre  mon  atour. 

Or  me  fault  tenir  journée 
S'a  moy  sera  ou  autre  mariée; 
Mais  se  ne  Tay  trop  me  verrez  doloir  :  i5 

N'autre  après  lui  jamais  ne  vueil  avoir. 

Et  se  m'a  moult  la  poursuite  cousté; 

Mais  pis  me  fait  encor  la  deshonour. 

Se  je  la  pers,  je  suis  a  povreté; 

Or  vueillez  donc,  mi  redoubté  seignour,  20 

Qui  la  chose  avez  traittée, 
Mon  ennemi  a  quérir  autre  espousée, 

1.  perdre.  —  2.  latour.  —  3.  se  elle. 
a.  A  mon  ennemi. 


58  BALADES 

Car  se  g'y  fail,  je  muir  de  desespoir  : 
N'autre  après  lui  jamais  ne  vueil  avoir. 


DCCCLXXVI 

Autre  Balade. 


{Sur  son  désir  de  rentrer  en  France,  après  la  guerre 

de  Flandre.) 

Je  n'oy  oncques  tel  talent  de  venir 
Pour  avoir  draps  ne  pour  manger  harens 
En  la  terre  qui  fait  les  gens  honnir  226  d 

Pour  les  maulx  pas  ne  dessus  les  Flamens 
5  Comme  j'ay  d'en  retourner. 

Riens  n'y  ay  fait  fors  que  moy  enbouer, 
Gésir  vestu  rt,  boire  eaue,  et  en  la  fin, 
Avoir  pou  pain,  soy  tout  le  jour  armer  : 
Je  suis  perduz  quant  on  ne  boit  de  vin. 

10        Bien  m'en  devra  a  1  tousjours  souvenir 

Car  j'ay  eu  mors  mes  chevaulx  sur  les  champs 
Par  froit  logier  et  les  haies  tenir  ; 
Si  ne  me  puis  louer  de  ceuls  de  Gans, 
Et  si  n'a  y  sceu  trouver 

i5        Draps,  couvertouers,  ne  hommerançonner, 
Brebis,  jumens,  pors,  vaches  ne  roucin, 
Car  les  autres  en  ont  tout  fait  mener  : 

1.  a  manque 

a  Coucher  tout  habillé. 


BALADES  59 

Je  suis  perdus  quant  on  ne  boit  de  vin. 

S'ay  grant  joie  quant  je  voy  départir 

De  ces  palus  le  roy  a  tout  ses  gens,  20 

Et  qu'il  a  fait  toute  Flandre  1  obéir 

Et  au  conte  les  rent  obeissans. 

Je  n'y  quier  plus  demourer  ; 
Trop  froit  y  fait  ;  en  France  vueil  aler, 
Si  vivray  bien,  la  prandray  maint  lopin  25 

Pour  le  default  que  j'ay  eu  recouvrer  : 
Je  suis  perdu  quant  on  ne  boit  de  vin. 

l'envoy  2 

Prince,  a  Tournay  fault  vostre  erre  a  haster. 
Ne  le  laissiez  pour  parent  ne  cousin, 
Ou  je  mourray  com  canne  a  bourbeter  :  3o 

Je  suis  perdus  quant  on  ne  boit  de  vin. 


DCCCLXXVII 

Balade. 
[Contre  les  maris  jaloux.) 

227  a  /"^euls  qui  ont  pris  moustarde  *enpluseurslieux 
V^>  Doivent  sçavoîr  que  la  portée  3  en  vault,  . 
Car  de  raison  ilz  se  congnoissent  mieulx; 

1.  ilandtes.  —  2.  autre  balade.  —  3.  porter. 

a.  Marche.  —  b   Ceux  qui  ont  fait  l'amour  en  plusieurs  lieux. 


6û  BALADES 

Aussi  doivent  mieulx  sçavoir  li  ribault 
5  Ce  qu'ilz  ont  fait  ou  temps  qu'ilz  furent  chault, 

Dont  pour  les  maulx  qu'ilz  ont  fait  a  autrui 
Sont  si  dolens  l  que  mescroire  a  leur  fault  : 
Lerres  b  ne  croit  soy  mesmes  au  jour  d'ui. 

Plus  vit  singes  2,  plus  est  malicieux, 

10        Geste  nature  a  toudis  le  corbault; 

Aussi  li  homs  de  tant  qu'il  3  est  plus  vieulx 
Se  doubte  c  plus  en  l'art  ou  il  default, 
Car  petit  peut,  et  se  sa  femme  sault, 
Qui  jeune  soit,  ce  lui  est  grant  ennuy, 

i  5        Car  il  doubte  plus  le  bas  que  le  hault  : 
Lerres  ne  croit  soy  mesmes  au  jour  d'ui. 

Telz  viellars  est  trop  merencolieux 
Et  d'agueter  trop  soutil  et  trop  cault  d\ 
A  leurs  femmes  font  trop  le  dangereux  e 
20        Car  ilz  cuident  qu'om  leur  face  l'assault 

Comme  faisoient  quant  ilz  furent  en  sault/; 
Mais  pour  leurs  maulx  n'osent  croire  nullui. 
Or  leur  doint  Dieux  de  trestous  4  biens  deffault  : 
Lerres  ne  croit  soy  mesmes  au  jour  d'ui. 

i.  dolereus.  —  2.  saiges.  —  3.  qui  —  4   de  tous. 

a.  Soupçonner.    —    b.  Larron.  —   c.    Se    méfie.  —  d.   Rusé.  - 
«.  Ils  veillent  trop.—  /.  En  rut. 


J 


BALADES  6 1 

DCCCLXXVIII 

Autre  Balade 

SUR    FOUL   CUIDIER  a 

'ay  moult  d'avis  pour  mon  fait  avancer, 
Mais  moyn'autres1  ne  s'en  puet  percevoir, 
227  b  Car  dès  long  temps  m'a  déçut  FoulCuider 
Qui  ne  m'a  fait  aucun  bien  recevoir, 
Et  si  ay  je  toudis  fait  mon  devoir,  5 

Mais  je  vail  po  ou  l'en  ne  congnoist  pas; 
Pour  ce  me  fault  souvent  ramentevoir, 
Et  se  je  fail  je  doy  bien  dire  :  Helas! 

Pluseurs  dient  de  leur  bien  qu'ilz  m'ont  chier 
Et  que  je  suis  assez  dignes  d'avoir  10 

Aucun  estât;  si  les  doy  mercier, 
Considéré  qu'en  moy  a  pou  sçavoir  ; 
Mais  loiaulté  trouveront  ilz  pour  voir 
En  mon  po  sens  b  toudis  et  en  tous  cas. 
Jusques  a  ci  ay  en  eulx  mon  espoir  i5 

Et  se  je  fail  je  doy  bien  dire  :  Helas  ! 

Car  suis  honteus,  doubtant  d'eulx  trop  chargier; 

Si  leur  suppli  de  ma  personne  avoir 

En  mémoire,  ou  de  moy  conseillier 

Que  je  retraie  en  mon  povre  manoir  ;  20 

Car  je  ne  puis  plus  ainsi  remanoir 

Pour  mon  argent  qui  est  mis  sur  le  bas. 

1 .  ne  autres. 

a.  Croyance  téméraire.  —  b.  En  mon  peu  de  sens. 


62  BALADES 

Or  me  vueillent,  s^l  leur  plaist,  procurer  : 
Et  se  je  fail  je  doy  bien  dire  :  Helas! 


DCGGLXXIX 

Autre  Balade 

SUR  LES    MANDEMENS    FAIZ    POUR    LA    GUERRE    DE    FRANCE. 

N'alez  aux  champs,  tenez  vous  a  la  ville, 
Se  vous  veez  que  le  temps  soit  frileux; 
Ou  temps  d'iver  qu'il  neige  ou  qu?il l  grésille, 
Les  mandemens  que  l'en  fait  sont  doubteux; 
5  Qui  s'arme  lors  il  en  devient  goûteux,  227  c 

Car  mauvais  fait  chevaucher  sur  la  2  glace  ; 
Se  jambe  ront  il  devendra  boiteux  : 
Excusez  vous  par  le  conseil  d^Eustace. 

Il  a  trop  froit  qui  a  tel  billart  bille  a, 

10        Encouruz  b  est,  chetis  et  rupieux, 

Et  a  les  doiz  roides  comme  cheville, 
Rume  le  prant  et  puis  devient  tousseux; 
Mais  leurs  chevaulx  n'ont  pas  le  cul  pailleux, 
Qui  sanz  estrain  c  logent  en  froide  place  ; 

ï5        S^n  vous  mande,  ne  soiez  pas  honteux, 
Escusez  vous  par  le  conseil  d'Eustace. 

Parlez  a  droit,  aiez  langaige  3  habille, 
Morfonduz  sont  voz  chevaulx  et  morveux  4 

1.  qu'il  manque.  —  2.  la  manque.  —  3.  aiez  le  langaige  —  4.  mortueux 
a.  Qui  joue  à  ce  jeu  là.  —  b.  Puni.—  c.  Paille. 


BALADES  63 

Et  vo  harnois  ne  vault  une  lentille  ; 

Varlet  n'avez  et  pas  n'irez  tous  seulx,  20 

Et  si  estes  du  chief  trop  dolereux; 

Autre  querez  qui  ceste  rese  a  face, 

Car  quant  a  moy  je  vous  l  conseille  et  leux  b  : 

Excusez  vous  par  le  conseil  d'Eustace. 


DGCCLXXX 

Autre  Balade. 
(Contre  les  mariages  disproportionnés. 


Q 


ue  diriez  vous  du  iroit  mois  de  Janvier 
S'il  se  vouloit  marier  a  Avril 
Qui  fait  les  fleurs  et  printemps  verdoier, 
Arbres  et  prez,  et  chanter  soubz  le  bril  c 

Le  tresplaisant  rossignol?  5 

\2j  d  Et  Janvier  a  tousjours  le  froit  au  col, 
Son  arbre  sec  et  au  nés  la  rupie, 
Le  chief  de  noif  d  et  pelez  com  saint  Pol  : 
Est  il  saiges  qui  ainsi  se  marie  ? 

Ainsi  fait  hom  2  qui  se  veut  marier  -  10 

De  .lx.  ans  a  jeune  corps  gentil, 

Qui  a  .xv.  ans  veult  son  bien  3  essaier. 

Et  mettre  ainsi  le  vert  o  le  grésil. 

1.  vous  manque.  —  2.  homme.  —  3.  bien  manque. 

a.  Expédition  de  guerre.  —    b.  Je  loue.    —  c.  Bois.    —    d.  De 
leige. 


64  BALADES 

Il  fait  trop  estrange  vol, 
i5        Car  près  du  laz  le  fault  chanter  en  sol  a, 
Qui  viellement  en  jeune  art  solene  l 
Assez  de  gens  le  tiennent  pour  un  2  fol  : 
Est  il  saiges  qui  ainsi  se  marie? 

Vieulx  homs  ne  fait  que  merencolier, 
20        Jeune  femme  a  entendement  subtil; 

Il  veult  dormir  et  elle  veult  veillier 

Et  veult  aler  aux  roses  ou  courtil  b; 
Elle  est  fresche  et  il  est  mol  ; 

S^l  veult  des  pois  on  lui  donra  du  chol  c. 
2  5        Lors  chiet  vieulx  homs  en  grant  merancolie; 

Dire  puet  bien  3  :  «  A  moy  sépulcre  vol.  » 

Est  il  saiges  qui  ainsi  se  marie? 


DCCCLXXXI 

Autre  Balade 
d'amour  forsennée. 

Tant  fu  d'amours  sousprins  et  tourmentez 
Que  Dieu  regny  et  le  diable  a  seigneur 
Adveue  d  aussi,  se  jamais  joue  4  aux  dez       228  a 
Ne  se  femme  touche  5  par  deshoneur 
5  De  demi  an,  tant  ait  fresche  couleur, 

1.  solfie.—  2.  un  manque.—  3.  bien  manque.  —  4.  jeue.  —  5.  couche. 

a.  Il  faut  transposer  d'un  ton.—  b.  Au  jardin. —  c.  Du  chou.  — 
d.  Je  reconnais,  j'avoue. 


BALADES  65 

Ne  tant  soit  or  belle,  jeune  et  1  jolie  : 
Je  l'ay  juré,  ne  m'en  parjurray  mie. 

Aucuns  cuident  que  j'aie  esté  trompez  : 

Certes  non  ay,  je  le  faiz  par  honneur; 

Homs  gracieus  ne  doit  estre  assotez  10 

De  tel  pechié  dont  vient  trop  de  doleur. 

L'en  se  parjure  aux  dez,  dont  c'est  horreur, 

Pour  ce  jamais  n'y  jourray  en  ma  vie  : 

Je  l'ay  juré,  ne  m'en  parjurray  mie. 

Je  me  repens  de  ces  deux  maulx  passez.  i5 

Mais  de  mon  veu  m'est  ja  2  venu  le  plour, 

Car  je  seray  souventefoiz  temptez 

Quant  je  verray  la  précieuse  flour. 

Ce  demi  an  me  fera  trop  d'orreur, 

Mes  oeulx  clorray  pour  couvrir  ma  folie  :         20 

Je  l'ay  juré,  ne  m'en  parjurray  mie. 


l'envoy 


Douce  Venus,  qui  toute  amour  sentez, 

Avecques  moy  de  ce  veu  dispensez  : 

Ma  jonesse  me  doit  estre  merie  a  ; 

Et  deux  tortiz  *  vous  seront  présentez  25 

Par  moy  qui  suis  d'amours  destalentez  c  : 

Je  l'ay  juré,  ne  m'en  parjurray  mie. 

1.  ne.  —  2.  desja. 

a.  Récompensée.—  b.  Deux  cierges  en  tortïl. —  c.  Hors  d'envie. 


T.  V 


66  BALADES 


DCGGLXXXII 

Balade  \ 
(Sur  la  guerre  entre  les  Anglais.) 

Galois,  Galois,  vous  vous  estes  partis  *   228  l 
Soudainement  pour  quérir  aventure, 
/         Sanz  dire  adieu  a  moy  n'a  vos  2  amis, 
Car  vous  n'avez  de  compaignie  cure  ; 
5  En  Sorelois  sera  vostre  pasture. 

Or  vous  gardez  d'Artus  et  des  barons, 
Car  ilz  sont  fors,  mais  se  la  guerre  dure, 
Ramenez  moy  deux  couples  de  Bretons. 

Je,  Tremoille,  suis  encor  a  Paris 
10        Qui,  Dieu  merci,  de  mon  argent  me  cure; 
Si  font  autres  qui  s'i  tiennent  envis, 
Qui  n'ont  denier,  ne  chevau,  ne  sainture, 
Que  tout  ne  soit  mis  a  desconfiture  : 
A  noz  hostelz  trop  maie  guerre  avons. 
i5        Pour  acquitter  nostre  despense  dure, 

Ramenez  moy  3  .11.  couples  de  Bretons  4. 

Reconfortez  les  povres  esbahis, 
Le  faire  ainsi  est  courtoise  nature  ; 
Et  se  jamais  vous  voy  en  no  pais, 
20        Je  vous  donrray  de  nostre  nourreture  : 
C'est  .11.  barilz  de  la  belle  eaue  5  pure 

•  Publiée  par  Tarbé,  tome  I,p.  33. 

1.  prins.  —  2.  vostres.  —  3.  moy  manque.  —  4.  gascons.—  5.  beaune. 


BALADES  67 

Dont  vous  pourrez  bien  moiller  voz  grenons  a. 
Soiez  vaillans  et  ouvrez  par  mesure  : 
Ramenez  moy  deux  couples  de  Bretons. 


DCCCLXXXIII 

Autre  Balade  * 
(  Vœu  pour  la  paix.) 

uynes,  Hames,  Merc,  Sangattes,  Calays, 
Oye  b  et  Puille  c,  qui  nous  faittes  frontière, 
228  c  Finerons  nous  de  guerroier  jamais? 

Tout  est  destruit  en  plain  et  en  costiere  d  ; 
Quérir  nous  fault  noz  vivres  trop  arrière  ;  5 

Bien  nous  entrecongnoissons, 
De  jour  en  jour  toudis  apovrissons. 
L'en  gaingne  po  vers  Banelinguehem  l  e 


G 


D'acort  commun  a  Rodelinguehem  2.  10 

Ly  plat  pais  ars,  gastez  et  deffais, 


•  Publiée  par  Tarbé,  tome  I,  p.  172. 
I.  Banelinghem.  —  2.  Rodelinghem. 

a.  Moustaches.  —  b.  Oye  était  la  capitale  d'un  comté.  —  c.  Poil, 
petite  ville  entre  Calais  et  Gravelines.  —  d.  Dans  la  plaine  et  sur 
les  côtes.  —  e.  Lolinghem  ou  Lelinghem,  petit  village,  entre  Bou- 
logne et  Calais,  dans  lequel  il  y  eut  deux  conférences  :  l'une  en 
1384;  l'autre,  en  mai  i3g3;  il  avait  été  cédé  aux  Anglais  par  le 
traité  de  Brétigny. 


68  BALADES 

Tristes,  dolens,  perdroit  en  tel  manière  ; 

Ardre  huchoit  en  disant  :  «  Faictes  paix  ! 

Le  Montore  a,  le  Planque  *,  amie  chiere, 
i5        Estremboque  c,  Audruic  qui  est  fiere, 
Le  Virelart  requérons 

Alambon,  Lique  d)  Fyennes  e,  supplions; 

Tout  est  perdu  vers  Barbelinguehem  1 . 

Pour  ce  vous  lof  que  nous  nous  acordons 
20        D'acort  commun  a  Rodelinguehem 

Ne  guerrions  3  le  pais  désormais  : 
Tant  est  désert  qu:il  n'y  a  que  bruiere, 
De  nous  nourrir  ne  puet  porter  le  fais  ; 
Querons  ailleurs  guerre  qui  nous  afiere, 

2  5        Sur  Sarrazins  levons  nostre  bannière 
Encontre  yceuls  nous  croisons, 
Et  ce  pais  a  repeupler  laissons 
Aux  bonnes  gens  d'environ  Tournehem  s. 
Se  l'en  m'en  croit,  la  guerre  finerons 

3o        D'acort  commun  a  Rodelinguehem2. 


i.  Barbelinghem.  —  2.  Rodelinghem.  —  Ne  guerrions  plus. 

a.  Le  Montoire,  ville  forte,  près  d'Ardres.  —  b.  Le  Planque, 
château-fort  sur  la  frontière  de  France.  —  c.  Peut-être  Esprobec- 
que,  petite  ville  près  d'Ardres-  —  d.  Villes  ou  villages  près  d'Ar- 
dres. —  e.  Fyennes  était  une  des  douze  baronnies  du  comté  de 
Guines,  — /.  Je  vous  conseille.  —  g.  Ville  près  d'Ardres. 


BALADES  69 


DCGGLXXXIV 

Autre  Balade. 
(Ballade  en  picard.) 

228  d    Te  treuve  assez  qui  me  donne  a  mignier  a 
sj    Et  qui  me  fait  bonne  chiere  a  Paris, 
Mais  mi  queval  b  sont  sur  le  tavernier, 
Qui  ne  treuvent  ne  parens  ne  amis; 
Quant  j'ay  compté  je  suis  tout  l  esbahis,  5 

Car  pour  chascun  me  fault  paier  .11.  saulx  c. 
Les  .ni .  par  jour  font  .vi.  solz  parisis  : 
Ainsi  seront  tuit  mignez  mes  quevaulx. 

Ghoula  d  me  fait  mainte  foiz  requigner  e. 

Et  mi  varlet  veulent  estre  fournis  10 

Qui  vont  au  mien  le  litière  cerquier/ 

Et  qui  veulent  du  vin  boire  toudis  ; 

Et  mes  hostes,  qui  m'onouroit  jadis, 

De  mes  rouchins  e  enquiert  aux  mareschaulx  ; 

Pour  s'i  paier  fait  sur  tout  mettre  pris  :  i5 

Ainsi  seront  tuit  mignez  mes  quevaulx. 

J'ay  demouré  plus  d'un  mois  tout  entier, 

Et  si  n'ay  fait  qui  vaille  deux  espis, 

Ne  riens  ne  puis  a  le  court  besongnier. 

Las!  je  fus  né  a  la  foire  aux  quetis  h  ;  20 

1.  tous. 

a.  Manger.—  b.  Mes  chevaux.  —  c.  Sous.  —  d.  Cela.— e.  Rechi- 
gner. — /.  Chercher  la  litière  à  mes  frais.—  g.  Roussins.  —  h,  La 
foire  aux  malheureux. 


70  BALADES 

Or  m'en  convient  râler  •  en  mon  pais 
En  chevauchant  .11.  bastonceaulx  de  saulx  *, 
Se  remède  n'est  brief  en  mon  fait  mis  : 
Ainsi  seront  tuit  mignez  mes  quevaulx. 


DCCCLXXXV 

Autre  Balade. 

(Sur  le  mariage  d'un  jeune  homme  avec 
une  vieille  femme.) 

Je  congnois  l'un  l  des  jolis  chevaliers 
Que  l'en  peust  trouver  sur  l'Alemaigne 
Et  qui  parloit  d'amours  plus  voluntiers,      22g  a 
Duquel  dames  congnoissent  bien  l'ensaigne; 
5  Mais  oncques  ne  sceu  pour  qui 

Il  se  tenoit  si  gay  jusques  a  cy 
Fors  pour  celle  dont  il  estoit  engrans  2  c, 
Vielle  d'avoir,  riche  de  cinquante  ans. 

Or  devendra  li  maistres  escoliers 
1  o        Qui  jamès  jour  ne  sera  hors  de  paine, 

Ains  souffrira  moult  de  menuz  dangiers  ; 

Car  Paris  n'a  pas  prins  a  3  dame  Helaine. 
Quant  il  verra  delez  li 

Helizabeth  au  viaire  pâli, 
i5        Dire  li  puet  :  «  Jamais  n'arez  enfans, 

1.  bien. —  2.  grans.  —  3.  a  manque. 

a.  Retourner.  —  b.  Deux  petits  bâtons  de  saule.  —  c.  Désireux. 


BALADES  7 1 

Vielle  d'avoir,  riche  de  cinquante  ans!» 

S'il  est  déçus  ce  n'est  pas  li  premiers, 

Qui  femme  a  prins  et1  stérile  et  brehaigne; 

Ne  ne  sera  aussi  li  derreniers2 

Qu'avarice  de  mariage  estraine.  20 

Adieu  gay,  adieu  joli, 
Ce  dit  Amours  qui  se  revenge  ainsi. 
Desor  direz  a  la  ville  et  aux  champs  : 
Vielle  d'avoir,  riche  de  cinquante  ans. 


DCCCLXXXVI 

Autre  Balade. 
[Même  sujet,  allégorie). 

Quant  l'esprevier  vole  bien  pour  l'aloe  a 
11  soufist  bieti  sanz  voler  pour  le  gros  è, 
228  b  Et  se  l'autour  vole  l'ostarde  et  l'oe  c 

Souffire  doit  ;  et  pour  ce  bien  dire  os  d 

Que  faulcon  doit  treshault  3  prandre  ses  vols       5 

En  poursuiant  le  héron  blanc  ou  bis 

Quant  il  le  prant,  mais  plus  doit  avoir  los 

Un  esprevier  qui  prant  vielle  perdris  e. 

Car  gentil  est  et  n'a  pas  longue  poe  /, 

1.  et  manque.  —  ?.  derniers.  —  3.  hault. 

a.  L'alouette.  —  b.  Pour  le  gros  oiseau.  —  c.  L'outarde  et  l'oie. 
—  d.  J'ose.  —  e.  Cf.  le  rondeau  n°  DCLXV1II,  tome  IV,  page  127. 
— /.  Patte. 


72  BALADES 

io        En  po  de  temps  est  faiz,  couvez  et  pos  a, 
Et  en  Aoust  fait  sur  les  champs  la  roe 
Et  de  voler  n'a  nulle  fois  repos. 
Cent  fois  prandra  *  aloe  par  le  dos 
Et  montera,  car  il  est  prest  toudis  ; 

1 5        De  soie  avoir  doit 2  longes,  a  briés  mos, 
Un  esprevier  qui  prant  vielle  perdrix. 

Je  voy  faucon  quant  il  gette  sa  croe  b 
Et  lanneret,  que  pluseurs  sont  si  mos  c 
Qu'ilz  faillent  bien,  car  le  temps  les  esbloe  d  , 
20        Aussi  sçay  je  pluseurs  a  mon  propos 

Qui  sont  plus  gais  que  n'est  jolis  au  bos, 
Qui  ne  prannent  grue,  pie  ou  mauvis, 
Mais  ostarde,  grans  grues,  dont  je  los 
Un  esprevier  qui  prant  vielle  perdris. 


DCCCLXXXVII 

Autre  Balade  *. 
(Sur  son  varlet,  nommé  Jeannin.) 

Bon  fait  avoir  varlet  de  congnoissance 
Qui  soit  prodoms  et  saiges  par  pais  3, 
Qui  de  logier  ait  bonne  diligence 
Et  qui  ne  soit  fetart,  ne  esbahis  e, 

'  Publiée  par  Cropelet,  page  Q2. 
i  .  prendre.  —  2.  doit  avoir.  —  3.  par  le  pais. 
a.  Pondu.  —  b.  Serre.  —   c.  Mous.    —    d.  Eblouit.  —  e.  Pare 
seux  ni  étourdi. 


BALADES  73 

22g  c  A  court  de  roy  soit  appert  et  sutils  a,  5 

Au  deslogier  treuve  son  maistre  en  place 
Mieux  que  n^  fait  Jehannin,  varlet  Eustace. 

Car  a  Nemours,  sanz  cheval  et  sanz  lance, 

Laissa  illec  b  son  maistre  li  chetis 

Sanz  le  querre,  dont  il  fut  en  doubtance  10 

Que  son  varlet  ne  fust  renduz  fuitis  c. 

Un  cheval  noir  emmenoit  et  un  gris 

Sa  maie  aussi;  son  service  1  li  face 

Mieulx  que  ne  fist  Jehannin,  varlet  Eustace. 

Adonc  faisoit  tresorde  contenance  1 5 

Et  bien  sembloit  que  il  2  fust  desconfis, 

Quant  Braquemont  avec  3  ses  gens  avance 

Après  le  roy,  lors  lui  fut  bons  amis  ; 

Il  rapporta  qu^l  fuioit  le  logis; 

S'a  bien  mestier  d'un  autre  qui  lui  face  20 

Mieulx  que  n'a  fait  Jehannin  4,  varlet  Eustace. 


T 


DCCCLXXXVJII 

Balade. 
{Contre  le  mariage.) 

u  qui  jadis  as  les  livres  leuz 
De  Theophastre  et  des  autres  docteurs, 


I.  son  service  manque.  —  2.  quil.  —  3.  de.  —  4.  Jehan. 
a.  Enpert  et  vif.  —  b.  Là.  —  c.  Ne  se  fût  enfui. 


74  BALADES 

Et l  d'Auréole  et  de  Matheolus  2, 
Qui  descripvent  la  misère  et  les  pleurs 
5  (Duquel  les  mariez  vivent, 

Et  autres  clers  qui  de  ce  fait  escrivent, 
N'as  pas  d'iceuls  bien  retenu  l'usaige, 
Quant  ti  penser  a  marier  s'appliquent  : 
Convoitise  déçoit  et  foui  et  saige. 

10        Et  bien  y  pert 3,  car  tu  es  deceuz  22  g  à 

Et  reprouchiez,  hors  de  toutes  honeurs, 
Qui  vielle  prans  ;  li  4  a  docteurs  esleuz 
Qui  blasmoient  jadiz  telle  foleurs. 
Ty  fait  a  tes  diz  répliquent  b  ; 

1  5        Confusion  te  suist  et  deshoneurs  5, 

Les  cours  du  ciel  contre  toy  si  apliquent  6 
Fortunelment  pour  pugnir  ton  langaige  ; 
Enten  après  les  maulx  qui  t'en  ensivent  : 
Convoitise  déçoit  et  foui  et  saige. 

20        Plaiz  te  seront  par  ta  femme  esmeuz, 
Qui  te  fera  sentir  ses  dures  meurs 
Tant  que  partout  seras  chetis  veus 
Et  sanz  joir  plain  de  toutes  tristeurs. 
Tu  frans  jadis  es  sers  ;  les  7  barateurs  c 

25  Par  convoitier  se  honnissent; 

La  mort  te  suist,  ty  bon  jour  apovrisscnt, 
Jamais  n'aras  fors  dueil,  traveil  et  raige, 
Esquelz  doleurs  touz  mariez  languissent  : 
Convoitise  déçoit  et  foui  et  saige. 

1.  Et  manque.  —  2.  Matheolabus.  —  3.  piert.  —  4.  li  manque  —  b.  Il  y  a 
interversion  des  deux  vers  14  et  i5  dans  le  manuscrit.  —  6.  sappliquent.— 
7.  le.      . 

a.  Lis  les  docteurs.  —  b.  Tes  actions  contredisent  tes  paroles. 
—  c.  Les  trompeurs. 


BALADES  75 


G 


DGCGL XXXIX 

Autre  Balade. 
(Sur  sa  mauvaise  chance.) 

ertes  je  suis  de  si  bonne  heure  né 
Que  nulle  part  ne  vien  n'a  point  n'a  heure  ; 
Quant  seir  a  vueil  on  a  presques  diné  ; 
L'en  me  dessert,  un  chascun  me  court  seure  ; 
Mieulx  que  puisfaiz,  mes  corps  toudis  labeure  l,  5 
Plus  de  paine  ay  que  le  crieur  des  chapes, 
Mais  en  un  point  tousjours  povres  demeure  : 
> 3o  a  Je  vien  toudis  a  escourre  les  napes  b. 

En  ce  monde  suis  ainsi  fortuné, 

Et  se  nulz  rit  il  convient  que  je  pleure  10 

Car  chascun  voy  a  qui  l'en  a  donné, 

Mais  je  n'aray  don  qui  vaille  une  meure  c  : 

Tart  venu  sui,  j'ay  fait  foie  demeure  2, 

Nul  ne  me  doit  dire  :  «  Compains,  tu  happes!  » 

Dieux!  quelle  honeur  dont  Fortune  mineure!  i5 

Je  vien  toudis  a  escourre  les  napes. 

A  la  court  suis  noblement  ordonné, 

Je  n'y  faiz  rien  fors  que  la  chantepleure  d; 

L'en  s'i  restraint  quant  Dieu  m'y  a  mai  né; 

Lors  va  trestout  ce  que  dessoubz  desseure  3.        26 

1 .  laboure.  —  2.  trop  foie  demeure.  —  3.  dessure. 

a.   Quand  je  veux  m'asseoir.   —    b.  Pour  secouer  les  nappes.   — 
.  Une  mûre.  —  d.  Robinet  par  lequel  coule  le  vin. 


JÔ  BALADES 

S'argent  plouvoit,  c'est  ce  dont  je  m'espleure, 
Ailleurs  cherroit,  tant  suis  garniz  d'entrapes  a. 
Pour  ce  convient  qu'ailleurs  povre  m'en  coure: 
Je  vien  toudis  a  escourre  les  napes. 


DCCCXC 

Autre  Balade. 
[Deschamps  réclame  une  épée  promise  à  Ardres.) 

Mon  chier  seigneur  et  ami  tresparlait  \ 
Parfaitement  a  vous  me  recommande 
Comme  cellui  qui  vous  aime  de  fait, 
Qui  s'espée  promise  vous  demande; 
5  A  2  Ardre  fut  promis  ce  que  demande, 

Car  de  Bourdeaulx  la  deustes  envoier 
A  Eustace  qui  vous  en  fait  demande  : 
Or  ne  vueillez  vo  promesse  noier  b. 

L'amentevoir  c  n'est  mie  trop  mal  fait,  23o  b 

Et  en  l'oubli  ne  chiet  pas  grant  amende  : 

10        Pour  l'envoier  est  quittes  le  meffait; 
A  ce  porteur  la  baillez  en  commande 
Et  s'a  Paris  a  rien  de  bon  qu'on  vende 
Que  vous  vueilliez,  je  le  vous  vueil  bailler, 
Puis  qu'ainsi  est  qu'auray  3  espée  grande  : 

i5        Or  ne  vueillez  vo  promesse  noyer. 

I.  parfait.  —  2.  A  manque.  —  3.  que  jauray. 

a.  D'entraves,  empêchements.  —  b.  Nier,  -r-  c.  Rappeler. 


BALADES  77 

Mauze,  Mauze,  Leesse  se  défiait, 

Je  voy  Tristour  chevaucher  sur  la  lande, 

Amour  deffaut,  Loiauté  se  meffait, 

Envie  court  a  tout  sa  hopelande, 

Mais  en  despit  de  la  vielle  truande,  20 

Vueil  de  Leesce  estre  vray  soudoier  ; 

Se  m'espée  ay  je  li  feray  grief  bande  : 

Or  ne  vueillez  vo  promesse  noier.  . 


DCCCXCI 


Autre  Balade. 


(Demande  d'argent  pour  payer  la  dépense  de  ses 
chevaux.) 


L 


Ephillosophe  et  li  naturien 
Dient  que  c'est  tresparfaitte  nature 
Que  de  cheval  espaingnol  et  de  chien, 
Et  qui  aiment  humaine  créature; 

Car  chiens  vivre  ne  pourroit  5 

Se  de  Pomme  compaignie  n'avoit, 
Et  le  cheval  blescé  jusques  a  mort 
A  son  maistre  pour  un  jour  ne  fauldroit; 
i3o  c  Mais  a  présent  n'en  suis  pas  bien  d'acort. 

Car  j'ay  nourri  .1111.  chevaulx  au  mien  a  10 

Et  gouvernez  de  tresbonne  pasture, 
N'oncques  encor  je  ne  leur  meffis  rien; 

a.  A  mes  frais. 


78  BALADES 

Sy  ay  je  l  fait  mauvaise  nourreture  ; 
Qu'a  Poste  qui  les  gardoit 
i5        Se  sont  fortrait  a,  et  pour  ce  qu'om  li  doit, 
Dit  qu'a  Paris  les  retendra  2  au  fort. 
Aler  a  piet  ainsi  m'en  convendroit  : 
Mais  a  présent  n'en  3  suis  pas  bien  4  d'acort. 

Ce  sont  cheval  qui  rendent  mal  pour  bien 
20        Et  qui  vivre  font  leur  maistre  a  usure, 
Et  se  cachent  et  despendent  le  sien, 
Et  qui  d'aler  de  la  ville  n'ont  cure  ; 

Jamais  chiens  ce  ne  feroit, 
Car  son  maistre  pour  riens  ne  guerpiroit  : 
25        Or  voit  on  bien  que  mes  chevaulx  ont  tort, 
Qui  me  fauldront  si  l'en  ne  m'i  pourvoit  : 
Mais  a  présent  n'en  suis  pas  bien  d'acort. 


DCCCXCII 

Autre  Balade. 
(La  femme  de  Giraudon  se  plaint  de  son  mari b.) 

Trop  mieulx  hochoit  ou  temps  de  mon  mari 
Et  plus  souvent  Giraudon  qu'il  ne  fait; 
Il  estoit  sers  et  je  dame  ;  a  mon  cri  5 
Venoit  tousjours  pour  moy  poindre  de  fait  ; 
5  Pour  ce  le  prins,  mais  trop  fort  se  deffait, 

i.  Gy  ay  fait.  —  2.  tendra.  —  3.  ne.  —  4.  bien  manque.  —  5.  et  a  mon  cri 

a.  Ils  se  sont  rendus  en  m'abandonnant.  —  b.  Cf.  le  rondeai 
n°  DGLXX,  tome  IV,  page  129. 


BALADES  79 

3o  d  Car  sires  est  et  je  suis  chamberiere; 
Ce  qu'il  faisoit  par  avant  contrefait  : 
Hurter  ne  veult  plus  a  mon  huis  derrière. 

Si  n'en  puis  mais  si  j'ay  le  cuer  marri, 

Quant  son  engin  en  autrui  nasse  trait  10 

Et  un  chascun  me  fait  charivari, 

Et  par  son  hurt  a  mon  argent  atrait; 

Ailleurs  bat  noix  et  de  moy  se  retrait.. 

Du  sel  puis  bien  saupouldrer  ma  louviere  a  ; 

Le  trou  purra  si  je  n'ay  de  rentrait  b  :  1 5 

Hurter  ne  veult  plus  a  mon  huis  derrière. 

Haro  !  haro  !  Prenez  bien  garde  cy, 

Vous  qui  avez  rachaceux  c  a  souhait  : 

Ne  Pespousez  comme  j'ay  fait  ;  ainsi 

Dame  serez,  quelque  gré  qu'on  en  ait.  20 

Perdue  suis,  jamais  n'aray  que  plait  ; 

L/en  ne  me  met  plus  poitral  ne  cuilliere  d  ; 

J'enrrageray  désormais  tout  a  fait  : 

Hurter  ne  veult  plus  a  mon  huis  derrière. 


j 


DCCCXCIII 

Autre  Balade. 
(Récit  d'une  aventure  à  Calais.) 

e  fu  l'autrier  trop  mal  venuz 
Quant  j'alay  pour  veir  Calays  ; 


a.  Tanière,  trou.  —  b.  Emplâtre,  onguent.  —  c.  Amoureux. 
Croupière. 


80  BALADES 

J'entray  dedenz  comme  cornuz, 
Sanz  congié;  lors  vint  .11.  Anglois, 

5  Granson  devant  et  moy  après, 

Qui  me  prindrent  parmi  la  bride: 
L'un  me  dist  :  «  dogue  a  »,  Pautre  :  «  ride  b  » 
Lors  me  devint  la  coulour  bleue:  [2J? 1  c 

«  Goday  c  »,  fait  l'un,  Pautre  :  «  commidre  d  » 

10  Lors  dis  :  «  Oil,  je  voy  vo  queue  e  ». 

Pour  mal  content  s'en  est  tenuz 

L'un  d'eulx,  qui  estoit  le  pluslays, 

Et  dist  :  «  Vous  seres  retenuz 

Prinsonnier,  vous  estes  forfais.  » 
1  5  Mais  Granson  s'en  aloit  adès 

Qui  en  riant  faisoit  la  vuide/  : 

A  eulx  1  nPavoit  trahi,  ce  cuide  ; 

En  anglois  dist  :  «  Pas  ne  l'adveue  s.  » 

Passer  me  font  de  Dieu  l'espite  *  ; 
20  Lors  dis  :  «  Oil,  je  voy  vo  queue.  » 

Puis  ay  mes  talons  estenduz 

De  mon  roucin,  le  serray  près, 

Lors  sault,  si  furent  espanduz  ; 

Delez  Granson  fut  mes  retrais  '. 
25  La  ne  me  vault  trêves  ne  pais, 

De  paour  la  face  me  ride, 

De  tel  amour  ma  mort  me  ~  cuide; 

Au  derrain  leur  dist  :  «  Je  l'adveue.  » 

«  Chien,  faisoit  Pun,  vez  vous  vo  guide?» 
3o  Lors  dis  :  «  Oil,  je  voy  vo  queue.  » 


1.  Deulx.  —  2.  me  manque. 

a.  dog  :  chien.  —  b.  ride  :  chevauche.  —  c.  good  day  :  bon- 
jour.—  d.  corne  hither  :  viens  ici,  mots  anglais. —  e.  Cf.  la  ballade 
DCCCLXVIII,  page  48.  — /.  Vidait  la  place,  s'en  allait.  —  g.  Je  ne 
le  garantis  pas.  —  h.  Epitre.—  i.  Je  me  retirai. 


BALADES  8 I 


DCCCXCIV 

Balade. 
[Sur  le  jeune  de  la  Barrée). 

Aussi  tendre  comme  un  poucin, 
Et  plus  doulz  que  n'est  miel  en  rce  *, 
3i  b      Qui  tart  couche  et  dort  grant  matin, 
C'est  li  enfes  de  la  Barrée. 
Une  heure  haitiez  b  se  '  desrée  5 

Et  va  saillant  comme  uns  poissons  ; 
L'autre  est  simples  comme  espousée  : 
Il  a  tousjours  eufs  ou  pigons. 

Une  heure  veult  estre  au  butin, 

L'autre  heure  doubte  la  gelée;  10 

Une  heure  li  fault  le  coussin, 

L'autre  heure  est  la  chambre  fermée  ; 

Autre  heure  a  la  teste  enrumée 

Et  lui  convient  boire  poisons  c 

Et  rostir  en  la  cheminée  :  i3 

Il  a  toudis  oeufs  ou  pigons. 

Pour  ce  lui  fauldra  en  la  fin 

Une  litière  bien  voirrée  d; 

Il  fait  bon  estre  son  voisin 

Pour  avoir  de  la  cuminée  2  e;  20 

Une  heure  veult  de  la  purée, 

1.  se  manque.  —  2.  curminec. 

a.  Rayon.—  b.  Bien  portant.  —  c.  Potions.  —  d.  Vitrée.  —  e  Po 
on  au  cumin. 

T.  V  6 


82  BALADES 

L'autre  heure  connins  et  chapons  ; 
Sa  vie  est  toute  triboullée  : 
Il  a  toudis  oeufs  ou  pigons. 


DCGCXCV 

Autre  Balade. 
(Mauvais  emploi  des  mots.) 

Trois  choses  sont  de  quoy  je  ne  faiz  compte, 
Qui  bonnes  sont  par  le  dit  de  la  gent  : 
Bonne  bufe  a,  qui  fait  doleur  et  honte  ;        2 3i  ( 
Un  bon  '  rifle  b,  qu'om  nomme  bon  sergent, 
5  Qui  jusqu'au  lit  va  tout  exécutant  ; 

Bonne  lieue,  ou  l'en  ne  puet  venir 
A  fin  n'a  bout,  ains  va  chascun  lassant  : 
De  ces  trois  bons  ne  vueil  nul  retenir. 

Autre  langaige  y  a  que  l'en  raconte, 
10        Que  chascuns  dit  assez  communément  : 

«  Je  m'en  tairay,  dit  tel;  a  moy  qu'en  monte  2  cl 
J'en  'd  parleray  par  tout  si  hautement.  • 
Taire  s'en  doit,  puis  parle  incontinent, 
Vrais  contraires  de  son  propos  tenir. 
i5        Et  quant  ces  poins  vois  bien  considérant, 
De  ces  trois  bons  ne  vueil  nul  retenir. 

1.  bon  manque.  —  2.  dit  ma  a  toy  quen  monte.  —  3.  Mais  jen. 

a.  Bonne  tape  ou  bon  soufflet.   —   b.  Un    agent    de    justice.   — 
c    Je  m'en  tairai,  en  quoi  cela  me  regarde-t-il  i 


BALADES  83 

Pais  dit  aucuns  qui  nicement  se  dompte, 
Quant  l'en  parle  d'aucun  aucunement, 
Et  il  touche  son  fait,  lors  se  mescompte  : 
Dit  :  «  Je  ne  sçay,  mais  bien  sçay  vraiement.  »  20 
Or  n'en  scet  rien,  puis  scet,  et  ainsis  ment. 
De  telz  sos  mos  me  puet  trop  souvenir, 
Des  bons  mauvais  qui  font  empesçhement  : 
De  ces  trois  bons  ne  vueil  nul  retenir. 


DGCGXCVI 

Autre  Balade. 
(//  veut  mentir  puisque  chacun  lui  ment.) 


s 


avez  vous  '  pour  quoy  je  fais 
Si  maugracieuse  chiere? 
Pour  ce  que  trestous  mes  fais 
Vont  ce  que  devant  derrière. 
i3t  d         Je  vois  moins  avant  qu'arrière,  5 

L'en  ne  me  tient  nul  convent  ; 
Mais  j'aprandray  la  manière 
De  mentir,  puis  qu'om  me  ment. 

Je  ne  cuidasse  jamais 

Que  ma  douce  dame  chiere  10 

Me  queist  tant  de  délais, 

Ne  qu'elle  fist  ja  2  barrière 

D'autre  pour  moy  en  3  arrière 

vou-s  manque.  —  2.  ja  manque.  —  3.  en  manque. 


84  BALADES 

Bouter  si  couvertement; 
i5  Mais  j'aprandray  la  manière 

De  mentir,  puisqu'om  me  ment. 

Car  il  n'est  ne  clers  ne  lais, 
Marchant,  ouvrier  n'ouvriere 
Qui  n'ait  a  mentir  palais  : 
20  II  ne  règne  autre  bannière. 

S'elle  puet  tenir  frontière, 
Tout  sera  mis  en  tourment  ; 
Mais  j'aprandray  la  manière 
De  mentir,  puisqu'om  me  ment. 


DGCCXGVII 

Autre  Balade  *. 
(Supériorité  de  la  Champagne  sur  la  Brie.) 

L'en  treuve  es  droiz  de  Champaigne,  ce  tiens  \ 
Que  la  Brie  est  sa  serve  et  sa  chambrière  *  ; 
Car  Champaigne  est  la  forme  de  touz  biens, 
De  blé,  de  vin,  de  foing  et  de  liiiere; 
Brie  froide  est,  qui  n'a  grosse  rivière, 
Fors  boscaiges,  nèfles  sauvaiges,  noix; 
Pour  ce  doivent  livrer  en  la  fourrière  2  32  a 

Ceuls  de  Brie  la  mousse  aux  Champenoys. 

Car  quant  il  pluet,  es  terres  ne  croist  riens; 

'  Publiée  par  Tarbé,  tome  I,  p.  14S. 
1.  ce  tiens  manque.  —  2.  chamberiere. 


BALADES  8ô 

Mais  est  le  bief  noiez  en  la  royere  a:  10 

De  leurs  boes  font  soliers  sanz  liens  ; 

D'ardoir  vert  bois  ont  toudis  la  manière; 

En  leurs  hostelz  n'a  que  cendre  1  et  fumiere  b  ; 

Leurs  vignes  sont  des  prunelles  du  bois  c. 

Pour  ce  doivent  livrer  en  la  fourrière  i5 

Ceuls  de  Brie  la  mousse  aux  Champenois. 

Et  si  leur  fault,  plus  qu'autre  pais,  chiens 

Pour  les  bestes  du  bois  chacier  arrière  ;   [viens  ?  » 

Et  qui  leur    dit  :    «  Dont  viens  tu?   —  Dont  je 

Hz  respondent  ce  que  devant  derrière.  20 

De  leur  bestail  font  garde  une  bergiere 

Qui  par  les  champs  queult  la  mousse  a  .x.  dois  d  : 

Pour  ce  doivent  livrer  en  la  fourrière 

Ceuls  de  Brie  la  mousse  aux  Champenois. 

Bailliage  n'a  en  Brie,  ce  maintiens  2;  2  5 

Champaigne  a  Meaulx  et  Trois,  sa  justiciere, 

Vitri,  Chaumont;  par  ces  .1111.  liens 

Ou  par  les  deux  est  Brie  en  sa  volière; 

A  ces  grans  jours  vient  toudis  la  première, 

Car  la  li  fault  venir  querre  ses  drois  :  3o 

Pour  ce  doivent  livrer  en  la  fourrière 

Ceuls  de  Brie  la  mousse  aux  Champenois. 

Les  gens  communs  sont  simples  et  insciens  e; 
A  estrangier  ne  scevent  n'3estrangiere 
Chemin  monstrer;  n'onques  saint  Juliens  35 

Pour  bon  hostel  n'ot  celle  marche  chiere; 
Brioys/ n'ont  rien  qu'a  paine  et  a  haschiere, 
A  Champaigne  ont  leurs  recours  mainte  fois  : 

1.  cendres.  —  2.  ce  tiens.  —  3.  ne. 

a.  Dans  le  sillon,  —  b.  Fumée.  — c.  Prunes  sauvages.—  d.  Cueille 
a  mousse  à  deux  mains.—  e.  Ignorants.  — /.  Ceux  de  Brie. 


86  BALADES 

Pour  ce  doivent  livrer  en  la  fourrière 
40        Geuls  de  Brie  la  mousse  aux  Champenois. 

l'envoy 

Princes,  qui  veult  de  froit  avoir  matière,      232  b 
D'yeaue  laper,  de  vert  bois  la  fumiere  a, 
Et  de  vivre  de  boutons  b  et  de  noix, 
En  Brie  voist  ;  car  c'en  est  la  manière. 
45        Mais  Champaigne  li  fait  a  sa  prière 

Secours  souvent  de  vin  \  d'uille  et  de  pois  : 
Pour  ce  doivent  livrer  en  la  fourrière 
Ceuls  de  Brie  la  mousse  aux  Champenoys. 


DCCCXCVIII 

Autre  Balade. 
(Tout  va  au  rebours  de  la  raison.) 

Ho!  ho!  Raison!  —  Je  dors,  je  dors. 
Qui  es  tu?  —  Lasse!  euvre  moy  Puis. 
Povreté  suis  je  2  ça  dehors, 
Qui  Justice  ne  Loy  ne  truis  c. 

—  Ou  sont  ilz?  —  Hz  sont  en  un  puis, 
Et  Drois  est  contrais  d  et  bossus. 

—  Force  me  tient,  yssir  e  ne  puis; 
Tout  va  ce  que  dessoubz  dessus. 

i.  de  vin  manque.  —  2.  je  manque. 

a.  Fumée.—  b.  Bourgeons.  —  c. Trouve.  —  d.  Paralysé.  —  e.  Sortir 


BALADES  87 

—  Que  feray  je?  —  Tiens  t'  *  aux  plus  fors. 

—  L'en  me  toult  de  jours  et  de  nuis  10 
Tout  ce  que  j'ay.  —  Et  qui?—  Cest  Tors  ; 
D'aler  contre  moy  est  trop  duis  *. 

Ghastiez  loy  b  ;  s'il  est  destruis, 
Encor  sera  ly  mondes  sus  2  c. 

—  Je  n'y  puis  rien,  ce  n'est  que  guys  d  :  1  5 
Tout  va  ce  que  dessoubz  dessus.. 

232  c      Justice  deust  par  ses  efîors 

Pugnir,  preste  a  conseiller  3  suis, 

Et  Droit  deust  rendre  loy  au  corps 

Et  sentence,  mais  comme  uns  gluis  e  20 

Se  ploie,  et  Justice  est  la  duis/ 

Qui  trop  se  trait  de  moy  ensus; 

Faintise  court  par  ses  conduis  : 

Tout  va  ce  que  dessoubz  dessus. 

—  Adieu,  dist  donc  Povre.té  lors  :  2  5 
Voz  pouoirs  est  frains  et  fendus,- 

Les  bons  usaiges  sont  touz  mors  ; 
Tout  va  ce  que  dessoubz  dessus. 


1.  tiens  toy.  —  2.  surs.  —  3.  conseil. 

a.  Habitué,  expérimenté.  —  b.  Le.  —  c.  Debout.  —  d.  Mot  obs- 
cur. —  e.  Brin  de  paille.  —  /.  Le  courant. 


88  BALADES 


DCCGXGIX 

Balade. 
(Contre  les  exactions  des  routiers.) 

Las!  il  n'est  mais  pastour  ne  pastourelle 
Ne  nui  qui  puist  a  droit  garder  brebis, 
Car  li  mastin  ont  perdu  leur  querelle 
Par  le  default  d'avoir  assez  pain  bis, 
5  Et  les  loups  vont  tout  courre  le  pais, 

Qui  n'y  laissent  aignel,  brebis,  mouton  F, 
Vache  ne  veel,  cheval  noir,  blanc  ne  gris, 
Geline,  oe  a,  ne  2  poucin  ne  chapon. 

He!  Dieu,  que  c'est  dolereuse  nouvelle! 
10        Car  du  bestail  estoit  chascuns  nourris; 

De  leur  laine  faisoit  telz  sa  cotelle 

Qui  sera  nuz,  povres  et  esbahis  ; 

Labours  faurront,  et  si  a  encor  pis, 

Qu'estranges  loups  s'assemblent  a  bandon  *, 
i5        Qui  ne  lairont  a  nul,  ce  m'est  advis, 

Geline,  oe,  ne  poucin  ne  chapon. 

Et  j'ay  veu  vers  la  saison  nouvelle 
Que  l'en  chaçoit  telz  loups  comme  ennemis  282  d 
Par  cri  royal  et  commission  belle, 
20         Dont  chascun  feu  paioit  .11.  parisis  ; 
L'en  les  tuoit  et  pandoit  on  aussis. 

1.  brebis  ne  mouton.  —  2.  ne  manque. 

a.  Poule,  oie.  —  b.  En  grande  quantité. 


BALADES  89 

Lors  paissoient  sûrement  li  chastron  a. 
Autrement  va;  plus  n'arons,  doulz  amis, 
Geline,  oe,  ne  poucin  ne  chapon. 

Telz  loups  rapaulx  b  valent  pis  que  gabelle  :     25 
Frommaige,  let,  burre  et  oeufs  sont  péris, 
Douce  crayme,  le  maton  en  foisselle  c  ; 
Far  eulx  seront  après  li  enfant  prins. 
Que  font  lévrier  et  li  alant  d  de  pris? 
Que  font  veneurs,  et  pourquoy  ne  chaç'on  ?       3o 
S'ilz  ne  chacent,  plus  n'aront,  je  leur  dis, 
Geline,  oe,  ne  poucin  ne  chapon. 

Noble  Lion,  le  bestail  vous  appelle, 

Et  vous  devez  secourre  voz  subgis. 

Chacez  ces  loups,  et  se  nulz  s'atropelle  e  35 

En  voz  marches,  he  souffrez  le  logis/; 

Car  vous  pourriez  par  eulx  estre  honnis 

Et  acqueillir  par  leur  fait  povre  nom  ; 

Briefment  n'arez,  se  conseil  n'y  est  mis, 

Geline,  oe,  ne  poucin  ne  chapon.  40 

l'envoy 

Princes,  qui  veult  estre  bien  seignouris, 
Et  de  bestail  gras,  peuz  et  nourris, 
Le  doit  garder  de  loups  et  de  larron 
Et  gouverner  par  bel  et  bon  advis, 
Ou  autrement  il  n'ara,  ce  m'est  vis  *,  45 

233  a  Geline,  oe,  ne  poucin  ne  chapon. 


1 .  advis. 

a.  Les  moutons.  —  b.  Rapaces.  —  c.  Panier  de  jonc. —  d.  Chiens 
courants.  —  e.  Se  réunit  en  troupe.  — /.  Le  séjour. 


90  BALADES 


DCCCG 

Autre  Balade. 
(//  ne  faut  pas  laisser  aller  sa  femme  aux  fêtes.) 


c 


ompains,  je  suis  en  dolereus  parti  : 
Belle  femme  ay  et  si  Faim  loyaument, 

Pour  ce  me  plust  qu'elle  fust  delez  mi  a 

Pour  mon  soûlas  et  mon  esbatement  l  b. 
5  Or  voy  seigneurs  qui  trop  communément 

La  me  viennent  pour  festes  emprunter; 

Si  je  l'octroy,  je  ne  fais  que  muser; 

En  refusant,  suis  appelez  jaloux  ; 

Conseilliez  moy  comment  j'en  doy  ouvrer. 
10         —  Par  mon  conseil  refusez  la  a  tous. 

—  Vous  dictes  bien,  mais  j'aray  lors  le  cri  c 
Que  je  mescroy  d  ma  femme  aucunement. 
Les  emprunteurs  diront  :  «  Vostre  mari, 

«  Dame,  vous  fait  blâmer  couvertement  ; 
i5         «  N'estes  vous  pas  de  bon  gouvernement  el 

—  «  Oil,  par  Dieu.  »  Lors  la  feront  errer/, 
Disans  :  «  Je  croy  qu'il  vous  veult  enserrer  f  ; 
«  Il  ne  deust  pas  suspeçonner  de  vous.  » 
Elle  plourra  :  comment  puis  je  ordonner? 

20        —  Par  mon  conseil  refusez  la  a  tous. 

I.  et  pour  mon  esbatement. 

a.  Auprès  de  moi.  —  b.  Pour  ma  consolation  et  ma  joie.  —  c. 
Le  renom.  —  d.  Que  je  soupçonne.  —  e.  Ne  savez-vous  pas  bien 
vous  gouverner  \      f.  Faire  mal.  -    g.  Enfermer. 


BALADES  9I 

—  En  bonne  foy,  chier  compains,  je  languy; 
Cure  n'ay  plus  de  tel  empruntement; 

.vi.  ou  .vin.  jours  s'en  va  au  virely  a 

Dancer  sanz  moy  ma  femme  en  parement  b. 

Si  jaloux  suis,  venir  puet  autrement,  25 

Car  li  cucus  pourra  pour  moy  chanter. 

Par  telz  empruns  ne  me  puis  exempter 

Que  sur  la  fin  n'aie  trop  maie  toux, 

—  C'est  donc  le  mieulx  que  de  la  refuser  ; 

Par  mon  conseil  refusez  la  a  tous.  3o 

>33b  —  Compains,  par  Dieu,  de  voz  sens  vueil  user  : 
Dessus  garder  vueil  ma  femme  et  dessoubz. 

—  Faictes  donc  tant  qu'om  ne  s'en  puist  ruser  c  ; 
Par  mon  conseil  refusez  la  a  tous. 


DCCCCI 

Autre  Balade  *. 
[Avis  aux  serviteurs  des  princes.) 

Plus  sui  muez  en  forme  merveilleuse 
Qu'Yo  ne  fut,  qui  en  vache  mua, 
Ne  qu'Antheus  <*,  en  la  fourest  doubteuse, 
Quant  cerfs  devint,  qui  d'angoisse  sua 
Devant  ses  chiens  dont  l'un  mort  le  rua,  5 

*  Publiée  par  Tarbé,  tome  II,  page  ig. 

a.  Fête  ou  l'on  dansait.  —  b.  En  toilette.—  c.  Tromper,  abuser. 
-  ci.  Actéon. 


92  BALADES 

Pour  la  forme  bestial  qu'il  a  voit; 
Mais  j'ay  trop  pis;  cheval  suis,  qui  me  voit, 
Viel,  recréant,  dont  nature  s'esmaie  ; 
Et  qui  pis  est,  l'en  m'envoie  tout  droit, 
10        Gom  viel  roucin,  mourir  a  la  Saussaye  l. 

Qu'est  devenu  ma  jonesce  joyeuse? 

Ou  est2  le  temps  que  mes  corps  s'esprouva? 

Qu'est  devenu  ma  force  vertueuse? 

Ou  est  Amour  qui  lors  me  gouverna? 

i5        Ou  est  un  seul  de  ceuls  qui  lors  m'ama? 

Chascuns  me  fuit;  nul  d'eulx  ne  me  congnoit, 
Car  viellesce  sanz  cause  me  deçoipt, 
D'omme  en  cheval  pour  moy  muer  s'essaye, 
Qui  me  tramet  a  desor,  comment  qu'il  soit, 

20        Com  viel  roucin,  mourir  a  la  Saussaye  ]. 

En  ce  lieu  a  mainte  religieuse  ; 

Beguinaige  est  que  li  roys  y  fonda  ; 

Les  dames  ont  de  droit,  et  leur  prieuse, 

Les  vieux  chevaulx  du  roy  :  sont  menez  la 
25        Quant  usez  sont;  mais  on  leur  coupera 

L'oreille  avant;  or  je  3  ne  sçay  que  doit  *;    233  c 

Je  suis  menez  auques  c  par  cest  endroit; 

Cheval  me  sens;  doleur  n'est  que  je  n'aye; 

Aler  me  fault,  se  Dieux  ne  me  pourvoit 4, 
3o        Com  viel  roucin,  mourir  a  la  Saussaye  l. 

l'knvoy 

He!  jeunes  gens,  avisez  par  deçà  : 
Vieulx  devendrez,  il  n'est  chose  plus  vraie. 
Pensez  de  vous;  car  lors  l'on  vous  menrra, 
Com  viel  roucin,  mourir  a  la  Saussaye. 

i.  saussoye.  —  2.  lest.  —  3.  je  manque.  —  4.  pourvoie. 

a.  Envoie.  —  b.  Ce  que  cela  veut  dire.  —  c.  En  quelque  façon. 


BALADES  •  IJ  3 


DGCCCII 

Balade  \ 

(Maladie  d'argent  d'Eustache  Deschamps.) 

J» 
ay  par  cinq  ans  esté  en  maladie, 
Dont  mire  a  nul  ne  m'a  voulu  guérir, 
De  pou  d'argent,  ou  maint  homme  mendie; 
Or  ay  trouvé  qui  m'a  fait  l'uis  ouvrir 
De  surgien  b  pour  mes  plaies  garir,  5 

Li  quelz  m'a  dit  que  je  seray  tous  sains; 
Mais  il  me  fault  endurer  et  soufrir 
Le  mal  que  j'ay  jusqu'après  la  Toussains. 

Si  n'ay  espoir  en  chose  qu'on  me  die, 

Pour  le  penser  qui  ne  me  laist  dormir  10 

Et  la  paour  que  j'ay  qu'om  ne  m'oublie 

Pour  autres  gens  que  je  voy  poursuir; 

Tant  de  povres  a  un  huis  requérir 

Fait  leurs  clamours  escondire  l  et  leurs  plains  c. 

Pour  l'amour  Dieu,  vueilliez  faire  fenir  i5 

Le  mal  que  j'ay  jusqu'après  la  Toussains. 

Après  ce  jour,  je,  Eustace,  supplie 

Que  vous  vueillez  a  mon  mal  secourir 

Et  ordonner  en  l'apothicairie 

Jaque  Hemon  chose  qui  puist  tenir  20 

*  Publiée  par  Tarbé,  tome  I,  page  içy 
1.  Fait  escondire  leurs  clamours.  —  2.  qui  se  puist  tenir 
a.  Médecin.  —  b.  Chirurgien.  —  c.  Fait  qu'on  reruse  leurs  cris 
t  leurs  plaintes. 


94  BALADES 

Sanz  recoupper  *,  qui  me  face  adoucir 
De  povreté  les  maulx  dont  je  suis  plains; 
Si  non,  bien  sçay  que  me  fera  mourir 
Le  mal  que  pay  jusqu'après  la  Toussains. 

25         Flament,  Pierre,  Crestien,  je  vous  prie,       233  d 
Garissiez  moy,  vous  estes  souverains  l, 
Ou  autrement  perdre  fera  ma  vie 
Le  mal  que  j'ay  jusqu'après  la  Toussains. 


DCGCCIII 


SUPPLICACION. 

(Eustache  réclame  une  houppelande  promise  par 
le  duc  de  Bourbon.) 

A  mon  seigneur  le  duc  de  Bourbonnois 
Supplie  Eustaces,  li  baillis  de  Senlis, 
Comme  le  temps  li  deviengne  trop  frois, 
Et  lui  aiez  hoppelande  promis 
5  Pour  cest  yver,  et  la  panne  de  gris  *, 

Qu'il  vous  plaise  de  vo  bénigne  grâce 
Que  de  vo  don  soit  paiez  a  Paris  : 
Si  prira  2  Dieu  pour  vous  ledit  Eustace. 

D'Octobre  vient  et  s'approuche  li  moys, 
io        Que  gelées  vendront  sur  le  pays 

I,  souurains.  —  2.  priera. 

a.  Sans  retrancher.  —  b.  Doublure  de  fourrure. 


BALADES  g5 

No  a,  Décembre,  et  Janviers  li  destrois, 

Février  et  Mars,  de  nature  ennemis; 

Or  est  au  bois,  a  la  froidure,  mis 

Le  suppliant  qui  trop  doubte  la  glace  ; 

Ne  soiez  donc  de  lui  paier  remis  b  :  i  5 

Si  prira  1  Dieu  pour  vous  ledit  Eustace, 

Qui  sur  sa  teste  a  grant  froit  a  la  fois 
Pour  ses  cheveulx  qui  s'en  sont  départis; 
Chaperon  fault:  si  requiert  au  Galoys, 
Ghasteaumorant 2,  a  Bischecourt  aussis,  20 

Gharle  3  et  Hutin  et  tous  ses  bons  amis, 
Que  chascun  d'eulx  sa  besongne  pourchace 
Par  devers  vous;  or  ne  soit  escondis  : 
Si  prira  Dieu  pour  vous  ledit  Eustace. 


DCCCGIV 


Autre  Balade  *. 
[Contre  les  chevaux  trop  jeunes.) 

34a  '    "^rois  manières  truis  de  chevaulx,  qui  sont 

A     Pour  la  jouste  les  uns,  nommez  destriers^ 
Haulz  et  puissans,  et  qui  tresgrant  force  ont; 
Et  les  moiens  sont  appeliez  coursiers  : 
Geuls  vont  plus  tost  pour  guerre  et  sont  legiers;  5 
Et  les  derrains  sont  roucins,  et  plus  bas 

*  Publiée  par  Crapeiet,  page  g3. 

1.  priera.—  2.  A  chasteaumorant.  —  3.  Charles. 

a.  Novembre. —  b.  Ne  remettez  pas  son  paiement. —  c.  Je  trouve. 


96  BALADES 

Chevaulx  communs  qui  trop  font  de  debas  : 
Aux  labours  vont,  c'est  du  gendre  a  villain. 
Quant  jeunes  sont,  tout  ruent  en  un  l  tas  : 
10        Pour  ce  ne  doit  nulz  homs  amer  poulain. 

Pour  quoy?  Pour  ce  qu'il  se  cuide  b  et  qu'il  ront, 
En  traversant  des  grans  chevaulx  sentiers, 
Et  en  alant,  s'embrunche  c  et  tient  son  front 
Par  devant  eulx,  comme  orgueilleus  et  fiers, 

i5        Sanz  regarder,  car  de  ce  est  coustumiers; 
Mais  grans  chevaulx  s'arreste  et  va  le  pas, 
Quant  il  est  fais,  sanz  ruer  en  tous  cas, 
Et  plus  courtois  bien  s'ordonne  en  son  frain  ; 
Ce  ne  fait  pas  uns  petis  poutriaux  cras  d  : 

20        Pour  ce  ne  doit  nulz  homs  amer  poulain. 

Car  telz  poulains  versent  et  verseront 

Euls  et  touz  ceuls  qui  les  lievent  e  premiers, 

Si  qu'a  la  fin  les  couls  se  casseront, 

Ou  advendra  c'uns  chevaulx  grans  et  fiers 
25        Ne  pourra  plus  endurer  leurs  dangiers/, 

Si  les  rura  a  terre  et  fera  cas  s 

Tant  qu'ilz  mourront  soudainement  tous  plas  ; 

Par  tel  orgueil  roucins  meurent  tout  plain  ; 

Les  chevaulx  fais  vont  mieulx  a  droit  compas  : 
3o        Pour  ce  ne  doit  2  nulz  homs  amer  poulain. 

l'envoy 

Princes,  chevaulx  qui  est  granz  et  pleniers3  234b 
Et  faiz  du  dent,  est  meilleur  et  plus  sain 
C'un  roucin  court,  jeune  et  en  ses  cuidiers  h  ; 
Pour  ce  ne  doit  nulz  homs  amer  poulain. 

1.  un  manque.—  2.  devroit  —  3.  plumiers. 

a.  Espèce.—  b.  Se  croit.  —  c.  Baisse  la  tête.  —  d.  Un  petit  poulain 
gras.  —  e.  Montent.  — /.  Leurs  insolences.  —  g.  Les  brisera.  — 
h.  Volontaire. 


BALADES  97 


DCCCCV 

Autre  Balade  \ 

[Demande  de  bois  pour  l'hiver.) 

Je  me  desmet  de  toute  consequance 
Et  me  rapporte  a  l'ancien  usaige, 
Bien  observé  en  Champaigne  et  en  France, 
Que  les  chasteauls  roiaulx  ont  leur  chaufaige 
En  temps  d'iver,  hors  bois  et  en  boscaige,  5 

Pour  les  parois  et  les  murs  reschaufer, 
De  certains  bois  que  l'en  fait  délivrer 
Aux  chastellains;  pour  ce  comme  bailli 
N'eriten  ce  bois,  mes  seigneurs,  demander  : 
Pardonnez  moy,  se  j'ay  en  riens  failli  ;  10 

Mais  le  requier  com  faisant  résidence, 

Ayans  hostel,  mon  estât  et  mesnaige 

A  Compiengne,  ou  chastel  qui  se  lance 

Dessus  Aysne,  lez  le  pont  du  rivaige. 

Tel  froit  y  fait  en  yver  que  c'est  raige,  i5 

Tant  que  sanz  feu  îry  pourroit  nulz  durer. 

Ce  non  obstant  m'a  le  vent  assailli 
Qui  me  destruit  ;  vueillez  ce  regarder  : 
Pardonnez  moy,  se  j'ay  en  riens  failli.  20 

Je  me  soubmet  a  vo  bonne  ordonnance, 
Vous  estes  1  tuit  nomme  discret  et  saige  ; 

Publiée  par  Tarbé,  tome  II,  page  14. 
Et  vous  estes. 

TV  7 


98  BALADES 

N'aiez  regart  si  j'ay,  par  ignorance, 
Mal  impetré;  corrigiez  le  langaige. 

25        Considérez  moy  estre  en  un  halaige  a  234 

Et  le  seurplus  qu'om  doit  considérer, 
Et  me  faictes  la  quelque  bois  livrer, 
Ou  cest  yver  seray  trop  mal  bailli  ; 
Ne  souffrez  pas  que  je  doie  engeler: 

3o        Pardonnez  moy,  se  j'ay  en  riens  failli. 


l'envoy 


Treschiers  l  seigneurs,  d'avoir  ma  délivrance 
Et  vostre  grâce  humblement  vous  suppli  ; 
Ma  requeste  n^iez  en  desplaisance  : 
Pardonnez  moy,  se  j'ay  en  riens  failli. 


DCCGGVI 

Autre  Balade  *. 
[Conseils  contre  V hiver.) 

Alarme  !  Alarme  !  Yvers  est  descendus 
Sur  le  pais,  a  froide  compaignie  : 
Il  en  a  ja  mains  mors  et  enfondus. 
Armez  vous  tost  pour  sauver  vostre  vie, 
5  Car  nulz  ne  tient  contre  s'artillerie; 

Vent  et  grésil  fait  traire  a  ses  archiers; 

•  Publiée  par  Tarbé,  t.  I,  page  i56.  —  Cette  ballade  se   trouve   égal 
ment  dans  le  manuscrit  de  lord  Ashburnham,  folio  35. 

1.  Mes  treschiers. 

a.  En  un  chemin  de  halage. 


BALADES  99 

34  d  Gelée  et  noif ■  " 

Et  bise  fait  la  bataille  première  ; 

Les  mal  armez  assaudra  tous  premiers  : 

Garnissez  vous,  avant  qu'iver  vous  fiere,  10 

De  bons  harnois,  de  bons  chauçons  velus, 

D'escafillons  *,  de  sollers  d'abbaie, 

Pourpoins  fourrez,  les  plates  c  pardessus, 

De  gardebras  d  pour  le  trait  en  partie; 

Un  jaque  2  e  aiez  ou  grant  cotte  hardie  ;  1 5 

Pour  gantelez  parlez  aux  peletiers  ; 

Martres  et  gris  achatez  voluntiers, 

Grans  chaperons  et  cornette  a  visière, 

Peaulx  de  chameulx  et  draps  fors  et  entiers  : 

Garnissez  vous  avant  qu'ivers  vous  fiere.  20 

Et  ne  soiez  rez/,  baingniez  ne  tondus; 

Mais  voz  menteauix  fourrez  n'oubliez  mie; 

Chaudes  chambres  natées  sus  et  jus  8, 

Les  huis  fermez,  fenestre  qui  ne  crie, 

Le  chaut  civé  et  bonne  espicerie,  25 

Des  meilleurs  vins,  chapons,  connins,  plouviers, 

Garnache  avant,  ypocras  soit  portiers  ; 

De  bon  duvet  faictes  vostre  litière  h\ 

Ainsi  fuirez  la  froidure,  amis  chiers  : 

Garnissez  vous,  avant  quUver  vous  fiere.  3o 

l'envoy 
Princes,  yvers  les  povres  gens  guerrie, 

I.  fait  traire  a  ses  a.  —  î.  jaques. 

a.  Le  copiste  s'est  trompé,  sans  doute,  en  recopiant  ici  l'hémis- 
iche  précédent.  —  b.  Sorte  de  chaussure  légère.  —  c.  flaques  de 
nétal  rondes  ou  carrées  en  forme  d'écaillés.  —  d.  Boîtes  recouvrant 
|avant-bras  dans  l'armure.  —  e.  Une  jaquette.  — -  /.  Rasés.  —  g.  En 

aut  et  en  bas.  —  h.  Lit. 


I 00  BALADES 

Les  mau  vestus  et  les  chetis  escrie, 
Perdre  leur  fait  planche,  pont  et  barrière; 
Les  riches  non,  car  chascuns  estudie 
35        Contre  le  froit,  et,  quoy  que  nulz  vous  die, 
Garnissiez  vous,  avant  qu^yver  vous  fiere. 


DGCGGVII 

Autre  Balade. 
[Contre  les  regards  mauvais.) 

Je  ne  me  plains  en  riens  de  Doulz  Penser,  2 3$a 
De  Souvenir,  ne  d^spoir  qui  me  fault, 
Ne  de  Désir  qui  me  fait  tourmenter, 
Ne  de  Refus  qui  par  derrier  m'assault, 
5  Ne  de  Dangier,  de  tous  ceuls  ne  me  chault  ; 

Mais  je  me  plaing  d'un  perilleus  couart 
Qui  son  siège  a  sur  le  front  près  du  hault  : 
Pour  ce  hair  doit  chascun  Mauregart. 

Car  nulz  ne  l  puet  en  lui  bien  espérer, 
10        Ainçois  a  tous  bonne  espérance  tault  •; 
A  droit  ne  veult  nulz  hommes  2  regarder 
Fors  de  travers  ;  feu  et  flambe  li  sault 
Par  les  .11.  oeulx  ;  ceuls  dont  il  fait  bersault  b 
Sont  plus  navrez  que  d'arbaleste  ou  dart. 
1 5        Je  le  sçay  bien,  féru  m'a  en  sursnult  : 

1.  ne  manque.  —  2.  noms. 
a.  Ote.  —  b.  But. 


BALADES  10 I 

Pour  ce  hair  doit  chascuns  Mauregart, 

Que  l'en  puet  bien  basilique  nommer 

Par  son  regart  venimeux  qui  assault 

Fait  chascun  jour  a  maint  pour  li  tuer, 

Par  son  venin  un  tresfort  homme  chault  20 

Le  front  rougir.  Amour,  c'est  grant  deffault: 

Envoiez  loy  a  demourer  autre  part; 

Par  li  perdrez  tous  amans,  riens  ne  vault  : 

Pour  ce  hair  doit  ■  chascuns  Mauregart. 


l'envoy 


Princes  d'amours,  vueillez  nous  délivrer  25 

De  ce  serpent  qui  son  venin  espart 
Sur  voz  subgiez,  ou  il  nous  fault  finer  : 
Pour  ce  hair  doit  chascuns  Mauregart. 


DCCCCVIII 

Autre  Balade. 

(Contre  un  savetier  devenu,  un  moment,  écuyer 
et  brigand^ 


23 *,b  Tl  me  convient  remettre  a  mon  mestier 
1  Je  voy  aler  justice  en  plat  pays. 
—  Et  qui  es  tu?  —  Je  suis  un  savetier. 


g.  doit  hair. 
a.  Le. 


102  BALADES 

—  En  tel  estât?  —  En  es  tu  esbahis? 
5          —  Ouil,  par  Dieu.  —  Li  temps  fut  tel  jadis 

Qu'om  se  deffist  a  pour  autrui  estât  prandre, 
Touldre  b  et  rober,  si  que  j'en  suis  hais  : 
J'ay  grant  paour  qu'om  ne  me  vueille  pandre. 

—  Ont  ainsis  fait  garçon  li  chevalier  c, 
10        Gomme  je  voy,  qui  portes  telz  habis? 

—  Ouil,  certes;  prestres  et  escolier, 
Ghetives  gens,  chanoine  l  et  moines  gris, 
Dont  li  peuples  est  las  et  amaigris, 
Qui  ne  s'osoit  de  nous  autres  deffendre. 

i5        Or  me  convient  rendre  ou  estre  fuitis  : 

J'ay  grant  paour  qu'on  ne  me  vueille  pandre. 

Je  n'aray  plus  ne  roucin  ne  trotier, 
Et  si  seray  de  pluseurs  poursuis; 
Se  je  suis  prins,  je  doubte  le  goisier  : 
20        Dures  gens  sont  et  prevosts  et  baillis; 
Il  n'a  pas  paix  qui  d'eulx  est  assaillis  : 
En  gehinant  d  font  trop  larrons  estendre. 

—  Fui  t'en  bien  tost.  —  Vous  dittes  comme  amis 
J'ay  grant  paour  c'on  ne  me  vueille  pandre. 

l'envoy 

25        —  Povre  meschans,  prodoms  doit  estre  chier, 
Car  par  tout  va,  nulz  ne  le  puet  reprandre. 

—  Vous  dittes  voir;  or  me  convient  mucier  e  : 
J'ay  grant  paour  qu'on  ne  me  vueille  pandre. 

i.  chanoines. 

a.  Changea  son  état.  —  b.  Enlever  —  c.  Les  chevaliers  ont-ils  un 
garçon  ainsi  fait?  —  d.  En  donnant  la  question.  —  e.  Cacher. 


BALADES  I03 


DCCGCIX 

Autre  Balade  *. 
{Il  faut  pendre  les  malfaiteurs.) 

\3$  c       P"\IEU  §art  mon  seigneur  le  bailli  ! 

JLx    —  A  Dieu  1  soiez,  sire  prodoms  ! 
Que  vous  fault?  Pas  r^avez  failli. 

—  Se  vous  voulez.  Cyest  uns  homs, 

Voire  deux,  murdriers  et  larrons,  5 

L'un  parmentier  a  rouge  aumusse  a, 

L'autre  savetier  qui  se  musse  *, 

Qui  jadis  firent  l'escuier 

Et  portoient  plume  d'ostrusse  c  : 

Donnez  leur  l'ordre  du  cordier  d.  10 

Ceuls  m'ont  mainte  foiz  assailli 

Et  robe  poules  et  chapons; 

A  pillier  ne  sont  esbahi 

Chevaulx,  vaches,  brebiz,  moutons; 

Or  ont  prins  habiz  de  chartons  -.  1 5 

Un  temps  fut,  se  leur  apparusse, 

Que  j'eusse  un  coup  sur  ma  cocusse  e  ; 

Reprandre  leur  fault  leur  mestier , 

Mais  pour  faire  nouvelle  prusse/, 

Donnez  leur  l'ordre  du  cordier.  20 

—  Sergens,  alez  prandre  celli 

*  Publiée  par  Tarbé,  tome  I,  page  i5g. 
1.  bien.  —  2.  charretons. 

a.  Chaperon.  —  b.  Voir  la  ballade  précédente.  —  c.  D'autruche. 
-  d.  Une  corde  pour  les  pendre.  —  e.  Tête.  —  /.  Prouesse? 


J04  BALADES 

A  l'aumusse,  nous  le  voulons, 
Et  l'autre  pour  parler  a  li; 
Ces  deux  mettez  en  noz  prinsons. 
25  —  Sire  bailli,  nous  appelions 


De  ce  grief,  comme  torturier. 

—  C'est  bien  dit,  nous  y  pourverrons  a  : 
3o           Donnez  leur  Tordre  du  cordier. 

—  Or  ça,  venez  parler  a  mi; 

N'aiez  paour.  —  Nous  nous  doubtons. 

—  Pourquoy  ?  —  Veez  la  nostre  ennemi. 

—  Dictes  voir.  —  Chascuns  est  prodoms, 
35            —  Vous  mentez.  Tost  les  gehinons  b. 

—  Haro  !  —  Qu'as  tu  ?  —  Pay  pis  que  puce  : 
Je  muir.  —  Dis  donc.  —  Ha!  saincte  Luce! 
Certes  je  suis  larron,  murdrier.  235  d 
Bien  vouldroie  que  je  mourusse! 

40  —  Donnez  leur  l'ordre  du  cordier. 

—  Il  l'ara;  ses  compains  aussi. 
Or  tenez  ces  deux  chaperons  : 
Estraing.  c  —  Haro!  pour  Dieu,  mercy  ! 
Vous  serrez  trop  fort  les  boutons! 

45  —  C'est  trop  tart. —  Nous  nous  repentons  : 

De  confesser  ayons  induce  d. 

—  Il  vous  vaulsist  mieulx  estre  en  Russe  e  : 
Dyables  vous  firent  chevauchier  ! 

Tout  homme  qui  biens  d'autrui  suce, 
5o  Donnez  leur  l'ordre  du  cordier. 

l'envoy 
Princes,  chassoires/,  grésillons  #, 

a.  Il  faudrait  ici  une  rime  eu  usse.  —  b.  La  question. —  c.  Serre. 
—  d.  Délai.—  c.  Russie.—  f.  Fouets.  —  g.  Fers,  menottes. 


BALADES  I o5 


Fers  es  jambes  pour  justicier, 
Et  pour  pugnir  mauvais  garçons, 
Donnez  leur  l'ordre  du  cordier. 


DGCGGX 

Autre  Balade. 
(Contre  les  bandits.) 

Je  voy  le  temps  autre  qu'il  ne  souloit, 
Si  me  convient  veoir  que  je  feray  : 
Je  prins  partout  tant  com  la  guerre  estoit, 
Or  perçois  bien  que  je  hais  seray. 
Si  je  suis  prins,  trop  de  doleurs  aray  ;  5 

Car  il  ne  court  que  baillis  et  prevosts. 
Pour  ce  aler  vueil  estre  barbier  de  bos  a; 
Ainsi  convient  que  ma  vie  pourchace. 
Ouvrer  ne  sçay.  —  Sueffre  toy,  tu  es  fols  ; 
Qui  fuit  toudis  treuve  bien  qui  le  chace.  10 

Venez  vous  ent,  car  je  sçay  un  destroit, 
236 a  Pour  bien  gaingnier  vous  acompaigneray. 
Nul  de  vous  deux  labourer  ne  sçaroit  : 
No  bien  commun  bien  vous  departiray. 

—  Le  promès  tu?  —  Ouil.  —  Je  te  sivray  J.       i5 

—  Et  je  aussi  pour  départir  des  coups. 
A  tel  mestier  ne  fault  pas  estre  mois  : 
Bille  du  piet  b)  va  devant,  passe,  passe; 

i.  serviray. 

a.  Bûcheron.  —  b.  Joue  des  pieds. 


IOÔ  BALADES 

Je  doubte  trop  la  suite  des  esclos  a  : 
20        Qui  fuit  toudis  treuve  bien  qui  le  chace. 

—  Je  ne  vueil  pas  faire  par  tel  endroit. 

—  Que  feras  tu?  —  Tout  mon  estât  lairay. 
Je  sçay  mestier;  pour  ce,  au  chaut  et  au  froit, 
D'or  en  avant  par  tout  en  ouvreray, 

25        Ou  un  maistre  quelque  part  serviray. 
Aler  rober  ne  vueil  pas  a  briefs  mos. 
Je  me  repens,  trop  fu  josnes  et  fols, 
Je  vueil  gaingnier  mon  pain  en  toute  place 
Sanz  ressongnier  justice  ne  ses  cros  : 

3o        Qui  fuit  toudis  treuve  bien  qui  le  chace. 

—  Las!  de  servir  grief  chose  me  seroit, 
D'ouvrer  aussi,  car  pas  aprins  ne  l'ay; 
Il  n'a  c'un  po  que  chascuns  me  servoit; 
Garçon  ainsi  d'escuier  devendray. 

35        Jamais  mestier  aprandre  ne  voudray 

Car  ces  ouvriers  ont  trop  courbes  les  dos; 
Je  voy  qu'ilz  n'ont  que  le  cuir  et  les  os, 
Li  cuers  leur  fault  et  coleur  leur  efface; 
Et  nonpourquant  se  tu  embles  ne  tols, 

40        Qui  fuit  toudis  treuve  l  bien  qui  le  chace. 

Je  voy  la  gent,  ne  sçay  se  ce  seroit 
De  ces  pillars,  je  les  araisneray  b  ; 
Dieux  gart!  Seigneurs,  voist  chascuns  ou  il  doit  c. 
Ce  sont  sergens,  ne  les  attenderay, 
45         Par  saint  Martin,  compains,  je  m'en  fuiray; 
Devers  les  champs  fait  bon  estre  desclos  d, 
De  toutes  gens  n'avons  pas  bien  le  los  e  :       2 36  b 
Bon  fait  fuir  qui  a  mauvaise  grâce, 

1 .  treuve  il. 

a.  Les  traces  des   pas.  —  b.    Je  vais  leur  adresser  la  parole.  — 
c.  Que  chacun  aille  où  il  doit.  —  d.  Libre.  —  e.  Louange. 


BALADES  107 

Car  se  l'en  n'est  de  ses  péchiez  rassolz  «, 

Qui  fuit  toudis  treuve  bien  qui  le  chace.  5o 

l'envoy 

Or  sus  !  après  ces  larrons  sanz  delay  ! 
Ils  n'osent  vir  nul  prodomme  en  la  face; 
Poursuiez  fort,  car  en  la  fin  bien  sçay  : 
Qui  fuit  toudis  treuve  bien  qui  le  chace. 


DCGGGXI 

Autre  Balade. 
(Requête  d'une  fiancée.) 

Tresdoulz  amis,  parlerez  vous  a  moy, 
Qui  chascun  jour  sui  pour  vo  fait  tancée? 

—  Dame,  de  qui?  —  De  mon  père,  par  foy, 
Qui  me  met  sus  que  je  suis  fiancée. 

—  A  qui?  —  A  vous.  —  Onques  n'y  oy  pensée  5 
Fors  par  honour,  du  gré  de  voz  amis. 

—  Je  vous  en  croy,  ma  mère  m'a  amis  b 
Que  vous  m'avez  baisiée  en  mi  la  bouche. 
Ce  sçavez  vous,  ne  me  chaut  de  leur  dis, 

Car  vostre  amour  trop  fort  au  cuer  me  touche.  10 

Mais  l'en  m'a  dit  de  vous  je  sçay  bien  quoy, 
Pour  ce  est  vers  vous  ma  mère  forsenée, 

a.  Absous.  —  b.  Imputé. 


1 08  BALADES 

Que  vous  avez  autre  amie  en  requoy  a 
Dont  vous  voulez  faire  vostre  espousée. 
i5        Je  seroie  contre  raison  moquée, 

Et  bien  sçavez  que  vous  m'avez  promis. 

—  N'en  créez  riens  ;  ceuls  sont  mes  ennemis 
Qui  ce  dient  pour  moy  faire  reprouche; 

De  voz  parlers  suis  forment  esbahis  6, 
20        Car  vostre  amour  trop  fort  au  cuer  me  touche.  236  c 

—  Puisqu'ainsis  est,  a  vous  du  tout  m'octroy; 
Mais  fort  sera  que  vous  soye  donnée 

De  mes  parens,  car  a  chascun  dire  oy 
Que  vostre  amour  est  trop  habandonnée. 

25        Je  n'en  puis  mais,  je  Pay  belle  trouvée; 
Se  vous  estes  l  de  mon  père  escondis  c, 
Maintenez  bien  que  vostre  suis  toudis, 
Ne  vous  chaille  se  père  ou  mère  grouche  d  2. 
Au  fort  diray  vous  estes  mes  plevis  e, 

3o        Car  vostre  amour  trop  fort  au  cuer  me  touche. 

—  En  telz  dangiers  trop  petit  me  congnois, 
Ce  qui  est  mien  demander  ne  m'agrée; 

Ce  n'est  qu'oneur,  voire,  mais  c'est  anoy; 
Vostre  ami  suis  et  vous  estes  m'amée; 
35        Ja  ne  vueillez  estre  femme  clamée, 

Car  en  telz  cas  est  chascuns  asservis  : 
Franche  vivez  en  amour,  je  frans  vis. 
Des  mariez  servitute  s'aprouche. 

—  Vous  dittes  voir,  or  demourons  ainsis, 

Car  vostre  amour  trop  fort  au  cuer  me  touche.  40 

l'envoy 
Adieu,  Picart.  —  Adieu,  douce  Bietrix. 

1.   este. 

a.  Secret.—  b.  Étonné.—  c.  Repoussé.—  d.  Gronde.—  c.  Mon  fiancé. 


BALADES  IOg 

A  ce  départ  fault  que  je  vous  atouche. 

Baisier  vous  vueil;  soufrez  vous  a  :  c'est  amis  l, 

Car  vostre  amour  trop  fort  au  cuer  me  touche. 


s 


DCCCCXII 

Autre  Balade. 
[Vénalité  de  la  justice.) 

ergens,  prenez  moy  ce  larron, 
Trop  est  de  maie  renommée. 
236  d     —  Voluntiers  ;  venez  en  prinson, 
Puis  que  la  chose  est  commandée. 

—  Je  n'ay  meffait  a  ame  née:  5 
Que  je  parle  au  prevost  a  part. 

—  Adieu,  il  est  huimais  trop  tart. 

—  Je  lui  diray,  se  vous  voulez, 

—  Et  que  n'a  il  ou  coul  la  hart  *? 
J'estoietrop  mal  informez.  10 

—  Veoir  vous  veult  :  il  y  fait  bon. 

—  Alons  y,  mais  près  de  rentrée 
Retournez:  tesmoin  n'y  voulon. 

—  Lierres  c,  par  la  vierge  honourée, 

Vo  gueule  sera  estranglée,  1 5 

Je  vous  livreray  au  frappart  d. 

—  Prevost,  pour  Dieu,  aiez  regart 

t.  cest  trop  amis. 

a.  Résignez-vous.  —  b.  Et  que  n'a-t-il  la  corde  au  cou?  —  c.  Lar- 
ron. —  d.  Au  bourreau. 


I 10  BALADES 

A  cent  frans  que  vez  ci,  tenez. 
Je  suis  prodoms.  —  C'est  vray,  Golart; 
20  J'estoie  trop  mal  informez. 

Je  m'en  revois  en  no  maison. 
Sergens,  reslargissiez  l'entrée 
De  ce  varlet,  c'est  un  prodom. 

—  Par  la  char  Dieu  a,  c'est  grant  fumée  b  ! 
25            C'estoit  un  larron  a  l'entrée, 

Mais  en  tant  d'eure  qu'il  espart  c, 
Faictes  d'un  larron  papelart. 
En  po  de  temps  gens  reformez. 

—  Cilz  ci  n'a  pas  mangié  le  lart  <*, 
3o           J'estoie  trop  mal  informez. 

—  Or  me  dittes  :  comment  fait  on 
Si  tost  prodomme  a  la  volée  e 

D'un  murdrier,  d'un  mauves  garçon? 

—  Quant  son  innocence  est  trouvée. 
35            Par  cent  tesmoings  l'a  cilz  prouvée  : 

Saichiez,  ce  n'est  pas  un  coquart/; 
Dire  ne  sçaroie  le  quart 

Des  biens  qui  sont  en  lui  trouvez.  2 3y  a 

Ne  m'en  enquerez  plus,  Lietart  : 
40  J'estoie  trop  mal  informez. 

—  A  tout  le  moins,  qui  paiera  mon 
Salaire  de  celle  journée? 

—  Souffrez  vous  ë\  sergent,  j'en  respon, 
Tenez  dix  soulz.  —  Pas  ne  m'agrée. 

45  —  Vous  avez  tort,  c'est  grant  boursée  *. 

Je  les  preste,  se  Dieu  me  gart. 

—  Vo  bourse  est  devenue  happart  * 

a.  Par  la  chair  de  Dieu  !  —  b.  Folie  —  c.  Mais  dans  la  durée 
d'un  éclair.  —  d.  11  n'est  pas  coupable.  —  e.  A  la  légère.  —  /.  Sot. 
—  g.  Patientez.  —  h.  Somme.  —  f.  Crochet. 


BALADES  I  i  I 

Puis  que  les  larrons  y  pandez. 

—  Souffrez  vous;  car,  par  saint  Lienart, 
J'estoie  trop  mal  informez.  5o 

i/envoy 

Sergens  !  —  Maistre?  —  Nous  delivron 
Ce  varlet  qui  fut  arrestez. 

—  Voist  a  Dieu,  c'est  assez  raison  : 
Vous  estiez  trop  mal  informez. 


DCCCCXIII 

Autre  Balade. 
(Sur  un  faux  brave  humilié  par  un  moine.) 

Qu'est  ce  ci?  Dieu  !  quel  belle  espée, 
Quel  baston  et  quelle  taloche  a, 
Quelle  dague  !  Est  elle  carrée  ? 
Elle  sonne  comme  une  cloche. 

—  Il  n'a  rien  en  mon  fait  qui  loche  b  :  5 
Je  sçay  jouer  de  Tescremie  c  -, 

Qui  me  voulroit  tollir  m'amie, 
11  ne  l'auroit  '  pas  d'avantaige  : 
Bien  y  pourroit  perdre  la  vie. 

—  Ribaut,  trop  avez  de  langaige!  10 

23y  b    Vous  démenez  trop  grant  posnée  d, 

i.  lairoit. 

a.  Espèce  de  bouclier.  —  b, Cloche.  —  c.  Escrime.  —  d.  Orgueil. 


112  BALADES 

Il  semble  ce  soit  une  roche  a  ; 

Vous  combatez  a  la  rousée, 

Mais  vous  arez  de  ceste  broche  b. 
i5  —  Biau  sire,  laissiez  me  caboche  : 

Par  la  char  Dieu,  c'est  villenie; 

Bien  sçay  tel  cui  ne  plairoit  mie, 

S'il  vous  veoit,  de  mon  linaige  c. 

Que  vous  meffaiz  se  m'esbanie  d  ? 
20  —  Ribaut,  trop  avez  de  langaige! 

Puis  que  vous  desirez  l'armée, 

Combatez  vous  quant  je  vous  broche  e, 

A  moy  Tarez.  —  Est  ce  meslée? 

—  Oil,  ne  vous  prise  une  loche. 
2  5  Ceste  dague  vueil  que  j'acroche, 

L'espée  aray  d'autre  partie. 

Tout  vendra  en  nostre  abbaie, 

Femme  et  taloche,  a  mon  usaige. 

Riens  n'y  vaudra  vostre  envaye. 
3o  —  Ribaut  l,  trop  avez  de  langaige! 

Vous  avez  la  teste  sacrée, 

Et  pour  ce  de  vous  ne  m'approche, 

Mais  vo  vie  sera  comptée 

A  la  court,  se  du  pie  ne  cloche. 
35  11  me  seroit  trop  grant  reproche 

De  vous  ferir  :  escommenie/ 

En  aroie.  —  Pour  ce  vous  prie, 

Soufrez  vous  s  de  moy  faire  oultraige. 

C'est  péchiez,  par  saincte  Marie. 
40  —  Ribaut,  trop  avez  de  langaige  ! 

1.  Ribaus. 

a.  Forteresse  bâtie  sur  un  rocher.  —  b.  Fourche.  —  c.  De  ma 
famille.  —  d.  Quel  tort  vous  fais-je  si  je  me  divertis?  —  c.  Quand 
je  vous  pique.  —  /.  Excommunication.  —  g.  Abstenez-vous. 


BALADES  I i 3 

Ma  dague  vous  sera  donnée 
Et  mon  bouclier,  a  tout  la  croche, 
De  bon  cuer  et  paix  confermée 
Entre  nous  deux.  Du  vin  abroche  a 
Meilleur,  .11.  poz,  dont  chascuns  troche  b.     45 
2^7  c     —  J'auray  doncques,  une  nuitie, 
Geste  que  j'avoie  aguaitie  c 
Dès  nui  matin  a  ce  passaige? 
Je  le  vueil  a  la  départie. 

—  Ribaut,  trop  avez  de  langaige  !  5o 

i/envoy 

—  Adieu,  compains  de  Picardie 
Qui  tant  avez  de  vassellaige. 

.    -—  Alez,  moines,  Dieu  vous  maudie. 
Ribaux,  trop  avez  de  langaige  ! 


DCCCCXIV 

Balade. 
(Plus  de  guerres.) 

Guetier  par  nuit,  de  jour  a  la  barrière, 
Edifier  l  tours  et  arrier  2  fossez, 
Soudaulz  d  avoir,  arrierguet  par  derrière, 
Estre  tousjours  de  haubergon  e  armez, 

1 .  Et  édifier.  —  2.  arrière. 

a.  Mets  en  perce.  -  b.  Trinque.  -  c.  Guettée.  -  d.  Soldats 
e.  Cotte  de  mailles. 

T.  V 


114  BALADES 

5  Faire  escoutes  a  qu'on  ne  soit  eschelez  I, 

Savoir  le  cri  c  de  la  nuit  au  certain, 
Arbalestiers,  et  avoir  capitain 
Aconvenu  d,  et  souvent  guerroier 
Jusques  a  cy;  or  fault,  si  com  le  tain  e, 

10       Voler,  chacier,  jouster  et  tournoier. 

Soufert  avons  au  temps  ça  en  arrière 

Guerre  et  tourmens  dont  trop  sommes  foulez  ; 

Guez  de  chasteauls,  mainte  parole  fiere, 

Des  ennemis  tuez  et  ransonnez. 
i5        Le  plat  pais  a  este  tel  menez 

Que  l'un  estoit  Genevois,  l'autre  Yvain, 

Si  que  prodoms  n'osoit  logier  a  plain/. 

Or  nous  veult  Dieu  le  bon  temps  envoier; 

Se  paix  avons,  il  fault  de  main  en  main       23y  d 
20        Voler,  chacier,  jouster  et  tournoier. 

Ainsis  rarons  nostre  vie  première 
Et  revendront  les  gens  déshéritez 
A  leurs  labours,  faire  de  lie  chiere 
Dances,  chançons,  festes  et  menestrelz; 

2  5        Justice,  loy,  raison  et  veritez 

Qui  a  chascun  tendront  droitte  la  main; 
Ainsis  le  veult  le  prince  souverain 
Pour  lequel  doit  moult  le  peuple  prier, 
Quant  de  guerre  nous  fait  par  cas  soudain 

3o       Voler,  chacier,  jouster  et  tournoier. 

l'envoy 
Prince  \  en  tous  cas  de  la  guerre  me  plain  : 

i.  Princes. 

a.  Sentinelles  —  b.  Surpris  par  escalade.  —  c.  Le  mot  d'ordre. 
—  d.  Retenu  par  contrat,  —  e.  Je  le  tiens.  —  f.  Les  bonnes  gens 
n'osaient  loger  en  plaine. 


BALADES  I I 5 

Vueillez  a  paix  vostre  cuer  avoier  a 

Tant  que  nulz  homs  n'ait  desor  en  desdain 

Voler,  chacier,  jouster  et  tournoier. 


DCCCCXV 

Autre  Balade. 
[La  grandeur  et  la  richesse  ne  font  pas  le  bonheur.) 

Moult  se  vantoit  li  cerfs  d'estre  legiers 
Et  de  courir  dix  lieues  d'une  alaine, 
Et  li  cengliers  se  vantoit  d'estre  fiers, 
Et  la  brebiz  se  louoit  pour  sa  laine, 
Et  li  chevriaux  de  sauter  en  la  plaine  5 

Se  vantoit  fort,  li  chevaux  l  estre  biaux, 
Et  de  force  se  vantoit  li  toreaux, 
L'ermine  aussi  d'avoir  biau  peliçon  b\ 
Adonc  respont  en  sa  coquille  a  ciaulx  c: 
«  Aussi  tost  vient  a  Pasques  limeçon.  »  10 

Les  lions  voy,  ours  et  lieppars  premiers, 
Loups  et  tigres,  courir  par  la  champaigne, 
Estre  chaciez  de  mastins  et  lévriers 
238  a  A  cris  de  gens,  et  s'il  est  qu'om  les  praingne 

Tant  sont  hais  que  chascun  les  mehaingne  d      1 5 
Pour  ce  qu'ilz  font  destruction  de  piaulx  ; 

i.  chevriaux. 

a.  Conduire,  diriger.  —  b.  Robe  fourrée  en  dehors.  —  c.  A  ceux 
i.  —  d.  Les  maltraite. 


I I 6  BALADES 

Ravissables  a  sont,  fel  et  desloyaulx 
Sanz  espargner,  et  pour  ce  les  het  on. 
Gourent  ilz  bien,  sont  ilz  fors  et  isneaulx  *? 
20        Aussi  tost  vient  a  Pasques  limeçon. 

Cellui  voient  pluseurs  par  les  sentiers  : 
Enclos  se  tient  en  la  cruise  qu'il  maine, 
Sanz  faire  mal  le  laiss'  on  voluntiers, 
Tousjours  s'en  va  de  sepmaine  en  sepmaine; 

25        Si  font  pluseurs  en  leur  povre  demaine 

Qui  vivent  bien  soubz  leurs  povres  drapeaulx, 
Et  s'ilz  ne  font  au  monde  leurs  aveaulx  c, 
Si  courent  ilz  par  gracieus  renon 
Quant  desliez  sont  aux  champs  buefs  et  veaulx 

3o        Aussi  tost  vient  a  Pasques  limaçon. 

l'envoy 

Prince,  les  gens  fors,  grans,  riches,  entr'eaulx 
Ne  tiennent  pas  toudis  une  leçon  ; 
Pour  eulx  haster  n'approuche  temps  nouveaulx 
Aussi  tost  vient  a  Pasques  limaçon. 


a.  Ravisseurs.  —  b.  Prompts.      c.  Leurs  désirs. 


BALADES  I 1 7 


DCCGCXVI 


Balade. 
(Eloge  de  la  largesse,  sauf  en  amour.) 


E 


n  tous  cas  est  largesce  renommée, 
Aux  donneurs  fait  avoir  grâce  et  renon, 
Du  monde  a  los  a,  elle  est  de  Dieu  amée 
Qui  du  mantel  Martin  reçut  le  don  *, 
Duquel  donna  a  son  povre  un  copon  c  5 

Pour  lui  couvrir  au  dehors  près  d'Amiens  K 
Face  chascun  largesce  de  ses  biens 
Fors  en  un  cas  qui  engendre  dolours; 
238  b  La  fault  moyen  :  saige,  ce  mot  retiens  : 

Ne  face  nul  grant  largesce  d'amours.  io 

Mais  d'autres  biens  soit  faicte  la  donnée  d 
Aux  povres  Dieu,  pour  l'ame  avoir  pardon  ; 
La  maison  soit  aussi  habandonnée  e 
Des  grans  seigneurs  ;  prelas  aient  le  non 
D'aidier  les  clercs  et  qu^lz  leur  soient  bon  ;       1 5 
Marchans,  bourgois,  ne  facent  comme  chiens 
Qui  tout  mangue  et  ne  veult  donner  riens  ; 
Soient  piteux,  facent  humble  secours 
Aux  soufraiteux;  au  surplus  je  maintiens, 
Ne  face  nulz  grant  largesce  d'amours.  ,20 

Par  le  monde  ot  Alixandre  nommée/, 

I.  près  manque. 

a.  La  louange.  —  b.  A  qui  saint  Martin  donna  son  manteau.  — 
c.  Morceau,  coupon.  —  d.  La  distribution.  —  e.  Ouverte  à  tous.  — 
/.  Renommée. 


I  1 8  BALADES 

Par  largement  donner  a  maint  baron  ; 

Vaspasien,  Titus,  qui  a  l'espée 

Jherusalem  subjuga,  ce  scet  on, 
25        Largesce  voult  ;  mais  en  celle  amour  non, 

Qui  au  corps  nuist,  c'est  périlleux  liens; 

L'ame  destruit  en  ordure  et  en  l  fiens 

De  luxure,  c'est  vilz  péchiez  et  lours; 

Pour  ce  suppli  a  tous  les  terriens  : 
3o        Ne  face  nulz  2  grant  largesce  d'amours. 


DCCGCXVII 

Autre  Balade. 
(Eloge  de  l'épargne,  sauf  en  amour.) 

En  tous  estas  est  espargne  en  saison, 
N'estre  ne  puet  du  sien  trop  bonne  garde, 
Soit  bief  ou  vin  ou  autre  garnison  ; 
Pour  ce  est  saiges  qui  a  ces  poins  regarde, 
5  Car  d'un  festu  mis  a  part,  quoy  qu'il  tarde, 

Puet  un  chascun  ains  l'an  avoir  mestier. 
Trois  choses  hors,  c'est  cocart  ou  cocarde  a, 
Et  de  putain  ne  face  ja  grenier  b. 

Car  en  ces  trois  n'a  sens,  bien  ne  raison  ; 
io        Gonardie  fait  conart  et  conarde, 

Et  putain  fait  larrecin,  traison,  2 38  c 

i.  en  manque.  —  2.  ne  tacent  grant. 
a.  Sot  ou  sotte.  —  b.  Provision. 


BALADES  119 

Pechié  de  char  et  son  visaige  farde, 
Homme  destruit,  de  deshoneur  le  larde, 
Tant  qu'âme  et  corps  y  pert  au  derrenier. 
Qui  saiges  est,  de  telz  vices  se  garde  |5 

Et  de  putain  ne  face  ja  grenier. 

Car  telz  grains  fait  empirer  la  maison 

Tout  happe  et  prant,  elle  a  oeil  de  renarde; 

De  tel  grenier  devient  chascun  mais  a  hom, 

On  en  pant  l'un,  souvent  fault  que  l'autre  arde.  20 

Au  commencier  fait  trop  la  papelarde 

Et  toudis  tent  a  prandre  et  a  mucier  b  : 

Voist  homs  jouer  a  escu  ou  a  darde  c 

Et  de  putain  ne  face  ja  grenier. 


DCCGCXVIII 

Balade  \ 

(Sur  sa  nomination  comme  bailli  de  Senlis. 
Jeux  de  mots  sur  le  nom  de  Senlis.) 

Chascuns  me  dit  :  «  Dieu  vous  doint  joie 
De  vostre  nouveau  bailliaige 
De  cent  lis  !  »  Mais  coissin  d  ne  toie  e 
De  lit  n'ay  encor  en  mesnaige; 
Pour  ce  ne  vault  riens  ce  langaige.  5 

*  Publiée  par  Crapelet.  p.  §4. 

a.  Mauvais.   —  b.  A  cacher.  —  c.  A  flèche.  —  d.  Coussin.  —  e. 
Taie  d'oreiller  ou  toile  de  lit. 


1 20  BALADES 

Quant  je  n'ay  pas  un  de  cent  lis, 
Je  ne  suis  pas  de  cent  baillis, 
Non  mie  d'un  seul  pour  certain; 
Cilz  titres  m'est  du  tout  faillis  : 
10  II  me  fault  couchier  sur  l'estrain  «, 

Aussi  n'est  il  sens  c'on  y  voie, 

Ces  .11.  mos  n'ont  fors  que  l'usaige 

Du  parler,  sens  fait  b  toute  voye, 

Car  sens  et  liz  sont  en  umbraige  ; 
1 5  L'un  ne  l'autre  n'ay,  c'est  dommaige 

Pour  moy,  qui  n'en  suis  pas  garnis  : 

Ainsis  suis  des  gens  escharnis  c 

Qui  me  nomment  des  deux  en  vain. 

S'autre  remède  n'y  est  mis,  i38  d 

20  II  me  fault  couchier  sur  l'estrain, 

Et  faire  couste  d'une  cloie  d 

Et  coussin  d'un  fais  de  ramaige  e 

Et  dossier  de  terre  ou  de  croie/, 

Comme  on  fait  en  un  hermitaige. 
25  Je  ne  suis  c'un  bailli  sauvaige 

Duquel  l'ostel  est  mal  fournis  : 

Les  arondes  s  y  font  leurs  nis 

Et  li  cahuant  *,  soir  et  main. 

Se  je  n'ay  aucuns  bons  amis, 
3o  II  me  fault  couchier  sur  l'estrain. 


L  ENVOY 

Princes,  s'autres  noms  ne  m'est  mis, 
Ou  n'y  pourvoiez  plus  a  plain, 

a.  La  paille.  —  b.  Sans  réalité.  —  c.  Raillé,  moqué.  —  d.  Faire 
matelas  d'une  claie.  —  e.  D'un  fagot  de  bois.  —  /.  Craie.  —  g.  Les 
hirondelles.  —  h.  Ghat-huant. 


BALADES  I  2 I 


Pauray  un  trespovre  logeis  : 
Il  me  fault  couchier  sur  l'estrain. 


DCGGGXIX 

Autre  Balade. 


{Demande  au  prince  de  Bar  d'un  cheval  promis  depuis 

longtemps.) 


Or  ay  je  tant,  Dieu  merci,  attendu 
Que  désormais  puis  bien  avoir  mon  don, 
Car  vous  avez,  si  com  j'ay  entendu, 
Et  de  nouvel,  deux  genès  d'Arragon  : 
Envoiez  moy  coursier  ou  roucin  bon,  5 

De  ce  suppli  vostre  haulte  1  noblesse, 
Et  mesmement  que  vous  avez  le  nom 
De  voluntiers  tenir  vostre  promesse. 

J'ay  mon  argent  en  Julliers  despandu, 
Et  Ardenne  a  destruit  le  compaignon  ;  10 

Par  les  bois  sont  my  cheval  morfondu, 
Riens  ne  me  vault  fraper  del'esperon; 
23g a  Autant  vauldroit  chevauchier  un  baston 

Que  mes  chevaulx,  dont  chascun  d'eulx  me  lesse; 
Acomplissez  donques  vostre  renom  i5 

De  voluntiers  tenir  vostre  promesse. 

Un  lay  vous  doy,  bien  vous  sera  rendu, 


i.  hault. 


122  BALADES 

Et  chascun  an,  pour  ce  et  en  guerredon, 
Coursier  aray  de  vous  ou  j'ay  tendu. 
20       Promis  Pavez,  jugiez  se  c'est  raison  ; 
Sinon  croupir  me  fault  en  ma  maison 
Ou  chevauchier  jument,  asne  ou  asnesse; 
Ne  faillez  donc,  ce  seroit  desraison, 
De  voluntiers  tenir  vostre  promesse. 


l'envoy 


25        Princes  de  Bar,  ne  querrez  achoison  a 
De  refuser  ce  de  quoy  je  vous  presse, 
Car  plus  donrrez,  plus  arez  a  foison 
De  voluntiers  tenir  vostre  promesse. 


DCCCCXX 

Autre  Balade  *. 

(  Quand  reviendra  notre  roi  à  Paris  ?  ) 

[i38ç] 

En  retournant  du  palais  a  saint  Pol, 
Vy  mainte  gent  complaindre  et  gramenter; 
Et  en  Grève  ribauk  portans  au  col, 
Né  font  toudis  qu'enquerre  et  demander  : 
5  «  Et  quant  sera  le  roy  au  retourner 

*  Publiée  par  Tarbé,  tome  I,  page  109,  et,  en  brochure,  en  1849*  à 
Reims,  avec  préface  et  notes. 

a.  Occasion,  prétexte. 


BALADES  123 

De  Languedoc  ?  Trop  y  fait  grant  demeure  : 

Il  n'a  ouvrier  a  Paris  qui  n'en  pleure, 

Car  riens  ne  font  ».  Chascuns  est  esbahis, 

En  enquerrant  le  temps,  le  jour  et  l'eure  : 

«  Quant  revendra  nostre  roys  a  Paris?  »  10 

A  Petit  Pont  ne  font  faucons  leur  vol, 
Ne  les  brodeurs  n'ont  gaires  a  broder. 
A  bon  marchié  sont  es  halles  li  chol  a, 
23g  b  Les  draps  aussi  et  harnois  pour  armer. 

Les  cousturiers  n'ont  gaires  a  ouvrer  ;  i5 

Sellier  n'y  a  qui  petit  ne  labeure, 
Ne  fillette  qui  vers  les  clercs  ne  queure  b  ; 
L'en  a  assez  d'icelles  juste  pris. 
En  demandant  courent  Pun  l'autre  seure  : 
"    «  Quant  revendra  nostre  roy  a  Paris  ?»  20 

Les  poullailliers  c  et  lormiers  d  seront  foi  : 

Riens  ne  vendent  ;  on  laisse  le  chanter 

Es  tavernes,  car  vin  sont  dur  et  mol  ; 

Les  heaumiers  «  laissent  le  marteler  ; 

Les  orfèvres  n'ont  pas  trop  a  dorer;  2  5 

Je  n'y  voy  nulz  fors  changeurs  qu'on  aeure/  : 

Pources  blans  neufs  ^convientqu'om  les  honeure, 

Hz  aront  tout  l'argent  du  plat  pais. 

Dont  chascuns  dit,  a  cuer  plus  noir  que  meure  h  : 

«  Quant  revendra  nostre  roy  a  Paris  ?  *  3o 

l'envoy 

Prince,  pour  vous  des  nouvelles  mander, 
Quant  je  les  ay  ainsis  oy  parler, 


a  Les  choux.  —  b.  Ne  coure.  —  c.  Les  rôtisseurs.  —  d.  Ou- 
vriers selliers  et  éperonniers.  —  e.  Ceux  qui  fabriquent  les  heau- 
mes. — /.  Révère.  —  g.  Nouvelle  monnaie.  —  h.  Mûre. 


I 24  BALADES 

De  leurs  regrès  ceste  balade  escrips. 
Par  vo  retour  se  puet  tout  amender; 
35        Mais  sanz  celi  ne  puet  ce  mot  cesser  ; 

«  Quant  revendra  nostre  roy  a  Paris  ?  » 


DCCGGXXI 

Autre  Balade. 
(Plus  on  le  voit,  moins  on  le  prise.) 


D 


ont  puet  venir  la  fortune  que  j'ay 
N'en  quel  climat  pot  mes  corps  estre  nez? 
Esbahis  sui  de  ce  que  ne  le  sçay, 
Car  en  tous  cas  suis  si  fort  fortunez 

5  Qu'au  premier  cop  suy  par  tout  honourez 

Sanz  ce  que  j'aye  aucune  congnoissance  ; 
Mais  plus  y  suis  et  moins  ay  de  puissance,  23g  c 
Et  suis  de  touz  escharnis  et  rusez  a; 
Dont  puet  venir  sur  moy  tel  desplaisance  ? 

io        Plus  me  voit  on,  tant  suis  je  moins  prisiez. 

Pour  ce  jamais  en  un  lieu  ne  seray, 
Se  j'euvre  a  droit,  longuement  arrestez; 
Ainçois  d'un  lieu  en  un  l  autre  j'iray  2 
Et  par  ainsis  puis  estre  renommez; 
1 5        Par  long  demour  seroie  diffamez. 

i .  un  manque.  —  2.  iray . 
a.  Raillé  et  repoussé. 


BALADES  125 

Résister  vueil  donc  a  mon  influance, 

Merveilleus  sui  quant  je  voy  et  je  pense 

Qu'en  trespassant  a  fuy  fort  ■  auctorisiez, 

Et  long  séjour  me  nuist  et  desavance  : 

Plus  me  voit  on,  tant  suis  je  moins  prisiez.        20 

Trufes  ne  sont  b  ;  tenez  que  c'est  tout  vray 

Et  que  je  suis  au  premier  bien  amez; 

Mais  aussi  tost  que  g'i  arresteray, 

Ou  je  saiz  2  bien,  si  suis  je  reboutez 

Par  faulz  rappors,  et  par  derrier  moquez.  25 

Dont  puet  venir  tele  desordonnance  c 

Encontre  moy  et  tel  descongnoissance  d7 

S'ont  fait  les  sors  dont  je  suis  destinez  e: 

Fuir  me  fault;  n'est  ce  pas  grant  meschance? 

Plus  me  voit  on,  tant  sui  je  moins  prisiez.         3o 

l'envoy 

Prince,  bien  doy  tele  persévérance 
Et  tel  climat  dont  je  suis  gouvernez 
Craindre  et  hair,  qui  si  me  desavance  : 
Plus  me  voit  on,  tant  suis  je  moins  prisiez. 


1.  forment  —  2.  faiz. 

a.  En  passant.  —  b.  Ce  ne  sont  pas  des  mensonges.  —  c.  Dé- 
sordre. —  d.  Méconnaissance.  —  e.  C'est  ce  qu'ont  fait  les  sorts 
qui  ont  marqué  ma  destinée. 


I 26  BALADES 


DGCCCXXII 

Autre  Balade, 
(Contre  Brugaud.) 

Boniface,  Miraumont  et  Poitiers,  23g  d 

Vilebeon,  Billi,  ceuls  de  Touraine 
Ont  Chastelet  tenu  deux  jours  entiers 
Sur  les  carreaulx,  par  la  court  souveraine, 

5  Dont  l'un  disoit  :  «  Dieu  mette  en  malestraine  a 

Cellui  par  qui  nous  faisons  cy  le  guet  ! 
Car  Folie  nous  a  basti  ce  plet 
Par  un  homme  qui  a  le  cul  trop  chaut. 
—  Vous  dittes  voir,  ce  respont  un  varlet  : 

io        Mauditte  soit  la  couille  de  Brugaut  ! 

Car  ce  qu'il  gist  aux  femmes  voluntiers 
Aux  samedis  et  en  la  quarentaine  b, 
Et  que  toudis  en  est  plains  ses  greniers, 
Le  fist  happer  assez  près  de  Behaingne  c 

i5        Par  les  sergens,  et  lors  crioit  s'enseigne; 
Maint  le  suy  jusques  en  Chastelet  ; 
Ramenez  fut  et  prins  par  le  colet; 
Mais  Pendemain  furent  mit  mis  en  hault 
Les  rameneurs  rf,  ou  il  fait  ort  e  et  let  : 

20        Mauditte  soit  la  couille  de  Brugaut, 


a.  En  malheur,  en  mauvaise  chance.  —  b.  Pendant  le  carême. 

—  c.  L'hôtel  de  Bohême  à  Paris.  —  d.  Ceux  qui  le  ramenèrent. 

—  e.  Sale. 


BALADES  127 

Qui  ainsi  fait  tenir  les  prinsonniers  ! 

Chastrer  le  fault,  c'est  la  voie  plus  saine. 

Si  ne  sera  plus  ribaut  ne  putiers, 

Ou  autrement  doubt  qu'il  ne  s'en  refraingne. 

Soit  pardonné  a  la  povre  compaigne  a  2  5 

Pour  ceste  foiz  la  foleur  qu'elle  a  fet, 

Et  l'en  face  Brugaut  chastrer  de  fet, 

Car  par  ce  point  ne  sera  plus  ribaut  h 

Puis  qu'en  prison  sont  tant,  oultre  leur  het  b, 

Mauditte  soit  la  couille  de  Brugaut!  »  3o 

l'envoy 

Princes,  merci  aux  povres  escuiers  : 
Délivrez  les,  vostre  grâce  leur  fault; 
240  a  Poulz  et  puces  ont  ja  quatre  milliers  : 
Mauditte  soit  la  couille  de  Brugaut  ! 


DCCCCXXIII 

Autre  Balade. 
(Contre  la  danse  au  son  du  chalumeau.) 

Des  merveilles  de  quoy  on  puet  parler 
Et  qui  cheent  en  raison  de  nature, 
Qu'om  puet  veoir  deçà  et  delà  mer 
Treuve  on  bien  cause  et  certaine  figure, 

1.  ribaux. 

a.  Compagnie.  —  b.  Contre  leur  plaisir. 


1 28  BALADES 

5  Pourquoy  se  font;  mais  une  est  trop  obscure 

.  Entre  les  gens  et  aux  festes  royaulx  ; 
La  ne  voit  on  sens,  raison  ne  mesure  : 
C'est  de  dancier  au  son  des  chalemiaux. 

Car  un  soufleur  qui  commence  a  soufler 
io        En  une  piau,  cornant  la  turelure  rt, 

Fait  entour  lui  mainte  gent  assembler 
Qui  de  joie  n'ont  a  celle  heure  cure; 
Com  hors  du  sens  sautent  a  desmesure  *, 
Balans  des  piez,  des  mains  et  des  trumeaulx  c, 
1 5        La  ne  voit  on  sens,  raison  ne  mesure  : 
C'est  de  dancier  au  son  des  chalemiaux. 

Sotie  est  grant  d'ainsi  gens  démener 
Au  son  d'un  foui  d;  encor  plus  grant  laidure 
D'euls  tenir  coiz  quant  on  laisse  a  corner, 
20        Vous  ne  verrez  lors  mouvoir  créature  : 

Le  vent  n'est  rien,  nul  proufit  n'y  procure, 
Fors  le  soufleur,  gent  qui  fait  telz  aviaulx  •; 
La  ne  voit  on  sens,  raison  1  ne  mesure  : 
C'est  de  dancier  au  son  des  chalemiaulx. 

l'envoy 

25        Prince,  l'en  puet  en  tout  cause  trouver 
Des  ars  mondains,  excepté  du  dancer 
Aux  instrumens  des  hommes  bestiaulx,        240  b 
Qui  par  leur  son  font  les  gens  enchanter 
Et  hors  du  sens  maintefois  ressembler  : 

3o        C'est  de  dancier  au  son  des  chalemiaulx. 


1.  raison  sens. 

a.  Cornemuse.  —  b.  Avec  excès.  — ■  c.  Jambes.  —  d.  Soufflet.  — 
e.  Plaisirs. 


BALADES 


129 


DCCCCXXIV 


Balade  *. 


(Guerre  de  J.  d" Armagnac  contre  J.  G.  Visconti.) 

[i3gi] 

Il  a  grant  faim  d'estre  chetis, 
De  chcvaulx  et  corps  exillier  rt, 
De  gaster  argent  et  habis, 
De  sentir  plouvoir  et  negier, 
De  vivre  et  gésir  a  dangier  *,  5 

Qui  part  du  doulz  pais  de  France, 
A  grant  frait  et  a  grant  despence, 
Pour  veoir  Milan  et  Pavie. 
Quant  proufit  n'y  a,  ne  vaillance, 
Eustaces  dit  que  c'est  folie.  10 

Puis  Aiguebelle  au  mont  Cignis  c 
Fault  entre  roches  chevauchier, 
Quatre  ou  six  jours,  tresdur  pais, 
•  Et  en  povres  logeis  logier, 
Avoir  po  a  boire  et  mangier,  i5 

Et  paier  tout  a  l'ordonnance 
Des  paisans.  Outrecuidance 
Fait  homme  aler  en  Lombardie. 
Sanz  grant  besoing  qui  la  s'avance, 
Eustaces  dit  que  c'est  folie.  20 

*  Publiée  par  Tarbê,  tome  l,page  118. 

a.  Ruin«r,  dévaster.  —  b.  A  peine.  —  c.  Le  mont  Cenis. 
T.  V 


l3o  BALADES 

N'est  pas  bonne  vile  Paris, 

Reins  et  Rouen  pour  soy  aisier  a, 

Amiens  et  l,  Arras  et  Senlis 

Ou  li  vivre  ne  sont  pas  chier? 
25  La  ne  fault  marron  6,  n'estrangier, 

Ne  sur  la  nege  avoir  doubtance, 

N'a  la  Ferriere  desplaisance 

Ou  l'en  pert  par  cheoir  la  vie  240  c 

Souventefoiz.  Qui  suist  tel  dance, 
3o  Eustaces  dit  que  c'est  folie. 

l'envoy 

Princes,  desor  vueil  tenir  chier 
Senlis,  ou  il  fait  beau  chacier, 
Crael  c,  Biauvoisin  d  et  Picardie  ; 
Ainçois  me  lairoie  escorchier 
35  Qu'en  Lombardie  alasse  arrier  e  : 

Eustaces  dit  que  c'est  folie. 


DCGGCXXV 

Balade. 

[Deschamps  demande  conseil  à  maître  Mathieu 
et  à  maître  Regnault.) 

Maistre  Mahieu,et  vous,  maistre  Regnault, 
Conseilliez  moy  contre  Aoust  et  Juillet, 

i,  et  manque. 

a.  Pour  être  à  son  aise.  —  b.  Voiturier.  —  c.  Creil.  —  d.  Beau- 
voisis.  —  e.  Encore  une  fois. 


BALADES  1 3 I 

Car  par  dehors  me  fait  ardoir  de  chaut 

Et  par  dedenz  li  feux  par  tout  se  met  ; 

Si  je  ne  boy,  il  est  de  mon  corps  fet,  5 

Car  j'arderay  et  dehors  et  dedens, 

Ne  je  n'ay  cuer,  foye,  liefres  a  ne  dens. 

—  N'aiez  paour,  certes  ce  fait  lô  temps  : 
Remède  nul  n'y  a  que  boire  fort. 

—  A  quel  vaissel  ? —  Un  demi  lot  vous  fault,      10 
Voirre  parfont  b  ou  un  grant  gobelet. 

—  Maistre,  et  quel  vin? — Au  froit  faictes  l'assault, 
Qui  soit  raiant  c,  gracieus,  vert,  claret, 

Frique  d,  friant,  odorant,  vermillet, 

Non  pas  trop  fort,  et  soiez  diligens  1 5 

Du  bien  tremper,  si  facent  toutes  gens; 

Mouilliez  toujours  vo  bouche  a  grant  effort. 

Par  le  conseil  de  tous  phisiciens, 

Remède  nul  n'y  a  que  boire  fort. 

240  d  —  Et  du  mangier  ?  —  Laitue,  aigre  vin  vault,    20 
O  le  pourpié,  qu1om  tiengne  son  corps  net, 
Et  qu'om  fuie  le  con  traire  en  bersault  e, 
L/ombre  tenir  et  disner  matinet  ; 
Porée/au  vert  et  le  jeune  poulet, 
Vergus  de  grain  et  d'orenge,  c'est  sens,  2  5 

Et  qu'om  ne  jeue  a  nulz  gieuz  eschaufans,  - 
Ne  au  souleil,  car  c'est  péril  de  mort  ; 
Qu'om  soit  joieux,  et  pour  telz  chaux  ardans, 
Remède  nul  n'y  a  que  boire  fort. 


l'envoy 


Prince,  mon  corps  par  boire  se  refet  3o 


a.  Lèvres.   —    b.  Verre  profond.   —   c.  Rayonnant,  brillant. 
d.  Frais.  —  e.  But.  — /.  Poireaux  cuits. 


I 32  BALADES 

Dès  le  matin  et  jusques  au  cliquet  a 
De  la  mie  nuit  me  fait  vins  reconfort; 
Quant  je  le  sens  si  froit,  si  radelet  &, 
J'apperçoy  lors  qu'en  la  chalour  qui  fet 
35        Remède  nul  n'y  a  que  boire  fort. 


DCCCCXXVI 

Autre  Balade  *. 
[Récit  d'une  aventure  amoureuse.) 

J'amay  jadis  de  trop  parfaitte  amour 
Pour  chevauchier  Jehanne  no  chamberiere, 
Mais  en  son  lieu  se  mussa  en  destour 
Ma  femme,  et  lors  je  m'en  cours  par  derrière  : 

5  Jus  la  gettay,  j'entray  en  sa  rouyere 

Et  commençay  forment  a  tabourer; 
Mais  la  pusse  .xiiii.  ans  demourer, 
Car  riens  n'y  fis;  lors  me  sceut  bien  reprandre, 
Disans  :  «  Ribaus,  cuidoies  tu  trouver 

io       Jehanne?  —  Nenil. —  Le  vit  ne  te  veult  tendre. 

«  Dieu  !  la  meschant,  qu'elle  eust  eu  povre  jour! 
Plus  n7a  en  toy  ne  pouoir  ne  matière  ; 
Avoir  ne  doiz  desor  c'un  viez  tabour, 
Tresort  ribault,  qui  es  près  de  ta  bière.        241  a 
i5        J'apperçoy  bien  ta  ribaude  manière, 

*  Le  refrain  de  cette  ballade  ne  se  trouve  pas  à  la  table. 

a.  Jusqu'à  la  cloche  de  minuit.  —  b.  Vif,  ardent,  vigoureux. 


BALADES  1 33 

Tu  ne  puez  plus  ton  ordure  l  celer  : 

Dieu  !  quel  varlet  pour  dames  labourer, 

Qui  n'a  en  lui  de  moisteur  ne  que  a  cendre  ! 

N'aiez  plus  soing  de  baisier  Racoler 

Jehanne. —  Nenîl.—  Le  vit  ne  te  veult  tendre. »20 

De  sa  hanche  me  bailia  lors  un  tour, 
En  escouant  b  tant  que  je  chus  arrière  ; 
Honteus  lui  dis  pour  garder  mon  honour  2  : 
«  Cilz  vous  congnut,  quant  il  fist  mate  chiere. 
Las!  c'est  mon  vit  qui  congnoist  vo  louviere  c,  25 
Ou  vous  l'avez  fait  mainte  foiz  plourer; 
Il  vous  craint  tant  qu'il  ne  s'ose  lever; 
Pardonnez  moy,  ne  vous  congnu  au  prandre.  » 
—  «  Tais  toy,  ribault,  cuides  tu  recouvrer 
Jehanne  ? —  Nenil. —  Le  vit  ne  te  veult  tendre.  »  3o 

l'envoy 

Prince,  on  doit  bien  un  tel  vit  honourer, 

Qui  tost  congnoist  ce  qui  le  puet  grever 

Et  qui  ne  veult  a  son  dommaige  entendre. 

Amer  le  doy;  voist  ma  femme  jangler, 

Qui  tousjours  dit  :  «  Veuls  tu  despuceler  35 

Jehanne  ?  —  Nenil.—  Le  vit  ne  te  veult  tendre.  » 


l,  tordure.  —  2.  honeur. 

a.  Non  plus  que.  —  b.  En  secouant.  —  c.  Trou. 


1 34  BALADES 


U 


DCCCCXXVII 

Autre  Balade  *. 
(Sur  l'ordre  de  la  Baboue.) 

n  ordre  sçay  de  nouvel  establie, 
Dont  maintes  gens  se  doivent  fort  loer, 
Et  ou  l'en  doit  boire  jusqu'à  la  lie 
Tant  qu'es  henaps  ne  doit  riens  demourer. 

5  Et  si  doit  on  toudis  du  pot  verser 

Vin  es  vaisseaulx,  l'un  l'autre  requérir  : 
Les  requerans  y  doivent  obéir,  241  b 

Sanz  refuser  tout  boire,  et  sanz  escroe  a  : 
Ainsi  se  doit  cest  ordre  maintenir 

10        Qui  s'appelle  Tordre  de  la  baboe  b. 

Siffrevast  est  abbez  de  l'abbaie  ; 
De  son  convent  vueil  les  moines  nommer  : 
Rocherousse,  le  Flament  ne  s'oublie, 
Robert  Tesson  et  Enfernet  le  ber  c, 

i5        De  Poquieres  le  borgne  bachelier; 

Pierre  vous  vueil  de  la  Tremoille  offrir, 
Les  Bouciquaux  qui  ce  puelent  d  souffrir, 
Harmanville,  Régnier  Pot,  que  je  loe, 
Car  bien  se  font  en  l'église  servir 

20        Qui  s'appelle  l'ordre  de  la  baboe. 

De  Jehan  Augier  convient  que  je  vous  die, 

'  Publiée  par  Tarbé,  tome  l,  page  i58. 

a.  Brevet.  —  b.  Grimace.  —  C,  Le  brave.  —  d.  Peuvent. 


BALADES  1 35 

De  Saint  Germain,  Montagu  au  vis  cler, 

Et  d'Uguenin  a  la  chiere  hardie, 

De  Chevenon  qui  bien  se  scet  huver. 

Messire  Arnoul  y  scet  boire  et  humer;  25 

Sempy  et  Sync  s'i  scevent  contenir  : 

Et  d'Angenes  font  la  Regnaut  venir  ; 

Le  Barrois  fait  a  Thoiigny  la  moe  : 

En  la  maison  se  scevent  bien  chevir 

Qui  s^ppelle  Tordre  de  la  baboe.  3o 

De  ceste  ordre  qui  vient  de  Normandie 

Ne  doy  Pierre  de  la  Haie  oublier, 

Ne  Guillaume  de  TAigle,  a  ceste  fie, 

Jehan  y  doit  d'Estouteville  aler, 

Robinet  doy  de  Boulongne  appeler  ;  35 

Car  puissans  est  pour  l'ordre  soustenir 

Ou  l'en  ne  doit  nul  homme  retenir, 

Se  tant  ne  boit  que  son  cuer  en  vin  noe  a  : 

Lors  en  l'ostel  puet  moines  devenir 

Qui  s'appelle  l'ordre  de  la  baboe.  40 

Car,  par  ma  foy,  c'est  noble  compaignie 
241  c  Ou  l'en  oit  bien  tabourer  et  hurter. 

On  y  sert  Dieu  du  main  jusqu'à  complie  ; 

Nulz  malades  n'y  puent  demourer. 

L'un  a  l'autre  fait  le  vin  présenter  45 

Tant  q^a  boire  font  touz  les  poz  tarir. 

Qui  malade  est,  la  se  face  garir. 

Car  maint  y  ont  gros  nés  et  grosse  joe, 

Qui  ne  scevent  de  Tostel  départir 

Qui  s'appelle  l'ordre  de  la  baboe.  5o 


a.  Nage. 


1 36 


BALADES 


L  ENVOY 


Princes,  qui  veult  rire  et  soy  esjoir, 
De  biaus  parlers  et  de  bons  moz  oir 
Et  de  chascun  la  manière  et  la  roe  a, 
Voise  veoir  *  ces  gens  au  départir 
55        De  la  maison,  ou  maint  sont  vray  martir, 
Qui  s'appelle  l'ordre  de  la  baboe. 


DGGCCXXVIII 

Balade. 
(Sur  sa  mauvaise  chance  et  sa  pauvreté.) 


s 


^  e  tous  li  cielz  estoit  de  fueilles  d'or, 
Et  li  airs  fust  estellez  d'argent  fin, 
Et  tous  les  vens  fussent  plains  de  trésor, 
Et  les  goûtes  fussent  toutes  flourin 

5  D'eaue  de  mer,  et  pleust  soir  et  matin 

Richesces,  biens,  honeurs,  joyauls,  argent, 
Tant  que  remplie  en  feust  1  toute  la  gent, 
La  terre  aussi  en  fust  moilliée  toute, 
Et  fusse  nuz,  de  tel  pluie  et  tel  vent 

io        Ja  sur  mon  corps  n'en  cherroit  une  goûte. 

Et  qui  pis  est,  vous  puis  bien  dire  encor 

i .  remplissent  en  feu. 

a.  Roue.  —  b.  Qu'il  aille  voir. 


BALADES  ] 37 

Que  qui  donrroit  trestout  l'avoir  du  Rin, 
Et  fusse  la,  vaillant  un  harenc  sor 
N'en  venrroit  pas  vers  moy  vif  '  un  frelin  a  ; 
Onques  ne  fuy  de  nul  donneur  afin  b  ;  i5 

241  d  Biens  me  default,  tout  mal  me  vientsouvent  ; 
Se  j'ay  mestier  de  rien,  on  le  me  vent 
Plus  qu'il  ne  vault,  de  ce  ne  faictes  doubte. 
Se  beneurté  c  plouvoit  du  firmament 
Ja  sur  mon  corps  n'en  cherroit  une  goûte.  20 

Et  se  je  pers,  ja  n'en  aray  restor  d; 
Quant  rien  requier,  on  chante  de  Basin  ; 
Se  je  faiz  bien,  néant  plus  que  d'un  tor 
N'est  congneu;  tousjours  sui  je  Martin, 
Qui  cote  avoit,  chaperon  et  roucin,  25 

•  Pain  et  paine,  congnoissance  ensement, 
Son  temps  usa,  mais  trop  dolentement, 
Car  plus  povre  2  n'ot  de  lui  en  sa  route  e. 
Je  sui  cellui  que  s'il  plouvoit  pyment/ 
Ja  sur  mon  corps  n'en  cherroit  une  goûte.         3o 

l'envoy 

Princes,  .11.  poins  font  ou  riche  ou  meschant  s  : 
Eur  et  meseur  A,  l'un  aime  et  l'autre  doubte; 
Car  s'il  pouoit  3  plouvoir  mondainement, 
Ja  sur  mon  corps  n'en  cherroit  une  goûte. 

j.  vailant.  —  2.  paine.  —  3.  pouoit  manque. 

a.  Petite  monnaie.  —  b.  Allie'.  —  c.  Bonheur.  —  d.  Dédomma- 
gement, réparation.  —  e.  Bande.  — /.  Vin  épicé.  —  g.  Misérable, 
pauvre.  —  h.  Heur  et  malheur. 


i38 


BALADES 


DCCGCXXIX 

Autre  Balade  \ 
{Contre  le  mariage.) 

Al'uis  !  —  Qui  est  ?  —  Amis.  —  Que  veuls  ? 
—  Conseil.  —  De  quoy?  —  De  mariaige. 
Marier  vueil.  —  Pourquoy  te  deuls? 

—  Pour  ce  que  n'ay  femme  en  mesnaige 
b              Qui  gouvernast  et  qui  fust  saige. 

Bonne,  belle  et  humble  tenue, 
Riche,  jeune  et  de  hault  paraige. 

—  Tu  es  fouis,  pran  une  massue. 

Advise  se  souffrir  t^en  pues  : 
10  Femme  est  de  merveilleux  couraige, 

Quant  tu  vouldras  avoir  des  eufs,  242  a 

Tu  auras  porrée  ou  frommaige; 

Tu  es  frans,  tu  prandras  servaige  ; 

Homs  qui  se  marie  se  tue  : 
i5  Advise  bien.  —  Si  le  feray  je. 

—  Tu  es  foulx,  pran  une  massue. 

Femme  n'aras  pas  a  ton  eulx  a, 
Mais  diverse  •  et  de  dur  langaige; 
Adonc  te  croistera  tes  deuls  c, 
20  Souffrir  ne  pourras  son  oultraige. 

*  Publiée  par  Crapelet,  page  gÔ. 

a.  Besoin.  —  b.  Capricieuse.  —  c.  Ton  deuil,  regret. 


BALADES  1 3g 

Va  vivre  avant  en  un  boscaige 
Que  marier,  com  beste  mue. 

—  Non,  avoir  vueil  le  doulz  ymaige. 

—  Tu  es  foui,  pran  une  massue. 

l'envoy 

—  Filz,  tu  feras  foleur  et  raige  25 
De  marier;  aime  en  vo  rue 
Franchement.  —  D'avoir  femme  enrraige. 

—  Tu  es  foui,  pran  une  massue. 


DCGGGXXX 

RONDEL    ÉQUIVOQUE 

{Jeu  d'esprit.) 

Il  convient  le  fol  foloier  a 
Et  puis  compère  b  il  sa  folie, 
Quant  on  le  fait  com  fo  loier  c 
11  convient  le  fol  foloier. 

Mauvais  fait  donc  affoloier 
Quant  pour  foleur  raison  fo  lie. 
Il  convient  le  fol  foloier 
Et  puis  compère  il  sa  folie. 

a.  Faire  folie.  —  b.  Paie.  —  c.  Comme  fol  lier. 


14°  BALADES 


DCCCGXXXI 

AUTRE   RONDEAU    ÉQUIVOQUE 

(Contre  le  mariage.) 

GRANTfoleur  fait  qui  se  marie, 
Et  fist  qui  premiers  maria  \ 
Mariez  ont  chiere  marrie  : 
Grant  foieur  fait  qui  se  marie. 

Je  croy  par  la  vierge  Marie 
Foie  est  femme  qui  mari  a  : 
Grant  foieur  fait  qui  se  marie 
Et  fist  qui  premiers  maria  l. 


v 


DCCCGXXXI  I 

Balade*. 
[Campagne  d'Ecosse.) 

ous  qui  estes  parez  comme  espousée, 
Qui  des  grans  faiz  si  bien  parler  sçavez, 


'  Cette  ballade,  publiée  par  Tarbé,  tome  l*,page  j5t  déjà  transcrite  au 
folio  i5,  a  été  publiée  dans  le  tome  I<r,  page  i56,  sous  le  numéro  LA'//. 
Elle  se  trouve  transcrite  une  troisième  fois  au  folio  307  b  du  manuscrit. 


I.  se  maria. 


BALADES  141 

Et  qui  sur  touz  avez  la  renommée 

D'estre  jolis,  qui  dancez  et  chantez, 

Et  qui  les  faiz  des  grans  choses  pensez,  5 

Quant  en  France  est  chascun,  en  son  pais, 

Vez  ci  Honeur,  se  querre  la  voulez  : 

Vous  testes  pas  sur  Grant  Pont  a  Paris. 

Veoir  pouez  du  roy  Charle  l'armée 

Monter  en  mer  ;  sur  ce  vous  advisez  ;  1  o 

Servez  le  bien  de  cuer  et  de  pensée, 

Faictes  vers  li  ainsis  que  vous  devez  ; 

Aiez  bon  cuer  quant  vous  arriverez, 

Et  que  chascuns  soit  vaillans  et  hardis, 

Si  qu'en  la  fin  nul  ne  soit  diffamez  :  i5 

Vous  n'estes  pas  sur  Grant  Pont  a  Paris. 

Vous  vous  boutez  en  l'englesche  contrée 
Pour  conquérir  ce  que  perdu  avez, 
—  Qu'est  ce?  —  Renom,  dont  vo  terre  honourée 
Fut  par  long  temps;  donques  la  recouvrez,        20 
Et  s'en  bataille  ou  assault  vous  trouvez, 
Monstrez  voz  cuers  plus  grans  que  voz  habis; 
Ou  autrement  seriez  deshonourez  : 
Vous  n'estes  pas  sur  Grant  Pont  a  Paris. 

242  c  l'envoy 

Princes,  tous  ceuls  qui  sont  les  mieulx  parez     25 
Quant  a  Toneur  soient  les  premiers  mis  ; 
Avisez  bien  que  fort  vous  combatez  : 
Vous  n'estes  pas  sur  Grant  Pont  a  Paris. 


Folio  3oy.  —  4.  Qui  chante^  et  dance\. 


*42  BALADES 


DCCCCXXXIII 

Balade  *. 
(Décadence  du  temps  présent .) 

Les  chevaliers  du  bon  temps  ancien 
Et  leurs  enfans  aloient  a  la  messe; 
En  doubtant  Dieu  chascun  vivoit  du  sien, 
L'en  congnoissoit  leur  bien  et  leur  prouesse, 
5  Et  li  peuples  labouroit  en  simplesse; 

Chascuns  estoit  content  de  son  office, 
Religion  fut  de  tous  biens  l'adresse  a  : 
Mais  au  jour  d'ui  ne  voy  régner  que  vice. 

Li  jeune  enfant  deviennent  rufien, 
10        Joueurs  de  dez,  gourmans  et  plains  d'ivresse, 
Hautains  de  cuer,  et  ne  leur  chaut  en  rien 
D'onneur,  de  bien,  de  nulle  gentillesse, 
Fors  de  mentir,  d'orgueil  et  de  paresse, 
Et  que  chascun  son  vouloir  acomplisse. 
1 5         Le  temps  passé  fut  vertu  et  haultesse, 

Mais  au  jour  d'ui  ne  voy  régner  que  vice. 

A  ceuls  qui  font  ainsis  viennent  li  ■  bien 
Temporelment.  Chevalerie  cesse, 
Car  les  vertus  sont  de  foible  merrien  b 

'  Cette  ballade,  publiée  par  Crapelet,  page  g?,  est  transcrite  encore  une 
fois  au  folio  3oyc. 

i.  li  manque. 

a.  La  direction.  —  b.  Etoffe,  proprement  bois. 


BALADES  14^ 

Le  labour  fault,  religion  se  blesse,  20 

Et  vaillance  veult  estre  larron nesse; 
Ainsi  convient  que  tout  honour  périsse, 
Le  monde  aussi,  se  Dieux  tout  ne  radresse  : 
Mais  au  jour  d'ui  ne  voy  régner  que  vice. 

i/envoy 

242  d  Prince,  un  temps  fut  qu'oneur,  sens  et  noblesse  25 
Avoient  tuit  estât  et  bénéfice, 
Vertus  regnoit  en  chascune  fortresse, 
Mais  au  jour  d?ui  ne  voy  régner  que  vice. 


DCCCCXXXIV 

Autre  Balade  *. 
[Conseils  donnés  par  une  dame  à  un  jeune  homme.) 

Dame,  bon  jour  vous  soit  donnez! 
—  Beau  filz,  bien  soies  tu  venuz  ! 
Que  quiers  tu  ? — Que  vous  m'enseigniez 
Comment  je  seray  soustenuz. 
—  Je  fenseigneray  trois  vertuz,  5 

Le  sens  naturel  et  l'acquis, 
Et  manière  est  au  pardessus  : 
Aies  sur  ces  poins  ton  advis  a. 

*  Cette  ballade  est  transcrite  textuellement   encore  une  fois  au  folio 
307  d. 

a.  Son  attention. 


144  BALADES 

Moult  est  bons  li  sens  naturelz 
10  Qui  vient  aux  hommes  de  ça  jus 

Naturelment,  puisqu'ilz  sont  nez, 
Qui  par  leur  sens  se  mettent  sus; 
Le  sens  acquis  profite  plus 
Quant  au  naturel  est  unis; 
i5  Manière  vault  mieulx,  si  conclus  : 

Aies  sur  ces  poins  ton  advis. 

Qui  a  ces  trois  yert  ordonnez  a, 
En  tous  biens  sera  maintenus, 
Temporelz,  espirituelz; 
20  Or  ne  soies  pas  malostrus; 

Quiers  les  donc;  n^en  soies  exclus, 
Le  monde  aras  et  paradis 
Se  tu  les  as  bien  retenus  : 
Aies  sur  ces  poins  ton  advis. 

l'envoy 

25  —  Raison,  dame,  vous  m'aprenez  ; 

Vostre  suis,  tant  com  seray  vis, 
Disciples.  —  Bien  seras  fondez  : 
Aies  sur  ces  poins  ton  advis. 


a.  Qui  à  ces  trois  points  se  tiendra. 


BALADES  145 


DCCGCXXXV 

Balade. 
[La  Règle  se  plaint  d'être  délaissée.) 

243  a     T  Te!  lasse,  povre  et  désolée, 

1  1  Qui  rfay  service  ne  maison, 

Et  jadis  fu  si  honourée 

De  maint  prince  et  de  maint  baron  ! 

Dont  leurs  enfans  héent  a  mon  non,  5 

Qui  ne  me  veulent  approuchier, 

Et  leurs  pères  m'orent  tant  chier, 

Que  je  servi  tresloyalment 

Sanz  desroy  b,  blasme  ou  reprouchier  : 

Et  comment  feray  je,  comment?  10 

—  Que  tu  feras,  povre  esgarée? 
Qui  es  tu?  —  Fille  de  Raison  : 
Mainte  chose  par  moy  réglée 
Fut  jadis;  Règle  nVappell'on  : 
Moult  fu  ■  amée  de  Caton  i5 
Et  des  .vu.  ars  pour  enseignier 
Science,  et  vivre  sanz  dangier 
Par  saige  et  seur  gouvernement, 
Mais  maint  me  veulent  estrangier  c  : 
Et  comment  feray  je,  comment?                      20 

—  Tu  lairas  celle  gent  desrée  d, 

1.  fut. 

a.  Haïssent.  —  b.  Ecart.  —  c.  Chasser.  —  d.  Désordonnée. 
T.  V  10 


I46  BALADES 

Soies  ferme  1  et  aies  cuer  bon, 

Car  avant  que  passe  Tannée 

Faulra  maint  homme  estre  maçon 
25  A  qui  je  feray,  vueille  ou  non, 

Toy,  Règle,  quérir  et  cerchier, 

Et  par  toy  son  fait  radrecier 

Ou  périr  maleureusement  ; 

Lors  te  pourras  de  lui  vengier. 
3o  —  Et  comment  feray  je,  comment? 

l'envoy 

—  Bien.  Neccessité  appellée 
Suy,  qui  faiz  gens  a  la  volée 
Tourner  vers  toy  soudainement  243  b 

Quant  leur  chevance  est  degastée  a. 
35  —  Voire,  mais  trop  m'ont  despitée  : 

Et  comment  feray  je,  comment? 

1.  fermes. 
a.  Ravagée. 


BALADES  1 47 

DCCGCXXXVI 

Balade. 
Comment  le  premier  aage  fut  ignorant,  mais  le  .vue.  a 

PRESENT   EST   MALICIEUX,   INIQUE,    LASCHE    ET   DECOURANT. 

L'âge  premier  fut  ignorant. 
Le  .viie.  est  malicieus. 
Inique,  lasche  et  decourant  *, 
Faintis  *,  desloial,  convoiteus, 
Car  il  ne  veult  congnoistre  ceuls  5 

Qui  ont  vertu,  qui  ont  science, 
Qui  ayment  Dieu  et  conscience, 
Mais  ne  quiert  que  gens  malostrus 
Ou  nulz  ne  doit  avoir  fiance  : 
Ly  mondes  en  sera  perdus.  10 

Car  telz  chetif  sont  acquérant  : 

Pour  doubte  d'estre  diseteus  *,  c 

A  l'or  du  peuple  vont  querant; 

Tant  treuvent  de  voies  entr'eulx 

Que  maint  pais  font  soufraiteus  1 5 

Pour  trouver  nouvelle  finance. 

Grant  estât  ont;  nul  d'eulx  ne  pence 

Qu'a  convoiter  de  plus  en  plus  : 

Mais  se  longues  d  dure  tel  dance, 

Ly  mondes  en  sera  perdus.  20 

On  se  moque  de  bonne  gent, 

1.  digiteus. 

a.  Déclinant.  —  b.  Faux.  —  c.  Indigent.  —  d.  Longtemps. 


I48  BALADES 

On  laisse  le  conseil  des  vieuls, 

Auctorité  ont  li  enfant, 

Dont  les  choses  vont  pis  que  mieulx. 
25  Helas!  et  que  n'y  pourvoit  Dieux 

Et  que  ne  monstre  il  sa  puissance? 

Si  fait  il,  car  tout  se  despence 

Folement,  et  par  ce  conclus  243  c 

Que,  s'il  n'y  met  autre  ordonnance, 
3o  Ly  mondes  en  sera  perdus. 

l'envoy 

Prince,  il  n'est  nulle  congnoissance 
Fors  de  mal  et  de  decepvance  a, 
Et  des  chetis  mettre  au  dessus  ; 
On  het  tout  homme  de  vaillance, 
35  D'onnour,  de  justice  et 1  prudence  : 

Ly  mondes  en  sera  perdus. 


DCCCCXXXVII 

Balade. 

Gomment  le  mendre  des  .vu.  ars  fondé  sur  pure 
convoitise  regne  au  jour  d'ui  de  toutes  pars. 

Le  mendre  de  tous  les  .vu.  ars  b, 
Fondé  sur  pure  convoitise, 
Règne  au  jour  d'ui  de  toutes  pars 

1.  de. 

a.  Tromperie.  —  b.  L'Arithmétique.  Voyez  la  ballade  suivante. 


BALADES  149 

Tant  es  grans  cours  comme  en  l'église, 

Car  ceuls  de  cel  art  ont  grant  mise  5 

D^argent,  pour  compter  et  getter  a  ; 

A  ceuls  voit  on  terre  achater, 

Faire  chasteaulx  et  édifices 

Et  dessus  tous  estas  régner  : 

Subgiez  tiennent  tous  les  offices.  10 

Ceuls  sont  pour  le  conseil  esgars  b, 

Ceuls  sont  cause  de  toute  prise, 

Ceuls  sont  au  bien  commun  couars, 

Ceuls  sont  le  recept  de  faintise  c, 

Ceuls  sont  l'ardent  feu  qui  atise  i5 

Les  lâches  cuers  a  rapiner, 

Or  et  argent  querre  et  miner 

Sur  le  peuple,  a  ce  sont  propices; 

Par  eulx  fault  maint  règne  finer  : 

Subgiez  tiennent  tous  les  offices.  20 

243  d      Hz  font  les  princes  estre  eschars  d 
Vers  ceuls  qui  ont  science  acquise, 
Aux  vaillans  hommes  qui  sont  ars  e, 
Prins  et  destruiz,  pour  leur  servise; 
Justice  n'ayme  nul  ou  prise  *,  25 

Mais  partout  la  veulent  fouler; 
Aux  chetis  font  les  dons  donner 
Et  leur  paient,  et  par  telz  vices 
Et  tel  art  qu'om  deust  rebourser  /", 
Subgiez  tiennent  touz  les  offices.  ,     3o 


1.  Nul  deulx  ou  prise. 

a.  Compter  avec  des  jetons.  —  b.  Mauvais  guides,  qui  égarent  (!) 
—  c.  L'asile  de  la  tromperie.  — •  d.  Avares.  —  e.  Brûle's.  — /.  Re- 
pousser, relèvera  contre-poil. 


1 50  BALADES 


l'envoy 

Prince,  vueillez  considérer 
Ce  qui  fait  les  règnes  durer, 
Justice,  sens,  peuples;  car  nices  a 
Est  qui  fait  ces  trois  déserter 
35  Par  telz  compteurs  trop  eslever  : 

Subgiez  tiennent  touz  les  offices. 


o 


DCGCCXXXVIII 

Autre  Balade 
d'arismetique 

1  gramaire,  logique,  rethorique, 
Astronomie  et  geometrien, 

Musique  aussi,  a  vous  .vi.  fait  la  nique 

Celle  qui  prant  l'autruy  avec  le  sien. 
5  Qui  est  elle?  Le  peuple  le  scet  bien: 

Arismetique  qui  toudis  compte  et  gette. 

Generaulx  a,  trésoriers  et  recepte; 

En  tous  pais  a  de  ses  gens  espars. 

Dont  grant  plaie  est  par  tout  le  monde  fette, 
io        Quant  régner  voy  le  mendre  des  .vu.  ars. 

Las!  et  qui  a  mis  sur  ceste  pratique 

i.  O  manque, 
a.  Sot. 


BALADES  1 5 I 

Et  fait  régner  celle  qui  ne  scet  rien, 
De  droit,  de  loy,  de  science  autentique, 
244  a  rje  SOy  garder,  qui  het  le  commun  bien, 

Qui  ses  gens  fait  de  vil  et  ort  merrien  a  i5 

Pour  gouverner  la  finance  qu'om  trette, 
Qui  het  le  voir  et  La  mençonge  atrette  *, 
Qui  du  commun  fait  lever  mille,  et  Mars 
Vivre  a  dangier?  Ce  m'ennuye  et  deshette  c, 
Quant  régner  voy  le  mendre  des  .vu.  ars.  20 

Qui  a  nul  bien  de  présent  ne  s'applique 

Fors  a  avoir  condicion  de  chien, 

Faire  maisons  de  nouvelle  fabrique, 

Thesaurier,  estre  praticien, 

Et  tout  muer  le  bon  temps  ancien  25 

En  meurs  mauvais,  par  la  froide  planette 

Ou  Antecrist  doit  régner,  et  sa  sette  <*, 

Large  aux  chetis,  aux  prodommes  eschars  e. 

Vérité  suis  :  Justice  est  imparfaitte 

Quant  régner  voy  le  mendre  des  .vu.  ars.         3o 

l'envoy 

Prince  *,  advisons  la  loy  en  Levitique, 

Gardons  la  foy,  la  vie  politique, 

Au  bien  commun  pensons  de  toutes  pars,  ' 

Ne  procédons  par  art  de  voie  oblique, 

Car  dervée  devien  /  et  frénétique,  35 

Quant  régner  voy  le  mendre  .vu.  ars. 

1.  Princes. 

a.  De   bas  et  sale   bois.  —  b.  Attire.  —  c.  Me   chagrine.  —  d. 
Secte.  —  e.  Avare.  —  /.  Je  perds  la  raison. 


1 52  BALADES 

DGCGGXXXIX 

Autre  Balade 

DE  LA  COMPLAINTE  DE  GRAMAIRE 


i5 


s 


i  vielle  suy  et  de  si  long  temps  née 
Que  nui  ne  veult  plus  ma  doctrine  entendre, 

Et  si  fu  je  l  la  première  ordonnée, 

Qui  les  .vu.  ars  fis  a  pluseurs  aprendre, 
5  Et  les  plus  grans  fis  mainte  foiz  du  mendre, 

A  rude  engin,  par  fort  continuer; 

Goûte  d'yaue  fait  la  pierre  caver  a,  244  b 

Si  fait  aussi  continuacion 

De  poursuir,  retenir,  demander  : 
10        Mais  des  .vi.  ars  voy  la  destruction. 

Gramaire  m'ont  mainte  gent  appelée, 
Qui  I'a.  b.  c.  faiz  aux  enfans  aprandre, 
Joindre,  assembler;  par  ce  règle  donnée 
Leur  est  a  tous  de  monter  et  descendre 


Aux  autres  ars,  de  sçavoir  carculer, 
Logique  oir,  de  saigement  parler, 
Souldre  et  mouvoir  en  toute  question, 
Grec  et  hebrieu,  et  le  latin  parler  : 
20        Mais  des  .vi.  ars  voy  la  destruction. 

A  moy  ne  vient  c'une  gent  aveuglée 

Qui  ne  veulent  qu'a  françois  lire,  entendre, 

i .  je  manque. 
a.  Creuser. 


BALADES  J  53 

Lors  aux  changes  vont  en  quelque  contrée; 

La  les  vient  on  par  certains  moiens  prandre, 

Puis  font  tantost  leurs  estaz  croistre  et  tendre    25 

Par  le  seul  us  a  de  getter  et  compter, 

Qui  les  .vi.  ars  veult  par  tout  surmonter 

Et  prant  sur  eulx  la  dominacion; 

Ou  temps  qui  est  bien  n'y  puis  espérer  : 

Mais  des  .vi.  ars  voy  la  destruction.  3o 

l'envoy 

Prince,  trop  est  celle  art  cy  eslevée  ; 

Aux  .vi.  autres  tout  bon  engin  se  vée  b  ; 

Si  que  desja  fault  Justice  et  Raison 

Pour  ce  qu'om  het  science  auttorisée  : 

Tuit  vont  getter  c  la  finance  amassée  :  35 

Mais  des  .vi.  ars  voy  la  destruction. 


DCCCCXL 


Autre  Balade. 
(Il  faut  faire  des  économies.) 

e  ne  voy  estât  qui  n'excède  l 
En  nombre,  en  gaiges,  et  en  drois; 
244  c      Tout  par  convoitise  procède  : 
Et  que  n'y  advisent  les  roys? 


j 


1.  ne  excède. 

a.  Usage,  coutume.  —  b.  Se  refuse.  —  c.  Compter,  calculer. 


l54  BALADES 

5  En  leurs  terres  .vi.  sont  pour  troys 

Officiers,  et *  qui  n'y  font  rien. 
Ramenons  le  temps  ancien, 
Car  trop  sont  excessif  li  gaige. 
Faisons  com  bon  phisicien, 

10  Restraingnons;  si  ferons  que  saige. 

Querons  a  ce  mal  brief  remède 
Ou  il  nous  sera  trop  destrois  «, 
Car  le  nom  de  richesce  cède 
Par  excès  les  biens  des  François 

1 5  A  povreté,  car  drois  ne  loys 

N'ont  effect,  ne  ceuls  qui  font  bien  ; 
L/en  fait  plant  de  chetif  merrien 
Et  prant  chascun  de  roy  Pusaige 
En  estât,  sanz  vivre  du  sien  : 

20  Restraingnons  ;  si  ferons  que  saige. 

Car  le  bien  commun  que  l'en  prede  b 
Pour  telz  estas,  souventefois 
Fait  que  nostre  sire  concède 
Pugnicion,  et  que  la  voix 

25  Des  povres  gens  destruis  et  frois 

Est  oye  ou  trône  2  moyen; 
Sommes  nous  juifs  ou  crestien  ? 
Souffise  nous  nostre  heritaige 
Sanz  prandre  convoiteus  lien  : 

3o  Restraingnons;  si  ferons  que  saige. 

En  mainte  omelie  dit  Bede 
Que  chascun  doit  oster  ses  dois 
Et  ses  oeulx  du  dolent  esclede  c, 
D'atouchier  l'or,  car  c'est  un  bois 

i.  et  manque.  —  2.  tronc. 

a.  Pénible.  —  b.  Pille,  —  c.  Mot  inconnu. 


BALADES  l 55 

Ou  les  diables  tendent  leurs  rois  a  35 

Pour  les  convoiteux,  qui  au  chien 
Sont  comparez,  d'orgueil  prochien, 
244  d     Prandre  et  ravir  a  leur  passaige  ; 
Donc,  se  ces  poins  advisons  bien, 
Restraingnons;  si  ferons  que  saige.  40 

Par  convoiter  se  perdit  Mede  b, 

Par  orgueil  finerent  Gregois  c, 

Par  trop  grans  estas  li  Tragede  <*, 

Par  pechié  de  char  Sodomois  *, 

Par  chetis  le  règne  aus  Traçois/,  45 

Par  haine  ly  Cyprien, 

Par  envie  Italien  ; 

Alons  donc  contre  no  dommaige, 

Et  tuit  ly  prince  terrien  : 

Restraingnons;  si  ferons  que  saige.  5o 

l'envoy 

Prince,  les  grans  gaiges  pour  mois, 

Et  ceuls  qui  ne  sont  pas  adrois 

Pour  gouverner,  don  par  oultraige 

Trop  d'officiers  ont 1  en  surcrois, 

Feront  tant  que  nous  n'arons  croix  s  :  55 

Restraingnons;  si  ferons  que  saige. 


1.  ont  manque. 

a.  Rets,  filets.  —  b.  La  Médie.  —  c.  Les  Grecs.  —  d.  Mot 
inconnu  —  e.  Les  habitants  de  Sodome.  —  /.  Des  Thraces.  —  g. 
Argent. 


l56  BALADES 


DGCCCXLI 

Balade 


COMMENT   ON   ESLIEVE  AU   JOUR    D  UI    MALE   HERBE    EN    HAULT 
ET   LAISS'ON   LA   BONNE. 


J 


e  voy  planter  ce  qui  ne  vault, 
Dont  le  fruit  ne  puet  estre  bon, 

Et  eslever  maie  herbe  en  hault; 

Je  voy  caupetrape  a  et  chardon 
5  Qui  de  leur  semence  font  don, 

Dont  la  terre  est  toute  peuplée; 

Destruicte  en  est  la  bonne  blée, 

Dont  le  temps  nous  sera  trop  chier; 

Soit  donc  tel *  semence  estrepée  b  : 
10  Faisons  le  bon  plant  aluchier c. 

Du  plant  mauvais  vient  le  default, 

Tout  destruit  :  pour  quoy  ne  l'ost'on  ?     24a  a 

Avoir  trop  grant  famine  en  fault, 

C'est  grant  négligence,  c'est  mon; 
i5  A  cellui  vault  pou  le  sermon 

Qui  la  parole  a  escoutée, 

Se  sa  vie  n'est  amendée  ; 

Lors  doit  ses  vices  retranchier. 

Estrepons  maie  herbe  dampnée  : 
20  Faisons  le  bon  plant  aluchier. 

1.  tele. 

a.  Chaussetrappes,  ronces.  —  b.  Extirpée,  arrachée.  —  e.  Culti- 
ver, entretenir. 


BALADES  1 57 

Car  le  plant  mauvais  tout  assault 

Qui  court  sanz  resne  et  ha  bandon 

Es  estas,  dont  trop  petit  chault 

Aux  laboureurs  ;  or  regardon 

Qu'il  en  advient;  ceuls  perdent  nom  25 

Qui  tel  semence  ont  ahannée  a, 

La  terre  en  est  deshonourée, 

Le  monde  en  vit  a  grant  dangier. 

Soit  ceste  chose  reparée  : 

Faisons  le  bon  plant  aluchier.  3o 


i/envoy 


Prince,  soit  bonne  herbe  plantée, 

La  mauvaise  desracinée  ; 

Mettez  partout  bon  jardinier. 

Lors  arons  terre  bonneurée  b 

Et  fruit  de  bonne  renommée  :  35 

Faisons  le  bon  plant  aluchier. 


DCGCGXLII 

Autre  Balade 

DE   LA   GRANT    COMPLAINTE   DE   BABILOINE. 

Tresdolente  et  desconfortée, 
Dolereuse  et  plaine  d'annuy, 
De  toute  misère  plantée, 

a.  Labourée.  —  b.  Heureuse. 


1 58  BALADES 

Plus  chetive  onques  ne  congnuy; 
5  Qu'amée  ne  suis  de  nullui, 

Mais  haye  en  ciel  et  en  terre 
Pour  mes  péchiez,  si  com  je  lui  a  : 
Car  tout  le  monde  me  fait  guerre. 

Trop  fu  en  orgueil  eslevée, 
io  Par  convoitise  me  deçuy  b, 

Haultaine  ay  trop  esté  nommée; 
Oncques  loial  conseil  ne  cruy  c, 
Et  pour  ce  nul  ami  ne  truy  d, 
Pour  mes  maulx  n'ose  Dieu  requerre; 
1 5  Las  !  ou  prandray  je  mon  refuy  e  ? 

Car  tout  le  monde  me  fait  guerre. 

Babiloine  suy,  désolée, 
Comme  déserte  ;  encor  sont  duy, 
Vaine  gloire,  la  char  foulée, 
20  Qui  m'ont  enclose  en  leur  estuy. 

Non  congnoistre  ce  que  je  duy 
M'ont  fait,  toute  haine  acquerre, 
Tant  que  j'ay  le  mal  gré  d'autruy, 
Car  tout  le  monde  me  fait  guerre. 

l'envoy 

25  Dieux,  donnez  moy  cuer  et  pensée 

D'amender  mon  cuer  qui  trop  erre, 
Ou  briefment  seray  transmuée; 
Car  tout  le  monde  me  fait  guerre. 


a.  Je  lus.  —  b.  Trompai.  —  c.  Ne  crus.  —  d.  Ne  trouve.  —  e. 
Mon  refuge. 


BALADES 


iSg 


DCCCCXLIII 

Autre  Balade 

SUR  TOUS  MAULX  QUI  REGNENT  EN  CHASCUNE  COURT. 

Quelz  nouvelles,  gentils  compains? 
Que  vous  semble  il  du  temps  qui  court? 
Ne  mentez  pas.  —  Soiez  certains 
Que  je  le  vous  diray  au  court. 
Tout  mal  voy  en  chascune  court,  5 

Envie,  couvoitise,  ordure, 
245  c      Traison,  orgueil  et  luxure  ; 

Preudommes  hors,  régner  félons  ; 
On  n'y  fait  raison  ne  droiture. 

—  Tais  toy;  les  dens  devant  sont  bons  a.        10 

—  Au  jour  d'uy  sont  parlers  villains, 
Gouliart  *,  deshonneste,  lourt; 

L'en  regnie  Dieu  et  ses  sains, 

On  parle  a  eulx  hault,  qu'ilz  sont  sourt; 

Gieu  de  dez  et  de  diable  sourt,  ï  5 

Des  quelz  naist  débat  et  injure  ; 

L'en  maugrée  Dieu  et  parjure 

Mille  l  fois  entre  les  barons 

Pour  néant  :  n'est  ce  grant  laidure  ? 

—  Tais  toy;  les  dens  devant  sont  bons.  20 


—  Les  religieux  sont  mondains, 
a.  Il  fait  bon  ne  pas  desserrer  les  dents.  -  b.  Débauchés. 


1.  Mil. 


1 60  BALADES 

Pour  argent  bénéfice  a  court, 
Publique  est  le  lieu  des  nonnains, 
Vérité  es  grans  clers  decourt, 

25  Trop  scevent  les  juges  de  hourt  «, 

Nobles  sont  contre  l'escripture, 
Marchant,  et  toute  créature 
Pèche  en  son  art;  Dieu  ne  doubtons  : 
Ne  sçay  pour  quoy  tant  nous  endure. 

3o  —  Tais  toy  ;  les  dens  devant  sont  bons. 

l'envoy 

—  Sire,  j'ay  dit  vérité  pure, 

Mais  puet  estre  qu'om  n'en  a  cure; 
Au  jour  d'uy  li  temps  est  félons, 
Car  par  mentir  chascun  procure 
35  Or  et  argent,  c'est  chose  dure. 

—  Tais  toy;  les  dens  devant  sont  bons. 


DCGCCXLIV 

Autre  Balade  \ 
(Le  bien  d' autrui  ne  profite  pas.) 

Ainsi  comme  gent  de  folaige  2 45  d 

Vont  sanz  raison  a  la  meslée, 
M'en  alay  en  un  pasturaige 

Publiée  par  Tarbé,  tome  I,  page  97. 
a.  Les  juges  savent  trop  de  ruses. 


BALADES  1 6 1 

Ou  grant  proye  avoit  assemblée, 

Gens  se  combatent  a  l'espée;  5 

Chascun  dit  ;  «  Ce  bestail  est  mien.  » 

Poy  a  la  un  coup  a  la  donnée; 

Char  a  espée  ne  vault  rien. 

Lors  me  retrays  en  tapinaige 

Par  derrier  a  tout  ma  colée;  10 

Mais  en  passant  près  d'un  villaige 

Vy  une  femme  moult  effrée  b 

C'un  compains  tenoit  acolée, 

Gens  qui  l'escrient,  et  sçay  bien 

Qu'il  ot  la  teste  escervelée  c  :  1 5 

Char  a  espée  ne  vault  rien. 

Mauvais  fait  aler  en  fourraige, 

Prandre  char  qui  ne  soit  paiée, 

Ne  femme  amer  de  hault  paraige 

Dont  on  ait  la  teste  plaiée  d\  20 

Mieulx  vault  povre  femme  essaiée 

A  qui  l  l'en  dit  :  «  va  et  revien,  » 

Sanz  péril,  que  femme  a  armée  : 

Char  a  espée  ne  vault  rien. 

l'envoy 

Prince,  pou  vault  chose  happée,  25 

Tousjours  fait  bon  vivre  du  sien; 
Droit  vaint  force  desordonnée, 
Char  a  espée  ne  vault  rien. 

1.  De  qui. 

a.  J'eus.  —  b.  Troublée.  —  c.  Il  eut  la  tête  fendue.  —  d.  Blessée. 


T.  v 


1 1 


j52  balades 

DCCGGXLV 

Rondeau  K 
(Même  sujet.) 


N 


e  prenez  pas  char  a  espée, 
Trop  chiere  est  et  si  ne  vault  rien; 
Prenez  char  dont  l'en  fine  bien 
Sanz  péril,  de  povre  lieu  née, 
Qui  a  on  puist  dire  :  «  va  et  vien  »  :  240  a 

Ne  prenez  pas  char  a  espée. 


Car  on  en  a  souvent  meslée. 
Que  2  om  en  pert  soy  et  le  sien  ; 
Et  quant  tout  est  d'un  cuirien  \ 
I0  Ne  prenez  pas  char  a  espée. 


COMMENT 


DCGGGXLVI 

Balade. 

ENVIES,    HAINES   ET  CONVOITISES  DESORDONNÉES 
REGNENT  AU  JOUR  D'il!  PARTOUT. 


E 


nvies,  machinacions, 
Convoitises  desordonnées, 


1.  Balade.— 2.  Quom. 
a.  A  qui.  —  b.  Cuir. 


BALADES  l63 

Haines,  machinacions  a, 

Sont  pieça  pour  noz  péchiez  nées, 

Faulte  de  bien,  dures  années,  5 

Mors  soudaines,  guerres  partout, 

Pluies,  noifs  *,  tempestes,  gelées, 

Mais  encor  ■  n'est  ce  pas  le  bout. 

Car  les  nobles  condicions 

Et  les  vertus  sont  adirées  c  10 

En  l'Eglise,  es  religions, 

Es  roys,  es  princes  des  contrées; 

En  toutes  gens  les  lois  blecées 

Si  fort  que  li  juge  sont  rout  d 

Et  seignouries  déclinées  :  i5 

Mais  encor  '  n7est  ce  pas  le  bout. 

Le  temps  des  renovacions 

Qui  ont  esté  prenostiquées, 

Pour  les  péchiez  que  nous  faisons 

Nous  sont  a  présent  demonstrées  20 

Par  les  loys  qui  sont  divisées. 

L'an  mil  .cccc.  je  me  doubt 

D'estre  monarchies  muées  : 

Mais  encor  1  n'est  ce  pas  le  bout, 

l'envoy 

246  b      Princes,  faittes  vos  oroisons,  2  5 

A  Dieu  tuit  nous  humilions; 
Péchiez  trop  en  nostre  hostel  crout  e. 
Gilz  fait  avoir  pugnicions 


1.  encores. 

a.  Faute  de  copiste;  il  faudrait  un  autre  mot.  —  b.  Neiges.  —  c. 
Perdues.  —  d.  Rompus,  cassés.  —  e.  Croupit. 


I 64  BALADES 

Aux  pécheurs,  ce  doubter  devons 
3o  Mais  encor  *  n'est  ce  pas  le  bout. 


DCCGGXLVII 

Autre  Balade 

DE   LA   COMPLAINTE   QUE   UN    AMANT  FAIT   A    SA   DAME 
AMOUREUSEMENT 

M   1\ /l  on  tresdoulz  cuer,  m'amour  tresdesirée, 
A   1VA  A  qui  je  doing  cuer,  corps,  et  quanque  j'ay, 
R  Riche  d'oneur,  de  beau  maintien  parée, 
I   Jamais  autre  dame  fors  vous  n'aray. 
5     O  Or  regardez  comment  durer  pourray, 
N  Ne  que  fera  mon  cuer  qui  sent  tel  paine; 
S  Se  pitié  n'est  et  vostre  humble  cuer  gay, 
Languir  me  fault,  ma  dame  souveraine, 

E  En  qui  je  voy  toute  beauté  louée, 

10  U  Vertus  de  meurs,  douce  rose  de  May, 

S  Saige  en  parler,  en  manière  atrempée  a, 

T  Toute  bonne,  pour  voz  grans  biens  m'esmay  b, 

A  A  tousjours  mais  vostre  servent  seray. 

G  C'est  bien  raison,  soiez  de  pitié  plaine 

i5  E  Envers  moy  donc,  ou  je  vous  jur  pour  vray  : 
Languir  me  fault,  ma  dame  souveraine. 


1.  encore. 

a.  Réservée,  —  b.  Je  me  trouble. 


BALADES  l65 

Mais  pour  sçavoir  s'il  ne  vous  desagrée, 

De  vo  servent  le  nom  escript  vous  ay, 

Le  vostre  avant,  pour  estre  acertenée  ; 

Et  s1il  vous  plaist,  bien  le  vous  monstreray  :       20 

Es  deux  couples  premiers  vous  aprandray 

Tous  ces  .11.  noms  pour  estre  plus  certaine 

De  vostre  amant,  mais  certes  s'octroy  n'ay, 

Languir  me  fault;  ma  dame  souveraine. 

l'envoy 

246"  c  Belle  et  bonne,  jeusne,  gente,  acesmée  a,  25 

Plaisant  a  tous,  face  a  droit  coulourée, 
Le  vray  miroer  de  la  beauté  humaine, 
Corps  long  et  droit,  sur  toutes  honourée, 
Se  pité  n'est  en  vo  cuer  pour  moy  née, 
Languir  me  fault,  ma  dame  souveraine.  3o 


DCCCCXLVIII 

Balade  * 

FAICTE  SUR   LA   DIVISION   ET   CISME   DE   L'EGLISE    QUI   EST 
AU   JOUR   DUI   MOULT  TROUBLÉE   PAR   LA   LUNE 


Mercure,  Mars,  Jupiter  et  Venus, 
Et  chascun  d'eulx,  ensemble  le  souleil, 
Ont  par  long  temps  régné,  et  Saturnus 

*  Publiée  par  Tarbê,  tome  I,  page  777.  Cette  ballade  se  retrouve  dans  le 
manuscrit  de  lord  Ashburnham. 

a.  Ajustée,  parée. 


1 66  BALADES 

Fait  et  créé  un  règne  non  pareil 
5  En  divers  lieux,  ce  *  dont  je  me  merveil, 

Selon  les  cas  de  leur  conjunction 

Et  les  signes,  tenir  la  région 

L'un  puis  l'autre,  chascun  en  sa  chascune  : 

Mais  de  ces  .vi.  voy  la  conclusion, 
io        Puis  que  je  voy  vouloir  régner  la  lune. 

La  septiesme  est  nommée  2  cy  dessus, 

Froide  et  trouble,  qui  fait  son  appareil 

De  tous  vices  et  péchiez  mettre  sus, 

Et  qui  ara  principalment  son  oeil 
i5        A  convoiter  pour  le  prince  d'orgueil, 

Le  séducteur,  filz  de  perdicion  ; 

Par  symonie  et  par  ambicion 

Fera  ça  jus  une  loy  si  commune 

Que  tout  cherra  en  desolacion, 
20        Puis  que  je  voy  vouloir  régner  la  lune. 

O!  quel  dolour  !  Marrastre  des  vertus, 

Et  nourrice  de  desloial  conseil, 

Par  toy  sera  ly  mondes  corrompus 

Et  les  mauvais  tirans  mis  en  escueil  a, 
25        Les  bons  foulez  et  la  loy.  Lasl  quel  dueil  ! 

Tu  sèmeras  toute  division.  246  d 

Se  les  signes  n'ont  opposition 

En  ton  regart,  toute  maie  fortune 

Vient  et  descent  pour  no  finicion, 
3o.       Puis  que  je  voy  vouloir  régner  la  lune. 

l'envoy 
Prince,  se  Dieu  n'y  met  provision 

1.  ce  manque.  —  2.  Le  septiesme  est  nomme. 
a.  En  force. 


BALADES  1 67 

Par  sa  pité  et  dévote  oroison 

Et  charité.,  par  ces  trois  ou  par  Tune, 

En  remouvant  tel 1  constellacion, 

Tout  périra  ;  c'est  mon  opinion,  35 

Puis  que  je  voy  vouloir  régner  la  lune. 


DCCCCXLIX 

Balade. 

COMMENT  VERITE,  CHARITE  ET  LOYAUTÉ,  FOY  ET  CREANCE 
FONT  AU  JOUR  D'UY  LE  CONTRAIRE  DE  LEURS  NOMS 

Se  Vérité  veult  estre  menteresse, 
Et  Loyaulté  veult  estre  desloial, 
Et  Charité  veult  estre  larronnesse, 
Et  Créance  se  veult  tourner  a  mal, 
Et  Foy  ne  veult  qu'il  soit  homme  loial,  5 

Et  glote  a  soit  devenue  Abstinence, 
Humilité  en  orgueil  et  bobance, 
Et  Pité  ait  le  cuer  plus  dur  que  roche, 
Tous  ces  signes  donnent  signifiance 
Que  pour  noz  maulx  la  fin  du  monde  approche.   1 0 

Se  Chasteté  fait  Luxure  maistresse, 

Se  Povreté  veult  aler  a  cheval, 

Se  Pacience  homicide  qui  blesse 

Veult  par  pouoir  tout  getter  contreval  b, 

Se  Largesce  qui  ja  fut  curial  c  j  5 

1.  telle. 

a.  Gourmande.  —  b.  En  bas.  —  c.  De  cour. 


l68  BALADES 

Veult  convoitans  tenir  or  et  finance, 
Se  lasche  veult  et  mole  estre  Vaillance, 
Se  Noblesse  a  villenie  en  sa  poche,  247  a 

L'en  puet  jugier  par  tel  persévérance 
20        Que  pour  noz  maulx  la  fin  du  monde  approche. 

Se  Paour  est  de  Dieu  en  hardiesce 
De  lui  courrier,  s'amour  gettée  aval 
Des  cuers  mondains  es  estas  de  noblesse, 
Saiche  chascun  que  c^st  le  principal 

25        Que  doubter  Dieu,  père  celestial, 

Qui  tous  nous  a  formez  a  sa  semblance, 
Et  tuit  faisons  contre  son  ordonnance, 
Car  vertu  n'est  qui  en  vice  ne  trochea  : 
Dont  je  conclus  et  ay  ferme  espérance 

3o        Que  pour  noz  maulx  la  fin  du  monde  approche. 


DCCGCL 

Autre  Balade 

SUR   PRODIGES   ET   CORPS   MONSTRUEUX 

Corps  monstrueus,  horrible  a  regarder, 
Prodige  grant  de  vengence  future, 
Beste  a  deux  dos  qui  fait  le  monde  errer, 
Langue  double  dont  parle  l'cscripture, 
Venin  cuisant,  serpentine  figure    . 
Qu'enfer  attent,  faulx  conseil  variable, 

a.  Troque,  échange. 


BALADES  169 

Juge  vendant  la  grâce  charitable, 

Chien  envieux,  de  convoitise  plain, 

Qui  d'Antecrist  est  voie  preparable, 

Dieux  nous  vueille  tous  getter  de  ta  main  !        10 

Las  !  ta  forme  fait  trop  a  redoubter, 
Et  tes  membres  plains  de  toute  laidure 
Qui  vendent  tout  ce  qu'on  souloit  donner, 
Ne  tu  ne  veulz  congnoistre  créature 
Qui  face  bien  ;  tu  faiz  contre  droiture  1 5 

Guerre  et  tourment,  toute  chose  nuisable; 
Estre  ne  veulz  a  Verte  1  consachable  a\ 
De  maie  heure  fus  pour  le  peuple  humain 
24y  b  Conceuz  et  nez,  comme  chose  dampnable; 

Dieu  nous  vueille  tous  getter  de  ta  main!  20 

Par  tes  euvres  puet  on  assez  noter 

L'advenement  du  renoyé  parjure, 

L'ennemi  Dieu  qui  se  venrra  monstrer        — 

Prochainement,  car  on  ne  fait  qu'injure  ; 

On  est  larron,  homicide  ou  parjure;  25 

A  ton  temps  est  tout  vice  celebrable, 

L'en  prant,  l'en  toult,  et  2  chascun  est  coupable 

Et  haineux,  convoiteus  et  haultain, 

Fel,  orgueilleus;  monstre  tresdecevable, 

Dieux  nous  vueille  tous  getter  de  ta  main!         3o 

Beste  a  .11.  chiefs  \  qui  ne  vis  3  que  d'ordure 

Et  qui  corromps  toute  humaine  nature, 

De  toy  parle  PApocalipce  a  plain, 

Sebille  aussi;  Jouachin  te  figure 

Dolentement  par  4  riens  et  pourreture  :  35 

Dieux  nous  vueille  touz  getter  de  ta  main  ! 

1.  vérité.  —  2.  et  manque.  —  3.  vit.  —  4,  par  m  anque. 

a.  D'accord  avec  Vérité.  —  b.  Eglise  gouvernée  par  deux  papes. 


170  BALADES 

DCGCCLI 

Autre  Balade 

SUR    UN    SAINT   CORPS   MIRACULEUX    COMME   UNS   LOUPS 


P 


our  un  saint  corps  miraculeux 
Qui  la  langue  a  en  deux  parties, 

Plain  de  pité  comme  est  uns  leux, 

Suis  chargiez  d'escripre  la  vie; 
5  Mais  pour  ce  qu'en  lui  n'a  envie 

N'orgueil,  ne  a  qu'en  lion  et  chien, 

Se  nulz  m'en  scet  dire  aucun  bien, 

Je  le  tendray  secret  com  prestre; 

Mais  avant  c'om  m'en  die  rien, 
10  Or  devinez  qui  ce  puet  estre. 

J'adevine  qu'il  fut  claustreux  b, 

Chief  du  martel  d'orfaverie; 

De  saint  lieu  fist  palays  doubteux 

Pour  approuchier  de  seignourie,  247  c 

1 5  Traittans  l'or  non  pas  d'alquemie  c 

Mais  du  commun  peuple,  et  sçay  bien 
Que  cilz  vint  de  povre  merrien, 
Qui  n'ensuist  en  meurs  saint  Silvestre, 
Ains  veult  l'autrui  bien  1  et  le  sien  : 

20  Or  devinez  qui  ce  puet  estre. 

J'en  sçay  bien  un  ingrade  d  a  ceulx 
Qui  povre  lui  firent  aye  e, 

1.  Ains  veult  bien  lautruis  et  le  sien. 

a.  Non  plus.  —  b.  Moine.  —  c.  Alchimie.  —  d.  Ingrat.  —  e.  As- 
sistance. 


BALADES  171 

Aux  bons  se  rent  suspeçonneux, 

Désobéissant  qui  le  prie  ; 

En  ce  qu'il  doit  faire  il  varie,  25 

Il  s'entent,  chante  et  list  tresbien 

A  reculons  ;  saint  Julien 

Ne  voult  pas  de  son  hostel  nestre. 

Taiche  n'a  de  saint  Gracien  : 

Or  devinez  qui  ce  puet  estre.  3o 


i/envoy 


Princes,  ces  grans  miracles  seulz 

Sont  a  escripre  merveilleux 

Pour  canoniser  nostre  maistre, 

Qui  fait  ses  responces  par  deux 

En  doublant  sa  langue  en  trois  neux  :  35 

Or  regardez  qui  ce  puet  estre. 


DCCCCLII 

Autre  Balade 


SUR   GOUVERNEURS,    BAILLIS    ET    SENESCHAULX 

Vous,  gouverneurs,  baillis  et  seneschaulx, 
Il  vous  1  convient  esclaves  demourer  - 
En  voz  marches  a  .vu.  ou  .vin.  chevaulx, 
Sanz  départir,  voz  estaz  gouverner, 
D'un  franc  par  jour,  et  si  vous  fault  jurer 

1.  vous  manque.  —  2    demourez. 


I  7  2  BALADES 

Combien  chascun  aura  fait  résidence 
En  son  estât,  par  nouvelle  ordonnance,        24^  d 
Contreroleurs  arez  sur  le  pais, 
Les  recepveurs  ou  royaume  de  France, 
10        Serfs  gouverneurs,  seneschaux  et  baillis. 

Vous  ne  serez  plus  des  provinces  baux  a, 
Les  procureurs  vous  fauldra  encliner 
Et  receveurs;  et  dont  vient  telz  consaulx 
Que  le  grant  fault  au  mendre  subombrer  l? 

1 5        Et  frans  hommes  2  n'osera  pas  aler 
Sur  le  pais  ou  il  a  sa  chevance 
Sanz  estre  cas  b\  vez  ci  large  ignorance 
Dont  maint  lairont  les  estas  dessus  dis. 
Qui  ne  vouldront  estre  en  tele  meschance, 

20        Serfs  gouverneurs,  seneschaulx  et  baillis. 

Mais  au  jour  d'ui  a  Justice  tous  maulx 

Et  chascun  veult  celle  supediter, 

Et  les  petiz  ravir  les  lieux  des  haulx, 

Pour  les  estaz  destruire  et  ruyner  ; 
25        C'est  grant  péril  de  chetis  eslever 

En  hault  estât,  c'est  default  de  prudence  ; 

Chascun  ne  tent  qu'a  la  fin  ou  il  pense 

Et  a  bouter  avant  de  ses  amis  ; 

C'est  ce  qui  fait  par  tel  gent  qu'on  avance 
3o        Serfs  gouverneurs,  seneschaulx  et  baillis. 

i/envoy 

Prince,  de  ceuls  qui  ont  grant  apparence 
N'ensuit  tousjours  la  bonne  conséquence; 
Les  plus  grans  clers  ne  sont  saiges  toudis; 

i.  subomber.  —  2.  homs. 

a.  Gouverneurs.  —  b.  Cassé,  ruiné. 


BALADES  173 

Aux  ignorans  commet  Dieux  sa  puissance  . 
Ostez  ce  mot  qui  est  de  malvueillance,  35 

Serfs  gouverneurs,  seneschaulx  et  baillis. 


DCCCCL1II 

Autre  Balade  *. 
(On  ne  peut  être  aimé  de  tous.) 

248  a      /^"^HASCUNsdoit  faire  son  devoir 
V_>  Es  estas  ou  il  est  commis 
Et  dire  a  son  seigneur  le  voir  a 
Si  que  craimte,  faveur  n'amis, 
Dons  n'amour  ne  lui  soient  mis  5 

Au  devant  pour  dissimuler 
Raison,  ne  craingne  le  parler 
Des  mauvais,  soit l  humbles  et  doulz; 
Pour  menaces  ne  doit  trembler  : 
On  ne  puet  2  estre  amé  de  tous.  10 

Ait  Dieu  tout  homme  a  son  pouoir 

Devant  ses  oeulx,  face  toudis 

Ce  qu'il  devra  sanz  decepvoir; 

Lors  ne  pourront  ses  ennemis 

Luy  grever,  mais  seront  soubmis  1 5 

'Cette  ballade  esl  encore  transcrite  au/.  2g 7  \ 
1.  sont.  —  2.  On  ne  puet  pas. 
a.  La  vérité. 


174  BALADES 

Par  cellui  qui  tout  puet  garder, 
Qui  scet  les  euvres  regarder 
Des  bons  et  mauvais  cy  dessoubz, 
Pugnir  maulx,  biens  rémunérer  : 
20  On  ne  puet  estre  amé  de  tous. 

Car  gens  qui  ont  mauvais  vouloir 

Héent  ceuls  dont  ilz  sont  pugnis, 

Et  il  vault  mieulx  la  grâce  avoir 

De  Dieu,  pour  gaingner  paradis, 
25  Qu'il  ne  fait  des  faulx  cuers  faillis  1 

Qui  veulent  mentir  et  flater 

Et  par  leur  force  surmonter 

Les  frans  cuers  et  mettre  a  genoulz. 

Faisons  bien  sanz  homme  doubter  : 
3o  On  ne  puet  estre  amé  de  tous. 

l'envoy 

Prince,  nul  ne  doit  désirer 
Pour  le  los  du  monde  régner  a, 
Mais  des  biens  de  Dieu  soit  jaloux  ; 
Ses  officiers  doit  supporter  2  248  b 

35  S'ilz  font  bien  et  les  contenter  : 

On  ne  puet  estre  amé  de  tous. 


1 .  des  mauvais  cuers  faillis—  2.  doit  porter. 
a.  Pour  avoir  la  louange  du  monde. 


BALADES  175 


DGCCCLIV 

Autre  Balade 

SUR    ENVIE  ET  POVRETÉ 

H\ieux  gart  la  belle  compaignie,  » 
\-J  Dist  Povreté  en  trespassant 
A  pluseurs  qui  ont  dit  :  «  Amie, 
a  Ou  alez  vous  ainsi  trassant  a  ?  » 
Et  elle  respont  en  plourant  :  5 

«  Je  quier  Envie  la  dervée  b 
«  Qui  son  corps  a  ame  ne  vée  c 
«  Fors  a  moy  que  pas  ne  secourt.  » 
Lors  dist  une  nonnain  sacrée  : 
«  Envie  est  en  cloistre  et  en  court.  »  10 

—  Le  sçavex  vous  bien,  je  vous  prie, 
Que  de  ce  ne  rcfalez  moquant? 

—  Oil,  par  la  vierge  Marie, 
Elle  y  est  toudis  demourant; 

Par  lui  va  chascun  murmurant  ;  1 5 

Maint  débat  et  mainte  meslée 

Fait  chascun  jour,  mainte  assemblée, 

Tousjours  de  l'un  a  Tautre  court  : 

La  ne  puet  paix  estre  trouvée, 

Envie  est  en  cloistre  et  a  court.  20 

—  Dit  elle  voir?  —  N'en  doubtez  mie. 
a.  Marchant.  —  b.  La  folle.  —  c.  Ne  refuse. 


J  76  BALADES 

Je  la  vis  hier  en  retournant 

De  la  court.  La  s'estoit  tapie, 

Mais  de  debas  y  faisoit  tant 
2  5         -  Que  l'un  derrier,  l'autre  devant, 

Se  disoient  mainte  goulée; 
-  En  ces  .ri.  lieus  est  hostelée  a, 

Principalment  fait  la  son  hourt  b. 

Alez  tost,  soyez  asseurée,  248  c 

3o  Envie  est  en  cloistre  et  a  court. 

lenvoy 

Prince,  Povreté  s'est  hastée, 
A  court,  en  cloistre  en  est  alée. 
Envie  ne  lui  fait  le  sourt  c, 
Mais  s'est  tantost  en  lui  boutée, 
35  Disant  qu'en  chascune  contrée 

Envie  est  en  cloistre  et  a  court. 


DCCCCLV 

Autre  Balade 

PARLANT    D'UN  MONSTRE   NOMME   MINOTAURUS 


Monstre  horrible  fut  de  Minotaurus 
Qui  .11.  formes  ot  en  un  mesme  corps, 
Homme  et  toreau,  et  pour  ce  Dedalus 


a.  Logée.  —  b.  Sa  demeure.  —  c.  La  sourde  oreille. 


BALADES  177 

En  sa  maison  qu'il  fist  l'enferma  lors, 

Que  veu  ne  fust.  Mais  un  monstre  plus  fors        5 

Est  au  jour  d'ui  :  c'est  un  corps  a  deux  testes 

Voulans  régner  sur  raisonnables  bestes 

Dont  les  membres  sont  en  division, 

Qui  a  un  seul  fussent  d'obéir  prestes, 

Qui  a  voulsist  bien  cette  conclusion.  10 

Qui  est  cilz  corps  qui  est  ainsi  confus? 

C'est  l'Eglise  dont  les  membres  sont  tors, 

Qui  .11.  chiefs  a,  et  ces  membres  ça  jus 

Sont  les  prelas,  pueples  et  gens  dehors, 

Qui  .11.  chiefs  ont,  par  convoiteux  descors  bt      i5 

Ou  un  seul  chief  deust  gouverner;  honnestes 

Vicaire  Dieu  com  saint  Pierre,  li  prestres, 

Fut  de  par  lui  par  saincte  élection 

Et  encor  l  fust  sanz  os  et  sanz  arestes, 

Qui  voulsist  bien  ceste  conclusion.  20 

S'un  corps  humain  sur  terre  descendus 
Avoit  deux  chiefs,  moult  seroit  vilz  et  ors; 
48  d  Quant  il  est  nez,  est  pour  monstre  tenus, 
Aussi  seroit  une  vache  ou  uns  pors. 
Un  chief  soufist,  et  quant  je  me  recors  c  25 

C'uns  seul  papes  doit  estre  magnifestes  d 
Sur  son  tropel,  se  deux  sont,  deshonnestes 
Et  injustes  est  l'un  d'eulx  par  raison  : 
Dont  tel  erreur  fust  pieça  osté  presques, 
Qui  voulsist  bien  ceste  conclusion.  3o 

Par  ce  cisme  e  est  tout  li  mondes  perdus, 
Guerre  en  descent  entre  foibles  et  fors; 


11 .  encores. 

M.  Si  on  voulait.  —  b.  Discordes.  —  c.  Je  me  rappelle.  —  d.  Vi- 
ple.  —  e.  Schisme. 

T.  V  I2 


I78  BALADES 

En  grant  péril  sont  *  prestres  et  tondus  a 
Faiz  a  ce  temps.  Ayons  nostre  remors 

35        Aux  sacremens,  aux  effects,  aux  effors 
Des  unctions,  des  ordres,  des  baptesmes, 
Des  beneiçons  b,  des  huiles  et  des  cresmes, 
Et  au  péril  de  la  dampnacion 
Des  nez;  en  ce  pourveu  fust  evesques 

40        Qui  voulsist  bien  ceste  conclusion  ! 

Pour  ce,  princes  terriens,  je  conclus, 
Et  vous,  prelaz,  que  vous  mettez  defors  c 
Ce  monstre  ci  :  faittes  2  qu'il  soit  intrus  d 
Et  enfermez,  tant  que  par  saint  acors 

45        Des  saiges  clers  vous  aiez  les  recors 

Qu'il  doit  régner  un  seul  vray,  et  vous,  prestres 
Et  sanz  faveur  soit  tenu  chemins  destres  e 
Pour  remettre  l'Eglise  en  union 
Qui  fust  pieça  hors  des  chemins  senestres, 

5o        Qui  voulsist  bien  ceste  conclusion. 

i/envoy 

Roy,  sur  les  roys  trescrestiens  tenus, 
Soit  ce  chemin  d'entrechier/soustenus 
La  vérité  du  vray  opinion, 
Que  telz  cismes  ne  soit  plus  maintenus, 
55        Qui  fust  pieça  de  tous  poins  abatus, 
Qui  voulsist  bien  ceste  conclusion. 

1.  en  sont.  —  2.  et  faittes. 

a.  Tonsurés.  —  b.  Bénédictions.  —  c.  Dehors.  —  d.  Interné.  — 
e.  Droit.  —  /.  Passage  altéré. 


BALADES  I79 


DCGGGLVI 


Balade  *. 


(Précautions  que  doit  prendre  un  prince  avant  d'entrer 

en  campagne.) 

24g  a  T3RINCES  qui  veult  faire  guerre  ou  voyage 

A      Ne  les  doit  pas  sanz  raison  entreprandre  : 

A  son  conseil  doivent  estre  li  saige, 

Dire  leur  doit  la  fin  ou  il  veult  tendre, 

Le  droit  qu'il  a,  ou  le  désir,  d'emprandre  a,        5 

Pour  mieulx  avoir  deliberacion 

Se  faire  ou  non  doit  son  intencion, 

Se  la  cause  est  et  la  poursuite  bonne, 

S'il  puet  fournir  sa  prosecution  : 

Ad  vise  cy  toute  noble  personne.  10 

Qu'il  aime  Dieu  et  craingne  en  son  couraige, 

Groye  conseil  ou  il  se  doye  attendre, 

Et,  se  cause  a,  advise  a  son  passaige, 

Ait  gens  expers,  nombre  ne  grant  ne  mendre 

Qui  puist  souffrir  sanz  riens  tolir  ne  prendre    i5 

Des  biens  d'autruy,  querre  temps  et  saison 

Convenables,  vivres,  provision, 

Aliances,  vesseaulx,  promette,  donne; 

S'autrement  fait,  c'est  sa  perdicion  : 

Advise  cy  toute  noble  personne.  20 

1 .  Balade  manque. 
a.  Entreprendre. 


I 80  BALADES 

Ait  de  paier  et  d'estre  brief  Pusaige, 
Diligens  soit,  a  beau  parler  doit  tendre, 
Justice  avoir  pour  oster  son  dommaige, 
A  obéir  face  tout  homme  entendre  ; 

25        Gar  sanz  ce  point  a  l'en  veu  a  descendre 
Maint  ost  et  gent  a  grant  confusion, 
Que  mendres  d'eulx,  par  leur  division, 
Ont  subjuguez,  et  roy  portant  couronne 
Prins  et  occis,  destruit  sa  région  : 

3o        Advise  cy  toute  noble  personne. 

Querre  de  loing  finance  et  queriage  *, 
Armes,  chevaulx,  gens  aprins  pour  aprendre 
Ceuls  qui  menrront  le  charroy,  le  sommaige  c, 
Vaiches  et  buefs,  qu'om  ne  les  puist  sousprendre  : 

35        Face  un  seul  chief  et  a  icellui  l  rendre  24g  b 

Droit  d^beir  sur  mort  décision, 
Escoutes,  guet  ;  estre  en  bonne  union, 
Bien  obéir  mainte  victoire  donne, 
Haster  son  fait  sanz  dilatacion  2  : 

40        Advise  cy  toute  noble  personne. 

Et  se  droit  n'a  d'achat  ou  d'eritaige, 
Ou  de  vray  don  pour  noblesce  de  gendre  •, 
Pour  corps  puissant,  pour  son  roial  linaige, 
Pour  son  avoir  qui  tout  devenrra  cendre, 

45        Pour  volunté  ne  doit  vers  Dieu  mesprendre, 
Pour  convoiter  autruy  possession 
Contre  les  gens  de  sa  religion  ; 
Sur  Sarrasins  de  guerroier  s^rdonne  ; 
Faire  le  puet  et  ailleurs  par  raison  : 

5o       Advise  cy  toute  noble  personne. 

1.  cellui.  —  2  délectation. 

a.  On  a  vu.  —  b.  Charrois.  —  c.  Bêtes   de  somme.  —   d.  Nais- 
sance. 


BALADES  I 8 I 


l'envoy 


Prince,  je  tien  pour  ma  conclusion 

Qu'on  doit  avoir  de  maint  l'opinion 

Sur  les  grans  faiz  avant  qu'on  s'abandonne, 

De  son  vouloir  faire  execucion  ; 

Venir  en  puet  trop  grant  destruction  :  55 

Advise  cy  toute  noble  personne. 


DGCGGLV1I 

Autre  Balade 

QUI  PARLE  DES  ESTRAINES  DU  JOUR  DE   l'an 


G 


e  jour  de  l'an  estrener  ne  sçaroie 
Gomme  l  j'ay  fait  ou  bon  temps  de  jadis, 
Ou  toute  honeur  couroit  et  toute  joye 
Sanz  mal  penser,  tricherie  ou  mesdis, 
Car  s'au  jour  d'uy  venoit  de  paradis  -    5 

Homme  ou  femme,  souz  2  forme  angelical, 
Parlans  entr'eulx,  y  penseroit  on  mal, 
249  c  Tant  est  chascun  plain  de  mauvese  vie. 
Or  vous  gart  Dieux,  dame,  en  especial, 
De  faulx  parler  et  de  mauvaise  envie.  10 

Car  par  ces  deux,  s'ainsi  est  qu'om  les  croye, 
Seront  tous  maulx  et  tous  mortelz  perilz, 

I.  Com.  —  2.  sanz. 


1 82  BALADES 

Les  bons  destruis  et  les  maulvais  en  voie; 
Chascuns  sera  l'un  a  l'autre  ennemis, 

i5        Amours  faulra,  car  amie  n'amis 
Ne  seront  plus;  toute  chose  loyal 
Par  ces  .11.  poins  prandra  terme  final, 
Désirant  mort,  se  Dieux  n'y  remédie, 
Qui  nous  vueille  garder  en  gênerai 

20        De  faulx  parler  et  de  mauvese  envie. 

Las  !  au  jour  d'uy  ne  court  autre  monnoye 
Entre  les  gens  et  en  pluseurs  pays; 
Li  cuers  des  bons  et  des  bonnes  en  noyé 
En  triste  flum  a  des  pensers  esbahis, 

25        Quant  se  voient  par  paroles  trahis 
Mauvesement,  de  crime  capital 
Contre  raison.  O  court  celestial, 
Prince  de  paix,  les  bons  n'oubliez  mie, 
Mais  les  vengez  par  justice  royal 

3o        De  faulx  parler  et  de  mauvese  envie. 

l'envoy 

Prince,  mettez  le  frain,  qu'om  ne  les  voye 
Jamais  régner.  A  ces  .ir.  je  vouldroye 
Qu'ilz  fussent  mors  de  mal  d'espilencie  è, 
Ou  estranglez  d'une  bonne  courroye; 
35        Mais  je  pri  x  Dieu  qu'il  nous  gart  toute  voie 
De  faulx  parler  et  de  mauvaise  envie. 


I,  prie. 

a.  Fleuve.  —  b.  Peste. 


BALADES  I 83 


DCCCCLVIII 

Balade 

COMMENT  LE  CHIEF  SE  DUELT    DE   SES    MEMBRES 

(Demande  de  garder  le  chaperon  sur  la  tête.) 

24g  d  T3uisQUE  le  chief  qui  est  si  précieux, 

1      Lui  malade,  fait  les  membres  doloir 

Qui  a  le  nés,  la  bouche,  oreilles,  oeulx, 

Tous  les  .v.  sens  pour  parler  et  veoir, 

Pour  odourer,  sentir  et  concevoir,  5 

On  le  doit  bien  garder  de  violence, 

De  faim,  de  froit  et  de  toute  grevance, 

Sanz  defubler  a  ainsi  que  nous  faisons, 

En  temps  d'yver,  a  celle  court  de  France  : 

Congié,  pour  Dieu,  d'avoir  noz  chaperons!        10 

Mestier  b  en  ont  maint  servant  qui  sont  vieulx, 

Aucuns  pelez  c,  qui  n'osent  comparoir 

Pour  ce  qu^lz  sont  en  yver  roupieux, 

Et 1  si  ne  puent  bien  faire  leur  devoir; 

Li  josne  enfant  en  sont  destruit  et  noir,  i5 

Si  qu'en  tremblant  font  de  leurs  dens  la  dance  : 

Rongneux  en  sont  quant  le  printemps  commence 

Mains  pannetiers,  fruittiers  et  eschançons, 

Variez  trenchans,  crians  d'une  aliance  d  : 

«  Congié,  pour  Dieu,  d'avoir  noz  chaperons!  »  20 

1 .  Et  manque. 

a.  Sans  ôter  nos  chaperons.   —  b.  Besoin.  —  c.  Chauves.  —  d. 
D'une  voix  unanime. 


I 84  BALADES 

Car  de  ce  froit  qui  est  si  périlleux, 
En  defulant  a,  ce  puet  on  bien  sçavoir, 
Vient  rage  es  dens,  on  en  est  chacieux. 
Las  !  et  que  puet  tel  *  froide  honeur  valoir? 

25        Car  on  ne  puet  ses  membres  remouvoir; 

La  crampe  en  naist,  la  rume,  esquinancie  2, 

Mai  es  costez;  on  en  grate  sa  pance, 

Et  s'en  viennent  les  mules  es  talons 

Dont  maint  sont  mort;  par  ceste  conséquence, 

3o        Congié,  pour  Dieu,  d'avoir  noz  chaperons  3! 

l1ênvoy 

Prince,  mettez  sur  ce  fait  atrempance  b  : 
De  la  Toussains,  que  li  4  hyvers  commence 
Jusqu'à  Pasques,  nous  le  vous  supplions, 
Lettres  aussi  jusqu'à  5  vostre  plaisance.        25o  c 
35        De  ces  Lombars  nous  octroiez  Pusance  : 

Congié,  pour  Dieu,  d'avoir  noz  chaperons! 


DCCCCLIX 

Autre  Balade 
[Ce  qui  est  violent  ne  dure  pas») 

J'ay  veu  la  rivière  de  Saine, 
Du  Rosne,  de  Laire  c  et  du  Ryn, 
Par  inundacion  soudaine, 

1.  tele.  —  2.  la  rume  toux  esquinancie.  —  3.  Congié  pour  dieu  etc.  —  4 
lyvers.  —  5.  jusques  a. 

a.  En  ôtant  son  chaperon.  —  b.  Tempérament.  —  c.  Loire. 


BALADES  1 85 

Courre  es  champs  et  par  le  chemin 

Gomme  une  mer,  et  leur  train  5 

Demourer  une  longue  espace 

De  temps,  et  puis  celle  eslevace  a 

Se  departoit  soudainement, 

Faisant  Teaue  des  flums  plus  basse  : 

Pou  dure  chose  violent.  io 

Avoir  gaingnié  sanz  cause  et  paine, 

Par  malice  ou  maint  sont  enclin, 

Suronde  b,  et  lors  Orgueil  le  maine 

Un  temps  régner,  mais  en  la  fin 

Vient  un  pechié  ou  un  hutin  c,  i5 

Qui  tel  acquest  toult  d  et  efface 

Et  emporte,  quant  le  flun  passe, 

L/acquest  du  propre  tenement 

Bien  acquis  ;  hom  '  ne  se  mefface  : 

Pou  dure  chose  violent.  20 

La  petite  rivière  est  plaine 
Et  le  petit  fleuve  enterin  e 
D'yaue  en  tout  temps,  car  il  n'a  vayne 
Qui  tende  a  grever  son  voisin. 
Il  ne  sourie  pas  du  venin  25 

D'autre  eaue,  toudis  tient  sa  place 
Quant  en  2  ses  rives  se  soulace 
Sanz  excéder  aucunement. 
25o  b      Tout  homme  a  cest  exemple  face  : 

Pou  dure  chose  violent.  «  3o 


1.  homme.  —  2.  en  manque. 

a.  Celte  élévation  de  l'eau.  —  b.  Déborde.  —  c.  Dispute.  —  d.  Qui 
emporte  ce  bien  mal  acquis.  —  e.  Plein. 


I 86  BALADES 


l'envoy 


Prince,  pour  avoir  ne  pour  grâce 
Ne  soit  homme  trop  acquérant, 
Tiengne  le  moien  et  pourchace  : 
Pou  dure  chose  violent. 


DCCCGLX 

Autre  Balade  * 

AMOUREUSE. 

{A  une  Dame.) 

G  ente  de  corps,  face  a  droit  coulourée, 
Humble  regart,  front  hault  et  bien  assis, 
Entr'ueil  a  plaisant,  bouche  bien  ordonnée, 
Petit  menton,  lefres  et  nez  traitis  b, 
5  Voz  joettes  c  font  deux  fosses  d  toudis, 

En  soubzriant,  o  belle  plus  que  belle! 
Vous  regarder  est  un  droit  paradis  : 
De  jour  en  jour  vo  beauté  renouvelle. 

Car  vostre  chief  a  toute  gent  agrée, 
10        Blont  com  fin  or,  vairs  oeulx  et  les  sourcils 

'  Publiée  par  Crapelet,  page  g8 

a.  Espace  entre  les  deux   yeux.  —  b.  Bien  droit.  —  c.  Petites 
joues.  —  d.  Fossettes. 


BALADES  187 

Avez  petiz,  la  denteure  serrée, 

Mannette  a  blanche  comme  ■  fleur  de  lis, 

Et  au  seurplus  est  vo  corps  assevis  b 

De  tous  les  biens  qui  sont  en  flour  nouvelle. 

De  plus  en  plus,  dame,  ce  m'est  advis,  i5 

De  jour  en  jour  vo  beauté  renouvelle. 

Or  estes  vous  donc  de  bonne  heure  née, 
Quant  grâce  avez,  la  louenge  et  le  pris 
D'umilité,  de  nobles  meurs  parée, 
De  beau  maintien,  de  manière  et  de  vis  c;  20 

Mais  sur  toutes  portez  bien  voz  habis, 
Plus  que  nulle  dame  ne  damoiselle 
Qui  soit  vivant  en  terre  n'en  pays  : 
250  c  De  jour  en  jour  vo  beauté  renouvelle. 

l'envoy  2 

Dame  que  j'aim,  de  vostre  amour  souspris,       25 
Pour  voz  grans  biens  me  vient  douce  nouvelle, 
Mes  cuers  s'esjouist,  car  certains  suis  et  fis  d 
De  jour  en  jour  vo  beauté  renouvelle. 


1.  com.  —  2.  Double  chançon  royal. 

a.  Petite  main.  —  b.  Rempli.  —  c.  De  visage.  —  d.  Sûr. 


i88 


BALADES 


DCCCCLXI 

Balade 

FAICTE  PAR  EUSTACE  SUR  LA  MUTACION  DU  CIEL  ET  DE  LA 
TERRE  ET  COMMENT  LUCIFER  TREBUCHA  EN  ENFER  PAR  SON 
ORGUEIL  ET  GRANT  PRESUMPCION 

DOUBLE  CHANCON  ROYAL 


B1 


ien  me  souvient  de  la  mutacion 
De  terre  et  ciel,  de  la  forme  angelique 
Et  de  Torgueil  et  grant  presumpcion 
De  Lucifer,  qui  devint  diable  inique 

5  Par  son  pechié  :  je  recors  la  fabrique  a 

Faicte  d'Adam  l,  no  père  premerain, 
Par  le  vray  Dieu,  et  de  sa  femme  Evain, 
Qu'il  mist  tous  deux  en  paradis  terrestre 
Qu'ilz  perdirent  par  leur  pechié  villain  : 

10        Je,  Mémoire,  sçay  ce  que  Dieu  fist  estre. 

De  déluge  la  persecucion, 
Du  temps  Noé  et  son  arche  autentique 
Dont  le  monde  ot  sa  renovacion 
Par  ses  enfans,  habitans  en  publique, 
1 5        Qui  puis  tindrent  Ayse  6,  Europe  et  Aufrique. 

Sem,  Cham,  Japhet;  chascun  d'eulx  pour  certain 
L'une  des  trois  possida  en  sa  main 
Avec  sa  gent,  quant  confusion  nestre 

i.  de  adam. 

a.  Je  rappelle  la  création.  —  b.  Asie. 


BALADES  1 89 

En  Babilon  voult,  et  par  cas  soudain  : 

Je,  Mémoire,  sçay  ce  que  Dieu  fist  estre.  20 

Lors  fut  faicte  la  separacion 
Des  lignies;  chascun  sa  langue  applique 
A  une  part  et  dominacion; 
L'un  sur  Pautre  régna  par  voie  oblique  ; 
25od  Les  .vu.  ars  puis,  chascun  en  sa  pratique;         25 
Nembroth  le  l  grant  fut  seigneur  premerain, 
Grant  et  corsu  a,  de  toute  fierté  plain, 
Villes  ferma,  de  son  peuple  fut  maistre, 
Lors  commença  guerre  et  envie  a  plain  : 
Je,  Mémoire,  sçay  ce  que  Dieu  fist  estre.  3o 

Les  grans  guerres,  la  persécution 

Des  Troiens,  la  voie  astronomique 

D'Alixandre,  qui  a  sa  diction  b 

Mist  le  monde,  de  la  guerre  punique 

Que  les  Romains  firent  en  lrrilique  35 

Et  autre  part;  furent  seigneur  mondain, 

Aux  provinces  mistrent  treu  c  et  frain; 

Tout  conquistrent  a  destre  et  a  senestre; 

Puis,  par  orgueil,  ont  tout  perdu  Rommain. 

Je,  Mémoire,  sçay  ce  que  Dieu  fist  estre.  40 

D'aage  en  aage  se  fist  mutacion  : 

Ducs  et  meneurs  en  la  voye  hebraique. 

Abraham  ot  multiplicacion 

De  semence,  pour  sa  foy,  et  2  si  que 

Dieux  l'ama  moult;  Saul  phitonique  d,  45 

Qui  rois  estoit,  voult  Dieu  tempter  en  vain, 

Dont,  lui  vivant,  David,  roy  souverain 


1.  le  manque.  —  et  manque. 

a.  Gros,  fort.  —  b.  Domination.  —  c.  Tribut.  —  d.  Possédé  du 
démon. 


I 90  BALADES 

Fut  oint  de  Dieu,  qui  par  1  son  fruit  arepaistre 
Et  rachater  voult  tout  le  peuple  humain. 
5o       Je,  Mémoire,  sçay  ce  que  Dieu  fist  estre. 

Les  Gaulx  *  avant  celle  perdicion, 
Qui  d'Eneas  vindrent  en  Italique, 
Afranchirent  leur  generacion, 
Belgues,  Seltes,  et  François  Senonique 

55        Conquistrent  puis  le  ceptre  imperatique  c. 
Clovis,  paien,  prinst  le  baptesme  saint 
De  Jhesucrist;  Paris  d'uy  a  demain 
Par  saint  Denis  prinst  la  foy  vraie  et  destre. 
Charles  li  grans  la  garde  soir  et  main  : 

60        Je,  Mémoire,  sçay  ce  que  Dieu  fist  estre.      25 1  a 

L'Eglise  fut  lors  en  devocion, 
L'estude  ama  moult,  sa  theologique, 
Des  biens  de  Dieu  ne  fist  vendicion, 
Mais  reprenoit  l'eresie  erratique  d 

65        Des  Arriens.  A  gramaire,  a  logique, 

Et  aux  bons  clers  donna  prouvende  et  pain; 
Ce  la  soustint,  mais  au  jour  d'ui  la  plain, 
Car  de  néant  fait  on  prélat  et  prestre. 
Prière  2  et  dons  destrempent  ce  levain  : 

70        Je,  Mémoire,  sçay  ce  que  Dieu  fist  estre. 

Pierres  ne  Polz  n'ont  plus  audicion  e, 
Ne  Jérôme  li  bon  bibliotique  /; 
Leur  successeur  ont  autre  entencion, 
Tous  veulent  Por,  mais  s'il  ne  sonne  et  clique  £", 
75        Nul  n'aura  d'eulz  moustiers,  baston  ne  clique  ;', 

1.  pour.  —  2.  Prières. 

a.  Par  son  fils.  —  b.  Les  Gaulois.  —  c.  Impérial.  —  d.  Erronée. 
—  e.  Audience.  — /.  Editeur  des  travaux  bibliques.  —  g.  S'il  ne 
fait  du  bruit.  —  h.  Abbaye,  crosse  ou  sonnette. 


BALADES  19I 

Car  s'il  est  clerc  sanz  or,  mourra  de  faim, 

Metheode  a  sur  ce  dit  son  refrain  : 

Antecrist  vient  pour  leurs  gueules  repaistre  ! 

En  l'aage  .vu.  seront  tuit  prins  a  Tain  a  : 

Je,  Mémoire,  sçay  ce  que  Dieu  fist  estre.  80 

Approcher  voy  toute  destruction 

Selon  la  loy  et  texte  euvangelique, 

Règnes  faillir,  amour,  dilection, 

Humilité,  science  et  rethorique, 

Congnoissance,  la  vie  politique.  85 

Mémoire  suis,  qui  tous  ces  cas  reprain  *, 

Et  qui  des  rois  et  prelas  me  complain, 

Qui  n^nt  pas  tous  les  meurs  de  saint  Silvestre; 

Leurs  faiz  mettray  en  reprouche  au  derrain  c: 

Je,  Mémoire,  sçay  ce  que  Dieu  fist  estre.  90 

l'envoy 

25 1  b  Prince  '  et  prelas,  aiez  contricion, 
Le  peuple  aussi  ;  en  emendacion  d 
Vueillez  voz  cuers  et  voz  âmes  repaistre 
De  lamour  Dieu,  de  sa  dilection  2, 
Ou  vous  serez  mis  a  dampnacion  :  95 

Je,  Mémoire,  sçay  ce  que  Dieu  fist  estre. 

1.  Princes.  —  2.  et  de  sa  dilection. 

a.  A  l'hameçon.  —  b.  Reprends.  —  c.  A  la  fin.  —  d.  Réforme. 


I 92  BALADES 

DGGGCLXII 

Balade. 
[Il  faut  tenir  sa  parole.) 


L 


evres  mouvoir  sanz  cuer  a  oroison 
N'est  pas  a  Dieu  prenant  ne  aceptable, 
Mais  ne  lui  est  c'une  desrision 
Quant  le  cuer  est  aux  lèvres  variable  : 

5  Car  par  le  cuer  est  la  bouche  mentable, 

Quant  il  ne  veult  ce  que  la  bouche  dit. 
Ainsis  donnons  qui  pis  vault  qu'escondit  a 
A  maintes  gens  par  lèvres  au  jour  d'ui. 
Or  gardent  bien  leur  don  et  leur  escript, 

10       Car  de  telz  dons  voy  po  joir  nullui. 

Cilz  prie  en  vain  qui  n'a  devocion, 
Neis  b  quant  le  cuer  est  ailleurs  entendable; 
Bouche  parle,  mais  c'est  decepcion, 
Que  Dieu  n'a  pas  ne  les  sains  agréable. 

i5        Des  donneurs  d'ui  voy  la  chose  semblable; 
Car  puis  qu'ilz  ont  de  bouche  leur  don  dit, 
Le  cuer  paier  a  mains  le  contredit  c, 
Qui  du  pourchas  ont  grant  paine  et  anuy; 
Folie  font  s'ilz  ne  sentent  le  dit  : 

20        Car  de  telz  dons  voy  pou  jouir  nullui. 

Si  naist  de  ce  murmure  et  achoison  d, 
De  tel  donnant  estre  désagréable  . 

a.  Refus.  —  b.  Même.  —  c.  Le  cœur  défend  à  maints  de  le  payer 
—  d.  Scandale. 


BALADES  1 93 

25 1  c  Quant  il  ne  fait  sanz  faulte  avoir  le  don 
Qu'il  a  promis;  estre  doit  homme  estable. 
Ne  mente  ja  ;  soit  avant  refusable  25 

Que  d'octroier,  qui  engendre  mesdit 
Sur  son  octroy,  quant  il  ne  l'acomplit; 
Ains  de  telz  gens  bonne  chançon  ne  luy  a  : 
Eulx  ny  autres  n'y  ara  ja  prourit, 
Car  de  telz  dons  voy  po  jouir  nulluy.  3o 


l'envoy 


Princes,  chascun  ait  le  cuer  véritable, 

Face  son  don  et  sa  parole  estable 

Puis  qu'il  promet;  du  temps  esbahi  suy 

Que  le  cuer  n'est  a  la  bouche  acordable, 

Dont  je  puis  bien  dire  a  touz  ce  notable  l  b  :     35 

Car  de  telz  dons  voy  po  jouir  nulluy. 


DCCCCLXIII 

Autre  Balade. 
{Danger  d'aimer  en  trop  haut  lieu,) 

J'aime  tresfort  et  de  tresgrant  amour 
Une  dame  qu'en  son  pais  n'a  tele, 
Mais  de  mon  fait  n'ose  faire  clamour 
Ne  semblant  nul,  car  l'amour  est  mortele. 

1.  a  touz  dire  ce  notable. 

a.  Ne  lus.  —  b.  Cette  sentence. 

T.  V  i3 


1  94  BALADES 

5  —  Qui  le  sçaroit?  —  Ta  folie  est  cruele, 

Pour  estre  mort  et  tiré  comme  un  chien! 
—  Qui  te  verroit?  Or  hoste  ton  cuer  (Telle  : 
Char  a  espée  au  jour  cTuy  ne  vault  rien  a. 

Qui  ayme  hault,  c'est  péril  et  paour, 
10        Ardent  désir,  doleur  qui  renouvelle, 
Déduit  emblé  b  qui  fait  po  de  douçour, 
Et  s'om  le  scet  ou  qu'il  en  soit  nouvelle, 
Passer  en  fault  la  mort  par  la  lemesle  c. 
Si  haulte  amour  a  homme  ne  vault  rien; 
i5        Ayme  en  bas  lieu,  quier  povre  femme  et  belle  : 
Char  a  espée  au  jour  d'uy  ne  vault  rien.      25 1  c 

Et  lors  pourras  aler  de  jour  en  jour 
Et  seurement  prandre  plaisir  ]  a  elle, 
Et  devant  tous  faire  illec  d  ton  séjour 
20        Sans  péril  nul,  car  haulte  amour  chancelle, 
Mais  ceste  cy  est  plus  seure  en  sa  selle  ; 
Se  petite  est,  fay  la  riche  du  tien, 
Et  se  bonne  est,  passe  illec  ta  nacelle  : 
Char  a  espée  au  jour  d'ui  ne  vault  rien. 

l'envoy 

25        —  Compains,  par  Dieu,  vous  dittes  le  millour; 
C'est  grant  péril  que  d'amer  en  destour 
Ne  haultement,  plus  y  a  mal  que  bien; 
Pour  les  perilz  vueil  eschiver  ce  tour 
Et  en  bas  lieu  vueil  faire  mon  retour  : 

3o       Char  a  espée  au  jour  d'ui  ne  vault  rien. 

:.  ploisir. 

a.  Comparez  cette  ballade  avec  le  numéro  DCCCCXLV,  page 
160.  —  b.  Plaisir  pris  à  la  dérobée.  —  c.  Lame  de  couteau  ou 
d'épée,  —  d.  Là. 


BALADES 


ig5 


DGCCCLXIV 

Autre  Balade. 
(Que  chacun  cherche  son  refuge.) 

Sectes  de  loys,  mutacions 
D'empires,  haines  couvertes, 
Mors  soudaines,  grans  mocions, 
Seront  par  tout  le  secle  certes 
Si  soudainement  descouvertes  5 

Que  nulz  ne  les  congnoistera 
Jusqu'à  ce  que  prins  se  verra 
Par  la  vengence  du  hault  juge 
Qui  les  grans  pécheurs  destruira  : 
Or  quiere  chascun  son  refuge.  10 

Fouldres,  feu,  inundacions, 

Dix  plaies  nous  seront  ouvertes, 

Verges  de  fer,  occisions, 

Et  tout  venrra  par  noz  dessertes; 

Ly  mondes  ne  reçupt  telz  pertes  i5 

Ne  telz  tourmens  puis  a  le  diluge 

Dont  l'en  voit  les  voies  appertes  b  : 

Or  quiere  chascun  son  refuge. 


Car  les  mauvaises  nascions 

Qui  aux  autres  font  les  souffertes  c 

Pour  leurs  maulx  et  pugnicions 

a.  Depuis.  -  b.  Ouvertes.  —  c.  Qui  font  souffrir  les  autres. 


20 


196 


BALADES 


Seront  chars  aux  oiseaulx  offertes 
Par  les  champs;  leurs  riches  couvertes 
Et  leurs  despoilles,  dont  Dieu  juge, 
25  Seront  de  fiens  recouvertes  : 

Or  quiere  chascun  son  refuge. 


l'envoy 


Prince  ly  autre  refuge  n'y  a 
Fors  de  bien  faire  qui  vouldra 
Et  d'amer  Dieu,  ainsi  le  lu  ge  «, 
3o  Et  certes  qui  ne  le  fera 

Des  .x.  plaies  sa  part  ara  : 
Or  quiere  chascun  son  refuge. 


DGCCGLXV 

Autre  Balade. 

(Comparaison  d'un  homme  vieux  avec  une  vieille 
selle  de  cheval.) 


En  une  selle  a  chevauchier, 
Quant  elle  a  couru  longuement, 
Fault  tousjours  pannel  *  ou  estrier, 
Tasse  c,  boucle,  espingle  ou  mordant    , 


1.  Princes. 

a.  Le  lus-je.  -  ».  Morceau,  pièce.  -  c.  Poche,  espèce  de  bourse 
—  d.  Agrafe. 


BALADES  I97 

Contrecengle  *,  autre  accident,  5 

Clou,  martel  *,  poinçon  ou  lasniere, 

Cengle,  poitral  ou  estriviere, 

Couverture  ou  chose  nouvelle; 

Jamais  ne  sera  bien  entière  : 

Tousjours  fault  ouvrer  en  viez  '  selle.  10 

Porter  la  fault  au  bourrelier 

Pour  rembourrer  communément 

Et  pour  l'arçon  qui  veult  briser, 

Et  les  auves  c  semblablement; 

Elle  loche  d,  elle  se  desment,  i5 

Ataiches  y  fault  et  cuilliere  e, 

Rembourrer  devant  ou  derrière, 

D'un  lez  ou  de  l'autre/  chancelle, 

Tant  qu'elle  chiet  en  la  pouldriere  s  : 

Toudis  fault  ouvrer  en  viez  selle.  20 

Ainsis  fault  il,  a  droit  jugier, 

En  viel  homme  ouvrer  trop  souvent  ; 

Une  2  heure  commence  a  clochier  * 

Pour  goûtes  qui  le  vont  tenant, 

Autre  foiz  la  teste  lui  fent  25 

De  doleur,  lors  fait  mate  chiere; 

Autre  heure  gist  sur  la  litière 

Pour  le  grief  mal  de  sa  forcelle  *  ; 

Lors  n'est  remède  qu'il  ne  quiere  : 

Toudis  fault  ouvrer  en  viez  '  selle.  3o 

Mal  a  es  dens,  ne  puet  mangier, 


1.  vielz.  —  2.  Un. 


a.  Courroie  clouée  sur  l'arçon  de  la  selle,  et  qui  sert  à  arrêter 
la  boucle  de  la  sangle.  —  b.  Marteau.  —  c.  Côtés  de  la  selle.  —  d. 
Elle  cloche.  —  e.  Sangle  de  cuir  au  derrière  d'un  cheval  pour  main- 
tenir le  harnais.  —  /.  D'un  côté  ou  d'autre.  —  g.  Tant  qu'elle 
tombe  en  poussière.  —  h.  Boiter.  —  i.  Estomac,  ventre. 


I98  BALADES 

En  son  dos  seufre  grief  tourment, 

Or  le  fault  adonques  vuidier, 

Le  medicin  avoir  présent  ; 
35  Le  costé  d'angoisse  li  fent, 

Si  fault  l  pour  purgier  la  matere 

Boire  poison  «,  prandre  cristere, 

Et  quant  la  lune  renouvelle, 

On  le  voit  bien  a  sa  manière  : 
40  Toudis  fault  ouvrer  en  viez  2  selle. 

Ainsi  vit  viellesce  en  dangier 
De  phisique  b  ou  elle  s^ttent, 
Dont  elle  a  chascun  jour  mestier  c, 
Qui  son  corps  lui  va  rembourant  ; 

45  De  ses  excès  la  paine  rent, 

Elle  default  de  sa  lumière, 
En  défaillant  court  a  sa  bière,  252  c 

En  cendre  chiet  comme  estincelle, 
Tant  soit  homme  de  fort  perriere  d  : 

5o  Toudis  fault  ouvrer  en  viez  selle. 

l'envoy 

Prince,  il  n'est  nulle  rien  e  vivant 
Qui  ne  muire  /",  et  par  consequant 
Périlleuse  est  nostre  nasselle; 
Si  tost  que  viellesce  nous  prant, 
55  Tousjours  avons  un  fer  lochant  £", 

Toudis  fault  ouvrer  en  viez  selle. 

1.  Si  faut  il.  —  2.  vielz. 

a.  Potion.  —  b.  Au  pouvoir  de  médecine. —  c.  Besoin.  —  d.  Car- 
rière. —  e.  Chose.  —  f.  Qui  ne  meure.  —  g.  Un  fer  qui  branle. 


BALADES  igg 

DGCCGLXVI 

Autre  Balade 

SUR   LES   SERVITEURS 

Vous  qui  voulez  servans  avoir 
Pour  vous  servir  honnestement, 
Je  vous  faiz  deux  choses  sçavoir 
Que  vous  sachiez  :  premièrement 
Que  sobre  soit  ;  secondement  5 

Qu'il  ne  soit  chaut  a  ne  rumoreux  b, 
Car  c'est  services  périlleux 
Et  qui  empire  la  besongne; 
Il  vauldroit  mieulx  estre  touz  seulx 
Que  prandre  rumoreus  n'yvrongne.  10 

Car  homme  yvre  fait  esmouvoir  c 
Par  son  parler  communément 
Pluseurs,  dont  il  fault  recevoir 
A  aucuns  dolereus  tourment; 
Car  il  dit  villennie  et  ment  ,  i5 

Pour  le  vin  qui  le  fait  fumeux  d; 
Il  fiert  ey  il  devient  oultrageux; 
On  le  bat,  chascun  le  ressongne  /: 
Il  vauldroit  mieulx  garder  trois  leux  s 
252  d     Que  prandre  rumoreux  n'yvrongne.  20 

Encor  vault  pis,  au  dire  voir  A, 

a.  Qu'il  n'ait  pas  la  tête  chaude.  —  b.  Indiscret.  —  c.  Fait  s'irriter. 
—  d.  Emporté.  —  e.  Il  frappe.  — /.  Le  craint.  —  g.  Loups.  — 
h.  A  dire  vrai. 


200  BALADES 

Homs  ramoreux  naturelment, 
Car  perdre  fait  corps  et  avoir 
Par  sa  rumour,  en  un  moment, 

25  A  ceuls  qui  ne  scevent  comment 

La  noise  vint  du  maleureux. 
Or  s'en  gardent  celles  et  ceuls 
Qui  ont  de  mal  faire  vergongne  : 
Car  c'est  péril  trop  merveilleux 

3o  Que  prandre  rumoreus  n'yvrongne. 

l'envoy 

Princes,  chascun  soit  amoureux 
De  varlet  simple  et  gracieux, 
Sobre,  soufrant  a,  et  qu'il  ne  grongne, 
Qu'il  ne  soit  lent  ne  paresceus  : 
35  Mieulx  vault  avoir  servent  doubteux 

Que  prandre  rumoreus  n'yvrongne. 


DCGCCLXVII 

Autre  Balade 
(On  n'est  connu  qu'après  sa  mort.) 

Se  ce  n'est  sens  ou  grant  chevalerie, 
Chastel  ou  lieu  de  grant  auctorité, 
Le  demourant  ne  dure  fors  a  vie 


a.  Endurant. 


BALADES  201 

Que  tout  ne  soit  a  la  mort  expiré  : 

5  Mais  Mémoire,  qui  tant  a  proufité 

Par  le  moien  de  lettre  et  d'escripture, 
Et  figurer  de  taille  a  ou  en  painture 
Le  sens  d'autrui,  la  prouesce  et  Vaillance, 
Font  après  mort  congnoistre  créature, 

10        Et  ce  sçavoir  nous  fait  Expérience. 

Car  nous  veons  renommer  par  clergie  b 

Roy  Salemon  en  la  divinité, 

Saint  Augustin,  Jherome,  Jheremie,  253  a 

Des  quelz  les  diz  sont  souvent  recité; 

i5        Alixandre  qui  fist  mainte  cité, 

Hector,  César,  les  .ix.  preux  qu'om  figure, 
Pompée  aussi,  mainte  bataille  dure 
Que  tous  ces  rois  firent  par  leur  puissance, 
Dont  leurs  noms  vit,  eulx  mis  en  sépulture  : 

20        Et  ce  sçavoir  nous  fait  Expérience. 

Romme  que  fist  Romulus  certifie 
Et  de  Remus  leur  haulte  voulenté, 
Lixebonne  q^lixes  a  bastie, 
Maint  fort  chastel  et  mainte  fermeté 

25        Que  pluseurs  ont  a  leur  vie  fondé 

Et  mis  leurs  noms,  les  font  par  la  droiture 
D'édifier  et  de  chastel  qui  dure 
Vivre  a  tousjours  par  renom  qui  s'avance 
Après  leur  mort,  estans  en  pourreture  : 

3o        Et  ce  sçavoir  nous  fait  Experiance. 

i/envoy 

Prince,  qui  puet  doit  bien  mettre  sa  cure 
D^cquerir  sens,  et  pour  prouesce  endure 

a.  Par  sculpture.  —  b.  Science,  littérature. 


202  BALADES 

Tant  que  d'armes  puist  avoir  congnoissance. 
Edifier  puet  et  doit  par  mesure  ; 
35        S'ainsi  le  fait,  mort,  vivra  sanz  laidure, 
Et  ce  sçavoir  nous  fait  Experiance. 


i5 


DCCCCLXVIII 

Autre  Balade 

DES   PERILZ   QUI    SONT   A    SUIR    LA   COURT 


A 


proprement  exposer  fait  de  court, 
Sontmains  perilzpour  Pâme  et  pour  le  corps, 
Car  Convoitise  o  les  curiaulx  a  court, 
Envie  y  est  et  dedenz  et  dehors, 

5  Excès  s 'i  font,  dont  mains  ont  esté  mors 

Avant  leurs  jours  ordonnez  en  nature  ;         253  b 
La  sont  travaulx,  paines,  labours  et  cure, 
Qui  veult  servir  et  faire  son  devoir; 
Et  sanz  labour  on  n'y  a  d'omme  cure  : 

io        Bon  fait  sanz  court  vie  et  chevance  avoir. 

Car  vanitez  temps  perdu  y  decourt 
En  attendant  estas,  honeurs,  rappors; 
Le  jeusne  temps  s'enfuit,  viellesce  acourt, 
Les  grans  estas,  les  honours  et  les  ors 


Ly  corps  se  duelt  par  traveil  et  froidure, 
i*.  Gens  de  cour. 


BALADES  203 

En  languissant  va  a  sa  sépulture; 

Pour  tout  le  sien  voulroit  santé  avoir, 

Mais  mourir  fault;  vez  ci  sentence  dure  : 

Bon  fait  sans  court  vie  et  chevance  avoir.  20 

Et,  qui  plus  est,  homs  qui  n'y  scet  du  hourt  a, 

Mordre,  blandir  *,  soy  tenir  aux  plus  fors, 

Dissimuler,  muyaux  c,  aveugle  et  sourt 

Estre  souvent,  ja  n'y  sera  ressors  d 

Ne  n'aquerra  !  vaillant  .11.  harens  sors;  25 

Qui  grans  y  est,  il  est  en  adventure 

De  perdre  tout  par  un  cas  d'amesure  e 

Et  l'ame  aussi,  s'il  n'a  fait  son  devoir 

De  servir  Dieu,  pour  acquérir  ordure  : 

Bon  fait  sans  court  vie  et  chevance  avoir.  3o 

l'envoy 

Prince,  servir  mondaine  créature, 

Oublier  Dieu,  est  pechié  et  injure 

Dont  es  cours  voy  maint  homme  decepvoir  ; 

Mais  servir  Dieu  et  vivre  sanz  laidure 

De  son  labour  est  vie  nette  et  pure  :  35 

Bon  fait  sans  court  vie  et  chevance  avoir. 


1.  Ne  naquerra  ja. 

a.  Ruses.  —  b.  Flatter.  —  c.  Muet.  —  d.  Relevé.  —  e.  Manque 
d'équilibre. 


204  BALADES 


G 


DCGCCLX1X 

Autre  Balade. 

(Vanité  de  la  vie  humaine.) 

harongne  a  vers,  povre  fragilité,  253  c. 

Qui  puez  estre  comparée  a  la  rose 
Qui  est  boutons  et  naist  ou  temps  d'esté, 
Enmi  le  jour  s'espanit  a,  lors  desclose  b 

5  Odoure  c  un  pou  et  plaist,  mais  la  nuit  close, 

Flour  et  bouton  et  rose  est  amatie  d  : 
En  mains  d'un  jour  est  sa  beauté  perie; 
Certes  autel  e  est  il  d'omme  et  de  femme  ; 
En  un  moment  perdons  corps,  ame  et  vie  : 

io        Dieux  nous  vueille  garder  et  Nostre  Dame  ! 

Ne  muert  enfans  en  sa  plus  grant  beauté, 
Femme  en  jouvent/,  homs  aussi?  Gomment  ose 
Orgueil  avoir,  fors  que  simplicité 
Et  craindre  Dieu  ?  Comme  trespo  de  chose 

1 5        De  fer,  de  fust  s  ou  de  fièvre  l'enosse  * 
Uns  povres  vers,  yraingne  ou  orillie  % 
Le  mors  d'un  chien  J  ou  beste  qui  le  lie 
Le  fait  mourir  et  mettre  soubz  la  lame  * 
En  moins  de  temps  que  flour  n'est  espanie  l. 

20        Dieu  nous  vueille  garder  et  Nostre  Dame  ! 


a.  S'épanouit.  —  b.  Ouverte.  —  c.  Sent  bon.  —  d.  Fle'trie.  —  e. 
De  même.  —  /.  Jeunesse.  •—  g.  De  bois.  —  h.  Entre  dans  ses  os.  — 
i.  Perce-oreille.  — j.  La  morsure  d'un  chien.  —  k.  Dans  le  cer- 
cueil. —  /.  Epanouie. 


BALADES  205 

Las!  que  nous  vault  nostre  grant  parenté  a, 

Noz  grans  palais,  nostre  grant  cité  close, 

Noz  grans  trésors,  li  règne  conquesté, 

Force  de  corps,  nostre  sens  et  la  glose  b7 

Tout  ce  ne  puet  deffendre  nostre  fosse.  2  5 

Sanson  est  mort,  Alixandre  et  Urie, 

Crises,  David,  Salemon,  Jheremie, 

Et  tuit  mourrons  en  paiant  celle  drame  c. 

Es  biens  mondains  ne  soit  nulz  qui  se  fie  : 

Dieu  nous  veuille  garder  et  Nostre  Dame!        3o 

l'envoy 

Prince  et  seigneur,  ne  vous  confiez  mie, 
Ne  homs  mortelz,  en  chose  qui  varie. 
253 d  Lecorpsmourra-jOrpensonsdoncderame, 
De  Dieu  servir  et  la  vierge  Marie, 
Ou  autrement  nostre  gloire  est  perie  :  35 

Dieu  nous  vueille  garder  et  Nostre  Dame  ! 


DGCGCLXX 

Autre  Balade. 
sur  l'estat  moyen 

Qui  est  Testât  en  ce  monde  plus  sain 
Pour  vivre  en  paix  et  selon  conscience  ? 
—  C'est  le  moien.  —  Et  quel  ?  —  Je  le  t'aprain  : 
De  sçavoir  art  labourer  et  science, 

a.  Nos  illustres  parentés.  —  b.  Parole.  —  c.  Dragme. 


206  BALADES 

5  Avoir  en  Dieu  plus  qu'en  homme  fiance, 

Ouvrer  a  des  mains,  vivre  de  son  labour, 
Sanz  trop  ne  po  quérir  estât  n'onour, 
Car  ce  moien  ont  tuit  tenu  li  saige. 
Fay  donc  le  mieulx  et  pran  pour  le  meillour 

10        Labour  de  mains  et  hostel  de  mesnaige. 

Car  en  hault  lieu  ventent  li  vent  a  plain, 
Les  hauls  clochiers  destruisent  par  puissance, 
Et  les  bas  lieux  demeurent  seur,  ce  tain  è; 
Bon  adviser  fait c  ceste  conséquence. 

i5        Les  grans  estas  ont  toute  pestilence, 

Trop  grant  coup  prant  qui  chiet  de  haulte  tour, 
Plus  est  navrez  que  cil  qui  chiet  d'un  four, 
Et  ce  sçavoir  puet  chascun  par  usaige; 
Donc  doit  amer  tout  homme  de  valour 

20        Labour  de  mains  et  hostel  de  mesnaige. 

Plus  vit  en  paix  un  povre  chapellain 
Aux  fraiz  d'autruy  ou  par  sa  pourveance, 
Ou  un  cloistrier  d,  ne  fait  e  son  souverain, 
Qui  1  pour  les  gens  qu'il  a  maintefoiz  pense; 

25        A  grant  seigneur  convient  trop  de  despense, 
Es  grans  honours  a  traveil  sanz  séjour/, 
Et  de  telz  gens  sont  abrégé  li  jour 
Et  vivent  moins  que  gens  en  labouraige     254  *« 
Pour  leur  soussi  ;  or  tien  donc,  par  amour, 

3o        Labour  de  mains  et  hostel  de  mesnaige. 

l'envoy 
Prince,  qui  a  terre,  aumaille  et  pastour  s, 

I.  Ou. 

a.  Travailler.  —  b.  Je  tiens.  —  c.  Il  fait  bon  considérer.  —  d. 
Moine  cloîtré.  —  e.  Que  ne  fait.  —  /.  Sans  repos.  —  g.  Bétail  et 
berger. 


BALADES  207 

Charrue  ou  beufs,  et  scet  aler  entour 
Pour  labourer,  et  a  grain  et  frommaige, 
Fèves  et  pois,  du  gros  pain  cuit  en  four, 
Seuremcnt  vit  :  Dieu  nous  doint  par  douçour  35 
Labour  des  mains  et  hostel  de  mesnaige. 


DCCCCLXXI 

Autre  Balade. 

SUR  LA  COURT   CELESTIAL 

Ilz  sont  deux  cours  en  gênerai 
Et  les  branches  qui  s'en  despendent, 
Et  une  court  celestial 
A  laquele  pou  de  gens  tendent  : 
Les  deux  aucune  foiz  se  vendent  5 

Dont  Tarne  est  en  enfer  vendue, 
Et  par  Tautre  est  gloire  rendue 
A  ceuls  qui  en  faiz  et  en  dis 
Et  en  bien  penser  ont  tendue  a  : 
C'est  li  règnes  de  paradis.  10 

L'une  des  cours  ou  sont  ly  mal 

Est  mondaine,  ou  les  vices  chantent  ; 

La  sont  .vu.  péchiez  capital 

Qui  par  tous  les  servens  s'estendent. 

A  la  seconde  court  se  vendent  1 5 

Les  biens  de  Dieu  par  retenue  ; 

Saige  personne  povre  et  nue 


a.  Direction. 


208  EALADES 

Ne  bons  clercs  n'y  seront  meris  rt; 


20 


in  e  bons  ciercs  n  y  seront  mens  a  ; 
La  joie  est  de  tel  court  perdue  : 
C'est  ly  règnes  de  paradis. 


Li  bailli,  li  officiai,  i54  b 

Ausquelz  prince  et  prélat  s'attendent, 

Prévost,  conseiller,  curial  b, 

Les  droiz  civilz  les  lois  estranglent, 
25  Les  canons  c  arrebours  entendent  ; 

Le  bien  commun  de  doleur  sue, 

Lerres  d  vit  et  prodoms  essue  e 

Par  le  jugement  des  chetis; 

Privez  sont  de  ciel  et  de  nue  : 
3o  C'est  ly  règnes  de  paradis. 

Ce  sont  li  prince  Belial 

Qui  mal  pour  bien  aux  justes  rendent, 

Ce  sont  li  juges  desloial 

Qui  Susanne  pour  ardoir  /prandent, 
35  Ce  sont  ceuls  qui  les  bons  tourmentent 

Et  qui  préparent  la  venue 

D'Antecrist,  quant  tout  droit  se  mue; 

Par  convoitier  les  biens  fuitis  s, 

En  perdent  la  gloire  congneue  : 
40  C'est  li  règnes  de  paradis. 

O  saincte  court,  juste  et  loyal, 
Que  les  sains  et  les  sainctes  sentent! 
La  sont  li  ordre  angelical 
Et  ceuls  qui  a  bien  faire  entendent, 
45  Les  bons  trespassez  qui  te  tendent 

Les  mains,  qui  ont  voie  tenue 
Selon  Dieu;  grant  desconvenue 

a.  Récompensés.  —  b.  Courtisan.  -—  c.  Les  règles.  —  d.  Larron 
—  e.  Sèche.  —  /.  Brûler.  —  g.  Passagers. 


BALADES 


209 


Venrra  aux  dolens  esperis 

Qui  aront  ta  gloire  incongnue  : 

C'est  ly  règnes  de  paradis.  5o 

l'envoy 

254  c.     Prince,  la  tierce  court  cremue  a 

C'est  la  court  Dieu  qui  nous  argue  * 

De  noz  maulx  ;  ostons  ces  périls, 

Faisons  que  mal  en  bien  se  mue, 

Prenons  ce  qui  tout  esvertue  :  55 

C'est  li  règnes  de  paradis. 


DCCCCLXX1I 


Balade. 


EN  ALLEGUANT  BOECE,  DE  CONSOLACION,  COMMENT  IL  FUT  MOULT 
CONSTANT  EN  TRIBULACION  ET  DE  GRANT  RECONFORT 

Se  Boeces,  de  Consolacion, 
Qui  saiges  fut  et  de  tel  reconfort 
Que  pour  perte  ne  tribulacion 
Qui  lui  venist  n'ot  oncques  desconfort, 
Ne  pour  bien  nul  ne  s'esjouy  trop  fort  '  5 

Pour  ce  qu'il  sceut  que  fortune  mondaine 
Est  inconstant,  périlleuse  et  soudaine, 
Vivoit  encor,  tous  seroit  esbahis 


a.  Crainte.  —  b.  Qui  nous  fait  des  reproches. 
T.  V 


H 


210  BALADES 

Des  grans  horreurs  que  le  monde  demaine 
10       En  tous  estas  et  par  touz  les  pais. 

Petit  seroit  de  s'accusacion, 

De  son  exil,  estre  jugié  a  tort, 

Sanz  lui  oir  mettre  a  dampnacion, 

Absent  aussi,  non  congnoissant  ;  Dieu  dort, 

i5        Car  au  jour  d'ui  le  gaingne  le  plus  fort, 

Sanz  loy  garder  le  plus  foible  mehaingne  a, 
Et  justice  est  la  toille  de  Fyraingne 
Qui  ne  retient  que  les  povres  chetis; 
Les  grans  larrons  laisse  aler  et  aplaine  b 

20        En  tous  estas  et  par  tous  les  pays. 

Mais  qui  pis  est,  toute  destruction 

Se  tait  des  bons,  les  mauvais  ont  le  port; 

Les  convoiteus,  envye,  ambicion,  254  d. 

Pechié  de  char,  tuit  vice  vil  et  ort 

25        Régnent  partout  et  a  si  grant  effort 

Que  puis  le  temps  Constantin  et  Helayne, 
Ne  devant  eulx,  ne  fut  la  terre  plaine 
De  tant  de  maulx,  traisons  et  périls, 
Que  chascun  fait  et  s^n  efforce  et  paine 

3o        En  tous  estas  et  par  tous  les  pais. 

l'envoy 

Princes,  je  croy  que  la  court  souveraine 
Et  les  .ix.  cieuls,  tout  ce  qui  les  compaigne  c. 
Les  elemens  et  Dieux  en  paradis 
Sont  tous  troublez  des  faiz  que  l'en  demaine 
35        Contre  sa  loy,  ça  jus,  en  ceste  plaine, 
En  tous  estas  et  par  tous  les  pais. 

a.  Maltraite.  —  b.  Caresse.  —  c.  Les  accompagne 


BALADES  2 l 1 


DGCCCLXXIII 

Autre  Balade. 

SUR  LES  ESTAZ  MOYENS  ET  QU  ILZ  SONT  LES  PLUS  SEURS 

Qui  a  eu  des  estas  moyens 
Sanz  reprouche  en  ce  monde  cy, 
Et  par  travail  acquis  des  biens 
Dont  vivre  puet,  s'il  est  ainsi, 
Il  en  doit  Dieu  rendre  merci,  5 

Soy  retraire  tant  qu'il  a  grâce, 
De  Dieu  servir  prandre  l'espace, 
Prier  ses  péchiez  lui  pardonne, 
Faire  bien  et  qui  se  soulace  a, 
Serve  Dieu,  face  sa  besongne.  io 

Car  homme  qui  est  clers  voyens, 
255  a    S'ainsi  fait,  s'oste  de  soussi 

Et  n'est  chargeus  b  ne  ennoieux, 

Comme  sont  li  viel  endurcy 

Qui  aux  cours  se  sont  obscurcy  i5 

Tant  que  chascuns  les  fuit  et  chasse. 

Hz  sont  moquez,  on  quiert  leur  place 

Par  viellesce  ou  pour  leur  vergongne; 

En  tel  cas  homs  ne  se  mefface  c, 

Serve  Dieu,  face  sa  besongne.  20 

Soit  de  telz  estas  retraiens  d 


a.  Console.  —  b.  A  charge,  onéreux.  —  c.  Que  personne  ne  se 
mette  dans  ce  mauvais  cas.  —  d.  Qu'il  se  retire  de  ces  états. 


2  I  2  BALADES 

En  moyen  aage  homs,  et  aussi 
Qu'il  ait  grâce  et  amour  laiens  a 
Car  puis  qu'il  partira,  je  dy 

25  De  son  gré,  sanz  avoir  failli 

En  tel  estât,  si  le  pourchace, 
Honneur  a;  s'il  veult,  il  amasse 
Biens  temporelz  et  si  esloingne 
Moult  de  perilz;  telz  maulx  trespasse, 

3o  Serve  Dieu,  face  sa  besongne. 


l'envoy 


Princes,  li  homs  qui  est  sciens  b 
Doit  de  court  doubter  les  liens 
Et  le  trebuchier  qu'om  ressoingne  c; 
Départe  soy,  puis  qu'il  a  riens; 
35  Trop  est  cours  perilleus  merriens  d  : 

Serve  Dieu,  face  sa  besongne. 


DCGCCLXXIV 

Balade 

AMOUREUSE 

{Souvenir  à  une  dame.) 

Pour  le  doulz  temps  et  pour  l'acoustumance 
Que  j'ay  aprins  et  le  veu  que  fait  ay 
D'Amour  servir,  a  qui  suy  dès  m'enfance, 
De  lui  offrir,  le  premier  jour  de  May, 

a.  Là  dedans.  —  b.  Savant.  —  c.  Craint.  —  d.  Bois. 


BALADES  2  1  3 

255  b  Chançon,  rondeau,  balade  ou  virelay,  5 

Me  vueil  a  lui  humblement  acquiter 
Et  tout  mon  fait  lui  vueil  recommander, 
En  suppliant  qu'elle  m'ait  en  sa  grâce, 
Si  je  suy  viel,  sanz  mon  corps  despiter, 
Car  en  tous  fault  que  jonesse  se  passe!  io 

Mon  jeusne  temps,  mon  labour,  ma  plaisance 

Ay  mis,  du  tout  le  demourant  feray 

A  bien  servir,  en  toute  obéissance, 

Celle  que  j'aym,  n'oncques  autre  n'amay 

Ne  jamais  jour  autre  dame  n'aray.  i5 

Or  me  vueille,  s'il  lui  plaist,  conforter 

Et  un  chapel  a  en  ce  doulz  mois  donner 

Pour  adoucir  la  doleur  qui  m'efface; 

Ne  me  vueille  pour  viellesce  oublier, 

Car  en  tous  fault  que  jonesse  se  passe  !  20 

Mais  j'ay  au  fort  en  li l  bonne  espérance, 
Pour  les  vertus  dont  garnie  la  sçay, 
C'est  de  douçour,  de  pitié,  d'atrempance, 
D'umilité,  d'onneur  et  de  cuer  vray, 
De  beau  maintien,  de  bonté,  si  verray  25 

Son  puet  hair  ce  que  l'en  seult  amer  *, 
Quant  on  n'y  scet  que  dire  ne  blasmer, 
Fors  que  le  temps  de  l'aage  qui  trespasse, 
Que  l'en  ne  puet  sanz  jeune  mort  tarder, 
Car  en  tous  fault  que  jonesce  se  passe  !  3o 

l'envoy 

Chiere  dame,  vueilliez  vous  ramembrer  c 
De  vo  servent  et  le  reconforter  d, 

1.  lui. 

a.  Une  couronne.  —  b.  Ce  que  Ton  a  coutume  d'aimer.—  e.  Sou- 
/enir.  —  d.  Le  consoler. 


214  BALADES 

Car  fors  que  vous  n'est  qui  joye  lui  face. 
Ainsi  pourra  par  vo  bien  recouvrer 
35        Respit  de  mort  et  vo  sers  demourer, 
Car  en  tous  fault  que  jonesce  se  passe! 


DGGGGLXXV 

Balade x. 
(Injures  contre  une  femme  qui  l'avait  trahi). 


p 


erverse  en  cuer,  de  semblant  tricheresse,  255  c 
Douce  en  parler,  en  oeuvre  venimeuse, 
Vaine  d'amour,  fausse  et  deceveresse  a, 
Double  en  voz  faiz,  haultaine  et  orgueilleuse, 

5  Trop  attrayant,  d'autrui  biens  convoiteuse, 

Langue  tranchant  qui  ne  scet  que  mesdire, 
Nulz  ne  pourroit  voz  grans  péchiez  descripre, 
Les  faussetez  ne  les  desloiaulx  tours 
Qui  sont  en  vous,  Brohadas  plaine  d'ire  : 

io        Tous  les  diables  vous  aiment  par  amours. 

Fille  fustes  Circé  l'enchanteresse, 
Car  de  charois  b  de  sors  2  estes  doubteuse, 
Phitonique  vous  fist  enhorteresse  c  \ 
Vous  avez  fait  mainte  euvre  périlleuse, 
i5        Ensorcelé  ;  n'est  chose  haineuse 

Ne  mauvestié  qui  vous  puisse  souffire, 

i.  Balade  manque.  —  2.  et  de  sors. 

a.  Trompeuse,  qui  déçoit.  —  b.  Charmes.  —  c.  Elle  vous  fit 
Pythonisse  et  tentatrice. 


BALADES  2  l  5 

Vous  avez  mis  maint  prodomme  a  martire, 
Aucuns  murdriz  et  les  autres  fait  sours 
Par  voz  poisons  ;  du  monde  estes  la  pire  : 
Touz  les  diables  vous  aiment  par  amours,         20 


•î 


Car  vous  estes  leur  dame  et  leur  maistresse. 

Royne  d'enfer,  de  tous  maulx  amoureuse. 

O  Lachesis,  raige  et  forsenneresse  a, 

Tourment  sanz  fin,  laide,  noire  et  hideuse. 

Contrefaire  voulez  la  précieuse,  25 

Je  croy  que  nulz  ne  vous  vit  onques  rire; 

Pour  voz  grans  maulx  Dieu  vous  vueille  maudire 

Tant  qu'âme  et  corps  soit  dampnez  a  tousjours 

Ou  puis  d'enfer,  la  sera  vostre  empire  : 

Tous  les  diables  vous  aiment  par  amours.         3o 

l'envoy 

Vielle,  sote,  fausse  et  enchanteresse  *, 
Visaige  d'ours,  griffes  de  lyonnesse, 
255  d  Voix  de  torel,  vous  estes  en  decours  c. 
Menton  et  peaulx  avez  comme  singesse  : 
Pour  voz  grans  maulx  dontchascun  vous  delesse,  35 
Tous  les  diables  vous  aiment  par  amours. 

a.  Qui  rendez  fous.  —  b.  Sorcière.  —  c.  En  décroissance. 


2 1 6  BALADES 

DCCCCLXXVI 

Autre  Balade 

MORALE 

(Contre  le  mariage.) 


T 


Wrment  de  corps,  abrègement  de  vie, 
Paine  de  cuer,  lime  pour  tout  lymer, 
Perte  de  sens  et  de  chevalerie, 
Traveil  sanz  fin  est  de  soy  marier; 

5  Car  chevaliers  et  clercs  fault  varier 

Leurs  .h.  estas,  l'un  sens,  l'autre  prouesce, 
Par  femme  avoir;  ainsi  chascun  se  blesce 
Qu'aux  .ii.  mestiers  n'a  leurs  femmes  ensemble 
Ne  puet  servir  nulz  que  l'un  d'eulx  n'en  blesce 

io        Qui  se  marie,  il  est  foui,  ce  me  semble. 

Car  a  femme  fault  estât  et  mesgnie  a, 
Robes,  joyaulx,  s'amour  continuer, 
Meubles  d'ostel,  garnisons,  et  lors  crie 
Quant  on  lui  fait  longuement  demander. 

1 5        S'elle  a  enfans,  il  les  fault  gouverner, 
Nourrice  avoir,  lors  fera  la  maistresse  ; 
Pour  tout  quérir  fault  avoir  grant  destresse. 
A  son  mari  s'elle  autrui  déduit  emble  b 
Et  il  le  scet,  jamais  n'ara  leesce  : 

20       Qui  se  marie,  il  est  foui,  ce  me  semble. 

D'acquérir  art  clerc  sa  science  oublie, 
Et  chevaliers  ne  se  puet  exercer 

a.  Maison.  —  b.  Si  elle  prend  son  plaisir  ailleurs. 


BALADES  2  17 

En  fait  d'armes,  sa  poursuite  est  perie  ; 
Ainsis  leur  fault  moult  de  maulx  endurer, 
De  criz,  de  plours,  de  dangereus  parler  25 

256  a  Par  leurs  femmes,  et  tel  doleur  ne  cesse 

Jusqu'à  la  mort;  dont  est  ce  grant  simplesse 
A  chascun  d'eulx  quant  a  femme  s'assemble 
Pour  délaisser  franchise  a,  sens,  noblesse  : 
Qui  se  marie,  il  est  foui,  ce  me  semble.  3o 

l'envoy 

Princes,  bons  clercs,  chevaliers  en  jeunesce 
Ne  se  doivent  pour  or  ne  pour  richesce 
Bouter  ou  feu  qui  art  et  qui  estrangle 
Les  mariez,  car  tous  maulx  les  apresse. 
Vivent  donc  frans,  chascuns  tel  lien  lesse  :        35 
Qui  se  marie,  il  est  foui,  ce  me  semble. 


DCCGGLXXVII 

Balade  *. 

LA  COMPLAINTE  D'UN  GENTIL  HOMME  MARIÉ  EN  AAGE  MOIEN 
FAICTE  PAR  EUSTACE  PAR  MANIERE  DE  BALADE 

J'ay  demouré  entre  les  Sarrasins, 
Esclave  esté  en  pays  de  Surie, 
J'ay  en  vaisseaulx,  en  galées,  en  lins  *, 

*  Publiée  par  Crapelel,  page  100. 

a.  Liberté.  —  b.  Sortes  de  vaisseaux. 


2  I  8  BALADES 

Esté  sur  mer,  et  en  nave  perie, 
5  Par  le  tourment  cuidant  perdre  la  vie. 

J'ay  combatu  en  guerre  et  pour  le  gaige, 
Et  es  desers  a  un  lion  sauvaige, 
Et  de  tout  ce  me  suis  bien  eschapé, 
Et  d'autres  maulx,  fors  que  de  mariage  : 
io        Or  gart  chascuns  qu'il  n'y  soit  atrapé! 

J'ay  de  larrons  esté  sur  les  chemins 

Fort  assailli,  pour  faire  roberie, 

Batuz,  navrez  a  et  de  justice  prins 

Pour  mes  debas,  pour  injure  et  folie; 
i5        J'ay  demouré  en  fortresse  assaillie, 

Siégé  devant  engins,  et,  a  oultraige,  256"  b. 

Pierres  canons  gettans  ou  hault  estaige  ; 

Par  myne  j'ay  esté  prins  et  happé  ; 

Mais  femme  avoir  m'a  trop  plus  fait  dommaige  1  : 
20        Or  gart  chascun  qu'il  n'y  soit  atrapé! 

J'ay  tous  les  maulx  dont  je  fu  entrepris 

Frains  et  passez  sanz  honte  et  villenie; 

Or  est  sur  moy  de  femme  li  venins, 

Par  marier,  qui  tous  jours  brait  et  crie, 
2  5        Tance  et  maudit.  Douce  vierge  Marie, 

Beau  sire  Dieux,  pour  quoy  me  mariai  ge  2? 

Onques  homs  n'ot  tant  de  dueil  ne  de  raige; 

Par  femme  suy  désert,  mort  et  lappé  b. 

Saiges  n'est  pas  qui  entre  en  tel  mesnaige  : 
3o        Or  gart  chascun  qu'il  n'y  soit  atrapé  ! 

l'envoy 
Prince  3,  homme  n'est,  ne  si  foui  ne  si  saige, 

1 .  dommage.  —  2.  mariage.  —  3.  Princes, 
a.  Blessé.  —  b.  Englouti,  dévoré. 


BALADES  2  19 

Se  femme  prant,  qu'elle  ne  Tassouaige  a, 

Et  qui  ne  soit  par  son  fait  entrapé  *, 

Ne  qui  sceust  respondre  a  son  langaige. 

Bon  eschiver  fait  ce  doubteus  passaige  :  35 

Or  gart  chascun  qu'il  n'y  1  soit  atrapé  ! 


DCCCCLXXVIII 

Balade. 

COMMEMT  LE  CHIEF  SE  PLAINT   MOULT    DUREMENT   DE   SES 
MEMBRES    I    C'EST    ASSAVOIR    L^GLISE 


D 


e  toutes  pars  est  mon  chief  assailli, 
Qui  cause  estoit  a  mon  corps  de  sa  vie; 
A  mes  bras  sont  vaines  et  nerfs  2  failli, 
Les  mains,  les  doiz  gardans  ma  seignourie; 
Fièvre  m'assault  et  mes  cuers  se  varie  5 

Pour  les  membres  qui  se  dueillent  du  chief, 
256  c  Et  mes  membres  soustiennent  le  meschief  c 
De  tout  le  corps,  qui  ja  tremblent  et  finent, 
Ne  je  ne  sçay  de  mes  maulx  le  plus  grief  : 
Toutes  vertus  au  jour  d'ui  se  déclinent  d.  10 

Qui  est  ce  chief  taint  e,  malade  et  pâli, 
Qui  au  jour  d'ui  pour  sa  grant  doleur  crie? 
L/eglise  Dieu,  quant  elle  voit  en  li 

I,  qui  ne.  —  2.  nerf. 

a.  Domine.  —  b.  Mis   en  cage.  —  c.  Le  mauvais  e'tat.  —  d.    Se 
perdent.  —  e.  Pâle,  jaune. 


2  20  BALADES 

Division,  et  que  pas  n'est  unie, 
1 5        Mais  de  deux  pars  est  trop  fort  assaillie  ; 
Braz,  vaines,  nerfs,  pour  déclarer  au  brief, 
Justice  et  loy  signifient,  qu'en  brief 
Avec  raison  tindrent  les  roys,  or  clinent; 
Mains  et  doys  sont  des  juges  le  dechief  a  : 
20       Toutes  vertus  au  jour  d'ui  se  déclinent. 

Convoitise  a  comme  fièvre  envahy 
Les  cuers  des  gens  et  le  chief  en  partie; 
S'en  est  le  corps  et  le  monde  esbahy  : 
Par  les  jambes  le  peuple  signifie 
25        Qui  soustenir  ne  puet  plus  l'envaye  b 
Des  maulx  qu'il  a,  mais  crie  de  rechief 
Vengence  a  Dieu,  car  pain  n'a  ne  relief; 

Or  et  argent,  lit,  coûte  c  et  cuevrechief  d  : 
3o        Toutes  vertus  au  jour  d'ui  se  déclinent. 

l'envoy 

Prince  l,  advisez  que  chief  ne  soit  péri  : 
Braz,  mains  et  doiz  mourroient  sanz  detry  e, 
Jambes  et  corps,  qui  desja  s'i  enclinent  ; 
Or  faittes  donc  que  ce  chief  soit  gari, 
35        Car  paour  ay  quant  je  voy  et  vous  dy  : 
Toutes  vertus  au  jour  d'ui  se  déclinent. 


i.  Princes. 

a.  La  défaillance,  la  prévarication.  —  b.  L'envahissement. 
Matelas.  —  d.  Bonnet  de  nuit.  —  e.  Retard. 


BALADES  22  1 

DCCCCLXXIX 

Balade l. 

(Contre  l'arithmétique.) 

256  d  ]"^\epuis  l'aage  qui  commença  premier 
-L/  Au  père  Adam,  Noé  secondement, 
A  Abraham  qui  dut  sacrifier 
Ysac  son  fiiz,  le  tiers  aage  ensement, 
David  le  quart  et  au  captivement  5 

Le  ve  de  Babiloyne  fu  a, 
Le  vie  commença  a  Jhesu, 
A  tousjours  eu  moult  de  mutacions, 
De  milliers  d'ans  avec  leurs  fractions, 
Quatorze  cens,  et  maint  art  autentique  io 

De  tous  lesquelz  vient  la  finicions  : 
Régner  ne  voy  fors  l'art  d'arismetique. 

Or  sommes  nous  ou  vr2  millier, 

Près  de  la  fin,  selon  l'entendement 

Metheode,  qu'Entecrist  approuchier  i5 

Doit  et  venir  tresrigoureusement, 

Soy  disant  Grist,  et  régner  faussement 


Par  miracles  de  simulacions 

Et  par  trésors  repos  b  es  régions 

Convertira  par  mainte  voie  inique  ;  20 

Et  je  le  croy,  les  signes  en  suions  c  : 

Régner  ne  voy  fors  l'art  d'arismetique. 

I.  Balade  manque. 

a.  Le  cinquième  âge  fut  celui  de  la  captivité  de  Babylone.  —  b. 
Cachés.  —  c.  Suivons. 


222  BALADES 

2  5        Des  sciences  ot  l'en  gramaire  chier, 
Logique  après,  et  encor  tiercement, 
Rethorique,  géométrie  quier, 
Musique  fault,  astronomie  ment, 
Compter,  getter  a  ont  le  gouvernement  ; 


3o 


Ces  sciences  a  ces  aages  joingnons 
Et  se  tout  bien  a  la  lettre  prenons, 
Nulle  n'en  sçayou  crestien  s'aplique 
35        Qui  au  jour  d'ui  lui  vaille  .n.  boutons  : 
Régner  ne  voy  fors  l'art  d'arismetique. 

l'envoy 

Prince,  au  jour  d'ui  bon  clerc  ne  chevalier  25y  a, 
Ne  se  puelent  chevir  b  de  leur  mestier, 
Car  biens  ne  sens  n'est  prisiez  une  crique  c 
40         Fors  que  l'argent,  et  qui  s'en  scet  aidier  : 
Soit  ez  palais,  en  ville  ou  en  moustier, 
Régner  ne  voy  fors  Part  d'arismetique. 


DCCCCLXXX 
Autre  Balade  *. 

TOUCHANT  LE  ROYAUME  DES  FRANÇOIS 

s 

(~\  Gallican,  petit  règne  adoptif, 
Par  miracles  du  roy  suppellatif  d 

*  Publié  par  Tarbé,  tome  I,  page  104- 

a.  Compter  avec  des  jetons.  —  b.  Ne  peuvent  venir  à  bout.  —  c. 
Bâton.  —  d.  Superlatif,  suprême. 


BALADES  22  3 

Clodouveus  a  prinst  la  crestienté 

Par  Clotilde  qui  Tôt  admonnesté  b\  5 

De  saint  Remy  fut  baptisez  a  Reins, 

Le  saint  sacre  tramist  Dieu  en  ses  mains 

Dont  tous  tes  roys  sont  oins  et  baptisez, 

Et  ce  fonda  sur  .1111.  estos  c  :  du  mains 

Entre  vous,  rois,  a  ces  poins  avisez.  10 

De  tous  .un.  soiez  memoratif  : 

Le  premier  est  Dieu,  soit  de  vous  doubté; 

Ses  ministres  vous  ayent  substantif  d\ 

Honourez  les  et  Dieu,  par  charité  ; 

Le  tiers  estoc,  Justice  et  Vérité  i5 

Gardez  tous  jours,  c'est  voz  sièges  certains; 

Le  bien  commun  est  le  quart;  les  Rommains 

Par  ce  laissier  furent  touz  divisez, 

Mors,  subjuguez,  et  leur  empire  estains  : 

Entre  vous,  roys,  a  ces  poins  advisez.  20 

Ces  .1111.  estos  voy  en  simulatif  e 
Paroir  un  po,  sanz  la  propriété 
\5j  b  N'en  nul  effect,  sanz  le  nominatif, 
Car  le  dedenz  est  pourry  et  gasté, 
Dieu  et  ses  gens,  Justice  en  orphanté/,  2  5 

Le  bien  commun  n'a  amis  ne  prouchains; 
De  convoiter  est  ly  mondes  Cains  S"; 
Saiges,  prodoms  ne  vaillans  n'est  prisiez. 
Règnes  tu  pers,  si  ces  . un.  sont  frains  : 
Entre  vous,  roys,  a  ces  poins  advisez.  36 


l'envoy 


Princes,  je  voy  tous  les  vices  villains 


a.  Clovis.  —  b.  Converti.   —  c.  Souches,  pieux.  —  d.  Soutien, 
ppui.—  e.  Apparence.—  /.  Etat  d'orphelin,  —g.  Semblable  à  Caïn. 


224  BALADES 

Qui  ont  destruit  les  règnes  souverains, 
Suyans  les  cours  et  estre  auctorisez  ; 
Justice  fault,  Orgueil  va  par  les  plains  a  : 
35        Entre  vous,  roys,  a  ces  poins  advisez. 


DCCGCLXXXI 

Balade. 

DU  DILUGE   ET   COMMENT  LES   QUATRE   CITEZ   FONDIRENT 

{Prédiction  d'une  révolution  prochaine). 


D 


epuis  que  le  diluge  fu 
Et  que  les  cinq  citez  fondirent 
Pour  leur  pechié,  par  ardent  fu  bt 
Que  Loth  et  sa  femme  en  yssirent, 

5  Ne  puis  que  les  prophètes  dirent 

Les  maulx  dont  ly  mons  seroit  plains  c\ 
Près  de  la  fin,  ly  noms  Dieu  vains 
Et  sa  loy  escandalisée  d, 
Ne  fut  li  termes  si  prouchains 

io  D'estre  monarchie  muée 

Comme  il  est,  car  nulle  vertu  25 7  c. 

Ceuls  de  ces  .vu.  aages  *ne  firent; 
Tout  est  a  présent  corrompu, 
Tous  estaz  mal  faire  désirent, 
1  5  Doleur  fut  que  telz  gens  nasquirent, 

f.  aage. 

a.  Par  les  plaines.  —  b.  Feu.  —  c.  Dont  le  monde  serait  plein. - 
d.  Publiée. 


BALADES  22  5 


Orgueilleus,  convoiteus,  haultains, 

Lasches,  couars,  de  cuer  villains  ; 

Dont  la  parole  yert  avoirée  a, 

Dedenz  vint  ans,  po  plus,  po  moins, 

D'estre  monarchie  muée.  20 

Car  on  vent  les  biens  de  Jhesu 

Autrement  qu'apostre  ne  firent, 

Et  justice  n'a  point  d'escu  : 

On  het  tous  ceuls  qui  l'establirent  ; 

Nostre  ancien  pas  ne  trairent  25 

L'un  Pautre,  mais  a  ses  deux  mains 

Veult  destruire,  le  plus  le  moins, 

Guerre,  sanz  paix  faire,  a  l'espée; 

Et  par  ce  avons  signes  certains 

D'estre  monarchie  muée.  3o 

l'envoy 

Princes,  selon  les  diz  des  sains, 

Pour  leurs  péchiez  seront  estains  b 

Les  pécheurs  en  place  ordonnée 

Prochainement;  de  leur  sang  tains 

Seront  les  champs  ;  c'est  li  vrais  saings  c         35 

D'estre  monarchie  muée. 


a.  Sera  avérée,  vérifiée.  —  b.  Détruits.  —  c.  C'est  le  vrai  signe. 


TV  -    ,5 


22Ô  BALADES 


DGCGGLXXXII 

Autre  Balade. 

DE   LUXURE   ET   D'ORGUEIL 

(Le  monde  approche  de  sa  fin). 


o 


|Rgueil,  luxure,  oultrecuidance,         25j  c 
Envie  et  mortel  traison, 

Convoitise,  desordonnance, 

Baras,  convers  ont  leur  saison  ; 
5  Chascuns  het  Justice  et  Raison 

Et  veult  estât  de  prince  avoir; 

On  ne  quiert  qu^rgent  et  avoir, 

Au  bien  commun  n'est  nul  enclin; 

Par  tous  ces  poins  puet  on  sçavoir 
îo  Que  le  monde  approuche  sa  fin. 

Guerre  de  jour  en  jour  s'avance; 

Il  n'est  prière  n'oroison 

Vers  Dieu,  ne  nulle  obéissance; 

Estable  font  de  sa  maison 
i5  Pluseurs.  Las!  toute  devision 

Règne,  et  menterie  pour  voir, 

Preudoms  n^ose  les  denz  mouvoir; 

L'Eglise  et  tout  va  a  déclin  : 

Par  ce  puet  on  appercevoir 
20  Que  le  monde  approuche  sa  fin. 

Pitié,  amour  ne  congnoissance, 
Loyaulté  ne  porte  mais  hom, 


BALADES  227 

Honeur,  vérité  ne  vaillance  ; 

De  toutes  vertus  nous  taison  : 

Le  grant  orgueil  que  nous  faison,  20 

Fera  povreté  concepvoir 

En  gênerai  un  crueulx  hoir, 

Vengence,  et  destruire  For  fin. 

Puis  doit  Antecrist  apparoir, 

Que  le  monde  approuche  sa  fin.  3o 

l'en  voy 

258  a     Prince,  je  voy  tout  remouvoir 
Et  les  signes  du  ciel  douloir 
Pour  nostre  dolereus  chemin, 
■  Riens  ne  vault  ce  que  deust  valoir  : 
Dieux  nous  vueille  a  bien  esmouvoir,  35 

Que  le  monde  approuche  sa  fin. 


DCCCCLXXXIII 


Balade. 

COMMENT  TOUTE  TERRE  QUI  A  VAINES  D'OR  ET  d'aRGENT  SE 
DOIT  MOULT  AMER  ET  CHIERIR  ET  RECLAMER  PLUS  QUE  DIEU. 
CAR  NOUS  LAISSONS  DIEU  POUR  ACQUERIR  l'or  ET  l' ARGENT. 

Chérir  se  doit  sur  toutes  et  amer 
Terre  qui  a  vaines  d'or  et  d'argent, 
Qu'elle  se  fait  plus  que  Dieu  reclamer 
De  roys,  de  dus,  de  clercs,  de  toute  gent, 
Ne  nul  ne  voy  qui  ne  soit  indigent  5 


2  28  BALADES 

Tant  ait  de  vins,  meubles,  bief  et  aumaille  «, 
Par  son  parler,  et  que  tout  ne  lui  faille 
Se  de  flourins  n1a  grant  somme  en  trésor. 
Pour  l'acquérir  art  b  chascun  et  travaille  '  : 
10        C'est  grant  péril  que  de  tant  amer  l'or. 

Car  on  s'en  fait  homicide  clamer 
Quant  on  le  va  trop  en  trésor  mussant  c, 
Si  qu'il  ne  puet  contrevenir,  n'aler 
Pour  secourir  l'un  l'autre,  en  marchandant; 

i5        Mais  quant  il  court,  on  vit  plus  largement 
Que  du  tenir  repost  en  la  corbaille  d  : 
Aux  anciens  souffisoit  grain,  poulaille, 
Moutons,  brebis,  vaches,  chievres  et  tor  e, 
Estre  vestus,  vignes,  prez  et  vitaille  : 

20        C'est  grant  péril  que  de  tant  amer  l'or.  258  b 

Et  s'en  laiss'on,  par  le  trop  désirer, 
A  servir  Dieu,  on  vit  en  convoitant; 
Et  s'en  voit  on  pluseurs  déshériter, 
Haine  yssir,  sourdre  noise  et  content/; 

2  5        Autruy  avoir  2  embler  et  faire  tant 

D'autres  péchiez;  guerre  en  vient  et  bataille. 
Et  neantmoins  clerc,  noble  et  villenaille  s 
Ne  souhaident  autre  chose  desor  h 
Qu'avoir  argent;  tel  souhait  ne  leur  vaille  : 

3o        C'est  grant  péril  que  de  tant  amer  l'or. 

l'envoy 

Prince,  qui  a  pour  son  estât  mener 
Viande  et  vin,  et  ses  gens  gouverner 

i.  traveille.  —  2.  cuer. 

a.  Bêtes  à  cornes.  —  b.  Brûle.  —  c.  Cachant.  —  d.  Que  de  le  te- 
nir caché  dans  une  corbeille.  —  e.  Taureau.  —  f.  Contestations.  — 
g.  Vilains,  roturiers.  —  h.  Maintenant. 


BALADES 


229 


Puet  bien  du  sien,  et  qui  habonde  encor, 

L'or  ne  pourroit  en  son  espèce  user  : 

C'est  grant  péril  que  de  tant  amer  l'or.  35 


DCGCCLXXXIV 

Autre  Balade. 

COMMENT   LES   FLOURS   NAISSENT 

(Sur  un  manuscrit  quon  lui  avait  pris.) 


D 


oulz  Zephirus  qui  faiz  naistre  les  flours, 
Printemps,  Esté,  Autompne,  et  Aurora, 
Plourez  o  a  moy  mes  dolentes  dolours 
Et  le  jardin  que  jadis  laboura 
Fons  Cireus  b,  ou  Galiope  c  ouvra,  5 

258  c  Qui  de  ses  fleurs  avoit  fait  un  chapel 
Si  odorant,  si  precieus,  si  bel 
Que  de  l'odour  pouoit  guarir  touz  maulx, 
Quant  un  fort  vent  le  print  par  cas  isnel  d  : 
S'ainsi  le  pers,  c'est  trespovres  consaulx  e.         10 

Continuelz  fut  vint  ans  mes  labours 

Aux  fleurs  semer  ou  Ovides  planta 

De  Socrates  et  Seneque  les  mours, 

Et  Virgiles  mains  beaus  mos  y  dicta 

Et  Orpheus  ses  doulz  chans  y  nota.  i5 

Poeterie/fut  au  tour  du  sercel  s, 

Rethorique  le  fist  ront  comme  annel, 

a.  Avec.  —  b.  Hippocrène.  —  c.  Calliope.  —  d.  Par  cas  soudain. 
-  e.  C'est  une  fâcheuse  affaire.  — /.  Poésie.  —  g.  Parterre. 


230  BALADES 

Lettres  y  mist  et  les  noms  des  plus  haulx 
Si  plaisamment  que  maleureus  m'appel  : 
20        S'ainsi  le  pers,  c'est  trespovres  consaulx. 

Si  pri  Juno  la  déesse  d'amours 

Et  a  ce  vent  qui  mon  fruit  ravi  a, 

Aux  dieux  de  l'air  qu'ilz  me  facent  secours, 

Ou  autrement  tout  mon  fait  périra  ; 

25        Car  mon  las  cuer  jamès  rien  n'escripra 
Et  ne  vouldra  riens  faire  de  nouvel. 
Conseilliez  vous  a  a  Eustace  Morel, 
Si  me  rendez  mes  choses  principaulx, 
Ou  me  bailliez  copie  du  jouel  b  ; 

3o       S  ainsis  le  pers,  c'est  trespovres  consaulx. 


l'envoy 


Prince,  avisez  mes  piteuses  clamours 
Et  faictes  tant  que  mes  chapeaulx  soit  saulx  c, 
Car  moult  y  a  de  diverses  coulours  : 
S'ainsis  le  pers,  c'est  trespovres  consaulx. 


s 


DCCCCLXXXV 

Autre  Balade  *. 
[Sur  la  division  de  l'Eglise.) 

e  Dieu  ne  fait  les  péchiez  remouvoir    258  d. 
Des  cuers  de  ceuls  qui  sont  persévèrent 


'Cette  ballade  se  trouve  dans  le  manuscrit  Ashburham. 
a.  Réconciliez-vous  avec.  —  b.  Donnez-moi  une  copie  du  joyau. 
-  c.  Que  ma  couronne  soit  sauvée. 


BALADES  2  3 I 

En  leurs  meffaiz,  et  repentance  avoir 

Es  trois  estaz  de  ce  monde  présent, 

Orgueil  cesser,  convoitise  qui  rent  5 

Guerre  partout,  estre  paix  ne  puet  mie, 

Mais  les  tourmens  dont  parla  Jheremie 

Prophetisans  de  la  saincte  cité, 

Venrront  sur  ceuls  qui  n'amendent  leur  vie  : 

Pestillence,  guerre  et  mortalité.  io 

Et  l'en  voit  ja  ces  choses  apparoir 

Ou  chief  de  qui  tout  membre  se  despent, 

Saincte  Eglise  qui  moult  se  puet  doloir 

Quant  .ii.  espoux  Pont  si  violemment 

Prinse,  et  un  seul  la  deust  sainctement,  i5 

Ou  nom  de  Dieu,  gouverner  comme  amie; 

Division,  no  mortel  ennemie, 

Vient  de  ces  deux,  et  incrédulité 

Entre  les  gens,  et  ce  nous  signifie  : 

Pestillence,  guerre  et  mortalité,  20 

Je  voy  aussi  les  membres  esmouvoir 

A  convoiter;  l'un  happe,  l'autre  prent  ; 

Estât  lever,  le  corps  faire  paroir, 

Les  vertus  non  ;  destruire  povre  gent  ; 

Justice  fault,  le  peuple  est  indigent,  25 

Dieu  non  doubté,  jeunesce  auctorisie, 

Viellesce  non;  sens,  verte  l  desprisie, 

Gongnoissance  ne  règne  ne  pité, 

Et  pour  ce  arons,  ce  tesmoigne  Ysaie, 

Pestilence,  guerre  et  mortalité.  3o 

l'envoy 

Prince,  pour  Dieu,  faittes  TEglise  unie 
Et  que  chascun  de  ses  maulx  se  chastie 


1.  vente. 


232  BALADES 

Pour  mettre  paix  en  la  crestienté  ; 
Car  autrement  ne  puet  estre  fournie 
35        Que  nous  n'ayons  une  tresgrant  saingnie  : 
Pestilence,  guerre  et  mortalité. 


B 


DCCGCLXXXVI 

Balade  *. 

(Tout  est  fondé  sur  convoitise). 

ien  vesquirent  nostre  père  premier         25g  a. 
Des  fruis  des  champs,  du  raport  de  la  terre, 

D'yaue  courant,  sans  char  ne  sang  mangier; 

Soubz  les  hauls  pins  aloient  logeis  querre 
5  Paisiblement,  l'un  contre  l'autre  n'erre, 

Sans  tainture  vestirent  layne  et  peaulx  ; 

En  mer  n'avoit  onques  couru  vaisseaulx 

Pour  marchander,  ne  terre  esté  ouverte, 

Minière  d'or  ne  d'argent  descouverte, 
io       Chascun  vivoit  en  libérai  franchise, 

Sanz  convoiter  ;  or  va  cest  aage  a  perte  : 

Tout  est  fondé  sur  pure  convoitise. 

Vé  a  a  celuy  qui  la  terre  escorchier 
Voult  le  premier  pour  seignorie  acquerre, 
i5        Pour  prenre  avoir,  metail,  fer  et  acier, 
Or  et  argent  !  De  la  vint  toute  guerre, 

i.  Balade  manque. 
a.  Malheur. 


BALADES  233 

Chasteaux  fermer  ;  l'un  voult  l'autre  requerre, 

Armes  forgier,  espées  et  coustiaux  ; 

Discencion  pour  seignorie  entr'aux 

Fu  a  ce  temps  et  est  encor  aperte  a,  20 

Dissimuler,  et  envie  couverte 

Que  traison  par  faux  semblant  atise  ; 

En  ce  monde,  qui  est  plain  de  poverte  l, 

Tout  est  fondé  sur  pure  convoitise, 

Sur  grant  estât,  sur  soy  enorgueillir,  25 

Sur  grans  trésors,  sur  viandes  pourquerre, 

Sur  luxure,  sur  boire,  sur  veillier, 

Sur  gieux  mauvais,  sur  langue  qui  desserre 

Mos  périlleux  et  vilains  de  sa  serre, 

Sur  tous  pechiés  et  vices  desloyaux,  3o 

Sur  parjurer,  sur  hair  cuers  loyaux 

Sans  rendre  au  bon  n'au  mauvais  sa  desserte; 

Mentir  levé,  droit  fault,  justice  est  chise  b, 

Je  voy  la  fin  par  ce  du  monde  certe  :  35 

Tout  est  fondé  sur  pure  convoitise. 

25g  b.  l'envoy 

Princes,  chascuns  veult  avoir  trésorier, 

Estât  royal  et  argent  mannyer 

Tant  que  partout  est  la  monnoye  exquise  c; 

Le  pueple  n'a  plus  maille  ne  denier  ;  40 

Prengne  chascun  Testât  son  devancier  : 

Tout  est  fondé  sur  pure  convoitise. 

1.  povrete. 

a.  Ouverte.  —  b.  Tombée.  —  c.  Recherchée. 


2  34  BALADES 


DCCGCLXXXVII 

Autre  Balade 

MORALE   SUR    LE    CONSEIL   DU    ROY 


T 


'oudis  suelt  conseil  conseilliez 
Maiz  tout  se  pert  en  consillent, 
Car  je  voy  le  pueple  essillier  a 
Par  le  conseil  qui  est  si  lent 1 

5  Qu'a  poyne  voit  on  consillent 

Qui  en  convoitant  ne  conseille 
Et  qui  au  voir  b  n'ait  sourde  oreille 
En  gouvernement  de  ce  monde 
Ou  nulz  au  bien  commun  ne  veille  : 

10  Et  par  ce  ce  convient  que  tout  fonde  c. 

Maiz  jadis  y  vodrent  veillier 

Li  sage  et  preudomme  vaillent, 

De  corps  et  d'ame  traveillier, 

Et  tant  y  furent  traveillent, 
i5  Et  a  ce  bien  commun  veillent  2 

Que  ce  fu  une  grant  merveille  ; 

Pour  mort  nulz  d'eulz  ne  desconseille 

Ce  bien  garder  que  l'en  deffonde  d  3 

De  tous  poins,  dont  je  me  merveille  : 
20  Et  par  ce  convient  que  tout  fonde. 

Je  ne  me  puis  trop  mervellier 
De  ce  que  tuit  dissimulent 

1.  lonc.  —  2.  veillens.  —  3.  deffende. 

a.  Détruire.—  b.  A  la  vérité.—  c.  Que  tout  périsse.—  d.  Détruit. 


BALADES 


235 


Sont  le  bien;  au  particulier, 
Acquerre  et  quérir  ne  sont  lent  ; 
Justice  et  loy  vont  défoulent.  25 

25g  c      Pour  ce  fault  que  chascun  se  dueille, 
Que  nulz  n'est  qui  vérité  vueille 
Dire  au  jour  d'uy,  orgueil  seuronde, 
Toute  misère  s'apareille, 
Et  par  ce  convient  que  tout  fonde  *.  3o 

l'en  voy 

Prince,  je  voy  entortillier 

De  ses  herbes  le  courtillier  a, 

Dont  mainte  mauvaise  l'afonde  b  ; 

Bon  en  feist  oster  un  millier, 

Peresse  le  fait  sommeillier,  35 

Et  par  ce  convient  que  tout  fonde. 


DCCCCLXXXVIII 

Autre  Balade. 
[Le  monde  va  de  mal  en  pis.) 

Puis  que  je  voy  tous  les  meurs  bestorner  c 
Et  que  chascun  veult  tout  faire  a  rebours, 
Vertus  fuir  et  aux  vices  tourner, 
Lessier  Testât  de  l'Eglize  et  des  cours 

i    Ce  vers  manque. 

a.  Le  jardinier.  —  b.  Le  ruine.  —  c.  Tourner  à  l'envers. 


236  BALADES 

5  Qui  fu  si  bon  par  son  ancien  cours 

Que  les  vices  n'y  osèrent  manoir, 
Adonc  vit  l'en  peuple  et  terre  valoir, 
Dieu  honoré,  justice  estre  gardée, 
En  ce  monde  ne  vueil  plus  remanoir 

10       Que  la  dance  est  durement  retournée. 

Car  grant  pompe  veult  l'Eglize  mener, 
Estât  mondain,  vaine  gloire  et  honnours, 
Ses  menistres  leurs  parens  gouverner 
Des  biens  de  Dieu,  faire  de  divers  tours, 

i5        Vendre,  acheter  et  régner  deux  pastours 

Pour  leurs  pechiés,  on  n'en  deut  c'un  avoir; 
Je  voy  es  cours  l'un  l'autre  décevoir, 
Traisonner  a,  raison  dissimulée 
Au  temps  qui  queurt,  mentir,  taire  le  voir, 

20       Que  la  dance  est  durement  retournée. 

Et  qui  pis  est  Convoitise  régner,  25g  d. 

Envie,  Orgueil  et  toutes  deshonours 
Voy  au  jour  d'uy,  chascun  desordonner, 
Prendre  et  avoir  trop  curieux  atours 

25   -  A  povres  gens,  maintz  ■  eulz  vestir  si  cours 
Que  leurs  culz  font  comme  singes  paroir  ; 
Et  les  femmes  font  leurs  saings  apparoir, 
Sauvagement  ont  leur  teste  attournée; 
Et  par  ces  poins  puet  chascun  concevoir 

3o       Que  la  dance  est  durement  retournée. 

l'envoy 
Prince,  je  tieng  que  brief  devroit  finer 


i.  mainlz. 

a.  Trahir,  faire  des  trahisons. 


BALADES  2  37 

Ce  monde  cy  et  sa  fin  terminer 

Qui  est  de  mal  en  pis  déterminée, 

Car  je  n'y  voy  fors  doulour  démener 

De  jour  en  jour,  sans  vertu  relever,  35 

Que  la  dance  est  durement  retournée. 


DCCCCLXXXIX 

Autre  Balade. 
(77  faut  penser  à  la  mort .  ) 

Las  !  Je  ne  sçay  que  ce  puet  estre 
Ne  dont  puet  tel  chose  venir 
Que  je  ne  voy  riens  vivent  nestre 
Qui  ne  faille  a  son  temps  fenir, 
Hommes,  bestes,  poissons  mourir,  5 

Arbres,  plant,  toute  volatile, 

> 

Et  en  tous  ses  fais  decourable  a  ; 

Ayons  chose  mondaine  vile, 

Pensons  a  la  fin  pardurable  b.  10 

Nous,  hommes,  qui  ne  devons  pestre 

Comme  animal,  maiz  souvenir 

Nous  doit  que  nous  avons  franc  estre, 

Et  que  Dieu  homme  devenir 

Voult  pour  nostre  mort  afranchir  1 5 

:.  Périssable,  mortel.  —  b.  Éternelle. 


238  BALADES 

De  la  dampnacion  horrible  260 

Dont  il  souffri  la  mort  pénible 
En  nous  donnant  vie  durable 
Pour  l'esperit  intelligible  : 
20  Pensons  a  la  fin  pardurable. 

Ce  monde  est  la  voie  senestre 
Qu^l  convient  en  passant  courir 
A  tout  homme;  or  prenons  la  destre, 
Car  la  senestre  fait  périr 

25  Corps  et  ame,  l'autre  merir 

Les  bien  fais  de  l'ame  invisible 
Que  Diex,  a  qui  tout  est  possible, 
Met  es  corps,  nature  insachable*; 
Soyons  donc  au  garder  habile  : 

3o  Pensons  a  la  fin  pardurable. 

l'envoy 

Prince,  trop  voy  anientir  b 
De  jour  en  jour  et  defenir 
Nature  qui  est  corrompable 
Et  tout  malice  consentir; 
35  No  mort  s'aproche  sans  mentir  : 

Pensons  a  la  fin  pardurable. 

a.  Incompréhensible.  —  b.  Devenir  à  rien. 


J 


BALADES  2  3g 

DCCCCXC 

Balade. 

DE    L'AMOUR   QUE  HOMME   A   A   JEUNESCE 

'amay  jadis  de  tresparfaite  amour, 
Comme  ignorens,  l'enfance  de  jonesse; 
Pour  sa  beauté  couverte  de  douçour 
Et  pour  l'espoir  de  sa  haulte  noblesce 
Qui  par  semblant  a  tout  honneur  s'adresce  5 

Mis  la  mon  cuer,  mon  corps,  ce  que  j'avoye, 
Et  la  servi  le  miex  que  je  savoie 
Si  que  par  droit  ne  me  deust  oublier 
En  son  aage,  maiz  trop  me  decevoie  : 
160  b  En  jeusne  amour  ne  se  doit  nul  fier,  10 

Car  en  ce  temps  dangereux,  plain  de  plour, 

De  voulenté  muable  qui  trop  blesse, 

Ay  moult  souffert  de  poine  et  de  labour, 

Obeissans,  et  lors  me  fist  promesse 

Plaisant  Folour  de  moy  donner  leesse,  i5 

Quant  celle  amour  en  son  estât  verroye 

Que  nulz  n'ama  ou  temps  que  la  servoye, 

Car  lors  ne  pot  lier  ne  deslier  ; 

S'oublie  m'a,  pour  quoy  donc  ne  diroye  : 

En  jone  amour  ne  se  doit  nul  fier  ?  20 

Qui  ne  conçoit  ne  recorde  en  sa  flour 
Son  doulz  servent;  maiz  pour  autre  le  lesse 
Qui  ne  servi  onques  heure  ne  jour, 
Tele  enfance  est  périlleuse  fortresse  *; 

1.  forteresse. 


24O  BALADES 

2  3        Moyenne  amour  est  plus  seure  maistresse, 
A  tous  servans  miex  la  conseilleroye 
Pour  bon  guerdon  l  que  l'autre  ne  feroye 
Ou  chascun  pert  sens,  temps  et  travellier, 
Comme  j'ay  fait,  chascun  ce  note  et  voye  : 

3o        En  jone  amour  ne  se  doyt  nul  fier. 

l'envoy 

Prince,  je  tien,  puis  qu'enfance  foloye, 
Que  cilz  est  folz  qui  s1!  croyt  ne  aloye  a 
Et  qui  la  sert,  s'ailleurs  peut  adrecier, 
Car  le  bien  fait  rémunérer  devoye; 
35        S'en  dy  ce  mot  que  dire  ne  souloye  : 
Et  jone  amour  ne  se  doit  nul  fier. 


DCCCCXCI 

Balade. 

COMMENT  NULZ    HOMS  NE  SE  DOIT  ESBAHIR   DE 
CHOSE  QU'IL   VOYE 

Nulz  homs  ne  se  doit  esbahir 
Du  temps  ne  de  chose  qu'il  voye, 
Ne  soy  donner  courrous,  n'air  b, 
Fors  que  d'aler  la  droitte  voie  ;  260  c 

Qu'il  face  bien  et  qu'il  s'esjoie, 
Tiengne  en  tous  estas  le  moien, 

1 .  guerredon. 

a.  Allie.  —  b.  Ni  colère. 


BALADES  24I 

Et  ne  se  loye  a  fol  loyen  a, 

Ne  die  blasme  de  nulluy  : 

Des  choses  du  monde  n'est  rien, 

Tout  fu  et  tout  sera  autruy  b.  10 

Gayn  envieux  voult  mourdrir 

Abel  le  juste,  et  toutevoie 

Furent  frères  :  quel  desplaisir 

Quant  des  filz  d'Adam  l'un  desvoye 

Tant  que  la  terre  vierge  ordoye  c  !  i5 

En  ce  premier  aage  ancien 

Du  sanc  Abel,  Assirien 

Firent  un  lonc  règne,  ce  truy  di 

Et  le  perdirent  au  derrien  e  : 

Tout  fu  et  tout  sera  autruy.  20 

Ne  volt  Teaue  terre  envayr 

Au  temps  Noe,  tant  que  tout  noyé? 

Ne  volt  Troye  Eneas  trahir, 

Qui  les  Griex/y  mist  pour  monnoye? 

Ne  mit  tout  Alixandre  en  proye  2  5 

Par  guerre  le  monde  et  li  sien? 

Li  un  font  mal,  li  autre  bien  ; 

Nulz  ne  se  doyt  donner  anuy 

Des  gens  du  temps  ;  note  et  retien  : 

Tout  fu  et  tout  sera  autruy.  3o 

l'envoy 

Prince,  plaise  vous  souvenir 

De  loy  et  justice  tenir 

Qui  en  mains  lieux  fault  au  jour  d'uy. 

Riche  et  povre  faura  mourir, 

Et  ne  se  lie  à  mauvais  lien.  —  b.  A  d'autres.  —  c.  Souille.  — 
e  trouve.  —  e.  A  la  fin.  — /.  Les  Grecs. 

T.  V  16 


242  BALADES 

35  Ne  nous  dampnons  pour  acquérir  : 

Tout  fu  et  tout  sera  autruy. 


G 


DGGCCXGÏI 

Autre  Balade.  260 

SUR  LES   GRANZ  ESTAZ 

hascuns  désire  a  avoir  grant  estât, 
En  convoitant  argent,  or  et  finance, 
Servir  aux  roys;  l'un  veult  estre  advocat, 
Des  requestes  veult  l'autre  avoir  puissance, 

5  L'un  conseilliez  l'autre  marchai  de  France, 

L'un  trésorier  et  l'autre  gênerai, 
L'un  evesque,  l'autre  estre  cardinal, 
L'un  chancelier,  l'autre  estre  souverains; 
A  leurs  pourchas  a  quierent  trestous  leur  mal  : 

10        Es  grans  cours  n'a  siège  qui  soit  certains. 

Pour  les  tenir  se  muevent  maint  débat, 
Et  par  faveur,  sans  eslire  ordonnance; 
A  les  avoir  symonie  s'embat  ô, 
Petit  y  vault  sens  ne  expérience, 
i5        Bonté  de  corps,  prouesse  ne  vaillance  ; 

Maiz  qui  miex  miex  tire  au  plus  hault  cheval, 
L'un  est  bailli  et  l'autre  est  seneschal , 
Et  quant  plus  sont  es  grans  estas  hautains, 
Envye  ou  mort  les  tumbent  contreval c  : 

a.  Par  leur  propre  poursuite.—  b.  Se  précipite,  s'efforce.—  c.  L 
font  tomber  par  terre. 


BALADES  24S 

Es  grans  cours  n'a  siège  qui  soit  certains.         20 

Lors  en  cheant  sont  douloreux  et  mat, 

Car  les  aucuns  perdent  corps  et  chevance, 

Autre  bon  nom  dont  nulz  ne  se  combat, 

Puis  languissent,  férus  d'impacience; 

Grant  richesse  est  que  1  d'avoir  souffisance,       2  5 

Servir  a  Dieu,  tenir  moyen  égal, 

Non  désirer  d'estre  trop  curial  «, 

Dont  les  sièges  sont  de  grans  pechiés  plains; 

Vivre  du  sien,  estre  sain  et  loyal  : 

Es  grans  cours  n'a  sièges  qui  soit  certains.         3o 

l'envoy 

Prince,  eureux  est  qui  aprent  dès  s'enfance 
61  a  A  servir  Dieu  et  aucun  art  des  mains 
Pour  soy  chevir  et  vivre  a  sa  plaisance  : 
Es  grans  cours  n'a  siège  qui  soit  certains. 

1.  que  manque. 
a.  Courtisan. 


244  BALADES 


DCCCCXCIII 


Balade. 

COMMENT  ON   HONOURE  AU  JOUR  d'uI  PLUS   l'aBIT 
QUE  LE   PORTEUR   D'iCELLUI 

Maiz  qu'uns  homs  a  soit  bien  vestus  et  forrés 
Et  qu  1  sache  faire  un  petit  le  grant, 
Croler  le  front  *,  et  qu'il  ait  a  un  lez  c 
Aucun  qui  soit  ainsy  que  son  servant, 
5  On  ly  dira  :  «  Sires,  passés  avant  » 

Pour  son  habit,  et  c'est  ce  qui  me  tue, 
Ou  il  ne  scet  souventesfois  néant 
Ne  plus  que  fait  une  bûche  vestue. 

Ainsy  fait  on  souvent  des  menestrés  d  : 
io        Pour  leurs  habis  les  vont  maint  honorant; 
Povre  varlet  sont  souvent  appelles 
Gentil  homme,  ce  font  leur  garnement  e  ; 
Un  mal  vestu  est  appelle  truant  f\ 
Nul  ordre  n'est  au  monde  a  droit  tenue; 
1 5        Ne  me  congnois  en  cest  siècle  a  présent 
Ne  plus  que  fait  une  bûche  vestue. 

Les  vertueux  ne  sont  point  honorés 

Ne  ceulx  qui  vont  simple  estât  démenant, 

Ains  sont  toudis  de  maintes  gens  moqués 


a.  Pour  peu  qu'un  homme.  —  b.  Hocher  la  tête.  —  c.  A  côté  de 
lui.  —  d.  Ménestrels.  —  e.  Leurs  costumes.  —  /.  Gueux,  co- 
quin. 


BALADES  245 

Et  par  ce  va  tout  anientissant,  20 

Li  ancien  veulent  faire  l'enfant; 
De  jour  en  jour  tout  se  change  et  remue, 
Nulz  de  ses  maulx  ne  s'advise  ou  !  reprent 
Ne  plus  que  fait  une  bûche  vestue. 


DCGCCXCIV 

Autre  Balade. 
(Contre  l'orgueil). 

Se  vous  estes  biaux,  riches  et  joliz, 
Sages,  apers,  fourrés  et  bien  vestuz, 
Ne  desprisés  ja  vos  povres  amis;  261  b 

En  courage  sont  les  nobles  vertus  : 
Telz  est  au  champs  ou  en  la  ville  nus,  5 

En  povre  habit,  qui  a  plus  hault  courage 
Et  qui  s'est  miex  en  honneur  maintenus 
Que  telz  porte  l'abit  de  hault  parage. 

La  noblesce  souveraine  jadis 

Et  de  présent  est  li  cueur  revestus  10 

De  bonnes  meurs  et  de  gracieux  dis, 

Et  qui  tousjours  se  tient  et  est  tenus; 

Cuer  orgueilleux  est  hais  et  perdus, 

Car  Dieu  le  het,  ce  n'est  nul  vasselage  a\ 

Humble  cuer  est  plus  de  Dieu  soustenus  i5 

Que  telz  porte  l'abit  de  hault  parage. 

1.  ne. 

a.  Grandeur  d'âme. 


246  BALADES 

Qui  plus  est  grant,  plus  doit  estre  amolis 
Quant  il  se  voit  des  biens  de  Dieu  repus, 
Les  povres  gens  ne  doit  avoir  despis  a 
20        Ne  ses  parens,  mais  je  dy  et  conclus 

Qu'aidier  leur  doit  en  tant  comme  il  puet  plus, 
Car  le  povre  oyt  Diex  b  de  son  hault  estage, 
Plus  l'exsausse  pour  son  bien  la  dessus 
Que  telz  porte  Pabit  de  hault  parage. 


l'envoy 


25        Prince,  nulz  homs  ne  doit  pour  ses  habis 
Gens  despiter,  dire  ne  faire  oultrage; 
Plus  vault  souvent  li  homs  povrez,  mendis  c, 
Que  telz  porte  l'abit  de  hault  parage. 


DCCCCXCV 

Autre  Balade. 
(On  ne  parle  plus  que  d'argent.) 

Ou  temps  jadis  quant  honneur  commença, 
Vertus  estoit  et  vaillance  chérie, 
Nulz  clers  adonc  fausseté  ne  pensa, 
Ne  lascheté  n'ot  en  chevalerie; 
Largesce  fu,  la  loy  ot  seignorie,  261  c 

Congnoissance  fu  es  princes  et  roys, 
Amour  régna,  li  peuple  fu  courtois, 

a.  Mépris.  —  b.  Car  Dieu  écoute  le  pauvre.  —  c.  Mendiants. 


BALADES  247 

Pugny  furent  li  félon  durement  : 

Autrement  va,  dont  je  suy  tout  destrois  : 

Car  nul  ne  veult  fors  que  parler  d'argent.  10 

Aies  par  tout  :  qui  bien  garde  y  prendra, 

On  ne  parle  fors  de  bareterie  a, 

De  demander  et  deçà  et  delà 

Du  bien  d'autruy,  faire  chiere  marrie, 

Argent  quérir,  c'est  convoiteuse  vie,  i5 

Et  les  clers  ont  corrompues  les  loys; 

Amour  n'a  lieu  qui  fist  les  cuers  adrois 

Et  conquérir  terre  anciennement  : 

Convoitise  gouverne,  et  tu  le  vois, 

Car  nulz  ne  veult  fors  que  parler  d'argent.        20 

«  Haro!  fait  l'un  ;  et  quant,  deable,  vendra 

Le  trésorier?  ne  me  payera  il  mie?  » 

L'autre  respont  :  «  Je  croy  que  si  fera, 

Maiz  nous  n'aron  no  paye  que  demie.  » 

Nulz  ne  parle  ne  d'amer  ne  d'amie,  25 

Fors  d'exploitier  1  finance  a  toutes  fois; 

Danser,  chanter,  n'est  pas  bien  a  son  mois, 

Vaillance  va  petit  entre  la  gent; 

Uns  mondes  queurt  ou  je  ne  me  congnois, 

Car  nulz  ne  veult  fors  que  parler  d'argent         3o 


l'envoy 


Prince,  ostés  nous  avarice  et  envie, 
Reviegne  amour,  déduit,  esbatement, 
Joye  et  plaisir,  honneur  et  courtoisie, 
Car  nulz  ne  veult  fors  que  parler  d'argent. 


1.  de  exploitier. 
a.  Tromperie. 


248  BALADES 


DCGCCXGVI 

Autre  Balade. 
(77  faut  des  époux  assortis.) 

Cilz  qui  veult  paix  et  vivre  en  mariage  261  d 
Ne  doit  trop  hault  ne  trop  bas  regarder, 
Trop  jone  avoir  ne  trop  vielle  en  mesnage; 
Prengne  femme  qui  sache  gouverner, 
5  D'âge  moyen,  qui  puist  enfans  porter; 

Ainsy  pourra  mener  joyeuse  vie 
Sans  trop  quérir,  sans  trop  bas  assener  a  : 
Sages  est  cilz  qui  ainsy  se  marie. 

En  trop  hault  lieu  a  trop  grant  seignorage, 
10        Charge  d'amis,  puis  c'on  ne  prent  son  per 

Et  ramentoit  b  le  plus  grant  son  lignage, 

Si  ne  peut  on  bonne  vie  mener; 

Amour  ne  veult  ne  ne  doit  dominer  : 

Qui  povre  prent,  s'il  n'est  riche,  il  mendie; 
i5        Si  se  fait  bon  ou  c  moyen  ordonner  : 

Sagez  est  cilz  qui  ainsy  se  marie. 

Qui  vielle  prent,  se  jone  est,  il  enrage  : 
Deux  contraires  ne  se  puellent  amer; 
Si  va  ailleurs;  pis  vault  que  bordelage  d. 
20        Se  trop  jone  a,  il  ne  fait  que  penser, 

Maistresse  e  fault  pour  la  duire/et  garder; 


a.  Viser.  — •  b.  Rappelle.  — c.  Dans  le.—  d.  Fre'quenter  les  mau- 
vais lieux.  —  e.  Duègne.  — /.  Instruire. 


BALADES  249 

Pour  ce  ou  moyen  vueil  mettre  m'estudie  a 
Pour  hoirs  b  avoir,  pour  vivre  et  pour  régner  : 
Sagez  est  cilz  qui  ainsy  se  marie. 


DGGCGXCVII 

Autre  Balade. 
(Sur  le  bon  temps  passé.) 

Je  voy  souvent  crier  Noé  c, 
Et  si  le  crie  on  tant  qu'il  vient, 
Maiz  le  bon  temps  est  esbloé  d 
Car  a  maintes  gens  n'en  l  souvient, 
Et  si  ne  sçay  a  quoy  il  tient  5 

Qu'il  ne  vient  quant  chascun  l'escrie, 
En  disant  :  «  Las  I  qui  te  retient, 
Bon  temps?  ne  revendras  tu  mie  ? 

262  a    «  Revien  2,  tu  as  trop  demouré, 

Nécessairement  le  convient,  10 

Et  nous  seron  tuit  recouvré  : 

Cilz  mondes  trop  chetif  devient  ; 

Il  n'est  que  dueil,  c'est  tout  nient  : 

Ramaine  nous  joyeuse  vie, 

Chascuns  te  plaint  et  va  crient  :  1 5 

Bon  temps,  ne  revendras  tu  mie? 

1.  ne.  —  2.  Ce  vien. 

a.  Mon  étude.—  b.  Héritiers.—  c.  Noël!  —  d.  Troublé,  obscurci. 


2bo  BALADES 

«  Ramaine  largesce  et  planté  *, 
Paix  et  amour  qu'orgueil  détient; 
Avarice  a  tout  surmonté, 
20  Toute  maie  fortune  avient, 

A  l'un  de  l'autre  ne  souvient; 
Fay  cesser  mesdit  et  envye. 
Vien,  quant  l'en  te  va  tant  prient, 
Bon  temps;  ne  revendras  tu  mie?  » 

l'envoy 

25  Prince,  pour  vous  est  destiné 

Ce  bon  temps,  ne  l'oubliés  mie 
Ou  je  crieray  com  forsené  : 
«  Bon  temps,  ne  revendras  tu  mie?  » 


DCCCCXCVIII 

Autre  Balade. 
[Même  sujet.) 

Tristesse,  orgueil,  envie  et  traison, 
Avarice,  faulx  semblant  et  peresse, 
Menterie,  dissimulacion 
Et  lâcheté,  faintise  larronnesse, 
11  est  trop  folz  qui  point  régner  vous  lesse, 
Car  par  vous  sont  maintz  royaumes  péris, 
Les  noms  perdus  d'onneur  et  de  noblesce  : 


a.  Abondance. 


EALADES  25 I 

Par  vous  s'en  est  tout  li  bon  temps  fuis. 

Trop  longuement  avés  eu  vo  saison 
Et  ce  monde  tenu  en  grant  destresse  10 

262  b  Sans  joye  avoir,  sans  consolacion 

Donner  aux  bons,  c'est  ce  qui  trop  me  blesse; 

Or  vuidiés  hors  a,  gent  faulse  et  felonnesse. 

Je  vous  feray  jouer  aux  esbahis, 

Et  revendra  honneur  et  gentilesce  :  1  5 

Par  vous  s'en  est  tout  li  bon  temps  fuis. 

Je  ramenray  vérité  et  raison, 

Amour,  déduis,  loyauté  et  largesce,  - 

Pitié,  douceur,  remuneracion, 

Chasser,  voler,  jouster  et  hardiesse,  20 

Corner,  chanter,  dansser  et  la  druesse  b 

D'amours  qui  fait  conquerre  maintz  pays; 

Fuyés  vous  ent,  vuidiés  de  ma  fortresse, 

Par  vous  s'en  est  tout  li  bon  temps  fuis. 

l'envoy 

Princes,  ayés  droituriere  maison,  25 

Soyés  humbles,  preux,  courtois  et  hardis, 
Tant  que  nulz  homs  n'ait  de  dire  achoison  c  : 
Par  vous  s'en  est  tout  li  bon  temps  fuis. 

a.  Allez-vous  en.  —  b.  La  galanterie.  —  c.  Occasion. 


252  BALADES 


DCCCCXCIX 

Autre  Balade. 
(Contre  les  mécontents.) 

Chascun  se  plaint,  chascun  ordonne 
Sur  ce  que  Diex  a  ordonné; 
Li  uns  dit,  quant  il  pluet  ou  tonne  : 
«  Que  n'a  Diex  li  biau  temps  donné? 
5  Las  !  C'est  trop  pieu  et  trop  tonné!  » 

Si  fait  chaut,  on  souhaide  froit. 
Pour  quoy  est  on  si  mal  séné  al 
Ancor  est  Dieu  ou  il  souloit. 

L'un  dit  quant  une  cloche  sonne  : 
10  «  Ne  sera  ce  jamais  sonné?  » 

S'un  autre  charpente  ou  massonne, 

Assés  en  sera  sermonné. 

Il  n'est  homme  de  mère  né  262  c 

Qui  b  il  souffise  ce  qu'il  voit 
1 5  Ne  qui  ait  bien  ymaginé  : 

Ancor  est  Diex  ou  il  souloit, 

Qui  ses  biens  par  tout  habandonne, 
Et  de  pluseurs  est  indigné, 
Pourveent  a  toute  personne, 
20  Qui  tost  a  le  lait  temps  fine, 

Les  biens,  le  soleil  ramené, 
Et  qui  en  tous  cas  nous  pourvoit. 

a.  Si  peu  sensé.  —  b.  A  qui. 


BALADES  253 


Souffrons  ce  qu'il  a  destiné  : 
Ancor  est  Dieu  ou  il  souloit. 


L  ENVOY 


Princes,  chascun  veult  mettre  bonne  a  25 

Aux  oeuvres  de  cil  qui  tout  voit  ; 
C'est  péchiez,  sa  justice  est  bonne  : 
Ancor  est  Dieu  ou  il  souloit. 


M 

Balade  *. 

[Sur  l'office  des  huissiers  d'armes.) 

Huissiers  d'armes  fu  jadiz  noble  estât 
A  court  royal,  dont  l'en  ne  fait  plus  compte  ; 
Près  du  seigneur  furent,  maiz  sur  le  plat  * 
Les  envoy'on  logier  ;  se  le  roy  monte, 
Hz  n'ont  cheval  ne  valet,  c'est  grant  honte  ;         5 
Mengent  a  court  pour  servir  leur  seigneur, 
Gages  aussi,  nulz  a  eulz  rien  n'aconte; 
L'en  leur  oste  leurs  drois  de  jour  en  jour. 

Livroisons  n'ont  ne  logis  qu'en  débat  c 

Pour  deux  chevaux;  un  chascun  les  forconte  d;  io 

Publiée  par  Crapelet,  page  101. 

a.  Borne.  —  b.  En  plaine.  —  c.  Ils  n'ont  vivres  ni  logis  qu'avec 
ntestation.  —  d.  On  leur  compte  à  un  prix  excessif. 


2 54  BALADES 

Logiez  sont  loing,  maistre  et  valet  sont  mat, 
Au  deslogier  a  eulz  leur  hoste  compte 
Pour  leur  valès  et  logis,  tout  raconte  a\ 
La  scevent  bien  de  leur  temps  le  séjour;      262  a 
i5        Pour  leur  deffroy  n'est  fourrier  qui  descompte  b  : 
L'en  leur  oste  leurs  drois  de  jour  en  jour. 

Estre  deussent,  de  quoy  je  me  débat, 
Près  du  seigneur,  quant  il  monte  ou  desmonte, 
A  son  coucher  et  lever  en  esbat, 
20        Pour  ly  servir,  maiz  chascun  les  seurmonte  : 
Leur  besongne  ne  puellent  avoir  prompte, 

C'est  grantdeffaultqu'ilz  n'ont  ce  qu'a  eulzmonte: 
L'en  leur  oste  leurs  drois  de  jour  en  jour. 

l'envoy 

25        Prince,  la  boe  aux  huissiers  se  combat 
Entre  Bergy  et  Boissy  a  long  tour; 
Jusqu'au  ventre  la  '  chascun  s'y  embat  : 
L'en  leur  oste  leurs  drois  de  jour  en  jour. 

1 .  la  manque. 

a.  Met  tout  en  compte.  —  b.  Pour  les  défrayer,  il  n'est  fourriei 
qui  ne  fasse  un  rabais. 


BALADES  255 

MI 

Autre  Balade. 
(//  faut  apprendre  en  tout  temps.) 

Endemantiers  a  que  mon  maistre  aprenoit, 
Qui  est  sires  et  conte  de  Valoys, 
Treshumblement  me  dit  que  il  vouloil 
Que  je  feisse  aucun  bien  a  son  choys. 
Lors  obey  et  dis  que  c'estoit  drois,  5 

Et  fis  ainsy  ;  que  nulz  ne  puet  mesprendre, 
Soit  ducs,  contes,  princes,  chevaliers,  roys, 
Qui  en  tout  temps  ne  doye  bien  aprendre. 

Car  qui  aprent  et  retient,  on  le  voit 

Sage  et  puissant,  il  en  ■  est  plus  adrois,  10 

Et  se  garde  que  nulz  ne  le  déçoit  b\ 

Le  cry  c  en  a  de  son  pueple  et  la  voix, 

Il  aime  Dieu,  il  en  est  plus  adrois  d 

Et  doyt  souôrir  c'on  le  doye  reprendre 

Quant  il  mesprent  e  ;  il  n'est  nul  a  la  foys  1 5 

Qui  en  tout  temps  ne  doye  bien  aprendre. 

2Ô3  a  Roy  sanz  lettres  comme  un  asne  seroit 
S'il  ne  sçavoit  l'escripture  ou  les  loys, 
Chascun  de  ly  par  tout  se  moqueroit; 
Thiès/ doivent  savoir,  latin,  françoys,  20 

1.  sen. 

a.  Pendant.  —  b.  Ne  le  trompe.  —  c.  Le  renom.  —  d.  Er- 
reur de  copiste;  il  faudrait  un  autre  hémistiche,  celui-ci  se  trou- 
vant déjà  au  vers  10.  —  e.  Quand  il  fait  une  faute.  —  /.  Allemand. 


2  56  BALADES 

Pour  miex  garder  leurs  pas  et  leur  destrois 
Et  sagement  a  chascun  raison  rendre  : 
Aprenés  donc,  si  chaut  n'est  ne  si  frois, 
Que  en  tout  temps  ne  doye  bien  aprendre. 


I^ENVOY 


25        Princes,  pensés  que  qui  bien  aprendroit, 
En  aprenant  pourroit  vices  reprendre. 
Dont  n'est  il  nul,  se  ces  poins  advisoit, 
Qui  en  tout  temps  ne  doye  bien  aprendre. 


Mil 

Autre  Balade. 
{Il  faut  penser  à  la  miséricorde  de  Dieu.) 


o 


|U  *  tous  les  dis  de  l'escripture  sainte, 
De  l'ancien  et  nouvel  testament, 
Seront  confus,  et  la  parole  fainte 
Des  prophètes  par  qui  Dieu  proprement 

5  Parla  des  faiz  et  de  Tadvenement 

Qui  sur  la  fin  du  monde  doit  venir, 
Ou  il  faura  mauvaisement  fenir 
Les  grans  pécheurs,  faux,  ravisseurs,  mauvaiz, 
Perseverens;  ce  devons  nous  tenir  : 

io        Cryons  mercy,  demandons  grâce  et  paix  ! 

Car  en  tous  lieux  est  charité  estainte 


i.  En. 


BALADES  257 

Qui  maint  a  en  Dieu,  et  Diex  maint  ensement 
En  charité  ;  pitié  fait  sa  complainte, 
Humilité,  honneur  semblablement, 
Amour  n'a  lieu,  ne  vertueusement  i5 

Ne  se  veult  nulz  selon  Dieu  maintenir; 
Es  trois  estas  n'a  homme  souvenir, 
Soit  clers,  nobles,  prestres,  chevalier,  layz, 
De  l'ire  Dieu  jusqu'il  s'en  voit  ferir  : 
)3  b  Crions  mercy,  demandons  grâce  et  paix!  20 

Quant  pour  pechier  est  pugni  maint  et  mainte 
Sans  espargnier  nul  terriennement, 
Roy,  prince,  duc,  tant  ait  espée  sainte, 
Povre,  riche,  de  grant  gouvernement 
Ne  de  petit,  pour  quoy  mauvaisement  25 

Veult  le  plus  fort  au  plus  feble  tolir  bl 
N'est  preste  mort  pour  eulz  a  coup  ferir 
Soudainement,  pour  leurs  horribles  faiz  ? 
Oyl,  par  Dieu,  tous  nous  convient  mourir  : 
Crions  mercy,  demandons  ■  grâce  et  paix  !        3o 

l'envoy 

Prince,  pour  Dieu,  vueilliés  bien  advertir 

En  tous  estas  d'amer  Dieu  et  cremir  c 

Et  d'amender  no  vie  désormais 

Sans  faire  tort,  sans  prendre  et  sans  ravir 

Les  biens  d'autruy,  et  qu'il  nous  daigne  oyr  :  35 

Crions  mercy,  demandons  grâce  et  paix  ! 

.  et  demandons. 

a.  Qui  réside.  —  b.  Prendre,  voler.  —  c.  Craindre. 


T.  V 


«7 


2  58  BALADES 

MIII 

Autre  Balade  *. 


o 


DE  LA  GLOIRE  DES  ROYS 

comme  grant  est  la  gloire  des  roys 
Et  des  princes,  qui  ont  commandement 
Sur  les  pueples,  qui  font  craindre  leurs  vois 
Et  leurs  edics  tenir  estroitement, 

5  Jugans  autruy,  et  voluntairement  a, 

Et  qui  ont  tout  ce  qu'ilz  veulent  avoir, 
Fors  jour  certain,  ce  ne  peuent  savoir, 
De  leurs  vies,  maiz  certains  sont  de  mort  ; 
Ce  les  doyt  moult  a  bien  faire  esmouvoir  : 

io       Qui  ne  craint  Dieu  et  justice,  il  a  tort. 

Ne  sueffrent  ilz  et  les  chaus  et  les  frois? 
N'ont  ilz  paour?  n'ont  ilz  poine  et  tourment 
De  gouverner?  ne  sont  ilz  pas  destrois  b 
Pour  aucuns  maulx  venans  soudainement? 
i5        N'ont  ilz  esté  pris  anciennement,  263 

Mors  et  occis,  pouoir  contre  pouoir, 
En  guerroyant?  S'ilz  n'ont  fait  leur  devoir 
Et  qu'avec  Dieu  n'ayent  eu  bon  accort  c, 
Lors  les  soubzmist;  par  ce  peut  l'en  veoir  : 
20       Qui  ne  craint  Dieu  et  justice,  il  a  tort. 

De  droit  royer  d  sont  dit  selon  les  loys 

*  Publiée  par  Crapelet,  page  io3. 

a.  Et  de  leur  consentement.  —  b.  Tourmentés.  —  c.  Ne  soient  e: 
bon  accord.  —  d.  Faire  un  sillon  droit. 


BALADES  2  5g 

Et  de  mener  le  peuple  justement, 

L'Eglize  amer,  rendre  a  chascun  ses  drois, 

Grâce  et  pitié,  rigoreux  jugement 

Selon  les  cas,  et  s'ilz  font  autrement,  25 

Sans  repentir,  bien  y  scet  pourveoir 

Le  souverain,  et  s'ilz  font  leur  devoir, 

Grant  mérite  ont;  Diex  fait  leur  règne  fort; 

Et  quant  sur  tous  volt  vengence  asseoir, 

Qui  ne  craint  Dieu  et  justice,  il  a  tort.  3o 

l'envoy 

Prince,  les  roys  qui  ont  gouvernement 

Sont  vicaires  de  Dieu  mondainement, 

Craindre  et  servir  le  doivent  a  effort 

Car  de  lui  seul  tiennent  leur  tenement; 

Et  quant  pugnir  peut  tout  en  un  moment,        35 

Qui  ne  craint  Dieu  et  justice,  il  a  tort. 


MIV 

Autre  Balade. 
{Heureux  sont  ceux  qui  n'ont  pas  d'enfants  I) 

Trop  vigne  avoir  et  maisons  en  village, 
Filles  aussi  qui  sont  a  marier, 
N'est  pas  grant  gaing  ne  seur  héritage. 
Es  vignes  fault  tousjours  argent  ballier, 
Et  es  maisons  fault  toudis  charpenter, 
Couvreur,  masson,  late,  clo,  couverture, 


2Ô0  BALADES 

Et  sont  toudiz  d'ardoir  a  en  aventure; 
Nulz  n'y  gaigne,  tant  ait  teste  subtille, 
Et  les  enfans  sont  de  maie  nature  :  2  63  d 

10       Aise  sont  ceulz  qui  n'ont  ne  filz  ne  fille. 

Car  qui  les  a,  tenir  fault  grant  mesnage, 
Nourrice  avoir,  oyr  braire  et  crier, 
Vestir,  chaucier,  pain,  vin,  lait  et  fromage, 
Bûche,  charbon,  pain  et  char  pour  mengier, 

i5        Chambres  et  lis,  drapeaux,  linge  a  couchier, 
Bers  b  a  bercier,  et  sentir  leur  ordure, 
Six  ou  sept  ans  que  ceste  dance  dure  : 
Qui  enfans  a  ne  lui  fault  autre  estrille  ; 
Ja  bien  n'aura  fors  que  malaventure  : 

20       Aise  sont  ceulx  qui  n'ont  ne  filz  ne  fille. 

Et  s'ilz  sont  grans,  art  leur  fault  et  usage, 
Science  avoir,  aprendre,  estudier, 
Et  aux  filles  convient  en  mariage 
Terre  et  argent  et  grant  meuble  chargier  ; 

25        S'ilz  sont  mauvais,  on  en  meurt  de  legier, c 

Et  s'ilz  sont  bons,  c'est  pour  eulz,  et  n'ont  cure 
De  leur  père  ne  mère,  maiz  procure 
Chascun  le  leur  et  a  champ  et  a  ville 
En  souhaidant  tousjours  leur  sépulture  : 

3o       Aise  sont  ceulx  qui  n'ont  ne  l  filz  ne  fille. 

l'envoy 

Père  et  mère,  qui  tant  avés  de  rage 
D'enfans  nourrir,  s'ilz  sont  grans  soyés  sage 
Et  gardés  bien  que  nulz  d'eulz  ne  vous  pille; 


i.  ne  manque. 

a.  De  brûler.  —  b.  Berceaux.  —  c.  Facilement. 


BALADES  2ÔI 

Soyés  seigneurs  ou  vous  ares  dommage; 

Ne  vous  rendes  a  vie  n'a  minage  a  :  35 

Aise  sont  ceulx  qui  n'ont  ne  l  rllz  ne  fille. 


M 


MV 

Autre  Balade. 
[Misères  du  temps  présent.) 

oult  sont  les  loys  et  les  drois  bestornés  b, 
Les  gens  aussi  et  leurs  condicions 
264  a  Et  les  bons  temps  et  usages  mués 
Entre  mauvais,  entre  les  nacions, 
Car  l'en  ne  voit  fors  que  divisions  5 

Entre  les  grans,  les  moyens  et  les  bas, 
Guerres  mouvoir,  procès,  plais  et  debas, 
Sans  craindre  Dieu  ne  amer  son  prochain, 
Decepcion  et  faulte  en  tous  estas  : 
Justice  fault,  loy  et  honneur,  a  plain.  10 

Les  viellars  sont  des  jones  déprimés  c, 

Sages  des  folz  ont  les  oppressions, 

Povres  ont  tort,  riches  sont  eslevés, 

Mauvais  vivent,  bons  ont  pugnicions, 

Vices  régnent l  et  dissolucions,  1 5 

Péchiez  de  corps  et  convoitise,  helas! 

Entre  les  roys,  les  pueples,  les  prelas; 

1.  ne  manque.—  2.  Vices  règnes. 

a.  Rente  viagère.  —  b.  Tournés  à  l'envers.  —  c.  Méprisés. 


2 62  BALADES 

Se  vendent  dons,  bon  clerc  traveille  en  vain, 
Preudoms  aussi  des  biens  mondains  sont  cas  a  : 
20        Justice  fault,  loy  et  honneur,  a  plain. 

Par  gens  d'armes  est  li  pueples  robes  b\ 

Es  priorés  et  es  religions, 

Es  maisons  Dieu  vont  prendre  leur  hostelz, 

Es  bours  du  roy,  es  advocacions 
25        Et  aux  juges  gardans  jurdicions  ; 

De  ces  troys  cy  quierent  chevaux  et  draps 

Plus  que  d'autres;  leurs  bons  amis  font  cas  c; 

Et  leur  tollent  char,  vin,  fourrage  et  pain; 

Aux  ennemis  telz  explois  ne  font  pas  : 
3o       Justice  fault,  loy  et  honneur,  a  plain. 

l'envoy 

Prince,  nulz  homs  n'est  contre  mort  armez, 
Viez  pechié  nuyt  et  Diex  est  enformez  d 
De  nos  meffaiz,  vray  juge  et  souverain, 
Auquel  pugnir  est  par  lui  reservez; 
35        Trop  me  merveil  que  mondez  n'est  dampnez  : 

Justice  fault,  loy  et  honneur,  a  plain.  264  b 


a.  Privés,  exclus.  —  b.  Volé.  —  c.  Rendent   pauvres.  —  d.  In- 
formé. 


BALADES  2Ô3 


MVI 

Autre  Balade  \ 


COMMENT  TOUS  ROYS  ET  PRINCES  SE  DOIVENT   FAIRE 
DOUBTER   ET   OBEIR   EN  TOUS   CAS  ** 


Se  ceulx  qui  ont  segnorie  a  garder 
Savoient  bien  que  c'est  d'obéissance, 
Et  comment  roys  se  doit  faire  doubter 
Et  en  tous  cas  tenir  son  ordonnance, 
L'en  pugniroit  tant  désobéissance  5 

Qu'a  tousjours  mais  en  seroit  mencion  ; 
Car  obéir  fait  dominacion  ; 
Désobéir  seignorie  destruit 
Et  maint  pays  en  sont  de  seigneur  vuit, 
Qui  des  subgès  n'ont  rebouté  tel  vice  :  10 

Or  y  pensent  seigneurs,  dames  et  tuit  : 
Durer  ne  peut  royaume  sans  justice. 

Mais  au  jour  d'ui,  qui  bien  veult  regarder 

Ceulx  que  prince  lieve  hault  et  avance, 

En  pluseurs  lieux  ceulz  verrez  regiber  a  i5 

Contre  son  droit,  faire  grant  desplaisance 

A  ses  subgès,  appliquer  par  puissance 

Ce  qui  leur  n'est  par  leur  presumpcion; 

Par  tel  seigneur  sont  en  elacion  *; 


*  Cette  ballade,  déjà  transcrite  au  folio  65b,  a  été  publiée  sous  le  numéro 
CCXCVL  dans  le  tome  II  page  i54. 

I.  Ce  titre  est  celui  qui  se  trouve  en  tête  de  la  ballade  transcrits  au  folio  65; 
il  manque  ici. 

a.  Regimber,  résister.  —  b.  Élévation. 


264  BALADES 

20       S'un  justicier  en  parle,  trop  lui  nuit; 
Lors  pert  prince  son  demaine  qui  fuit, 
Par  son  deffault  son  souverain  office, 
Quant  ne  soustient  ce  qui  son  droit  conduit  : 
Durer  ne  peut  royaume  sans  justice. 

25        Pour  ce  sur  tous  doivent  princes  dampner 
Ceulx  qui  ont  fais,  qui,  soubz  grâce  et  fiance 
De  leur  amour,  veulent  leurs  gens  fouler, 
Leur  droit  tolir,  exurper  a  leur  chevance; 
Ingrades  b  sont,  et  ceste  decevance 

3o        Ne  doit  avoir  nulle  remission; 

En  ce  cas  soit  faite  pugnicion,  [264  c 

Tant  qu'a  telz  maulx  ne  soit  nul  homme  instruit. 
Caz  c  eschaudez  craint  eaue  jour  et  nuit; 
Si  fait  mauves,  s'il  est  qui  le  pugnice, 

35        Paine  et  tourment  :  avisez  cy  trestuit  : 
Durer  ne  peut  royaume  sanz  justice. 

l'envoy 

Prince,  qui  veult  selon  les  loys  régner, 
Il  doit  les  bons  sur  toute  chose  amer, 
Et  aux  mauvais,  félons,  plains  de  malice, 
40        Pugnicion  en  publique  donner, 
Ou  autrement  se  voit  déshériter  : 
Durer  ne  peut  royaume  sanz  justice. 

a.  Usurper.  —  b.  Ingrats.  —  c.  Chat. 


BALADES  2Ô5 

MVII 

Balade. 


sur  l'estat  de  cest  monde 


Compains,  compains,  triste  te  voy  ; 
Or  me  dy,  pour  Dieu,  que  tu  as  ? 
—  Ce  ne  te  sera  fors  annoy  a, 
Mais  neantmoins  tu  le  sçaras  : 
Je  voy  les  bons  seoir  au  bas,  5 

Les  vaillans  povres  souffraitteus  *, 
Lessaiges  prodommes  honteus, 
Reboutez  de  l'onnour  mondaine, 
Ne  je  ne  voy  nul  cuer  piteux  : 
Ainsis  ciiz  mondes  se  demaine.  10 

Encor  m'est  pis,  que  j1apperçoy 
Que  ceuls  qui  sont  pour  servir  las 
Loyaument  et  en  bonne  foy 
Et  longuement,  sont  povre  et  cas  c, 
Et  que  les  nouveaux  ont  a  tas  i5 

L'or  et  l'argent,  et  sont  entr'eulx 
264  à     Pour  leur  grâce  presumptueux, 

Que  foui  plaisir  sanz  raison  maine 

Trop  avant;  s'en  suy  dolereux 

Ainsi  cilz  mondes  se  demaine,  20 

Duquel  trop  petit  me  cognoy. 
Je  ne  voy  que  noise  et  debas, 
Envie  régner,  et  la  loy 

a.  Ennui   —  b.  Misérables.  —  C,  Ruinés. 


2Ô6  BALADES 

En  volunté  a  jugier  les  cas; 
25  Justice  faint,  les  advocas 

Soustiennent  procès  merveilleux; 

Toutes  les  gens  sont  convoiteux, 

Chevalerie  est  incertaine, 

Aux  grans  cours  fait  trop  périlleux  : 
3o  Ainsis  cilz  mondes  se  demaine. 

Je  voy  chascun  estre  a  par  soy 

Et  trop  acroistre  les  estas, 

Le  bien  commun  en  petit  ploy  b  ; 

Amour  voy  de  chiens  et  de  chas  ; 
35  Chascun  s'avance  a  son  pourchas  c, 

Cilz  qui  scet  demeure  tous  seulz  ; 

Pour  ce  est  le  monde  soufraiteux, 

Ne  nulz  n'y  prant  la  voie  saine 

De  congnoistre  les  vertueux  : 
40  Ainsi  cilz  mondes  se  demaine. 

—  Ne  fen  chaille,  vif  en  recoy  d, 
Pran  en  gré  ce  que  tu  aras, 

De  souffisance  fay  octroy 
A  ton  cuer  et 1  riches  seras, 

45  Loe  Dieu,  envie  n'aras; 

Vains  sont  tous  ces  biens  temporeux, 
Faulx,  decourables  e,  périlleux, 
Qu'om  acquiert  a  dueil  et  a  paine, 
Qui  les  maulx  ensuivent 2  tous  seulx  : 

5o  Ainsis  cilz  mondes  se  demaine. 

i/envoy 

—  Treschiers  sires,  je  recongnoy  265  a 

1.  et  manque.  —  2.  suivent. 

a.  A  sa  guise.  —  b.  En  pauvre  état.  —  c.  A  sa  poursuite.  —  d. 
Vis  en  repos.  —  e.  Passagers. 


BALADES  267 

Vostre  bien  et  vostre  chastoy  a  ; 

Dieu  vous  doint  sa  paix  souveraine 

Et  que  garder  puisse  sa  loy; 

Au  secle  n'a  amour  ne  foy  :  55 

Ainsis  cilz  mondes  se  demaine. 


M  VI II 

Balade 

AMOUREUSE 


Entre  les  biens  et  grâces  de  nature 
Que  dame  puet  avoir  et  désirer 
Pour  bon  renom  et  pour  honour  qui  dure, 
Qui  exemple  doit  par  tout  demourer, 
Vous  puet  on  bien  d'un  chapel  couronner  5 

A  .1111.  flours,  qui  maint  grief  mal  acoise  *, 
Qui  sont  en  vous  pour  chascun  honourer, 
Bonne  et  belle,  gracieuse  et  courtoise. 

Car  de  bonté  vient  bonne  créature 

Qui  dame  fait  en  tous  biens  renommer;  10 

Et  la  beauté  fait  sa  douce  figure 

Par  doulz  regart  de  toutes  gens  loer; 

Gracieuse  fait  de  sa  grâce  amer 

Le  nom  de  li  et  le  corps  ou  qu'il  voise  c; 

Courtoisie  la  fait  par  tout  clamer  i5 

Bonne  et  belle,  gracieuse  et  courtoise. 

a.  Leçon.  —  b.  Apaise.  —  c.  Où  qu'il  aille. 


2Ô8  BALADES 

Ces  .mi.  fleurs  sont  toudis  en  verdure, 
Qui  font  le  corps  d'une  dame  parer 
Et  contenir  en  tous  biens,  et  si  pure 
20        Que  mesdisans  ne  la  peuent  grever; 
Pechié  ne  puet  nullement  demourer 
Ou  ces  flours  sont,  ne  faire  assault  ne  noise 
A  vous,  dame,  que  chascuns  doit  nommer 
Bonne  et  belle,  gracieuse  et  courtoise. 

l'envoy 

25        Tresdouce  flour,  mon  trésor  et  ma  cure,      2Ô5  b 
Tout  mon  désir  et  ce  qui  me  renvoise  a, 
Dire  m'esjoist  ►;  et  m'est  douce  pasture, 
Bonne  et  belle,  gracieuse  et  courtoise. 


MIX 


Autre  Balade  *. 

SUR  PASTOURS  QUI  ESTOIENT  ENTRE  DAMERY  ET  ESPARGNAY 

Entre  Espargnay  et  Damery 
Vi  pastoures  et  pastoureaulx 
En  la  praerie  près  d'Ay, 
Gardans  moutons,  vaches  et  veaulx  : 
>  Dont  Lohiers  disoit  a  l'un  d'yaulx  : 

'  Publiée  par  Tarbé,  tome  IeT,  page  26. 

a.  Réjouit,  égayé.  —  b.  Me  lait  plaisir. 


BALADES  269 

«  Je  vueil  chevauchier  sur  les  champs, 

Car  bergiers  ne  sont  que  meschans  a 

Tant  comme  ilz  gardent  les  moutons. 

Pains  bis,  prunelles  et  boutons  b, 

Frommaige  et  let  est  leur  déduit;  10 

Je  te  pri  que  nous  nous  armons  : 

Qui  voit  gens  armez,  chascun  fuit. 

Ne  voiz  tu  pas  devers  Cheoilly 

Variez  armez  a  grans  tropiaulx, 

Qui  sont  de  poulaille  garny,  i5 

Et  tuent  brebis  pour  les  piaulx, 

Qui  robent  et  font  leurs  aviaulx  e, 

Destellent  chevaulx  et  jumans, 

Et  dient  qu'ilz  viennent  du  Mans, 

Et  vont  logier  emprés  Chaalons  ?  20 

Laisse  tout  :  après  eulx  alons. 

Telz  gens  sanz  paine  ont  leur  pain  cuit  ; 

Nous  ferons  quanque  d  nous  voulrons  : 

Qui  voit  gens  armez,  chascun  fuit. 

—  Voire,  mais  sçavoir  vueil  de  ty,  25 
265  c     Sotart,  se  nulz  a  guerre  a  yaulx  e, 

Et  ou  ilz  vont.  Or  le  me  di. 

—  En  Alemaigne  yert  leur  cembiaux/. 
La  se  trairont  les  damoiseaulx 

Sur  le  pais  des  Allemans  3o 

Pour  guerroier.  —  Certes,  tu  mans  : 

Leurs  ennemis  sont  trop  félons  ; 

A  leurs  amis,  qui  leur  sont  bons," 

Chascuns  de  ces  gens  d'armes  nuit  ; 

N'y  demeure  oe  ne  chapons  :  35 


tf.  Misérables,  malheureux.  —  b.  Prunes  sauvages  et  bourgeons. 
—  c.  Leurs  plaisirs,  leurs  volontés.  —  d.  Tout  ce  que.  —  e.  Est  en 
guerre  avec  eux.  —  /.  Bataille. 


27O  BALADES 

Qui  voit  gens  armez,  chascun  fuit. 

C'est  bien  drois  :  car  fait  d'ennemi 
Font,  prannent  vaches  et  pourceaulx.  » 
Lors  dist  Guichart  :  a  C'est  tout  honny  : 

40  Mal  temps  ont  moutons  et  aigneaulx; 

Larrons  régnent  et  larronciaulx, 
Destruiseurs  du  monde  et  gourmans  ; 
De  mains  pais  ribauls,  truans, 
S'arment,  savetiers  et  chartons; 

45  Escuiers  s'appellent  garçons 

Et  pillent  de  jour  et  de  nuit. 
Dieu  paiera  tout  ;  or  les  laissons  : 
Qui  voit  genz  armez,  chascuns  fuit. 

—  Gardons  noz  bestes,  je  vous  pri, 
5o  Soions  prodomes,  dist  Ayaux, 

Qu'avant  qu'il  soit  la  saint  Remy, 
Maint  seront  occis  de  cousteaulx 
Ou  panduz  par  juges  royaulx 
Pour  leurs  meffaiz  qui  sont  trop  grans. 
55  Ainsis  ne  guerria  Rolans, 

Charles,  Artus  ne  les  barons 
Dont  les  grans  histoires  avons, 
Par  lesquelz  l'Eglise  reluit; 
L'en  gaste  tout,  en  gré  prenons  : 
60  Qui  voit  genz  armez,  chascun  fuit.  » 


BALADES  27 I 

MX 

Balade  l  \ 
(Du  mauvais  gouvernement  du  royaume.) 

265  d       P\u  temps  que  nature  repose 

JLy  Et  que  les  sens  sont  endormis, 

M'apparut  merveilleuse  chose 

En  songant,  ce  m'estoit  advis, 

Car  je  veoie  vis  a  vis  2  5 

Folie  qui  le  Sens  tençoit 

Et  d'aler  devant  s'efforcoit. 

A  courre  ont  grant  gaigement  mis  ; 

Et  court  chascun  mieulx  qu'il  pouoit; 

Voulenté  juga  et  le  Temps  10 

Qu'a  la  course,  si  comme  on  voit, 

La  Folie  passe  le  Sens. 

Et  adonques  le  Sens  oppose 

A  Voulenté  :  «  Vous  avez  mis 

Le  Temps  contre  moy;  si  suppose  .    i5 

Vous  deux  de  Folie  estre  amis. 

En  un  autre  temps  fu  3  tramis  a 

Que  Drois  et  Raisons  m'onnouroit, 

Et  Justice  et  Loy  me  gardoit 

De  la  main  de  mes  ennemis;  20 


1.  Lenvoy.  —  2.  vis  advis.  —  3.  fut. 
•  Publié  par  Tarbé,  tome  I",  page  i33. 
a.  Je  fus  envoyé. 


272  BALADES 

Folie  monstrer  ne  s'osoit  : 
La  Folie  passe  le  Sens. 

«  Et  encor  puis  je  mettre  glose 

Que  de  courre  ne  suy  remis, 
25  Mais  nulz  de  mon  fait  parler  n'ose; 

Si  suy  je,  long  tems  a,  escrips 

Avant  que  regnast  Jhesu  Gris; 

Chevalerie  me  suioit, 

Clergie  aussi  et  gouvernoit 
3o  Les  .vu.  ars  qui  seront  faillis 

Pour  ce  qu'om  ne  fait  ce  qu'om  doit, 

Et  qu'il  est  trop  de  jeusnes  gens 

Des  quelz,  chascuns  en  son  endroit, 

La  Folie  passe  le  Sens  K  266  a 

35  Chascuns  scet  bien,  pour  ce  le  pose, 

Que  depuis  que  je  fu  desmis  a 

Es  livres  es  quelz  je  repose, 

Et  que  des  princes  fu  hais, 

Royaume  ont  esté  envahis, 
40  Ou  Voulonté  règne  pour  Droit 

Et  Convoitise  qui  vouldroit 

Que  je  fusse  escorchiez  tous  vis; 

Par  or  et  argent  tout  déçoit 

L'Eglise,  chevaliers,  enfans, 
45  Et  pour  ce,  qui  bien  s'i  congnoit, 

La  Folie  passe  le  Sens. 

Qui  voulra,  si  me  tance  ou  chose, 
Car  Salemons,  li  roys  Davis, 
En  mainte  escripture  et  en  prose 
5o  Firent  par  moy  livres  et  dis, 

Dont  les  corps  et  les  esperis 

1.  Cette  strophe  manque  dans  Tarbé. 
a.  Relégué. 


BALADES  2  73 

Et  chascun  qui  leurs  mos  orroit 

Et  qui  encor  les  retendroit 

En  pourroit  monter  en  hault  pris; 

Mais  Foui  Plaisir  ne  le  vouldroit  55 

Ne  Volunté  contredisans 

A  tout  bien,  qui  lors  s'escrioit  : 

«  La  Folie  passe  le  Sens  l.  » 

l'enyoy 

Prince,  en  resveillant  pour  le  froit, 

Fut  mon  couraige  moult  destroit  a  :  60 

Et  de  ce  songe  esbahissans. 

Doubtans  en  fin  qu'il  en  seroit, 

Nul  bien  n'y  sçay;  en  Dieu  en  soit! 

La  Folie  passe  le  Sens. 


MXI 

Balade. 


COMMENT  LES    BESTES   ENSUIVENT   MIEULX  LEUR   LOY   ET 
CONGNOISSENT   LEUR   NATURE  QUE  LES   HOMMES 


66  b 


Je  voy  faire  a  tout  animal 
Ce  que  Nature  lui  ensaingne 
Fors  qu'a  homme,  qui  suist  tout  mal 
Et  de  son  sens  ouvrer  ne  daingne; 
C'est  bien  raison  qu'elle  s'en  plaingne, 


|t.  Cette  strophe  manque  dans  Tarbé. 
ji  Abattu. 

T.  V  18 


274  BALADES 

Car  Tomme  fait  tout  arrebours. 
Beste  devient,  singes  et  ours, 
Et  quant  il  doit  dormir,  il  veille; 
Muyaux  a  est,  aveugles  et  sours  : 
10  Du  temps  qui  court  ay  grant  merveille. 

Pappe  n'y  a  ne  cardinal 

Qui  pour  prandre  la  croix  ne  faingne  *, 

Et  li  grant  prince  impérial 

Ne  veulent  porter  autre  ensaingne. 
i5  Convoitise  a  noble  compaigne, 

Orgueil  va  avec  li  es  cours, 

Qui  fait  aux  conseilliez  secours  ; 

Faulx  Semblant  aussi  les  conseille  ; 

La  fait  on  de  merveilleus  tours  : 
20  Du  temps  qui  court  ay  grant  merveille. 

Il  n'est  mais  point  d'estat  royal 

Tel  comme  portoit  Charlemaine, 

Ne  de  conseil  juste  et  loyal 

Qui  les  maulx  des  princes  repraingne  '. 

25  Je  ne  sçay  homme  qui  Dieu  craingne; 

Il  n'est  vertus  ne  bonnes  mours 
Es  grans,  es  moyens,  es  menours  ; 
Justice  dort,  Raison  sommeille, 
Pité,  Loy  ne  règne  n'Amours  : 

3o  Du  temps  qui  court  ay  grant  merveille. 

11  ne  chaut  du  bien  communal c; 

Pour  ce  convient  que  mal  nous  vaingne  d,  266 

Tout  est  reversé  contreval  e, 

On  porte  une  aune  de  poulaine/, 


1.  reprangne. 

a.  Muet.  —  b.  Ne  se  dérobe. —  c.  Commun,  public—  d.  Vienn 
—  e.  En  bas.  — /.  Les  souliers  longs  d'une  aune. 


BALADES  275 

Et,  qui  pis  est,  chascuns  se  paine  35 

De  porter  habis  si  trescours 

Que  l'en  voit  les  çuls  tous  les  jours 

De  pluseurs  ;  ainsis  s'appareille 

Nostre  fin,  nos  cris  et  noz  plours  : 

Du  temps  qui  court  ay  grant  merveille.         40 

Tous  vices  sont  en  gênerai, 

Mais  vertus  n'est  qu'a  nous  remaingne  a\ 

Chascuns  veult  avoir  grant  cheval 

Et  grant  estât,  ou  qu'om  le  praingne; 

Povreté  le  peuple  mehaingne  b;  43 

Si  faulra  cesser  telz  atours. 

Pensez  de  voz  brebis,  pastours, 

Qui  ont  les  loups  près  de  l'oreille, 

Ou  avoir  n'y  pourrez  recours  : 

Du  temps  qui  court  ay  grant  merveille.         5o 

l'envoy 

Prince,  Congnoissance  est  la  flours 

D'amer  Dieu,  Vaillance  et  Honnours 

Et  Raison  1  qui  n'a  sa  pareille; 

Prenez  les  com  voz  ancesours  c 

Firent;  par  eulx  serez  ressours  4  l  55 

Du  temps  qui  court  ay  grant  merveille. 


a.  Mais  il  n'y  a  plus  de  vertu  qui  nous  reste.  —  b.  Blesse,  mu- 
tile. —  c.  Prédécesseurs.  —  d.  Relevés. 


276  BALADES 

MXII 

Balade  * 

QUI   PARLE   SUR  l'eSTAT   DE   RELIGION 


P 


uis  que  Religion  cessa, 
Et  que  prestre  furent  mondain, 
Et  que  l'Eglise  délaissa 
L'estat,  Pierre  son  souverain, 

5  Symon,  Giezi  vint  en  sa  main 

Qui  lui  aprinst  a  marchander; 
Adonc  prinst  le  peuple  a  errer, 
Haines  et  guerres  mouvoir 
Entre  les  princes,  c'est  tout  cler  : 

10  Mal  chief  fait  les  membres  doloir. 

Depuis  .lx.  ans  en  ença, 
Convoitise  a  mis  son  levain 
A  la  court  Dieu,  tant  que  pieça 
Bon  clerc  y  sont  aie  en  vain . 

i5  Science  en  est  mise  a  l'estrain  a, 

Les  nonsaichans  b  voit  on  lever  c 
Par  faveur,  promettre  ou  donner, 
Les  bons  n'y  puelent  riens  avoir, 
Science  et  foy  en  fault  cesser  : 

20  Mal  chief  fait  les  membres  doloir. 

De  dolente  heure  s'avança 

Cilz  qui  pestrit  aux  gens  tel  pain, 

*  Publiée  par  Tarbé,  tome  l,page  ijb. 

a.  Sur  la  paille.  —  b.  Les  ignorants.  —  c.  Elever. 


BALADES  277 

Dont  division  commença 

Tant  que  nostre  loy  tout  a  plain 

Est  en  grant  cisme  et  grant  desdain, —  2  5 

Deux  pappes  se  font  aourer  *- 

Dont  il  ne  deust  c'un  seul  régner. 

Que  ne  font  les  roys  leur  devoir 

D'un  concilie  pour  ce  trouver? 

Mal  chief  fait  les  membres  doloir.  3o 

Qui  deux  élections  pensa, 
D'Antecrist  fut  Tun,  pour  certain  ; 
Se  la  vraie  par  lui  faussa, 
Il  nous  germa  perilleus  grain. 
Collèges,  n'attendez  demain,  35 

Estudes  6,  vous  deussiez  aler 
Devers  le  roy  pour  enhorter 
Ce  concilie,  et  cerchier  le  voir 
Pour  si  grant  erreur  rappeller  : 
5y  a      Mal  chief  fait  les  membres  doloir.  40 

Car  tout  se  destruit  ca  et  la: 

*  1 

Empereurs,  roys,  noble,  villain 

Ont  pour  ce  guerre;  or  y  parra. 

Que  feront  François  et  Rommain, 

Alemant  et  Oultremontain,  45 

Tous  clercs  deçà  et  delà  mer. 

Crestiens  estes,  c'est  amer; 

Faictes  un  vray  pappe  apparoir 

Et  par  concile  déclarer  : 

Mal  chief  fait  les  membres  doloir.  5o 

l'envoy 
Empereurs,  roys,  ducs,  conte,  per, 
a.  Honorer,  vénérer.  —  b.  Universités. 


278  BALADES 

Collèges,  estudes  non  per, 
Faictes  ce  cisme  remouvoir  a 
Et  par  raison  déterminer 
55  Un  seul  pappe,  ou  tout  voy  finer 

Mal  chief  fait  les  membres  doloir. 


MXIII 

Autre  Balade 
(On  hait  les  gens  de  justice.) 

Ce  qui  souloit  éstre  anciennement 1 
Le  plus  chieri,  craint,  et  plus  honouré 
Tant  d'Eglise  com  seculierement, 
Et  par  qui  tout  estoit  bien  gouverné 
5  En  la  court  Dieu,  en  temporalité, 

Et  qui  chascun  garroit  son  corps  de  vice, 
Est  au  jour  d'ui  de  tous  poins  rebouté, 
Car  on  ne  hait  fors  les  gens  de  Justice. 

Du  temps  jadis  faisoit  on  autrement, 
10       Car  les  bons  clercs,  en  loy  et  en  décret, 

Orent  adonc  tout  le  gouvernement  267  l 

De  tout  royal  et  de  crestienté. 

Tout  ala  bien,  estât  leur  fut  donné 

Sanz  requérir  et  tout  grant  bénéfice  ; 
1 5        Or  n'ont  plus  rien.  Science  est  en  vieulté  *, 

Car  on  ne  het  fors  les  gens  de  Justice. 

1.  Ce  premier  vers  est  écrit  à  l'encre  rouge. 
a.  Cesser.  — -  b.  Mépris,  vileté. 


BALADES  279 

Et  qui  les  het?  Ly  manieur  d'argent 
Qui  es  estas  sont  plus  avant  bouté, 
Qui  font  le  monde  et  le  peuple  indigent, 
Fondent  chasteauls,  et  tant  ont  acquesté 
Que  par  eulx  sont  maint  homme  a  povreté, 
Et  les  mauvais,  crueux,  plains  de  malice, 
Sur  les  juges  ont  leur  venin  getté, 
Car  on  ne  het  fors  les  gens  de  Justice. 


l'envoy 


Prince,  du  tout  voy  taire  Vérité, 
Les  nonsaichans  avoir  Tauctorité, 
Et  li  saichant  n'ont  estât  ni  office  *, 
Mais  d'iceuls  sont  li  clerc  suspeditté  a 
Et  li  vaillant  restraint  et  débouté, 
Car  on  ne  het  fors  les  gens  de  Justice  2. 


MXIV 

Autre  Balade 
[Causes  de  la  destruction  du  royaume.) 

Qui  a  le  monde  ainsi  destruit, 
Et  par  qui  sueffre  il  tant  de  maulx? 
Je  le  diray,  entendez  tuit  : 
Puis  qu'il  vint  tant  de  cardinaulx, 

1 .  noffice  —  2 .  Tout  cet  envoi  est  écrit  à  l'encre  rouge. 
a.  Supplantés. 


280  BALADES 

5  De  compteurs,  de  divers  papaulx, 

De  Gezitices,  de  Symon,  267  c 

De  convoiteux  d'excessis  *  dons 
En  la  court  du  pappe  et  des  princes, 
Ne  fut  bien  gouverné  ly  nions  a  : 

10  C'est  ce  qui  destruit  les  provinces. 

Orgueil,  descongnoissance  nuit 

Aux  cours  d'église,  aux  cours  royaulx; 

Convoitise  y  est  jour  et  nuit 

Qui  veult  avoir  l'or  a  monceaulx  : 
1 5  C'est  celle  qui  advance  2  ceaulx 

Qui  n'en  sont  dignes,  c'est  li  pons 

Aux  mal  entechiez  b,  aux  félons. 

Telz  gens  sont  du  peuple  les  pinces 

Qui  font  les  povres  pays  rons  c  : 
20  C'est  ce  qui  destruit  les  provinces. 

Nulle  religion  ne  luit  ; 

On  treuve  po  de  gens  loyaulx  ; 

Raison,  Drois  et  Justice  fuit, 

Car  haiz  sont  des  desloyaulx; 
25  II  n'est  que  renars  et  louvaulx  d 

Qui  estranglent  brebiz,  moutons; 

Avancement  n'a  nulz  prodoms  ; 

Li  bons  dit  :  «  Ha!  mauvais,  tu  pinces  !  » 

Le  temps  ont  murdriers  et  larrons  : 
3o  C'est  ce  qui  destruit  les  provinces. 


l'envoy 


Vray  Dieu,  chascun  vous  mescongnuit 


1  .de  excessis.  •—  2.  aduonce. 

a.  Le  monde.  —  b.  A  ceux  qui  ont  de  mauvaises  qualités.  —  c. 
Rompus.  —  d.  Louveteaux. 


BALADES  28l 

Et  a  vers  vous  le  cuer  recuit  «. 

Cler  voiez  plus  que  lins  ne  linces  : 

Convoiteus  aront  du  mal  cuit  ; 

Quant  Convoitise  par  tout  bruit,  35 

C'est  ce  qui  destruit  les  provinces. 


MXV 

Balade. 
[Il  faut  récompenser  les  bons  serviteurs.) 

267  d  Traire  despit,  dommaige  et  desplaisir, 
A      Injure,  annuy  et  toute  moquerie, 
En  lieu  commun,  sanz  cause,  et  ce  désir 
Continuer  en  toute  seignourie 
A  personne  qui  a  esté  nourrie  5 

En  franc  vouloir,  et  sanz  li  faire  bien, 
Fait  estrangier  le  lieu  qui  le  detrie  b  : 
Par  faire  mal  n'aprivois'on  pas  chien  ! 

Aucuns  ont  eu  de  ce  faire  plaisir  c 

A  leurs  servens,  mais  pour  ce  n'est  ce  \  mie       10 

Que  autres  d'eulx  doient  ensuir  sotie, 

N'avoir  les  gieux  sur  eulx,  c'est  grant  folie; 

Sires  puet  moult,  mais  foulz  est  qui  s'i  fie 

De  faire  autel  d,  ne  comparer  en  rien 

A  leur  seigneur;  le  soufrir  est  folie  :  1 5 


1.  ce  manque. 

a.  Endurci.  —  b.  Fait  quitter  le  lieu  qui  le  retarde.  —  c.  Se  sont 
>lu  à  faire  ainsi.  —  d.  De  faire  de  même. 


282  BALADES 

Par  faire  mal  n'aprivois'on  pas  chien. 

Pour  ce  voit  on  les  aucuns  départir, 
Qui  ne  puelent  longues  a  soufrir  tel  vie, 
Aux  quelz  on  deust  leurs  paines  remerir  b, 
20        Aler  ailleurs,  avoir  merancolie, 

Et  ceuls  ont  droit  en  la  plus  grant  partie; 
Car  chascun  doit  fuir  com  cerf  1  lien, 
Franchise  amer,  car  qui  fait  villenie, 
Par  faire  mal  n'aprivois'on  pas  chien. 

l'envoy 

25        Prince,  qui  n'a  2  la  paine  desservie, 
Si  vault  et  scet,  dire  vous  ose  bien 
Que  cil  fait  mal  qui  tel  homme  injurie  c  : 
Pour  faire  mal  n'aprivois'  on  pas  chien. 


MXV1 


Autre  Balade 
(L'humilité  des  grands  attire  le  cœur  des  petits.) 

Com  plus  est  grans  en  ce  monde  li  homs,  268  a 
Et  com  plus  a  richesce  et  habondance, 
Tant  doit  il  moins  estre  fiers  3  et  félons 
Et  tant  doit  mieulx  avoir  la  congnoissance 

1.  contre  serf.  —  2.  qui  na  pas.  —  3.  estre  moins  fiers. 

a.  Longtemps.  —  b.  Récompenser.  —  c.  Traite  injustement. 


BALADES  283 

D'umilité,  non  monstrer  sa  puissance  5 

Aux  soufraiteux,  foibles  et  indigens  : 
Humilité  attrait  le  cuer  des  gens. 

Quant  aux  vertus,  c'est  uns  tresnobles  dons 
Que  Dieux  eslut  en  celle  et  prinst  plaisance, 
Que  sainte  Vierge  et  sa  mère  appelions,  10 

Dont  nostre  foy  vient  et  nostre  créance. 
Si  nous  devons  bien  tuit  mirer  en  ce 
Pour  acquérir  l'amour  de  noz  sergens  : 
Humilité  attrait  le  cuer  des  gens. 

Rigour  non  pas,  qui  eslonge  a  les  bons,  i5 

Orgueil  aussi,  qui  mettent  en  balance 

Ceuls  qui  usent  seulement  de  leurs  noms; 

Chascuns  les  fuit  et  het  et  desavance. 

Avise  cy  tout  homme  et  toute  enfance, 

Et  d'estre  humble  soit  chascuns  diligens  :  20 

Humilité  attrait  le  cuer  des  gens. 


l'envoy 


Prince  royaulx  doit  avoir  congnoissance 
D'orgueil  fuir,  d'umblesce  avoir  le  sens; 
Par  orgueil  pert,  et  l'autre  point  l'advance  : 
Humilité  attrait  le  cuer  x  des  gens.  2  5 


1.  les  cuers. 
a.  Eloigne. 


284  BALADES 

MXVII 

Autre  Balade 
(Le  bon  sens  n'est  pas  à  la  cour.) 

Helas!  sire,  monstrez  moy  le  chemin 
Ou  je  puisse  Gongnoissance  a  trouver? 

—  Va  a  la  cour.  —  Quoy  faire?  —  Je  devin  b 
Quelle  y  devroit  mieulx  qu'ailleurs  demourer.  268  b 

5  —  Vous  dittes  voir,  mais  je  vous  vueil  prouver 

Que  pas  n'y  est;  ailleurs  a  fait  son  hourt c  ; 
Quise  l'y  l  ay,  mais  n'y  puet  séjourner  : 
Congnoissance  se  tient  trop  pou  a  court. 

—  Pour  quoy  ?  —  Pour  ce  que  nul  n'y  est  enclin 
10        De  la  vouloir  oir  ne  regarder, 

Chascun  lui  fait  content,  noise  et  hutin  d  ; 
Si  n'ose  la  un  tout  seul  mot  sonner, 
Car  Foui  Plaisir  l'en  fait  souvent  aler 
Plus  que  le  pas,  s'en  fuit  ailleurs  et  court. 
i5        —  Quier  autre  part,  car,  selon  ton  parler, 
Congnoissance  se  tient  trop  pou  a  court. 

—  C'est  tout  certain;  mais  maint  paillart  coquin 
Maint  sot,  maint  foui  voit  on  la  ordonner, 
Avoir  estât,  la  chevance  et  l'or  fin, 

20        Et  li  vaillant  et  saige,  c'est  tout  cler, 
N'y  ont  honeur,  ne  puelent  profiter 

1.  lui. 

a.  Bon  sens.  —  b.  Je  soupçonne. -—c.  Sa  demeure,  —  rf.  Contesta- 
tion, bruit  et  querelle. 


BALADES 


285 


Par  Foui  Plaisir  qui  toudis  y  acourt, 
En  escriant,  quant  bons  s'y  veult  bouter  : 
Congnoissance  se  tient  trop  peu  a  court. 

l'envoy 

Princes,  qui  veult  comme  saiges  régner,  25 

De  son  palays  doit  oster  tel  bouhourt  a 
Tant  qu'on  ne  puist  dire  ne  sermonner  : 
Congnoissance  se  tient  trop  pou  a  court. 


MXVII1 

Balade. 
(Il  fait  bon  d'être  loin  de  la  cour.) 


N 


e  doit  chaloir  a  homme  qui  sens  a 
Et  qui  scet  art  d'estat  royal  suir  *, 
268  c  Car  li  riches  com  li  povres  mourra, 
Et  si  fait  bon  sa  franchise  ensuir  c; 
Qui  sert  a  court  il  ne  fait  que  fuir  5 

Puis  ça,  puis  la,  et  vit  a  grant  dangier  : 

Il  fait  trop  bon  son  pain  en  paix  mangier. 

Cilz  qui  art  scet  par  jour  en  ouvrera  ; 

Qui  saiges  est,  son  sens  le  doit  chevir  ;  10 

Se  il  a  propre,  il  s'en  gouvernera 

Et  chascun  d'eulx  se  pourra  enrrichir, 

a.  Guerre.  —  b.  Poursuivre.  —  c.  Conserver. 


286  BALADES 

Sanz  grant  pechié  reposer  et  dormir 
Quant  nuit  sera,  sanz  son  estât  changier 
i5        Et  sanz  débat;  pour  ce  vueil  soustenir  : 
Il  fait  trop  bon  son  pain  en  paix  mangier. 

S'il  vit  a  court,  sa  vie  abrégera; 
Car  comme  serf  fault  aler  et  venir, 
Matin  lever  et  a  l  tart  se  couchier, 
20        Et  si  le  fault  parjurer  et  mentir, 

Trair  derrier  et  pardevant  blandir  a  ; 
Estre  flateur,  traitre,  losengier  b\ 
Pour  ce  conclus  et  puis  bien  maintenir  : 
Il  fait  trop  bon  son  pain  en  paix  mangier. 

l'envoy 

25         Prince,  qui  a  pour  son  corps  soustenir, 

Sanz  trop  ne  pou,  doit  la  court  estrangier  c, 
Car  Salemon  tesmoingne  et  veult  tenir  : 
Il  fait  trop  bon  son  pain  en  paix  mangier. 


c 


MX1X 

Autre  Balade 
(Tout  se  détruit  dans  le  monde.) 

ongnoissance,  Sens,  Honeur  ne  Mémoire 
N'ont  au  jour  d'ui  leur  temps  ne  leur  saison 


i .  a  manque. 

a.  Flatter.  —  b.  Trompeur.  —  c.  S'éloigner  de  la  cour. 


BALADES  287 

Convoitise  règne  avec  Vaine  Gloire, 
268  d  Desloyaulté,  Envie  et  Traison, 

Et  Volunté  qui  règne  en  desraison  ;  5 

Pitié  n'a  lieu  et  Charité  est  morte, 

Justice,  Loy  se  perdent  et  Raison  : 

Tout  se  destruit,  riens  n'est  qui  me  conforte. 

Car  nul  ne  veult  bonne  parole  croire, 
Ne  je  ne  voy,  ne  croy  qu'il  soit  mais  hom         10 
Qui  vueille  oyr  parler  de  chose  voire  a 
Fors  que  de  mal,  mais  encor  se  moque  on. 
S'aucuns  dit  bien  :  «  C'est  un  maistre  Remon; 
Grant  dommaige  est  quant  la  chape  ne  porte  !  » 
Mais  chascun  fait  prodomme  d'un  larron  :         i5 
Tout  se  destruit,  rien  n'est l  qui  me  conforte. 

Et  quant  je  voy  toutes  vertus  recroire  b 

Et  tous  vices  régner  si  2  a  bandon  c, 

Je  tien  de  voir  ne  je  n'ose  mescroire  d 

Qu'il  ne  viengne  grant  tribulacion,  20 

Mortalité,  guerre  et  perdicion 

De  la  prince  qui  a  telz  maulx  s'assorte  e; 

Prochainement,  c'est  ma  conclusion, 

Tout  se  destruit,  rien  n'est  qui  me  conforte  3. 

l'envoy 

Prince  qui  veult  avoir  dominion  /  25 

Doit  doubter  Dieu,  es  vertuz  se  déporte, 
Car  s'il  fait  mal,  c'est  ma  conclusion  £", 
Tout  se  destruit,  rien  n'est  4  qui  me  conforte. 

1.  nest  rien  —  2.  si  manque.  —  3.  Tout  se  destruit,  etc.  —  4.  nest  rien 
a.  Vraie.  —  b.  S'affaiblir.  —  c.  A  foison.  —  d.  Ne  pas   croire, 
douter.  —  e.  S'assortit,  s'associe.  — /.  Domination,  autorité.  —  g. 
Erreur  du  copiste;  il  faudrait  un  autre  hémistiche;  celui-ci  se  trou- 
vant déjà  au  vers  23. 


288  BALADES 

MXX 

Autre  Balade  \ 

(Sur  ce  qui  doit  advenir.) 
[1392] 

Puis  que  je  voy  né  le  filz  de  l'enfant, 
Selon  les  diz  et  exposicions 
Des  prophètes  et  Sébile  qui  sent 
Par  esperit  les  grans  evencions,  26g  a 

5  De  ce  monde  les  tribulacions 

Doivent  fenir,  et  soubz  le  petit  né 
Doit  reflourir  saincte  religions, 
Qu'ainsi  est  il  pieça  prédestiné. 

Fleur  qui  de  fleur  pure  et  nette  descent 
10       Sera  de  Dieu  la  vraie  élections, 

Qui  doit  porter  son  ceptre  en  Orient, 

Du  rémanent  a  des  persecucions, 

Du  règne  saint  la  consecracions; 

Jherusalem,  la  sera  couronné 
j  5        Et  soubzmettra  payennes  nascions  : 

Qu'ainsi  est  il  pieça  prédestiné. 

O  lui  sera  un  saint  pappe  Innocent, 
Et  soubz  ces  deux  la  reformacions 
Des  crestiens  sera  fort  et  puissant, 
20        Crainte  la  loy,  et  les  discencions 

N'aront  plus  lieu  ;  or  nous  esjouissons 

•  Cette  ballade,  déjà  transcrite  au  folio  iq*,  a  été  publiée,  sous  le  nu- 
méro LXXXI,  tome  I",  pages  183-184. 

a.  Du  reste. 


BALADES  289 

Car  assez  tost  seront  no  mal  fine, 

Les  grans  pécheurs  et  leurs  intencions  : 

Qu'ainsi  est  il  pieça  prédestiné. 

l'envoy 

Prince,  je  voy  le  nom  du  nom  naiscent,  25 

Et  Tinnocent  de  l'innocent  crié  a 
Qui  doit  régner  sire  sur  mainte  gent; 
Qu'ainsi  est  il  pieça  prédestiné. 


MXXI 

Autre  Balade 
(Conseil  de  fuir  la  cour.) 

Qui  vivre  veult  sanz  grant  péril  avoir, 
Pour  eschiver  de  ce  monde  l'envie, 
L'estat  de  court  doit  fuir  et  sçavoir  26g  b 

Que  sur  tous  est  la  plus  doubteuse  vie 
D'ame  et  de  corps,  et  foulz  est  qui  s'i  fie,  5 

Car  Fortune  tient  illec  b  sa  maison; 
Régner  un  temps,  languir  l'autre  saison 
Y  voit  on  maint,  cheoir  soudainement 
De  hault  au  bas  ;  pour  quoy  ne  la  fuit  on? 
Pour  ce  que  foui  ne  doubte  jusqu'il  prant  c.     10 

Justice  après  ne  doit  garder  vouloir, 

a.  Créé.  —  b.  Là.  —  c.  Jusqu'à  ce  qu'il  reçoive  des  coups. 
T.V  lf 


2Ç0  BALADES 

Au  temps  qui  court,  nul  qui  ait  prodommie  *, 
Car  les  mauvais  qui  des  vices  sont  hoir  b 
La  héent  touz,  ami  n'a  ne  amie. 

1 5        Enfans  servir  ne  vous  conseille  mie, 

Femme  et  commun  c,  car  pou  ont  de  raison, 
Leur  amour  fault  a  petit  d'achoison, 
Si  qu'om  y  pert  temps  et  aage  souvent  : 
Mais  nul  n'y  a  consideracion, 

20        Pour  ce  que  foui  ne  doubte  jusqu'il  prant. 

Terre  d'autruy  ne  deniers  recevoir, 
Estre  trop  près  de  haulte  seignourie, 
Ne  grant  estât  qui  fait  adecepvoir 
Maint  dolent  cuer,  nul  ne  s'i  glorifie. 

2  5        Vif  de  ton  art,  doubte  Dieu  et  gracie, 
Soufrise  toy  rente  ou  possession 
Moiennement,  et  ne  fay  desraison 
A  homme  nul  ;  maintien  toy  humblement  : 
Car  aux  mauvais  vendra  pugnicion, 

3o        Pour  ce  que  foui  ne  doubte  jusqu'il  prant. 

l'envoy 

Prince,  je  voy  grant  desolacion, 
Baras  d  couvers,  dissimulation, 
Envie,  orgueil,  convoitise  d'argent 
Régner  par  tout,  et  dominacion  26g  c 

35        Branler  tresfort  sur  sa  mutacion, 

Pour  ce  que  foui  ne  doubte  jusqu'il  prant. 

a.  Nul  qui    a   prudhommie   ne  doit  vouloir  garder  Justice,  au 
temps  qui  court.  —  b.  Héritiers.  —  c.  Peuple.  —  d.  Tromperie. 


BALADES  29I 


MXXII 

Autre  Balade  \ 

(Dialogue  entre  deux  voleurs.) 

De  quoy  sers  tu  ?  —  De  moy  esbatre. 
—  Or  di,  de  quel  esbatement? 

—  Je  sçay  bien  trois  gieuz,  voire  quatre  : 
De  bourses  coupper  soutilment, 
D'entregetter  a  legierement  5 
Un  henap  b  ou  un  pot  d'estain 
Pour  un  d'argent,  et  de  ma  main 
Couper  un  mordant  c  de  courroie; 
De  rober  nul  homme  ne  crain. 

—  C'est  beau  gieu,  mais  qu'om  ne  te  voie  1  !  10 

—  Encor  quant  je  voy  gent  debatre 
A  un  change,  trop  proprement 
Sçay  ma  main  sur  l'argent  embatre  d 
Et  remporter  appertement  ; 
Tasse,  godet  e,  cuillier  d'argent  j5 
Ay  tantost  mucié/  en  mon  sain  ; 
D'un  cheval,  s'om  le  mainea  plain 
En  presse  ay  couppé  toutevoie 
La  longe,  et  vendu  Pendemain. 

—  C'est  beau  gieu,  mais  qu'om  ne  te  voie  !  20 

—  Et  qui  plus  est,  bien  sçay  combatre 

l.  voie  manque. 

a.  Escamoter.  —  b.  Un  hanap.  —  c.  Boucle.  —  d.  Mettre.  —  c. 
obelet.  —/.  Caché. 


2g2  BALADES 

D'un  coutel  profitablement, 

Une  maie  a  fendre  et  abatre, 

La  desrober  incontinent. 
25  —  Et  se  tu  es  prins  d'un  sergent, 

Gomment  fais  tu?  —  Je  trume  b  a  plain  ; 

Je  me  rescoux  c  bien  du  l  villain, 

Au  moustier  cours  la  droitte  voye  26g 

Et  fais  tourtel  d'autrui  levain  d. 
3o  —  C'est  beau  gieu,  mais  qu'om  ne  te  voye. 

l'envoy 

—  Prince,  bien  sçay  gaingnier  mon  pain, 
Bon  marchant  sui,  a  lever  main  e 

Ay  maintefois  gaingnié  ma  proye. 

—  En  la  fin  seras  prins  a  l'ain  /. 
35           — Non  seray;  toudis  robe  et  prain. 

—  C'est  biau  gieu,  mais  qu'om  ne  te  voye! 


MXXIII 

Autre  Balade 
[Éloge  de  la  tranquillité  d'esprit.) 

Chascuns  parle  de  chevance  acquérir, 
D'avoir  estât,  puissance  et  renommée, 
Qu'om  se  voye  de  pluseurs  requérir, 

1.  dun. 

a.  Une  valise.  —  b.  Je  cours.  —  c.  Je  m'échappe.  —  d.  Je  fais  un 
pain  avec  le  levain  d'un  autre.—  e.  Matin.  — /.A  l'hameçon. 


BALADES  2g3 

Qu'om  ait  honeur  qui  tant  est  désirée  : 

C'est  tout  triboul  a  et  labour  de  pensée;  5 

Je  ne  vueil  rien  au  cuer  qui  me  desplaise, 

Mais  en  passant  de  journée  en  journée, 

Il  me  souffist  que  je  soye  bien  aise. 

Des  faiz  de  nul  ne  vueil  ja  enquérir, 

Ne  d'autruy  biens  avoir  la  teste  emflée,  10 

Ne  moy  tuer  pour  terre  conquérir; 

Si  riche  n'est  qui  ait  que  sa  ventrée  b  ! 

Pour  sens  avoir  ne  vueil  langue  dorée, 

Ne  pour  honeur  tant  soufrir  de  mesaise; 

Tous  telz  estas  n'est  que  vent  et  fumée  :  1 5 

Il  me  souffist  que  je  soie  bien  aise. 

Ne  sçay  je  bien  qu'il  fault  chascun  mourir? 
Sanz  espargnier  personne  qui  soit  née, 
Nature  fait  tout  homme  a  mort  courir; 
C'est  sanz  rapel,  par  sentence  ordonnée.  20 

270  a  Pour  quoy  est  donc  vie  desordonnée, 
Pour  acquérir  la  chevance  mauvaise  ? 
Fy  de  l'avoir  et  richesce  emmurée  c  ! 
Il  me  souffist  que  je  soye  bien  aise. 

l'envoy 

Prince,  on  se  doit  en  ce  monde  esjouir,  25 

Garder  la  loy,  a  Dieu  faire  plaisir 

Sanz  convoiter  ne  faire  euvre  punaise  d; 

Qu'om  face  bien,  et  se  doit  on  tenir 

A  ce  qu'om  a,  et  pour  vray  soustenir  : 

Il  me  souffist  que  je  soye  bien  aise.  3o 

a.  Trouble,  tourment.  —  b.  Si  riche  qu'on   soit,  on  n'a  que  ce 
qu'on  peut  manger.  —  c.  Entourée  de  murs.  —  d.  Sale. 


294  BALADES 

MXXIV 

Balade. 
(Contre  Jehan  de  Saint- Sy mon.) 


A 


vous,  maistre  d'ostel,  me  plain 
Du  ventre  Jehan  de  Saint  Symon, 

Car  il  a  fait  son  sac  si  plain 

Que  je  n'ay  jambes  ne  talon 
5  Qui  puist  souffrir  tel  estalon  a 

Ne  moy  porter.  —  Et  qui  es  tu? 

—  Certes,  je  suis  son  graile  eu, 

Qui  Fay  servi  treslonguement  ; 

Or  est  trop  pesant  devenu  : 
10  Faictes  sur  ce  vo  jugement. 

Trop  s'emplist,  le  soir  et  le  main, 

De  char  de  buef  et  de  mouton; 

Toudis  a  le  voirre  en  la  main  *, 

Tant  boit  qu'il  en  devient  breton  ; 
1 5  Perdriz  n'est,  connin  c  ne  chapon 

Qui  ne  soit  par  lui  retenu; 

Il  vole  au  gros  et  au  menu, 

Maint  brouet  chascun  jour  respant; 

Du  servir  ne  suis  plus  tenu  : 
20  Faictes  sur  ce  vo  jugement.  2jo  b 

Il  semble  que  je  soye  un  nain 
Au  regart  du  ventre  félon  ; 

a.  Baliveau.  —  b.  Il  •  toujours  le  verre  en  main.  —  c.  Lapin. 


BALADES  295 

De  sa  courroie  me  complain, 

De  sa  tasse  a  et  de  la  façon; 

Le  martel  semble  d'un  maçon;  25 

Son  poys  me  fait  estre  bossu, 

Et  je  ne  suy  pas  si  fessu 

Que  je  fu  anciennement. 

Plus  ne  vueil  servir  tel  pensu  *  : 

Faictes  sur  ce  vo  jugement.  3o 

i/envoy 

Maistres  d'ostel,  je  suis  perdu 

Se  par  vous  ne  suis  secouru. 

Je  ne  puis  durer  longuement; 

Faictes  jeûner  ce  malostru, 

Donnez  lui  eaue  et  orge  cru  :  35 

Faictes  sur  ce  vo  jugement. 


MXXV 

Autre  Balade. 
{Contre  quatre  mauvais  sujets.) 

Lecervot,  Peruche  et  Phillippe 
Et  Chariot,  les  .1111.,  les  trois 
Sont  une  couple,  et  a  la  trippe  c 
Scevent  dancier  aucune  fois  ; 
C'est  le  jeusne  conseil  courtois 

a.  De  sa  bourse.  «—  b.  Ventru.  —  c.  Au  bal. 


296  BALADES 

Qui  metteront  lance  sur  fautre  a\ 
Pour  proye  courront  par  les  bois  : 
Hz  ne  cèlent  rien  l'un  a  l'autre  b. 

Quant  l'un  s'esjoit,  l'autres  >  tripe  c; 

10  Hz  seront  compaingnons  galois; 

Se  l'un  grousse  <*,  l'autre  defripe  e\ 
C'est  tout  un;  ces  quatre  François 
Feront  encor  nouvelles  loys 
Et  coucheront  en  divers  pautre/ 

1 5  Et  rachaceront  s  en  Valois  : 

Hz  ne  cèlent  rien  l'un  a  l'autre. 

Chascuns  sera  en  2  maie  grippe  h 
S'ilz  treuvent  les  gens  maucourtois  ; 
Horion  aront  et  dalippe  * 
20  Et  useront  de  nouveaus  drois; 

Tel  beste  cherra  en  leurs  roys  k 
A  qui  ilz  escourront  son  veaurre  l\ 
Car  puis  que  leurs  engins  sont  rois  m, 
Hz  ne  cèlent  riens  l'un  a  l'autre. 

i/envoy 

25  Princes,  ces  .1111.  Hurepois 

Cercheront  d'un  costé  et  d'autre 
Mainte  venoison  sanz  graspois  n  : 
Hz  ne  cèlent  riens  l'un  a  l'autre. 


1.  ly  autres.  —  2.  en  manque. 

a.  Mettront  la  lance  en  arrêt.  —  b.  Ils  n'ont  rien  de  caché  Tu 
pour  l'autre.  —  c.  Pille,  ravage.  —  d.  Se  plaint.  —  e.  Se  contrarie 
— /.  Lit  ou  logis.  —  g.  Pilleront.  —  h.  En   mauvais   point.  — 
Coup,  soufflet.  —  k.  Rets,  filets.  —  /.  Toison  —  m.  Raides.  —  t 
Crochet. 


BALADES  297 

MXXVI 

Balade 
(Dialogue.) 

Dieu  gart,  dame.  —  Dieu  vous  bénie! 
Que  querez  vous?  —  Le  nom  d'ami. 

—  De  qui?  —  De  vous.  —  Ne  l'arrez  mie. 

—  Pourquoy?  —  Pour  ce  que  quant  a  mi, 
Oncques  n'amay  jour  ne  demi  ;  5 
On  dit  qu'amour  point  a  plus  que  ronce. 

—  Que  dittes  vous?  Las!  je  langui  : 
Trop  me  faites  dure  responce. 

—  Certes  non  fais,  car  ennemie 

Ne  vous  suy.  —  Donc  ay  je  l'octri  *  10 

D'avoir  nom  d'ami,  vous  d'amie? 

—  Autrement  va.  —  Comment?  —  Ainsi 
Que  mal  ne  vous  vueil,  ne  aussi 
Amer,  pour  ce  de  vous  m'esconse  c. 

270  d     —  Donc  mourray  je  ;  pour  Dieu  mercy  !         1 5 
Trop  me  faittes  dure  responce. 

Je  ne  vous  quier  nulle  folie; 

D'avoir  nom  d'ami  vous  suppli 

De  par  vous.  —  Ce  seroit  sotie 

De  l'octroy.  Nom  d'amant  vous  dy  ;  20 

Souffise  vous.  —  C'est  un  detry  d\ 

Moins  est  amant  d'ami  une  once, 

a.  Pique.—  b.  La  permission.— c.  Je  me  cache  de  vous.—  d.  Relard. 


298  BALADES 

Mais  au  fort  retien  ce  nom  cy. 
Trop  me  faictes  dure  responcc. 

i/envoy 

25  Dieux  d'amours,  je  vous  remercy. 

—  De  quoy?  —  Descorpiaux  de  vo  tronce  *, 
Dame,  bien  ir^avez  asservi, 
Trop  me  faictes  dure  responce. 


MXXVII 

Autre  Balade  *. 
{Sur  V office  que  Deschamps  remplit  à  la  cour.) 

Chascuns  ne  fait  que  demander  : 
«  Quel  office  as  tu  a  la  court?  » 
Lors  respont  :  «  Je  puis  commander 
A  pluseurs  qui  me  font  le  sourt; 
5  Mais  un  autre  office  m'y  sourt  b 

Que  autres  et  tu  bien  congnois, 
N'y  a  si  saige  ne  si  lourt  : 
Quant  on  baille,  je  faiz  des  crois. 

Je  puis  bien  venir  sanz  mander, 
10  Et  sanz  fourrier  faire  mon  hourt c; 

•  Publiée  par  Tarbé,  tome  b*,page  i3o. 

a.  Des  copeaux  de  votre  pièce  de  bois.  —  b.  M'y  est  rJservé. 
c.  Etablir  mon  installation. 


BALADES  299 

On  me  fait  a  Fuis  délivrer 

Et  en  salle  l'uissier  acourt  : 

J'ay  un  boute  hors  a  brief  et  court, 

Et  du  roy  Tescaille  des  nois  b\ 

Mon  estât  est,  a  quoy  qu'il  tourt  c,  i5 

Quant  on  baille,  je  faiz  des  crois. 

Mains  y  voy  venir  et  aler; 
27 1  a    Quant  Fun  s'en  fuit,  l'autre  y  acourt  ; 
Chascuns  se  cuide  avant  bouter  ; 
Mais  Envie  a  pluseurs  sus  court.  20 

L'un  s'i  pert,  l'autre  se  ressourt  d; 
Pour  un  perdu  en  revient  trois, 
C'est  bon  que  mon  estât  demourt  •  : 
Quant  on  baille,  je  faiz  des  crois. 

l'envoy 

Prince,  a  court  puis  bien  demourer,  2  5 

Grans  est  mes  estas  et  adrois 
Pour  les  ennemis  rebouter  : 
Quant  on  baille,  je  faiz  des  crois. 


a.  Va-t-en.  —  b.  La  coquille  des  noix.  —  c.  Tourne.  —  d.  Se  re 
ève.  —  e.  Demeure. 


3 00  BALADES 


MXXVIII 

Autre  Balade. 
(//  vaut  mieux  coucher  seul  qu'à  deux.) 

On  dit  qu'il  fait  bon  avoir  compaignie, 
Mais  en  mains  cas  s'en  pass'  on  de  legier  a 
Uns  glous  b  la  fuit  quant  il  a  glotonnie, 
Tous  seulz  vouldroit  sa  viande  mangier. 

5  Homs  en  grâce  vouldroit  autre  estrangier  c, 

Sanz  compaignon  estre,  et  demourer  seulx. 
Compaignie  vouldroit  bien  uns  tigneux, 
Et  homs  blasmez,  pour  un  qu'ilz  fussent  troy. 
Ne  sçay  comment  gent  dorment  deux  et  deux  : 

io        En  tous  temps  fait  bon  couchier  a  par  soy. 

Prouver  le  puis  par  maint  qui  se  marie; 
Quant  il  fait  chaut,  et  il  sent  le  dangier 
De  femme  avoir  qui  l'esvente  et  tarie  <*, 
Ou  s'il  fait  froit  qui  le  veult  approuchier; 
i5        Lors  le  convient  coudre,  poindre  et  brochier  e 
Ou  cuirien/,  et  restouper  les  treux  s", 
Ou  il  orra  h  maint  mot  suspeçonneux. 
Adonc  voulsist  plus  estre  seulx  que  doy  *'; 
Lors  de  certain  dit  sanz  estre  doubteux  : 


•  Cette  ballade  est  encore  transcrite,  plus  loin,  au  folio  276  d. 

a.  Facilement.  —  b.  Un  glouton.  —  c.  Eloigner.  —  d.  Taquine. 
—  e.  Piquer.  — /.  Cuir.  —  g.  Boucher  les  trous.  —  h.  Il  enten- 
dra. —  1.  Deux. 


BALADES  301 

20        En  tous  temps  fait  bon  couchier  a  par  soy. 

Tenez  vous  donc  que  ce  soit  bonne  vie 
De  deux  et  deux  communément  couchier?  271  b 
L'un  veult  couvrir,  Tautre  ne  le  veult  mie, 
Si  ne  se  puet  ne  l'un  ne  l'autre  aisier  a  ; 

25        L'un  veult  dormir,  l'autre  veult  devisier  ï  b; 
Contraires  sont,  descouvers  et  fruilleux  c, 
La  rongne  en  vient,  la  toux,  boces  et  deux  2  ; 
Si  vault  trop  mieulx  chascun  en  son  recoy  d 
Dormir  a  part,  pour  le  moins  périlleux  : 

3o       En  tous  temps  fait  bon  couchier  a  par  soy. 


l'envoy 


Princes,  moult  fault  sçavoir  de  Pescremie  e, 
A  couchier  deux,  soit  ami  ou  amie, 
Car  trop  de  plaiz  et  de  dangiers  y  voy; 
Robe/  tirer  toute  nuit  anuitie 
35        Sanz  reposer  :  pour  ce,  quoy  que  nul  die, 
En  tous  temps  fait  bon  couchier  a  par  soy. 

1.  divisier.  —  2.  doux. 

a.  Etre  à  son   aise.  —  b.   Causer,  deviser.  —  c.  Frileux.   —  d. 
Tranquillité.  —  e.  Escrime.  — /.  Couverture. 


302  BALADES 

MXXIX 

Autre  Balade. 

[Sur  la  défense  faite  par  le  médecin  d'assister  au  repas 
du  roi,  au  château  de  Beauté.) 

Eschançons,  queux  et  escuiers  tranchans, 
Maistres  d'ostelz,  pannetiers,  tous  offices, 
Huissiers  d'armes  et  escuiers  servans, 
Sergens  d'armes,  ne  soiez  plus  si  nices  a\ 
5  Départez  vous  b  quant  le  roy  disnera 

Et  tous  autres,  puis  que  cilz  le  dira 
Qui  ne  veult  pas  qu'om  face  au  roy  assault 
A  son  manger,  ou  mal  vous  en  prendra  : 
Alez  disner,  ce  dit  maistre  Regnault, 

10        Car  vous  estes  trop  la  chambre  eschaufans. 
Saussiers  c,  gardez  le  roy  de  fors  espices, 
Faictes  vergus  d'osille  d,  et  vous,  enfans, 
Ne  demandez  rost,  brouet  n'escrevices; 
Cilz  qui  tranche  tout  vous  refusera. 

j  5        Le  medicin  le  plat  avoir  vouldra 

Pour  mieulx  sçavoir  qu'il  n'ait  es  queux  deffault, 
Ce  mot  orrez  en  sa  chambre  ou  il  va  :  2j i  c 

Alez  disner,  ce  dit  maistre  Regnault. 

C'est  un  dur  mot  aux  compaignons  galans 
20        Qui  de  ce  plat  avoient  bénéfices, 

Le  temps  passé  ;  tristes  sont  et  dolans 
Qu'en  un  seul  lieu  est  tourné  li  esclipces, 

a.  Si  sots.  —  b.  Allez-vous-en.  —  c.  Officiers  de  la  bouche.  — 
d.  Verjus  d'oseille. 


BALADES  3û3 

Mais,  se  Dieu  plaist,  li  roys  respassera, 

Mais  que  li  plas  en  pluseurs  lieux  luira 

Com  le  souleil  qui  va  puis  bas,  puis  hault,        25 

Tant  que  ce  mot  de  tous  poins  cessera  : 

Alez  disner,  ce  dit  maistre  Regnault. 

l'envoy 

Prince,  a  Beauté  tout  le  cuer  me  trembla 

Quant  j'entray  enz  et  je  vi  crier  la 

A  haulte  voix  :  «  Vuidez  a  tous  ;  pour  le  chaut,  3o 

N'y  demeure  que  cilz  qui  servira.  » 

Quiere  son  mieulx  qui  trouver  le  pourra  : 

Alez  disner,  ce  dit  maistre  Regnault. 


MXXX 

Balade  *. 
(Cupidité  des  gens  de  cour.) 

Chascuns  se  prant  a  amender 
Et  se  confesse,  chascun  jour  ; 
En  conseillant  vont  demander 
Pluseurs  argent  a  leur  seignour  *, 
Li  grant,  ly  moien,  li  menour, 
Soit  a  duc,  a  prince  ou  a  roy, 

1  Publiée  par  Tarbé,  tome  I,  page  16g 
i.  seigneur. 
a.  Sortez. 


304  BALADES 

Ne  font  que  dire  sanz  séjour  : 
«  Sire,  souviengne  vous  de  moy. 

Faictes  mes  lettres  commander. 
10  Parlez  au  Flament  en  destour  a. 

Vueillez  les  generaulx  mander 

Que  paiez  soye  sanz  retour.  » 

Et  l'autre  dit  pour  le  meillour  :  271  g 

«  De  voz  cofres,  plus  brief  n'y  voy.  » 
i5  Chascun  fait  ainsi  sa  clamour  : 

«  Sire,  souviengne  vous  de  moy.» 

Par  derrier  la  table  au  disner 
Et  a  1  souper,  vont  a  leur  tour 
Les  compaignons,  pour  confesser 
20  L'un  après  l'autre,  et  font  leur  plour. 

On  les  rassoult  b  de  leur  folour; 
Response  ont  souvent  troy  et  troy, 
Disans,  partans,  plains  de  dolour  : 
«  Sire,  souviengne  vous  de  moy.  » 

l'envoy 

2  5  Prince,  puisqu'on!  veult  Dieu  doubter 

Et  sa  conscience  ordonner, 

Encor  sera  bonne  la  loy; 

Chascuns  va  pour  soy  dolouser  c 

Vers  vous,  en  disant  ce  parler  : 
3o  «  Sire,  souviengne  vous  de  moy.  » 

1.  Et  a  leur. 

a.  En  particulier.  —  b.  Absout.  —  c.  Se  plaindre. 


BALADES 

MXXXI 

Balade. 

[Assaut  de  politesse.) 

Te  m'en  voys.  —  Demourez  icy, 
U   Beaus  cousins.  -  Certes,  non  feray  • 
Je  ne  vous  lairay  pas  ainsi, 
Par  Dieu,  je  vous  convoieray  <*. 
--Non  ferez.  -  Or,  ne  jurez  mie, 
bi  feray,  par  saincte  Marie, 
Délivrez  vous,  passez  devant. 

—  Je  vous  deffens  ma  compaignie  : 
Vous  ne  passerez  plus  avant. 

—  Or  me  soufrez,  pour  Dieu  mercy. 

—  Si  près  de  moy  ne  vous  lairay. 

—  Je  croy  que  vous  moquez  de  my 

—  A  Dieu.  -  De  ci  ne  partiray 
Jusques  retourner  vous  verray. 

—  Alez  vous  ent,  c'est  grant  folie, 
272  a    Regardez  que  j'ay  de  mesgnie  *, 

Vous  me  convoiez  trop  souvent; 
Retenez  loy  ef  je  vous  en  prie, 
Vous  ne  passerez  plus  avant. 

—  Si  feray,  puis  que  je  le  dy, 
Jusqu'à  vostre  huis  vous  remenrray  ; 

*£^?ZEr*  -  *  J'aî  d£S  d°mesti«->  «es  Sens 

T.  V 

20 


3o5 


i5 


20 


3o6  BALADES 

—  Ainsi  faictes  vous  chascun  dy  a, 
Plus  vostre  honeur  ne  souferray. 

—  A  vostre  hostel  vous  conduiray, 
25            C'est  pour  vous  que  je  faiz  sotie. 

—  Or  retournez,  je  vous  supplie, 
Jusqu'à  demain,  souleil  levant. 

—  Près  est  du  jour,  je  vous  affie. 

—  Vous  ne  passerez  plus  avant. 

l'envoy 

3o  —  A  Dieu,  faisons  la  départie. 

—  A  Dieu,  cousin.  —  A  Dieu,  parant. 

—  Alez  a  Dieu  ceste  nuitie  : 
Vous  ne  passerez  plus  avant. 


j 


MXXX1I 

Balade. 
(Comment  il  faut  aimer.) 

e  vous  ayme.  —  De  quel  amour,  amis? 
—  De  tel  amour  qu'om  doit  sa  dame  amer. 
—  Comme  l'aime  on?  —  L'en  n'est  pas  ennemis, 
Car  on  se  doit  baisier  et  acoler, 

5  Joindre  de  près  doulcement,  et  celer 

A  toute  gent  le  secret  de  nature; 
La  rent  Amour  sa  joieuse  pasture 
Aux  amoureux,  c'est  li  savoureus  dons 
Que  prandre  en  gré  doit  toute  créature  : 

10       A  dire  voir,  c'est  pour  quoy  nous  amons. 

a.  Jour. 


BALADES  307 

—  Amez  vous  donc  que  vous  soiez  honnis, 
Pour  vo  dame  vouloir  deshonourer, 
272  b  Et  faictes  vous  différence  ou  devis  « 

Entre  nulles  pour  leur  honour  garder? 

""  Oil.  —  Comment?  —  Celles  a  marier  15 

Fault  espargnier,  car  pas  n'ont  couverture 

Quant  a  honeur,  si  seroit  grant  laidure; 

Mais  des  autres  couvertes  nous  taisons, 

Qui  puelent  bien  d'amour  porter  la  cure  : 

A  dire  voir,  c'est  pour  quoy  nous  amons.  '         20 

--Amours  est  donc  saige,  ce  m'est  advis, 

Quant  il  veult  loy  entre  femmes  donner- 

Mais  Nature  le  souferroit  envis  * 

Qui  a  toutes  veult  son  pouoir  monstrer 

Amour  ne  voit,  nulle  n'en  puet  aler  25 

Puis  qu'elle  sent  l'amoureuse. pointure 

Soit  vierge  ou  non,  tele  est  d'amour  lardure 

Qui  se  boute  partout  a  reculons. 

-Vous  dittes  bien,  c'est  tresdoucepasture  «  • 

A  dire  voir,  c'est  pour  quoy  nous  amons.  3o 

l'envoy 

Prince  2,  en  amour  tant  de  doucour  figure 

Que  qui  se  puet  bouter  en  sa  jointure 

lit  il  s'i  scet  bien  aider  des  talons, 

Il  ne  voulroit  ja  autre  nourreture 

Pour  ce  délit  trouver  qui  petit  dure  :  35 

A  dire  voir,  c'est  pour  quoy  nous  amons. 

I  Pastoure.  — 2.  Princes. 

f  PartaSe-  -  *•  De  mauvaise  grâce,  malgré  elle. 


3o8  BALADES 


E 


MXXXIII 

Autre  Balade. 
(Conseils  pour  réussir  à  la  cour) 

ntendêz  ça,  vous  qui  a  court  alez, 
Et  qui  avez  d'y  fréquenter  désir  : 

Au  commencier  le  sot  saige  ferez 

Et  aprenez  hardiment  a  mentir  ; 
5  Branlez  du  lés  a  dont  vous  pouez  sentir 

Qu'il  vous  pourra  valoir  aucunement  ; 

Jouez,  jurez,  demandez  hardiment 

Et  acordez  tout  ce  que  l'en  dira;  2J2  c 

S'ainsis  faictes,  tenez  certainement 
10       Que  grant  proufit  de  la  court  vous  venrra. 

Soiez  hardis  et  par  tout  vous  boutez; 

Mais  pensez  vous  de  nettement  vestir; 

S'il  est  mestier,  a  tout  homme  buvez, 

Et  si  pensez  des  plus  grans  poursuir, 
1 5        De  fort  jangler  tant  qu'om  vous  viengne  oir; 

Ne  vous  chaille  de  parler  saigement; 

Poursuiez  fort  et  continuelment, 

Sanz  départir,  et  ce  vous  aidera 

D'estat  avoir,  et  si  soudainement 
20       Que  grant  proufit  de  la  court  vous  venrra. 

A  toute  heure  hurtez  et  gourmandez, 
Faictes  a  part  a  pluseurs  enquérir 

a.  Penchez  du  côté. 


BALADES  3 09 

S'il  eschiet  a  rien,  se  nulz  est  enrumez 

Ou  vous  puissiez  aucun  don  acquérir  ; 

Se  officier  \  se  puet  laissier  mourir,  25 

Son  office  querez  diligemment 

Et  demandez  a  tous  communément, 

Sanz  honte  avoir,  qui  donner  vous  voulra, 

Et  vous  ferez,  par  tel  gouvernement, 

Que  grant  proufit  de  la  court  vous  venrra.         3o 

l'envoy 

Enfans  de  court,  tous  ces  poins  retenez, 
Et  lors  chascuns  de  vous  par  soi  verra  2 
En  les  faisant,  se  bien  les  maintenez, 
Que  grant  proufit  de  la  court  vous  venrra. 


MXXXIV 

Balade. 
(Ainsi  va  le  inonde.) 

e  ne  me  donrray  plus  merveille 
De  chose  qui  puisse  advenir  ; 
L'un  boit  tart,  l'un  dort,  l'autre  veille, 
L'un  ne  veult  qu'aler  et  venir, 
272  d      L'un  veult  couchier,  l'autre  tenir, 
Jouer  a  beau  ou  a  lait  gieu, 
L'un,  quant  il  pert,  maugrée  Dieu, 

1.  Sofficier.  —  2.  persévéra. 
a.  S'il  n'est  rien  arrivé 


J 


3 10  BALADES 

Tous  ses  sains  et  leur  letanie  ; 
L'autre  doit  argent,  puis  le  nie 
10  Et  sur  jurer  en  vain  se  fonde, 

L'un  rit  d'autrui  mal,  l'autre  en  crie  : 
Ainsi  va  des  choses  du  monde. 

Ly  uns  nicement  s'appareille  a 
Et  ne  se  scet  du  sien  chevir; 

1 5  Autres  ont  la  puce  en  l'oreille 

Pour  doubte  qui  les  fait  frémir  ; 
Les  autres  ne  puelent  dormir 
Se  l'en  ne  les  met  en  hault  lieu  ; 
L'un  veult  devenir  maistre  Andrieu 

20  Sanz  sçavoir  science  ou  clergie, 

Secrétaire  avoir  chanonie, 
Et  li  bon  clerc  sont  povre  et  monde  b 
D'avoir  estât  en  ceste  vie  : 
Ainsis  va  des  choses  du  monde. 

2  5  Je  voy  cellui  qui  ne  traveille 

Par  foie  plaisance  enrrichir, 
Et  maint  conseiller  qui  conseille, 
Qui  ne  scet  du  conseil  yssir, 
Les  vieulz  des  josnes  escharnir  c; 

3o  Prodoms  n'ose  passer  son  sieu  d\ 

Nulz  ne  veult  estre  Berthemieu, 
Ghascuns  doubte  l'escorcherie  e; 
Vérité  fault,  loy  est  perie, 
Par  tout  voy  le  chant  de  l'aronde/; 

35  L'un  engresse,  l'autre  amaigrie  : 

Ainsis  va  des  choses  du  monde. 


a.  S'habille  sottement.  —  b.  Propre,  nettoyé.  —  c.  Railler.  — 
d.  Son  seuil,  sa  porte.  —  e.  On  ne  veut  pas  être  saint  Barthélémy 
qui  fut  écorché.  — /.  De  l'hirondelle. 


BALADES  3  1  I 


L  ENVOY 


2j3  a     Princes,  qui  scet  le  mieulx  mentir, 
Trahir  derrier,  devant  blandir, 
Et  en  qui  flaterie  habonde, 
Puet  plus  tost  grant  estât  fournir,  40 

Un  temps  régner,  puis  fault  mourir  : 
Ainsis  va  des  choses  du  monde. 


MXXXV 

Balade. 
[Sur  sa  maie  chance,  au  sujet  d'un  accident  à  la  jambe.) 

Je  ne  me  sç,ay  a  quele  heure  lever 
Ne  en  quel  jour  je  me  doye  mouvoir; 
Se  levez  suy,  si  je  m'en  doy  aler 
Ou  si  je  doy  a  l'ostel  remanoir  ; 

Et  si  je  monte  a  cheval,  5 

Et  chevaulx  chiet,  ou  moy,  je  me  faiz  mal; 
S'a  piet  m'en  vois,  le  traveil  me  déçoit  a  ; 
Se  j'entre  en  nef,  je  plunge  contreval  *, 
Car,  chascun  jour,  meschiet  il  qui  que  soit  c. 

Si  je  m'en  vois  au  moustier  pour  orer  d.  10 

Je  me  feray  ypocrite  apparoir  ; 


a.  Me  trompe.—  b.  En  bas.  Je  tombe  dans  l'eau.—  c.  Car  chaque 
jour,  il  arrive  malheur  à  quelqu'un.  —  d.  Pour  prier. 


3  I  2  BALADES 

Si  je  m'en  vois  a  la  court  demourer, 
Il  y  a  bien  manière  du  manoir; 
Si  je  vueil  estre  vassal, 
i5        Armes  suir  o  prince  ou  seneschal, 
En  un  moment  seray  tué  tout  roit  *; 
Qui  monte  haut  il  puet  cheoir  a  val  : 
Car,  chascun  jour,  meschiet  il  qui  que  soit. 

Se  femme  prans,  d'elle  me  fault  doubter, 
20        Car  je  ne  puis  son  malice  sçavoir  ; 

S  argent  reçoy,  il  me  fauldra  compter  ; 

Se  juges  suis,  aux  pars  me  fault  seoir  b\ 
Se  j'ay  argent  a  estai  c, 

Prester  me  fault,  n'en  ray  d  pas  sort  égal  ; 
25        Nulz  au  jour  d'ui  seurté  en  rien  ne  voit, 

Fors  que  péril  par  tout  en  gênerai, 

Car,  chacun  jour,  meschiet  il  qui  que  soit.  2y3  b 

l'envoy 

Princes,  cilz  doit  bien  Jhesucrist  loer 
Qui  du  jour  puet  son  corps  eschaper  droit. 
3o       Je  m'afolay  hier  la  jambe  a  tumer  e  : 

Car,  chascun  jour,  meschiet  il  qui  que  soit. 


a.  Tout  raide.  —  b.  Il  me  faut  écouter  les  parties,  —  c.  A  une 
boutique  de  changeur.  —  d.  Je  n'en  ai  pas.  —  e.  Je  me  blessai  la 
jambe  en  tombant. 


BALADES  3  1  3 

MXXXVI 

Autre  Balade. 
(Sur  les  ennuis  de  sa  charge  de  Bailli  de  Senlis.) 

Depuis  le  jour  que  des  dames  parti 
Et  que  je  fus  boutez  en  bailliaige, 
Joie,  déduit  n'eus  ne  joieux  parti, 
Bien  ne  douçour,  fors  que  doleur  et  raige; 
Matin  lever,  contrefaire  le  saige,  5 

Oir  plaider  et  rendre  jugemens, 
Seoir  toudis  et  escouter  les  gens; 
La  suis  plentez  comme  ydole  de  terre. 
Aiez  pitié,  dames,  de  mes  tourmens, 
Pour  l'amour  Dieu,  envoiez  moy  requerre  a.     io 

Car  il  n'est  bien  que  puist  avoir  bailli, 

Mais  li  convient  oir  de  dur  langaige  ; 

De  pluseurs  est  par  derrière  assailli 

Pour  faire  droit  ou  garder  l'eritaige 

De  son  seigneur,  et  s'omme  de  paraige  i5 

Muert  *,  pour  ses  maulx  hais  est  des  parens  ; 

Se  juges  faint,  lors  s'est  il  parjurens; 

Nul  tel  estât  ne  doit  ja  frans  cuers  querre, 

Car  c'est  de  vie  uns  grans  abregemens  : 

Pour  l'amour  Dieu,  envoiez  moy  requerre.       20 

Hostel  de  roy  et  de  royne  autressi 

En  voz  deux  cours  a  plus  joieux  usaige, 

Plus  franchement  y  vit  l'en,  Dieu  merci, 

a.  Faites-moi  rappeler.  —  b.  Et  si  un  homme  de  condition  meurt. 


3 14  BALADES 

Las!  dolereus,  et  pour  quoy  vous  lessai  ge? 
25        De  cest  escript  faiz  vers  vous  mon  messaige, 

Soiez  de  moy,  mes  dames,  souvenans  ; 

Damoiselles,  a  vous  me  recommans;  2j3  c. 

Pour  mon  départ  de  vous  li  cuers  me  serre  ; 

Se  par  vous  n'est,  je  mourray  languissans  : 
3o        Pour  l'amour  Dieu,  envoiez  moy  requerre  : 

l'envoy 

Noble  princesse,  humblement  vous  suppli 
Que  je  vous  serve;  autre  foiz  vous  servi  ; 
De  la  doleur  m'ostez  qui  trop  m'enserre, 
Car  je  suis  ja  presque  tout  amorty, 
35        Se  n'y  pourveez  briefment,  je  languy  : 

Pour  l'amour  Dieu,  envoyez  moy  requerre. 


MXXXVÏI 

Balade  *. 
(  Voyage  des  princes  en  Lombardie). 

Il  fait  tresbeau  demourer 
En  doulz  chastel  de  Pavie, 
Ou  l'en  seult  dames  trouver  a 
Qui  mainent  joieuse  vie. 
Car  c'est  noble  compaignie 

Publiée  par  Tarbé,  tome  I,  page  1 16. 
a.  Où  l'on  est  accoutumé  à  trouver  des  dames. 


BALADES  3 1 5 

Et  qui  dance  voluntiers. 

La  festoient  estrangiers 

Les  dames  et  damoiselles  ; 

Noble  lieu,  plaisans  vergiers 

Ont  pour  déduire  les  belles.  io 

Bien  se  scevent  ordonner; 

Chascune  est  gaie  et  jolie. 

Dancer  scevent  et  chanter 

Doucement;  n'y  {aillent  mie; 

Moult  ont  de  bien  faire  envie.  i5 

Chevaliers  et  escuiers, 

Veans  leur  douçour  premiers, 

Leurs  biens,  le  grant  honeur  d'elles, 

Robes,  joyaulx  et  deniers 

Ont  pour  déduire  les  belles.  20 

Si  doit  on  bien  honourer 
2j3  d.       De  Vertus  ma  daine  lie, 
Le  conte  et  sa  terre  amer 
Qui  Bourgoingne  et  sa  mesgnie 
Et  Touraine,  en  Lombardie  25 

Ont  tenus  comme  amis  chiers, 
Donné  chevaulx  et  coursiers  ; 
Draps  d'or,  hernois,  joyaulx,  selles 
D'orfroy  ■  a,  après  les  mangiers, 
Ont  pour  déduire  les  belles.  3o 


l'envoy 


Princes,  ne  m'en  puis  aler  ; 
Trop  doubte  le  rapasser  b 
En  ces  montaignes  crueles. 

1.  Deffroy. 

a.  Ornées  de  galons.  —  b.  Repasser. 


3l6  BALADES 

Pavie  me  fait  penser 
35  A  l'aise,  et  au  bon  vin  cler 

Qu'ont  pour  déduire  les  belles, 


MXXXV1II 

Autre  Balade  \ 

(Requête  de  Deschamps  au  pape,  afin  d'obtenir  un 
canonicat  pour  son  fils  Gillet  Deschamps) . 


T 


'ressaint  Père,  Gillet  supplie 
Des  Champs  a  vostre  saincteté, 

Qui  a  Orliens  estudie, 

Que  de  vostre  bénignité 
5  Chanonnie  a  ait  ou  dignité 

A  Chaalons,  Laon  ou  a  Paris, 

Rains  ou  Rouen,  et  soit  escrips 

Prenans,  ce  vous  supplie  Eustace  ; 

Or  ne  soit  de  vous  escondis  b  : 
10  Vueillez  lui  faire  vostre  grâce. 

.VI.  ans  a  en  phillosophie 
A  Paris  en  la  rue  esté, 
Cler  engin  a,  bien  versifie; 
A  l'Eglise  Ta  présenté 
1 5  Le  dit  Eustace  ;  n'est  rente 

Ne  bénéfice  n'a  acquis 
Le  dit  Gillet,  qui  est  ses  filz  ;  274  a> 

'  Publiée  par  Crapelet,  page  104. 
a.  Canonicat.  —  b.  Refusé. 


BALADES  3 I 7 

Si  fault  que  quelque  bien  lui  face 

Vostre  saincté  ;  pères  chiens, 

Vueillez  luy  faire  vostre  grâce,  20 

Tant  qu'il  puist  poursuir  clergie 

Ou  jusqu'à  cy  a  proufité, 

Et  qu'il  puist  en  théologie 

Par  vo  moien  estre  exité; 

Il  tcnt  a  estre  habilité  25 

In  utroque  a.  Encor  servis 

Serez  de  lui  ;  et,  se  je  vis, 

Je  vous  yray  veoir  en  face. 

Père  saint,  octroyez  mes  dis, 

Vueillez  lui  faire  vostre  grâce.  3o 

l'envoy 

Tressaint  père,  n'oubliez  mie 
Gillet  mon  filz,  qu'il  n'ait  sa  place 
D'obtenir  quelque  chanonnie  : 
Vueillez  lui  faire  vostre  grâce. 

a.  In  utroque  jure  ;  en  droit  civil  et  droit  canon. 


3 I 8  BALADES 

MXXXIX 

Balade  *. 
(Plaintes  de  V Amant.) 

Regart  me  trait  et  Doulz  Pensers  me  rue, 
Désirs  m'assault  et  Souvenirs  me  nuit, 
Et  la  beauté  de  ma  dame  m'argue  *, 
Paour  me  tient  et  de  jour  et  de  nuit, 
5  Honte  me  vient  et  Dangier  b  me  destruit; 

Se  Pitiez  n'est,  je  mourray  d'amer  cy, 
Et  Doulz  Espoir  qui  un  po  me  conduit  : 
Je  n'attens  riens  fors  que  mort  ou  mercy. 

Helas  !  Amours  m'a  bien  mis  en  sa  mue  c 
io        Quant  je  ne  puis  voler,  n'avoir  déduit, 
Ne  veoir  l'air  de  la  tresbelle  nue 
Qui  de  beauté  com  le  souleil  reluit; 
Car  Maie  Bouche  a  mon  oreille  bruit, 
Qui,  nuit  et  jour,  me  met  en  grant  soussy  ;  274b. 
1 5        Desespoir  vient  et  ceuls  me  grèvent  tuit  : 
Je  n'attens  riens  fors  que  mort  ou  mercy. 

Douce  Pité,  qu'estes  vous  devenue? 
Franchise  aussi,  Grâce  qui  tousjours  luit, 
Plaisant  Désir,  soiez  a  ma  venue; 
20       Faittes  qu'octroy  soit  pour  vo  bonté  duit, 
Se  grâce  n'ay,  que  j'aye  sauf  conduit 

*  Cette  ballade,  déjà  transcrite  au  folio  16g,  a  a  été  publiée  sous  le  nu- 
méro DXXXIV,  tome  III,  pages  372-373. 

a.  Excite.—  b.  Résistance  d'amour.—  c.  Cage. 


BALADES  3  1 9 

Pour  regarder  celle  que  j'ayme  sy  ; 

Et  s'ainsi  n'est,  mon  corps  art  tous  et  cuit  : 

Je  n'attens  rien  fors  que  mort  ou  mercy. 


MXL 

Autre  Balade. 
(Sur  le  départ  du  roi.) 

Mon  cuer,  mon  bien,  mon  soulaz  et  ma  joie, 
Mon  vray  désir  et  toute  rcfesperance, 
Ma  douce  amour  ou  je  me  delectoie, 
Tout  mon  confort,  toute  ma  souffisance 
Se  part  de  moy,  mon  honour,  ma  puissance,       5 
Et  si  ne  sçay  quant  je  le  reverray; 
De  son  retour  suy  en  trop  grant  doubtance  : 
S'il  ne  revient,  a  tousjours  languiray. 

Las!  qui  li  fait  emprandre  tele  voye? 

Certes,  Pitez,  Honeur,  Force  et  Vaillance,        io 

Jonesse  aussi  qui  a  tous  biens  l'avoye  a, 

Et  Hardement  qui  le  met  en  balance 

De  mer  passer,  et  n'a  la  congnoissance 

De  son  retour  néant  plus  que  je  l'ay  ; 

Ce  me  destruit,  car  je  l'aim  des  s'enfance  :         i5 

S'il  ne  revient,  a  tousjours  languiray. 

Or  vueille  Dieux  que  brief  s'en  reviengne 

A  son  honnour  et  a  la  délivrance 

De  ses  subgiez,  et  le  bon  temps  ravoye  b 

a.  Le  conduit,  le  dirige.  —  b.  Ramène. 


320  BALADES 

20       Qui  fut  jadis  ou  royaume  de  France,  2j4c 

Tant  que  plus  n'ait  son  peuple  tel  souffrance, 
Mais  soit  par  lui  gettez  de  son  esmay  : 
En  Dieu  en  est,  mais  je  pers  ma  plaisance, 
S'il  ne  revient,  atousjours  languiray. 


MXLI 

PROPHECIE 
DES  DOLOURS  QUI  SONT  ADVENIR 


L 


'an  de  dolours  et  de  reprouche 
Et  des  fins  merveilleus  approuche, 

Incongnuz,  soudains,  espantables  l, 

A  tous  grans  pécheurs  redoubtables. 
5  Par  sang,  par  feu,  par  mort  soudaine 

Sera  la  terre  vuide  et  vaine; 

Mutacion,  par  accident, 

De  seignourie  en  Occident, 

En  Midi  et  en  autre  lieu, 
io  Par  deffault  de  non  amer  Dieu 

Et  tenir  la  loy  qu'il  commande, 

Pour  ce  lo  a  que  chascun  s'amende, 

Com  Nynive  crians  mercy, 

Pour  eschiver  ce  tourment  cy. 

ADMIRACION 

i5  Pour  signes  qu'om  voie  advenir 

Ne  pugnicion  merveilleuse 

I.  espouentables. 
a.  Je  conseille. 


BALADES  32  1 

Ne  veult  nulz  sa  vie  orgueilleuse 
Laissier,  ne  de  Dieu  souvenir? 

RESPONSE 

La  vengence  en  sera  crueuse, 

Car  les  mauvais  verrez  ferir  20 

De  l'ire  Dieu,  perdre  et  périr 

Terre  et  corps  par  mort  dolereuse. 

ADMIRACION 

Le  chief  fault,  l'Eglise  chancelle, 
La  seignourie  et  la  foy  bransle, 
274  d     Justice,  Loy  et  Vertu  tramble,  25 

En  péril  est  nostre  nasselle. 

RESPONSE 

Tout  va  au  néant,  ce  me  semble, 

Mal  se  porte  nostre  querelle  ; 

Le  monde  ne  fait  chose  belle  : 

Pugnicion  sur  lui  >  s'assemble.  3o 

QUESTION 

Il  n'est  plus  périlleux  office 
Au  jour  d'ui,  veu  le  temps  qui  court, 
Que  de  trop  converser  a  a  court 
Et  d'exercer  fait  de  justice. 

RESPONSE 

Pour  ce  fait  bon  sçavoir  du  hourt  *,  35 

Que  l'en  soit  entre  saige  et  nice  c, 
Et  qu'om  ne  prangne  bénéfice 
Qui  a  honte  ou  dommaige  tourt  d. 

QUESTION 

La  victoire  plus  souveraine 

Et  que  Dieu  a  plus  agréable  40 

En  prince,  est  qu'il  soit  piteable 

A  son  dessus,  quoy  qui  aviengne. 

1 .  sur  soy. 

a-  Habiter,  fréquenter.  —  b.  Ruses.  —  c.  Entre  sage  et  sot.  — 
d.  Tourne. 

T.  V  ai 


32  2  BALADES 

RESPONSE 

La  rigour  de  mort  est  doubtable 
Puis  qu'on  a  la  victoire  plaine 
45  De  l'ennemi,  et  l'en  se  paine 

De  Poccir  par  voie  dampnable. 

ADMIRACION 

Advise  bien  qui  prant  corps  d'omme, 
Sanz  crime,  bonne  et  juste  guerre, 
Ou  bien  estre  imformez,  il  erre 
5o  Et  d'injustice  se  renomme. 

RESPONSE 

Pour  ce  doit  on  avant  enquerre 

Des  mauvais,  comme  ceuls  de  Romme    2j5 a 

Firent,  que  l'on  les  oye  et  somme, 

Car  au  derrain  tout  sera  terre. 

DEMANDE 

55  Comment  puet  homs  avoir  envie 

Sur  ce  qui  ne  lui  vault  ou  nuit, 
Mais  en  est  tristes,  jour  et  nuit, 
Et  seiche  en  abrègent  sa  vie? 

RESPONSE 

C'est  grant  folie,  il  se  destruit 
60  Pour  chose  qui  ne  li  vault  mie; 

Ennemi  fuit  et  ennemie, 
Dieu  le  het,  si  font  li  bon  tuit. 

DEMANDE 

A  ces  cours  d'église  et  royaulx 
Sont  mains  cuers  vertueux  trahis 
65  Par  les  mauvais  et  envahis 

Qui  héent  tous  les  cuers  loyaulx. 

RESPONSE 

De  ce  doit  on  estre  esbahis, 

Car  par  devant  sont  maint  de  ciaulx 

Blandissans  *,  ostans  leurs  chapiaulx, 

a.  Flattant. 


BALADES  32  3 

Qui  par  derrier  sont  ennemis.  70 

DEMANDE 

Le  temps  approuche  et  l'an  acourt 
Que  périlleux  fera  a  court 
Pour  les  grans  maulx  qui  y  courront  : 
Saiges  ceuls  qui  s'en  escourront  a. 

response  l 
Car  maint  mal  ont  esté  celé  j5 

Qui  briefment  seront  révélé, 
Par  lesquelz  l'en  pourra  congnoistre 
Maint  mauves  du  secle  et  du  cloistre. 

QUESTION 

Povres  gens,  emflez  de  science, 
Pour  un  petit  d'estat  qu'ilz  ont,  80 

275  b      Nouvelles  ordonnances  font 

Contre  Dieu  et  leur  conscience. 

RESPONSE 

Hors  d'ordonnance  premiers  sont, 

Et  par  leur  foie  oultrecuidance 

Mainent  souventefois  la  dance  85 

Des  maleureux  :  visent  ci  donc. 


I.  response  manque. 
a.  S'en  retireront. 


324  BALADES 

MXLII 
Balade. 

(Deschamps  se  plaint  que  ses  valets  dépensent  trop 

d'argent.) 

Je  croy  que  j'ay  pour  faire  ce  voyage 
.un.  variez,  rusez  et  bien  aprins, 
Car  sur  les  champs  ne  vont  point  en  fourrage  ; 
Hz  me  veulent  mener  en  paradis  : 
5  Qu'a  leur  pouoir  me  logeront  toudis 

En  lieu  seur,  chastel  ou  bonne  ville; 
La  comptent  hault,  et  ne  leur  chault  du  pris, 
Tant  qu'il  ne  m'est  demouré  croix  ne  pille. 

Et  quant  je  di  que  ce  n'est  pas  l'usaige 
10       Et  qu'ilz  deussent  logier  en  plat  pais 

Pour  moins  fraier  a,  pour  avoir  l'avantaige 
D'avoine  et  foing,  buefs,  vaches  et  brebis, 
Et  pour  partir  sanz  compter  du  logis, 
Hz  respondent  :  «  Chose  seroit  trop  vile.  » 
1 5        Tousjours  s'en  vont  logier  ou  il  a  lis, 

Tant  qu'il  ne  m'est  demouré  croix  ne  pille; 

En  moy  monstrant  par  gracieus  langaige 
Que  d'estre  au  plat  b,  les  corps  en  valent  pis 
Et  les  chevaulx,  oeufs  n'y  a  ne  frommaige  *, 
20       Tout  est  retrait,  et  s'en  est  on  reprins, 

I.  frommage. 

a.  Pour  être  à  moindres  frais.  —  b.  Au  plat  pays. 


BALADES  325 

Pillars  tenuz,  et  pour  ce  m'ont  aprins 
Que  je  seray  prodoms  entre  cent  mille 
D'ainsi  logier  :  a  Bapaume  m'ont  mis 
Tant  qu'il  ne  m'est  demouré  croix  ne  pille  '. 

l'envoy 

2j5  c  Princes,  je  suis  desja  tous  esbahis  25 

De  mon  argent;  tout  s'en  va  qui  ne  pille. 
Chevaux  et  gens  m'ont  rungié  jusqu'au  pis  a 
Tant  qu'il  ne  m'est  demouré  croix  ne  pille  \. 


MXLII 

Balade. 
(Ballade  amoureuse.) 

Ouant  je  parti  de  vostre  grant  douçour, 
Belle  et  bonne,  plaisant  et  vertueuse, 
Que  je  désir  et  aime  sanz  séjour 
Com  la  meillour  et  la  plus  gracieuse 
Qui  soit  vivant,  puis  n'oy  vie  joieuse  b,  5 

Ne  je  ne  puis  vivre  joieusement 
Quant  me  souvient  du  doulz  département. 

La  vigile  de  la  Vierge  d'onnour, 

C'est  la  mi  Aoust,  feste  tresglorieuse, 

Que  vers  vous  fu  ma  tresloiale  amour,  io 

i.  pile. 

a.  Poitrine.  —  b.  Je  n'ai  plus  eu  vie  joyeuse. 


32Ô  BALADES 

Et  vous  trovay  humble,  douce  et  piteuse, 
En  tout  honour;  vo  douçour  doulcereuse 
Me  fait  avoir  maint  divers  pensement 
Quant  me  souvient  du  doulz  département. 

i5        Or  vous  suppli,  tresdouce  et  humble  flour, 
Que  ne  soiez  envers  moy  rigoreuse 
Pour  le  départ  qui  me  met  en  tristour, 
Doubtans  l'oubli  de  vous,  tresamoureuse; 
Car  quant  a  moy,  ne  soiez  desdaingneuse, 

20        Que  vostres  suis,  mais  j'ay  trop  de  tourment 
Quant  me  souvient  du  doulz  département. 


MXLIV 

Autre  Balade. 
(Chacun  fait  ce  qui  lui  plaît.) 

Vous  qui  voulez  le  monde  chastier 
Et  qui  monstrez  les  vices  qu'on  y  fait, 
Faictes  a  droit,  chastiez  vous  premier, 
Ne  vous  chaille  ja  de  l'autruy  meffait, 
Car  un  chascun  est  chargié  de  son  fait.         27 $  d 
D'autrui  meffait  n'est  vengence  en  vous  prinse  l 
Selon  la  loy;  riens  n'y  vault  vostre  brait  a  : 
Car  un  chascun  fait  du  sien  a  sa  guise. 

1 .  en  vous  vengence  prinse. 
a.  Cri? 


BALADES  327 

S'aucun  se  veult  vers  Dieu  humilier, 

Faire  le  doit;  se  li  autres  menait  a,  10 

L'umiliant  ne  puet  en  riens  lier  ; 

Il  ne  vient  pas  a  chascun  a  son  hait b; 

A  chascun  fault,  quelque  meschief  qu'il  ait, 

Prandre  et  soufrir  bien  ou  mal  son  emprinse 

Et  cheminer  ou  1  par  bel  ou  par  lait,  i5 

Car  un  chascun  fait  du  sien  a  sa  guise. 

Li  uns  se  fait  par  folie  escrier  c, 

Li  autres  non  ;  li  uns  a  trop  de  plait, 

L'autre  se  fait  congnoistre  a  maugrier, 

L'un  se  congnoist  et  l'autre  se  deffait,  20 

L'un  pert  le  sien  et  l'autre  se  refait 

Selon  son  sens  et  raison  qui  l'advise; 

L'un  fait  a  droit,  l'autre  se  contrefait, 

Car  un  chascun  fait  du  sien  a  sa  guise. 

l'envoy 

Princes,  pou  vault  le  cocart  4  enseignier,  25 

Ne  faire  au  foui  de  sens  longue  divise  e, 
Ne  le  félon  trop  longuement  prier, 
Car  un  chascun  fait  du  sien  a  sa  guise. 


1 .  ou,  manque. 

a.  Fait  mal.  —  b.  A  sa  guise.  —  c.   Reprendre,  corriger.  —  d. 
Sot.  —  e.  Discours. 


p 


32  8  BALADES 


MXLV 

Autre  Balade 
[Que  Dieu  ait  pitié  de  nous!) 

ilourez,  plourez,  peuples  de  Pharaon,    276  a 
Et  vostre  roy  sa  misère  larmoyé, 
Qui  aux  Hebrieux  ne  voult  faire  pardon, 
Dont  Moyses  lui  enseignoit  la  voye; 

5  Trop  endurci,  pour  ses  péchiez  se  noyé, 

De  dix  plaies  en  Egipte  féru  ; 
La  Rouge  Mer  leur  a  vie  tollu  a, 
Perseverans  en  leur  rigour  mauvaise 
D'espendre  sang,  la  sont  mort  et  perdu  : 

10        Prions  a  Dieu  que  vers  nous  se  rapaise! 

O  Baltasar,  de  toy  que  recite  on, 
Tresconvoiteux  sur  or  et  sur  argent? 
Babiloine,  dont  rois  portas  le  nom, 
La  grant  cité  prinst  sur  toy  toute  voie 

1 5        Li  roys  Gyrus  et  te  soubmist  en  proye, 
En  délivrant  le  peuple  qui  la  fu 
Emprinsonnez,  et  mis  soubz  ton  escu  ; 
Jherusalem  fut  par  toy  a  mesaise. 
Ayons  paour  d^stre  brief  confondu  : 

20        Prions  a  Dieu  que  vers  nous  se  rapaise  ! 

Las  !  que  devint  Choré  et  Dabyron? 
Transgloti  b  sont,  terre  les  absorboye  ; 

a.  Enlevé.  —  b.  Engloutis. 


BALADES  32g 

Nynive  fault,  et  Romme  en  Rubicon 

Ou  César  lors  par  fortune  sa  voye 

Oultrepassa  ;  or  est  destruite,  et  Troye.  2  5 

Pour  leurs  delis  sont  en  cendre  et  en  fu  a, 

Et  qui  verroit  comment  on  a  vescu 

Puis  .lx.  ans,  jamais  ne  seroit  aise, 

Car  en  nous  n'a  charité  ne  vertu  : 

Prions  a  Dieu  que  vers  nous  se  rapaise!  3o 

l'envoy 

Prince,  pensez  de  faire  vo  salu, 
Li  peuple  aussi,  li  grant  et  li  menu, 
Car  li  feux  est  ja  mis  en  la  fournaise 
2j6  b  Pour  tout  ardoir;  nous  sommes  tuit  perdu 

Pour  noz  meffaiz,  aux  infernaulx  rendu  :  35 

Prions  a  Dieu  que  vers  nous  se  rapaise! 


MXLVI 

Autre  Balade. 
(Prophétie  de  Sybille.) 

Je,  Sebille,  de  Dieu  vivant  prophète, 
Faiz  asçavoir  que  du  règne  adoptif, 
Par  son  orgueil,  sera  vengence  fette 
Ou  temps  que  tuit  seront  vindicatif 


a.  Feu. 


33û  BALADES 

5  Sanz  craindre  Dieu,  et  trop  judicatif 

En  volunté  de  raison  dessevrée, 
Bouche  parlant,  ou  cuer  autre  pensée, 
Baras  couvers,  le  sang  humain  mangier 
Perseverans,  amour  dissimulée, 

10        Et  lors  doivent  monarchies  changier. 

En  cellui  temps  naistra  la  foie  secte, 

La  panthère,  le  loup  simulatif, 

Le  cerf  volant,  l'ourse,  la  tigre  brette 

Et  le  cengler  ;  entr'eulx  ara  estrif  a 
i5       Tant  que  l'un  d'eulx,  par  un  mauvais  motif, 

Prins  et  lié  sera  en  sa  contrée; 

De  son  sang  puis  espandra  la  ventrée; 

Sus  se  courront  pour  leurs  meffaiz  vengier 

En  Occidant  par  glaive  et  par  espée  : 
20        Et  lors  doivent  monarchies  changier. 

La  calendre  b  sera  en  deux  lieux  fraite 
Et  remaindra  par  tout  poilu  son  nif  c, 
Son  chant  donné  yert  vendu  et  en  debte, 
Ne  plus  n'ara  fors  que  le  vocatif, 

25        Et  des  corbeaulx  le  nombre  pluratif 
O  les  choes  d  alors  habandonnées 
Seront  destruiz  et  ces  choes  plumées; 
Les  grans  renars  fera  l'en  escorchier 
Pour  leurs  deliz,  c'est  vengence  ordonnée  : 

3o        Et  lors  doivent  monarchies  changier. 

a.  Combat,  querelle.  —  b.  Oiseau  fantastique.  —  c.  Son  nid  res- 
tera tout  pollué.  —  d.  Avec  les  chouettes. 


BALADES  33 I 


MXLVII 

Autre  Balade  \ 
[Les  maîtres  de  Deschamps.) 


2j6  c  T'ay  .viii.  mois  l'an  ordonnez  pour  servir, 
\J    Et  .vin.  seigneurs  que  je  vous  nommeray  : 
Les  mois  premiers  esquelz  je  doy  venir, 
Janvier,  Février,  Mars,  Apvril,  Juing  et  May, 
Novembre  aussy  et  Décembre  prandray  :  5 

Janvier  au  roy;  Décembre  pour  Bourgogne; 
May  a  Valois;  Mars,  Navarre  aplegay  1  *  : 
Les  autres  mois  vueil  faire  ma  besongne. 

A  Nevers  fault  moy  en  Novembre  offrir; 

Philipe,  en  Juing,  le  Barroys  serviray;  10 

Charle  en  Février  m'a  voulu  retenir, 

Et  en  Avril  o  les  dames  seray; 

Ainsi  mes  mois  d'ordre  en  ordre  suiray 

Sur  mes  seigneurs  cui  Dieux  grant  vie  doingne  *, 

Joieusement  o  eulx  me  deduiray  :  i5 

Les  autres  mois  vueil  faire  ma  besoingne. 

C'est  en  Juillet  qu7om  doit  ces  prez  cueillir, 
Et  en  Aoust  ses  blez,  car  bien  le  sçay, 
Et  engrangier,  qui  veult  estât  tenir, 

•  Publiée  par  Tarbé,  tome  I,  page  124. 

I,  Ap.  gay. 

a.  J'ai  engagé.  —  b*  A  qui  Dieu  donne  longue  vie. 


332  BALADES 

20       Septembre,  Octobre,  adonc  vendengeray  ; 
Pour  l'an  entier  ainsi  me  garniray, 
Car  qui  riens  n'a,  on  le  fuit  et  ressoingne  a. 
Ce  fait,  mes  .vin.  mois  servir  m'en  riray  *; 
Les  autres  mois  vueil  faire  ma  besoingne. 

l'envoy 

25        Prince,  a  court  sont  maint  que  nommer  ne  sçay 
A  qui  labeurs  ne  fait  guieres  d'essoingnes  c; 
Huit  mois  et  plus,  mais  pas  tant  n'y  seray  : 
Les  autres  mois  vueil  faire  ma  besoingne. 


MXLVIII 

Autre  Balade  *. 
(//  vaut  mieux  coucher  seul  qu'à  deux). 

On  dit  qu'il  fait  bon  avoir  compaignie,  2j6  c 
Mais  en  mains  cas  s'en  pass'  on  de  legier  d 
Uns  glouz  e  la  fuit  quant  il  a  glotonnie, 
Tous  seuls  vouldroit  sa  viande  mangier. 
Homs  en  grâce  vouldroit  autre  estrangier/, 
Sanz  compaignon  estre,  et  demourer  seulx. 
Compaignie  vouldroit  bien  uns  tigneux, 


•  Cette  ballade,  déjà  transcrite  au  folio  2  y  i  a-b,a  été  publiée  dans  c 
même  volume,  sous  le  numéro  MXXX,  pages  3oo  et  3oi . 

a.  On  le  redoute.  —  b.  Je  retournerai  servir  mes  huit  mois.  —  c 
Excuses.—  d.  Facilement.  —  e.  Un  glouton.  — /.  Eloigner. 


BALADES  333 

Et  homs  blasmez,  pour  un  qu'ilz  fussent  troy. 
Ne  sçay  comment  gent  dorment  .11.  et  deux  : 
En  tous  temps  fait  bon  couchier  a  par  soy.       10 

Prouver  le  puis  par  maint  qui  se  marie  ; 

Quant  il  fait  chaut,  et  il  sent  le  dangier 

De  femme  avoir  qui  le  suente  et  tarie  a, 

Ou  s^l  fait  froit  qui  le  veult  approuchier  ; 

Lors  le  convient  queudre,  poindre  et  brochier  b  i5 

En  cuirien  c,  et  restouper  les  treux  rf, 

Ou  il  orra  e  maint  mot  suspeçonneux. 

Adonc  voulsist  plus  estre  seul  que  doy/; 

Lors  de  certain  di  sanz  estre  doubteux  : 

En  tous  temps  fait  bon  couchier  a  par  soy.        20 

Tenez  vous  donc  que  ce  soit  bonne  vie, 

De  .11.  et  .11.  communément  couchier? 

L'un  veult  couvrir,  l'autre  ne  le  veult  mie, 

Si  ne  se  puet  ne  l'un  ne  l'autre  aisier  s\ 

L'un  veult  dormir,  l'autre  veult  devisier  '  h  ;     2  5 

Contraires  sont,  descouvers  et  fruilleux  *, 

La  rongne  en  vient,  la  tous,  boces  et  deux  2  ; 

Si  vault  trop  mieux  chascun  en  son  recoy> 

Dormir  a  part,  pour  le  moins  périlleux  : 

En  tous  temps  fait  bon  couchier  a  par  soy.        3o 

l'envoy 

Prince,  moult  fault  sçavoir  de  l'escremie  k. 
A  couchier  deux,  soit  ami  ou  amie, 
277  a  Car  trop  de  plais  et  de  dangiers  y  voy  ; 

1.  divisïer.  —  2.  clonx. 

a.  Taquine.  —  b.  Piquer.  —  c.  Cuir.  —  d.  Boucher  les  trous.  — 
e.  Il  entendra.  —  /.  Deux.  —  g.  Etre  à  son  aise.  —  h.  Causer,  de- 
viser. —  i.  Frileux.  — ,;.  Tranquillité.  —  k.  Escrime. 


334  BALADES 

Robe  a  tirer  toute  nuit  anuitie  *, 
35        Sanz  reposer  :  pour  ce,  quoy  que  nul  die, 
En  tous  temps  fait  bon  couchier  a  par  soy. 


MXLIX 

Autre  Balade 
[Allégorie  à  la  vigne.) 

Plant  de  vigne  tresrenommée 
Qui  tant  de  bon  vin  porté  a 
Dont  la  liqueur  est  tant  amée 
Qu'a  tousjours  parlé  en  sera, 
5  Honnis  soit  qui  vous  deffera 

Car  vous  estes  de  bon  raisin 
Cueillus  c  vert,  ce  vous  aidera  : 
Muez  vostre  verdeur  en  vin. 

Car  je  voy  que  verde  vinée 

io  Sanz  viner  pou  proufitera 

A  cellui  qui  a  labourée 
La  vigne,  et  pour  ce  ne  pourra 
Le  labour,  quant  il  devera, 
Valoir  a  soy  n'a  son  voisin  ; 

1 5  Die  donc  qui  vous  aymera  : 

Muez  vostre  verdeur  J  en  vin. 

i .  verdour. 

a.  Couverture.  —  b.  Pendant  toute  la  nuit.  —  c.  Cueilli, 


BALADES  335 

N'attendez  pas  la  tierce  année, 

Lors  vostre  proufis  se  fera  ; 

Soiez  meur,  soit  verdure  ostée 

Et  chascuns  vous  achatera;  20 

Vostre  vinée  vous  vauldra, 

De  vo  vigne  naistra  For  fin, 

Autrement  non  ;  or  y  parra  : 

Muez  vostre  verdeur  en  vin. 

l'envoy 

Prince,  despeuille  a  vert  couppée  25 

Ne  puet  tant  valoir  en  la  fin 
277  b.    Gom  la  meure  bien  ordonnée  : 
Muez  vostre  verdeur  en  vin. 


ML 

Autre  Balade 
(A  une  dame.) 

Le  départir  et  la  longue  demeure 
Et  le  désir  que  j'ay  de  retourner 
Font  de  tourment  mon  cuer  plus  noir  que  meure  *, 
Ne  je  ne  puis  nulle  part  séjourner 
Que  je  n'aye  delez  moy  c  doulz  penser  5 

Et  souvenir  qui  me  bruit  a  Poreille, 
Ramentevant  vo  doulz  viaire  d  cler 

a.  Dépouille.  -  b.  Mûre.  -  c.  Près  de  moy.  -  d.  Visage. 


336  BALADES 

Ghiere  dame  qui  n'avez  vo  pareille. 

Et  lors  mon  cuer  se  plaint,  gémit  et  pleure, 
10        Quant  il  ne  puet  delez  vous  demourer. 

Las  !  qu'ay  je  dit  ?  Mais  tous  temps  y  demeure 
Si  qu'il  n'en  puet  partir  ne  dessevrer  a. 
Le  corps  est  loing,  mais  le  cuer  sanz  cesser 
Est  delez  vous,  qui  a  vo  bonté  veille  ; 
1 5        Or  le  vueilliez  com  le  vostre  garder, 
Chiere  dame  qui  n'avez  vo  pareille. 

Quant  me  souvient  de  la  douçour  et  l'eure 
Du  départir,  lors  me  fault  endurer 
Toute  doulour  qui  au  cuer  me  court  seure; 
20       Et  se  ne  fust  le  tresdoulz  espérer 

Que  j'ay  en  vous,  je  ne  peusse  durer. 
Car  ma  langour  est  sur  tous  despareille  : 
Pour  long  demour  ne  vous  vueilliez  muer, 
Chiere  dame  qui  n'avez  vo  pareille. 


MLI 

Autre  Balade 
(Amoureuse.) 

Je  voy  d'amours  requérir  largnteme      277  c. 
A  mains  amans  qui  ne  l'ont  desservi. 
Et  a  autres  voy  cueillir  le  froument 


a.  Se  séparer. 


BALADES  337 

Qu'ilz  n'ont  semé,  labouré  ne  nourri, 
5  Et  j'ay  tous  temps,  dont  j'ay  le  cuer  marri, 

Ma  dame  amé  sanz  espérer  secours, 
Et  faiz  encor  ;  or  ait  de  moy  mercy  : 
Je  l  ne  requier  fors  la  paille  d'amours. 

Et  si  ay  je  traveillié  longuement 

10        Et  labouré  depuis  que  je  la  vi 

Mainte  saison  a  son  commandement, 
Et  en  tous  cas  gardé  son  honneur,  si 
Que  je  ne  craing  ami  ne  ennemi 
D'avoir  parlé  ne  riens  fait  arrebours; 

i5        S'a  grant  pechié,  quant  pitié  n'a  de  mi  : 
Je  ne  requier  fors  la  paille  d'amours. 

Savez  que  c'est  ?  A  mon  entendement, 
Un  doulz  baisier  qui  tost  est  defeni 
Et  qui  s'en  va  assez  legierement 
20       Et  n'y  pert  point,  si  tost  qu'il  est  failli  ; 
Comme  paille  s'est  tost  esvannouy; 
On  ne  puet  moins  avoir  de  ses  labours  : 
Le  grain  vault  mieux,  or  me  souffist  ainsi  : 
Je  ne  requier  fort  la  paille  d'amours. 

l'envoy 

25       Princes,  dont  puet  venir  le  mouvement 
Que  cellui  jouit  qui  n'a  paine  ne  plours, 
Et  je  languis  ;  auray  je  alegement  ? 
Je  ne  requier  fors  la  paille  d'amours. 


1.  Ja. 


T.  V  2, 


338  BALADES 


MLII 

Autre  Balade 
(L'Amour  est  aveugle.) 

[277  d     P\ont  viens  tu?  —  Du  Dieu  qui  sommeille. 
L~J  —  Qui  est  il?  —  Ce  dois  tu  sçavoir. 

—  Je  ne  le  sçay.  —  Or  te  conseille. 

—  Voulentiers.  —  Je  te  diray  voir  : 
5              C'est  cilz  qui  me  fait  concevoir 

Dolour,  folour,  tristesce  et  joye 

Et  pas  ne  me  fait  recevoir, 

Li  dieux  d'amours  qui  me  desvoye  a. 

Toute  nuit  me  bruit  a  l'oreille 
10  Et  fait  mon  couraige  esmouvoir 

D'amer  celle  qui  n'a  pareille. 

—  Comment  t'en  va  ?  —  Sanz  nul  espoir 
Qu'elle  me  daingne  appercevoir. 

Mon  complaint  ;  nez  b  que  pas  la  voye 
1 5  Me  deffent  ;  trop  me  fait  doloir 

Li  dieux  d'amours  qui  me  desvoye. 

—  De  toy  me  donne  grant  merveille; 
Trop  es  aisés  a  décevoir. 

—  Pour  quoy?  —  Cilz  Dieux  ne  dort  ne  veille 
20           Aveugles  est  ;  pour  ce  apparoir 

Te  puet,  quant  il  ne  puet  veoir, 
Que  beaux  et  laiz  ensemble  loye  c. 

a.  Qui  me  rend  fou.  —  b.  Même.  —  c.  Lie. 


BALADES 


339 


—  C'est  tout  vray,  bien  a  ce  pouoir 
Li  dieux  d'amours  qui  me  desvoye. 

Chose  fait  trop  plus  despareille  2 5 

Et  sanz  vray  jugement  avoir, 

Car  le  cuer  vray  qui  s'appareille 

De  bien  servir  voy  main  et  soir 

Rebouter,  et  le  faulx  manoir 

En  grâce,  et  ainsi  se  resjoye  ;  3o 

Par  ce  m'a  mis  en  desespoir 

Ly  dieux  d'amours  qui  me  desvoye. 

Nulz  ne  le  croit  qui  ne  se  dueille, 
De  musart  fait  toudiz  son  hoir, 
278  a.    Combien  que  foie  et  saige  aqueille,  35 

Comme  aveugle  fait  son  devoir; 
N'y  regarde  sens  ne  avoir 
Fors  volunté,  chemin  ne  voye  : 
Sanz  raison  fait  tout  esmouvoir 
Ly  dieux  d'amours  qui  me  desvoye.  40 


l'envoy 


Compains,  je  me  pars  •,  mais  qu'il  veille  * 
De  plus  amer,  car  foulz  seroye 
S'en  grâce  ne  fait  qui  m'aqueiile 
Ly  dieux  d'amours  qui  me  desvoye. 

*.  Je  me  départis.  —  b.  Veuille. 


340  BALADES 


MLIII 

Autre  Balade 
(Sur  son  êloignement  d'une  dame  qu'il  aime.) 

Tristes,  pensis  et  merancolieus, 
Dolens  de  cuer,  et  mornes  a  toute  heure, 
Sanz  avoir  bien,  suis  des  maulx  amoureux 
Et  de  penser,  qui  toudis  me  court  seure  ; 
5  Désir  m'assault,  Souvenir  me  deveure  * 

Quant  le  grant  bien  de  ma  dame  perçoy 
Et  sa  bonté,  qui  avec  moy  demeure. 
Las  !  et  de  lui  si  eslongié  me  voy 

Qu'en  tous  lieux  suis  du  départ  dolereux, 
10        Ne  rien  ne  puis  avoir  qui  me  sequeure 

Fors  Doulz  Espoir  :  cilz  me  garde  tous  seulx; 
Mais  je  craim  trop  pour  ma  longue  demeure 
Qu'Entroublier  b  a  ma  dame  n'aqueure 
Et  qu'en  son  cuer  ne  mette  autre  que  moy 
i5        Qui  en  fu  1  près  en  tout  bien,  ce  m'espleure  c  : 
Las  !  et  de  li  si  eslongié  me  voy  ! 

Or  li  suppli  qu'elle  ait  le  cuer  piteux 
Et  que  le  mien  qui  est  plus  noir  qui  meure 276* 
Vueille  asseurer,  si  le  fera  joieux 
20        Et  mon  las  corps  qui  plaint,  souspire  et  pleure, 

I.  fut 

a.  Dévore.  —  b.  Oubli.  —  c.  Je  suis  éploré. 


BALADES  341 

Aura  confort,  ou  il  faut  qu'il  dequeure  *, 
Martirs  d'amours,  en  l'amoureuse  loy 
Du  doulx  conjoy  fu  liez,  mais  ce  m'aqueure  b  : 
Las  !  et  de  li  si  eslongié  me  voy  ! 


MLIV 

Chançon  Baladée. 
{Amoureuse.) 

Je  n'ay  leesce  ne  confort, 
Je  n'ay  joye  n'esbatement, 
Je  n^y  fors  tristesce  et  tourment 
Et  espoir  de  tout  desconfort, 
Je  languis  dolereusement.  5 

J'ay  le  cuer  plus  noir  qu'errement c, 

J'ay  toute  fortune  a  effort, 

Je  voy  par  tout  desloyaument 

Amour  changier  et  faussement, 

Sanz  amis  et  sanz  reconfort,  10 

Je  voy  Droit  faindre  et  jugier  Tort, 

Qui  ay  servi  tresloyaument 

Ma  dame,  qui  présentement 

Me  het  et  désire  l  ma  mort  ; 

Je  n'ay  leesce  ne  confort.  1 5 

1.  desioie 

a.  Découre,  décline.  —  b.  Me  tue.  —  c  Encre. 


342  BALADES 

Fortune,  debonnairement 

M'enyvras,  au  commencement, 

De  l'amour  qui  me  print  trop  fort 

Sanz  regarder  ton  changement  ; 
20  Puis  m'as  tourné  soudainement 

Ta  roe,  et  mené  a  dur  port, 

Fait  sentir  ton  dolereux  sort 

Et  plus  de  mal  en  un  moment 

Que  je  n'ay  eu  de  joye  en  cent. 
25  Cesse  donc  sur  moy  ton  effort  ; 

Je  n7ay  leesce  ne  confort.  278  c 

Et  puisqu'Amour  rcfa  telement 

Navré,  par  toy  le  jugement 

Requier  au  Dieu  d'Amours  qui  dort  : 
3o  Se  je  languiray  longuement, 

Ou  se  j'auray  alegement, 

Ou  se  le  mauvais  qui  se  tort 

Joira  de  m'amour  sanz  ressort; 

Car  se  Toy  amoureusement, 
35  Comme  je  voy  communément, 

Amour  et  Loyauté  m'ont  mort  : 

Je  n'ay  leesce  ne  confort. 


BALADES  343 


MLV 

Autre  Chançon  Baladée. 
[Sur  les  mœurs  du  temps  présent.) 

Advisez  tuit  a  ma  dolour, 
Advisez  mon  dueil  et  mon  plour, 
Advisez  ma  dure  langour. 

Car  il  fut  un  temps  que  je  vy 

Honeur,  leesce,  amour  aussi,  5 

Loyaulté,  bonne  compaignie, 

Et  ceuls  qui  orent  bien  servi, 

Estre  honourez  et  remeri  a 

Ou  fait  de  l'amoureuse  vie; 

Lors  regnoit  secret  et  cremour  I,  1  o 

Justice,  loy,  pité,  douçour, 

Joustes,  festes,  voyage,  glay  c, 

Mais  au  jour  d'uy  ne  court  qu'esmay, 

Menterie,  ordure  et  tristour. 

Advisez  tuit  a  ma  dolour  !  1 5 

Avarice  a  les  cuers  ravi 
Et  foie  plaisance  avec  lui 
2j8  d     En  Testât  de  chevalerie, 

Les  cuers  des  clers  enseveli 

Es  péchiez  du  peuple  autressi,  20 

Car  toute  vertu  se  varie; 

On  n^ime  nul  qui  vueille  honour, 

a.  Récompensés.  —  b,  Crainte.  —  c.  Réjouissance. 


344  BALADES 

En  haine  est  changée  amour, 
Rémunération  ne  sçay, 
25  Les  mauves  qui  font  le  hahay 

Gouvernent  chascuns  a  son  tour. 
Advisez  tuit  a  ma  dolour! 

Nulz  n'a  ce  qu'il  a  desservi  *, 
Bons  le  bien,  li  mauvais  pugni 

3o  Ne  sont,  tout  va  par  flaterie; 

Saiges  ne  sera  point  oy 
Ne  nul  prodomme  conjoy; 
Baras  couvers  et  tricherie 
Et  menteur  régnent  nuit  et  jour, 

35  En  ce  monde  font  leur  séjour. 

Je  muir  de  deuil,  las!  que  feray? 
Vengence  a  Dieu  demanderay, 
Et  se  vous  n'y  sçavez  meillour, 
Advisez  tuit  a  ma  dolour. 


MLVI 

Balade. 

{Dialogue  entre  la  tête  et  le  corps.) 

Malade  suy,  dist  le  chief  a  son  corps, 
Tant  que  ne  sçay  que  je  devenir  doye. 
—  C'est  a  bon  droit,  vous  avez  bouté  hors 
Les  droiz  membres  dont  je  vous  soustenoie, 
D'estranges  mains  aidier  ne  vous  pourroye, 


a.  Servi. 


BALADES  345 

Ce  dist  le  corps,  car  vous  m'avez  osté 
Jambes  et  bras  et  le  destre  costé 
Et  m'avez  joint  membres  d'autre  paraige 
Qui  m'ont  destruit  et  a  vous  la  santé. 

—  Corps,  doulz  amis,  dy  moy  donc  que  feray  ge  ?  1  o 

—  Je  le  diray  pour  vous  estre  ressors  a.        2jg  a 
Se  je  di  voir,  pour  Dieu,  ne  vous  anoye  b  : 
Estranges  piez  sont  comme  chiens  et  pors 

Qui  ne  servent  fort  de  happer  leur  proye, 

Les  mains  aussi,  pour  quoy  leceleroie?  i5 

Ce  qu'ilz  happent  est  ou  fiens  bouté, 

S'en  est  le  corps  et  le  chief  affolé, 

Ne  jamais  jour  ne  feront  vasselaige, 

Fors  que  ventre  est  et  le  chief  désolé. 

—  Corps,  doulz  amis,  dy  moy  donc  que  ferai  ge?  20 

—  Vous  delairez  ces  membres  vilz  et  ors, 
Et  me  lairez  les  membres  que  j'avoye 
Naturelment,  c'est  vostre  drois  trésors, 
Conjoins  a  vous  et  a  dueil  et  a  joye  ; 

Ne  vous  faurront  ne  que  je  vous  faurroye  c,      25 

C'est  vostre  sang  conjoint  en  unité, 

Partans  d  au  bien  et  a  la  maleurté  *, 

Car  au  chief  sont  les  membres  de  linaige  *; 

Ouvrez  /  par  eulx  ou  vous  serez  gasté. 

—  Corps,  doulz  amis,  dy  moy  donc  que  ferai  ge?  3o 


l'envoy 


Chief,  je  conclu  aliance,  amisté, 


1.  maleureté. 


a.  Pour  vous  relever.  —  b.  Que  cela  ne  vous  ennifye  pas  si  je  dis 
la  vérité.  —  c.  Ils  ne  vous  manqueront  pas  plus  que  je  ne  vous  man- 
querai. —  d.  Prenant  part.  —  e.  De  parenté.  —  Travaillez. 


346 


BALADES 


A  voz  membres,  et  que  l'extrémité 
D'autres  boyaulx  ne  changent  vo  couraige  ; 
Ainsis  serez  garis  et  respassé  at 
35        Autrement  non.  —  Ce  dolent  mot  cessé, 

Corps,  doulz  amis,  dy  moy  donc  que  ferai  ge? 


E 


MLVII 

Autre  Balade. 
(Allégorie.) 

n  un  pais  plain  de  soûlas  27g  b 

Dont  Jeunesce  tenoit  la  voye, 
Vy  chevauchier  le  petit  pas 
Espérance,  Leesce  et  Joye 

5  Qui  cuident  que  nulz  ne  les  voye. 

La  avoit  pastours  et  tropeaulx 
De  jeusnes  brebis  et  d  aingneaulx, 
Mais  je  regarday  entre  deux 
Un  qui  crioit  aux  pastoureaulx  : 

I0  «  Gardez  vos  brebis  pour  les  leux.  » 

La  venoient,  selon  le  bas, 
Ainsi  comme  pour  prandre  proye 
Prière,  Faintise  et  Baras, 
Volunté  tuit  a  sa  courroye, 
1 5  Et  chascun  d'eulx,  en  las  de  soye, 

a.  Relevé. 


BALADES  347 

Trois  renars  et  .1111.  louveaulx 

Pour  descoupler,  crians  a  eaulx. 

La  prindrent  .vr.  brebis  entr'eulx  ; 

Je  ne  sçay  qu'ilz  firent  des  peaulx  : 

Gardez  vos  brebis  pour  les  leux.  20 

Hz  mistrent  en  divers  estas 

Leur  forme  et  leur  pel  toutesvoie. 

«  Advisez  y  pour  les  debas,  » 

Dist  Dangier,  c  garder  ne  sçaroie 

«  Des  loups  privez  si  jeusne  proie,  25 

«  Qui  boutent  leurs  piez  es  aigneaulx 

«  Ne  de  ces  jeusnes  renardiaulx 

*  Qui  cheminent  par  nuit  tous  seulx. 

«  Pour  Dieu,  de  ces  chaceurs  nouveaulx 

«  Gardez  voz  brebis  pour  les  leux.  »  3o 

i/envoy 

27g c      Pastours,  je  vous  conseilleroie, 
Afin  que  beste  ne  desvoie  *, 
D'estre  jour  et  nuit  bien  près  d'eulx; 
Sanz  garde  aler  ne  les  lairoie 
Pour  telz  chaceurs  dont  je  marvoie  b.  35 

Gardez  vos  brebis  pour  les  leux. 


a.  Ne  se  perde.  —  b.  Je  perds  le  sens. 


348  BALADES 


L 


MLVIII 

Balade. 
(Sur  les  vices  du  temps.) 

e  temps  vendra.  —  Quelz?  —  Ne  sçay, —  Il  me  tan 
—  En  bien  ?  —  Il  est,  Dieux  vueille,  en  amendan 
Mais  je  voy  po  qui  bien  y  prangne  garde, 
Car  tout  se  va  par  orgueil  corrumpant 

5  Si  que  chascun  va  le  mal  occupant 

Sanz  advenir  a  que  vengence  soudaine 
Réserva  Dieux  sur  créature  humaine. 
Or  ne  veult  nulz  a  ces  poins  regarder 
Dont  grant  doleur  sera  briefment  prochaine  : 

10        Or  se  gart  donc  qui  s'ara  a  garder. 

Car  le  temps  vient,  ou  il  fault  bonne  garde, 

Qu'estre  ne  doit  a  nul  homme  tardant. 

En  bien  voy  po  homme  qui  se  regarde, 

Il  est  ainsi,  tout  se  va  triboulant; 
i5        En  amendant  n'a  point  d'amendement, 

Car  chascun  fait  toute  chose  villaine, 

Prandre,  ravir,  laissier  la  vie  saine 

Pour  les  péchiez  que  l'en  dust  rebouter; 

S'en  ensuira  mort,  pestilence  et  paine  : 
20        Or  se  gart  donc  qui  s'ara  a  garder. 

Venimeuse  est  la  queue  de  lisarde  b 
a.  Faire  attention.  —  b.  Lézard. 


BALADES  349 

Pour  son  venin  qu'elle  y  va  tapissant  a, 
Si  est  la  fin  du  pécheur  qui  se  farde  b 
Des  grans  péchiez  ou  va  persévérant, 
270  d  Car  Tire  Dieu  le  happe  et  le  sousprant;  2  5 

En  grant  péril  Famé  et  le  corps  en  maine. 
Crions  merci  la  vertu  souveraine, 
Amendons  nous  pour  ces  tourmens  oster, 
Ou  nous  perdrons  terre,  vie  et  demaine  : 
Or  se  gart  donc  qui  s'ara  ■  a  garder.  3o 


i/envoy 


Prince,  pou  voy  qui  aime  Dieu  ne  craingne, 

N'a  qui  de  mort  ne  d'exemple  souviengne 

Fors  que  toudis  en  mal  persévérer, 

Sanz  repentir  ne  justice  avoir  plaine  ; 

Pour  se  faurra  c  la  puissance  mondaine  :  35 

Or  se  gart  donc  qui  s'ara  ■  a  garder. 


1.  saura. 


a.  Cachant.  —  b.  Charge.  — •  c.  Par  cela  manquera  la  puissance. 


350  BALADES 


MLIX 

Autre  Balade  \ 

[Préparatifs  pour  passer  en  Angleterre.) 
[1386-1387.] 

Le  lion  fist  jadis  son  mandement 
De  cerfs,  de  loups,  d'alans  a  et  de  lévriers 
Qui  furent  sus  assez  soudainement; 
Et  lors  leur  dist  qu'il  passast  voluntiers 
5  Sur  le  liepart,  mais  trop  de  lymonniers  b 

Qui  furent  la,  chevaulx  et  mainte  mule 
Vi  reculer  et  tenir  les  sentiers 
D'escrevice,  qui  en  alant  recule. 

Li  cerfs  disoit  :  «  Je  me  merveil  comment 
10        «  L'en  passera,  car  l'iver  est  trop  fiers  c.  » 
Li  loups  respont  tresperileusement  : 
«  Courront  vaisseaulx,  venssonten leurs dangiers.» 
Li  alans  brait  :  «  Ou  sera  no  mangiers?  » 
Et  li  chiens  dit  :  «  Sergent  n'ay,  on  m'acule. 
1 5        «  L'usaige  fault  que  je  praingne  premiers 
«  D'escrevice,  qui  en  alant  recule.  » 

L'autre  bestail  aloit  fort  murmurant,  280  a 

Qui  requistrent  vaisseauls,  vivres,  deniers, 
Mais,  pour  leur  plait,  ne  cheval  ne  jument 
20        Ne  passeront  ne  au  quart  ne  au  tiers. 

*  Publiée  par  Tarbé,  tome  I,  p.  go. 

a.  Chiens  courants.  —  b.  Chevaux  de  timon.  —  c.  Rude. 


BALADES  35 I 

Le  lion  dist  :  «  Nostre  fait  est  entiers, 
«  Passe  qui  veult,  je  n'y  faiz  doubte  nule  : 
«  Je  passeray,  sanz  estre  coustumiers 
•  D'escrevice,  qui  en  alant  recule.  » 

I/ENVOY 

Noble  lyon,  pourvoiez  vostre  gent,  25 

Vivres,  vaisseauis  qu'ilz  l  aient  sanz  scrupule; 
N'aiez  le  nom,  par  le  default  d'argent, 
D'escrevice,  qui  en  alant  recule. 


MLX 

Autre  Balade  *. 

[Même  sujet.) 
[r386-i387.] 

Avant!  avant!  tirez  vous  ça! 
Je  voy  merveilles,  ce  me  semble. 

—  Et  quoy?  Guette  «,  que  vois  tu  la? 

—  Je  voy  .xm.  ras  ensemble 

Et  mainte  souris  qui  s'assemble 
Dessus  la  rive  de  la  mer 
Pour  nagier  par  dessus  un  tramble, 
Mais  de  paour  les  voy  trambler. 

*  Publiée  par  Tarbé,  tome  I,  p.  g/. 
i.  qu'ilz  manque. 
a.  Sentinelle. 


352  BALADES 

«  Certes  ilz  n'y  passeront  ja,  » 
10  Dist  uns  homs  qui  villains  ressemble, 

«  L'un  des  ras  m'avoine  manga 
«  Et  les  souris  m'ont  mat  en  l'angle  ; 
«  Il  n'y  a  pais  ne  triangle 
«  Qu'ilz  n'aient  tout  fait  affamer; 
i5  «  Hardiz  sont,  chascuns  pille  ou  emble  : 

«  Mais  de  paour  les  voy  trambler.  » 

—  Or  dy,  pour  quoy  n'en  passera  280  b 

Aucun  d'eulx?  —  N'en  vois  tu  l'exemple? 
Leur  commun  vaisseaulx  vivres  n'a, 
20  L'yver  est  grant,  la  mer  est  ample, 

Les  vens  sont  grief,  maint  se  dessemble 

Qui  ne  quiert  que  le  retourner; 

L'un  d'un  lez  a,  puis  de  l'autre  branle, 

Mais  de  paour  les  voy  trambler. 

l'envoy 

2  5  Princes,  la  guette  s'escria  : 

«  Qui  les  pourra  faire  passer, 

«  Grant  bien  pour  le  peuple  fera.  » 

Mais  de  paour  les  voy  trambler. 

a.  Côté. 


BALADES  353 

MLXI 

Autre  Balade. 
(Sur  le  jeu  de  quilles.) 

Un  joueur  fut  qui  tant  joua 
A  .vi.  quilles,  au  parc  cornu, 
Contre  un  autre  qui  pou  rua 
Que  d'argent  et  d'avis  fut  nu; 
Et  quant  il  lui  est  souvenu  5 

Qu'il  n'avoit  mais  ne  croix  ne  pille, 
Au  derrain  a  grant  gieu  tenu, 
En  disant  :  «  A  ce  coup  la  quille  !  » 

Chaudement  son  gieu  commença  : 

Ou  premier  parc  a  abatu,  10 

Mais  quant  vint  au  passer  delà, 

Son  gieu  lui  fut  moult  debatu 

Pour  le  grant  péril  qui  y  fu 

De  hasart,  lors  du  baston  quille  a 

Tant  qu'a  pou  qu'il  n'a  tout  perdu  i5 

En  disant  :  «  A  ce  coup  la  quille  !  » 

80  c     Onques  pour  ce  ne  désista  *, 
En  derrain  parc  s'est  embatu  : 
Ses  quilles  toutes  y  getta, 
Mais  il  n'a  pas  tant  de  vertu  20 

Pour  le  vent  qui  a  la  couru 
Qu'il  puist  sçavoir  comment  il  bille  : 
Lors  rue  et  fiert  comme  esperdu, 
En  disant  :  «  A  ce  coup  la  quille  !  » 

a.  Joue.  —  b.  Ne  cessa. 

T.  V  a3 


354  BALADES 


L  ENVOY 


25  Princes,  ne  scet  qui  n'a  sentu 

Le  gieu  de  Fortune  et  sa  bille  a 
Jusqu'à  tant  qu'il  s'en  sent  féru 
En  disant  :  «  A  ce  coup  la  quille  !  » 


MLXII 

Balade 
(Il  faut  toujours  mentir.) 

Qui  me  sçaroit  des  ars  mondains  aprendre 
Li  quieulx  b  vault  mieulx,  ou  science  ou  la- 
Estre  seigneur  et  le  peuple  deffendre,  [bours> 

Juge,  maçon,  muyaux,  aveugle  l  ou  sours, 
5  Ou  grant  amasseur  d'argent, 

Ou  dire  voir  des  vices  de  la  gent, 
Ou  de  mentir  pour  sa  besongne  faire, 
Si  m'en  die,  pour  Dieu,  ce  qu'il  en  sent. 
—  Ment  donc  toudis  et  le  voir  vueilles  taire. 

io       A  labourer  ne  te  chaille  d'entendre  ; 

Estre  seigneur  au  monde  est  grans  honours 
Quant  le  labeur  puet  de  ses  subgiez  prendre, 
Mais  le  péril  de  la  deffense  est  lours, 

i.  aveugles. 

a.  Bâton.  —  b.  Lequel. 


BALADES  355 

Et  quant  il  est  négligent, 
Il  fait  et  lui  et  son  peuple  indigent  i5 

Et  ne  lui  puet  le  parler  de  ce  plaire  ; 
280  d  Vérité  net;  pour  ce,  a  mon  jugement, 

Ment  donc  toudis  et  le  voir  vueilles  taire. 

Justice  avoir  ne  garder  entreprandre 

Est  grant  péril,  et  édifier  tours,  20 

Science  aussi  est  au  jour  d'ui  la  mendre 

Qui  jadis  fut  es  plus  vaillans  seignours  ; 

Non  vir,  n'oir  a  vraiement 
Et  non  parler,  se  l'en  ne  scet  comment, 
Est  uns  granz  sens,  mais  qui  scet  argent  traire  25 
De  quelque  part  est  meilleur  en  mentent  : 
Ment  donc  toudis  et  le  voir  vueilles  taire. 

l'envoy 

—  Prince,  Ysangrin  voult  de  Renart  aprandre, 
En  Ysopet,  ce  qu^y  voulu  retraire  ; 
Renart  lui  dist  :  a  Se  riches  te  veuls  rendre,      3o 
Ment  donc  '  toudis  et  le  voir  vueilles  taire.  » 


t.  donc  manque, 

a.  Ne  pas  voir,  ne  pas  entendre. 


356  BALADES 

MLXIII 

Autre  Balade  *. 
{Deschamps  renonce  à  corriger  les  gens.) 

Vint  ans  a  que  je  ne  cessay 
Des  vices  blasmer  et  d'escripre 
Les  vertus,  mais  je  m'en  tairay, 
Car  tousjours  devient  chascun  pire  ; 
5  Alez  tuit  du  règne  en  l'empire  a 

S'autrement  faire  ne  voulez, 
Vous  ferez  bien  le  diable  rire  : 
Faittes  du  pis  que  vous  pouez. 

Désormais  me  deporteray 
i  o  De  plus  estudier  ne  lire, 

Et  voz  euvres  regarderay, 

L'avarice,  l'orgueil  et  l'ire, 

La  traison  et  le  martire 

Que  l'un  a  l'autre  pourchacez  ;  281  a 

1 5  Tolez  b,  bâtez,  plus  n'en  puis  dire  : 

Faittes  du  pis  que  vous  pouez. 

Persévérez,  puis  que  je  sçay 
Qu'autrement  ne  vous  veult  souffire, 
Mettez  tout  le  monde  en  esmay, 
20  Vueillez  tout  honnour  contredire 

Si  que  la  fin  se  puist  eslire 

♦  Publié  par  Tarbé,  tome  II,  page  29 . 
a.  Jeu  de  mots.  —  b.  Volez. 


BALADES  357 

De  ce  monde,  que  vous  querez 
Pour  enfer,  ou  un  chascun  tire  : 
Faittes  du  pis  que  vous  pouez. 

l'envoy 

Prince,  plus  ne  vueil  contredire  25 

Aux  gens  mondains  leurs  voluntez, 
Mais  pour  plus  avoir  de  martire 
Faittes  du  pis  que  vous  pouez. 


MLXIV 

Autre  Balade 
{Amoureuse.) 

Trop  m'est  changiez  li  temps  et  la  manière 
Depuis  le  jour  que  je  me  départi 
De  vo  douçour,  tresdouce  dame  chiere, 
Car  onques  puis  je  n'os  a  joyeux  parti. 
Pour  mon  départ  ainçois  suy  départi  b  5 

De  griefs  pensées  et  de  divers  dolours  ; 
Las!  bonne  amour,  je  muir,  mais  c'est  party  c 
Que  mon  cuer  noyé  en  larmes  et  en  plours. 

Car  chascun  jour  suis  en  une  rivière 
Ou  onques  homs  tel  doleur  ne  senti  10 

Comme  je  fais,  car  l'eaue  en  est  trop  fiere; 
La  m'y  plungent  my  mortel  ennemi, 
Dangier,  Refus,  Desespoir,  Paour,  si 

a.  Je  n'eus,  —  b.  Déchiré.  —  c.  Parti  pris. 


358  BALADES 

Que  noier  craing,  ne  je  n'ay  nul  secours  : 
i5        Or  aiez  donc,  dame,  pitié  l  de  mi,  281b 

Que  mon  cuer  noyé  en  larmes  et  en  plours. 

Ne  m'oubliez,  si  de  vous  suy  arrière, 
Car  le  départ  est  contre  moy  parti, 
Honeur  l'a  fait,  je  vois  soubz  sa  bannière  a, 
20        Et  vous  estes  si  acointes  de  lui  b 

Que  vous  devez  advouer  vostre  ami, 
Moi,  qui  le  sers  sanz  laissier  voz  amours  : 
S'autrement  va,  en  languissant  vous  di 
Que  mon  cuer  noyé  en  larmes  et  en  plours. 

l'envoy 

25        Tresdouce  dame,  aiez  de  moy  merci, 
Car  vous  estes  ma  joie  et  mes  recours; 
Souviengne  vous  de  quel  mal  je  langui, 
Que  mon  cuer  noyé  en  larmes  et  en  plours. 


MLXV 

Autre  Balade. 
[Mendiant  d? Amour.) 

Donnez  au  povre  langoreux 
Une  aulne  de  vo  2  doulz  octroy 
En  l'onneur  du  dieu  amoureux, 

1.  de  pitié.  —  2.  vo  manque. 

a.  Je  vais  sous  sa  bannière.  —  b.  Si  liée  avec  lui. 


BALADES  359 

Humble  dame,  regardez  moy 

En  pité,  car  d'amours  marvoy  a.  5 

J'ay  pour  li  mainte  angoisse  traitte. 

—  Certes,  amis,  je  n'ay  de  quoy  : 
Alez  a  Dieu,  Taumosne  est  faicte. 

—  Helas  !  dame,  je  suis  tous  seulx, 
Tourmentez  si  qu'a  paine  voy.  10 
Donnez  moy  un  regart  ou  deux 

De  voz  doulz  oeulx,  car  bien  perçoy 
Que  la  grant  faim  et  la  grant  soy  b 
Que  j'ay  d'amours  sera  retraitte. 
281  c     —  Fuiez,  trop  me  chargiez  d'annoy,  i5 

Alez  a  Dieu,  l'aumosne  est  faicte. 

—  Chetis,  las!  Aiez  cuer  piteux, 
Au  moins  me  touchiez  de  vo  doy, 
Si  en  seray  moins  dolereux  ; 

Povres  en  l'amoureuse  loy  20 

N'en  ponrroit  moins  querre,  ce  croy. 

—  Vous  dittes  voir,  cuer  qui  s'endebte 
Doit  paier,  ailleurs  m'amour  doy  : 
Alez  a  Dieu,  l'aumosne  est  faicte. 

l'envoy 

25  —  Hé  !  Dieu  d'Amours,  d'amer  recroy  c, 

Quant  Charité  voy  si  defTaitte 
Que  chascune  dit  endroit  soy  : 
«  Alez  a  Dieu,  l'aumosne  est  faicte.  » 

a.  Je  perds  la  raison.  —  b.  Soif.  —  c.  Je  me  rebute. 


3Ô0  BALADES 


MLXVI 

Balade 
(Le  monde  ne  se  corrige  pas.) 

Homme  ne  puis  chascun  jour  encontrer 
Qui  ne  die  :  «  Scés  tu  riens  de  nouvel?  » 
Je  di  que  non,  et  le  puis  bien  prouver, 
Car  je  ne  voy  bien,  soûlas  a  ne  revel  *, 
5  Joie,  déduit,  ne  riens  qui  me  soit  bel, 

Largesce,  honeur,  bonne  vertu  qui  soit 
Dont  l'en  feist  la  pierre  d'un  annel  : 
Le  temps  toudis  m'est  tel  comme  il  souloit. 

Je  ne  le  voy  onques  jour  admender, 
10        Mais  voy  Regnart  toudis  dedenz  sa  pel, 
Je  voy  les  loups  les  brebis  estrangler, 
Et  les  grans  chiens  envieux  sanz  rapel 
Qui  o  les  loups  assaillent  leur  tropel; 
La  layne  fault  de  quoy  l'en  se  vestoit  ; 
i5        Pour  escorchier  voy  tout  prest  le  coutel  : 

Le  temps  toudis  m'est  tel  comme  il  souloit.  281  d 

Onques  ne  vi  grant  justice  régner, 
Mais  j'ay  veu,  et  par  dessus  la  pel 
Du  povre  homme,  pluseurs  gens  atempter, 
20        Au  foible  oster  par  le  fort  son  morsel; 

L'un  courre  sus,  ainsis  comme  un  pourcel, 
Et  le  tuer  si  tost  qu'il  en  parloit. 

a.  Consolation.  —  b.  Divertissement,  badinage. 


BALADES  36 I 

Les  vices  voy  par  tout  a  plain  tonnel  : 

Le  temps  toudis  m'est  tel '  comme  il  souloit. 

l'envoy 

Beaus  doulz  seigneurs,  or  me  lessiez  ester,        25 
N'enquerez  plus,  chascuns  tous  ces  poins  voit, 
Car  quant  a  moy,  sanz  trop  plus  declarrer  : 
Le  temps  toudis  m'est  tel  'comme  il  souloit. 


MLXVII 

Autre  Balade. 
(Récit  d'une  aventure  galante.) 

Dont  venez  vous  ?  Ou  fustes  vous  er  soir  ?  a 
—  Et  tu  ?  Dont  viens  a  ceste  matinée  ? 

—  Que  t'en  est  il  b7  —  Il  le  me  fault  sçavroir. 

—  Je  ne  finay  hier  toute  la  journée. 

—  De  quoy  faire?  —  D'avoir  une  espousée.          5 
Bon  sain  portoit,  gros  con  et  grosses  fesses; 
.xiiii.  fois  lui  bâti  sa  pouppée, 

Tant  qu'elle  dist  :  «  Fuy  de  cy,  tu  me  blesces.  » 

—  Pandus  soit  il  qui  n'en  dira  le  voir  ! 

—  Ainsi  soit  il.  —  Ou  fut  elle  trouvée?  io 

—  En  un  marchié,  sur  le  tart  qu'il  fist  noir, 

i.  telz. 

a.  Hier  au  soir.  —  b.  Que  t'importe? 


362  BALADES 

Et  quant  je  l'os  en  ma  chambre  admenée 
Ou  il  n'avoit  fors  nous  .11.  ame  née, 
Jus  la  gettay,  mais  ses  cons  avoit  tresces  : 
i5        Esbahis  fu,  par  la  l'ay  atrappée 

Tant  qu'elle  dist  :  «  Fuy  de  cy ,  tu  me  blesces.  ^282  a 

Adonc  me  mis  en  ce  *  point  de  sçavoir 
Qui  tel  hure  lui  avoit  eslevée  : 
Elle  me  dist  que  la  guise  a  pour  voir 
20        De  faire  ainsis  estoit  en  la  contrée, 

Et  que  sanz  poil  seroit  trop  diffamée. 

Par  entre  deux  me  mis  lors  es  adresces; 

De  moy  fut  bien  celle  nuit  tabourée 

Tant  qu'elle  dist  :  0  Fuy  de  cy,  tu  me  blesces.  » 


MLXVIIl 

Balade. 
(Injures.) 


Dieux  gart!  —  Nient,  Dieux  vous  confonde! 
Dieux  vous  mette  en  maie  sepmaine  ! 

—  Mais  vous,  mais  vostre  belle  blonde! 

—  Mais  vostre  manière  villaine  ! 

—  Mais  cellui  qui  vous  porte  et  maine  ! 

—  Mais  la  bouche  qui  le  voult  dire  ! 

—  Mais  vostre  corps  vestu  de  laine! 

—  Mais  vous  qui  me  cuidez  maudire  ! 


1 .  ce  manque 
a.  La  mode. 


BALADES  363 

—  Mais  toy  en  qui  tout  mal  habonde  ! 

—  Mais  tu,  carongne  et  orde  taingne  !  10 

—  Mais  toy,  noire  queue  d'aronde  ! 

—  Mais  toy,  tresorde  vuaritaine  ! 

—  Mais  toy,  pance  de  fiens  plaine! 

—  Mais  toy,  de  tous  mauvais  le  pire, 

Dieux  te  mette  en  fièvre  quartaine!  i5 

—  Mais  vous  qui  me  cuidez  maudire  ! 

—  L'en  te  puist  tuer  d'une  fonde  ! 

—  Mais  la  sanglante  mort  te  prangne  ! 

—  Mais  ton  corps  en  la  terre  fonde 

Qui  puist  mourir  de  mort  villaine  !  20 

—  Mais  d'un  gibet  soit  ton  estraine! 
282  b     —  Mais  ton  chief  coppé  par  martire  ! 

—  Mais  toute  maleurté  te  vaingne! 

•    —  Mais  vous  qui  me  cuidez  maudire  ! 

l'envoy 

Princes,  qui  dit  chose  villaine,  25 

En  maudisant,  se  fait  despire 

Et  respont  l'en  a  haulte  alaine; 

a  Mais  vous  qui  me  cuidez  maudire!  » 


364  BALADES 

MLXIX 

Autre  Balade. 
(Heureux  qui  est  aveugle,  muet  et  sourd.) 

Donnez  au  povre  qui  ne  voit, 
Au  muyau  qui  ne  puet  parler, 
Donnez  au  sourt  qui  goûte  n'oit  a, 
Qui  ne  puet  riens  fors  demander; 
5  Son  mestier  est  de  truander. 

Est  il  homme  qui  bien  lui  face? 
Lors  lui  respont  uns  qui  oit  cler  b  : 
«  Nostre  Sire  t'a  fait  grant  grâce  ! 

«  Tu  as  .m.  poins  que  chascuns  doit 
10  a  Avoir,  qui  veult  le  sien  garder  : 

«  Dieux  en  ce  monde  te  pourvoit. 
«  Mauves  mot  n'y  puez  escouter, 
«  Mal  veoir  ne  riens  rapporter 
«  Dont  ta  chevance  se  defface, 
1 5  «  Ne  tu  n'y  doiz  riens  convoiter  : 

a  Nostre  Sire  fa  fait  grant  grâce. 

«  Car  maint  par  veoir  se  deçoipt, 
«  Par  oir  se  puet  homs  troubler, 
«  Et  en  parlant  de  qui  que  soit 
20  «  Se  puet  destruire  et  affoler, 

«  Perdre  corps,  chevance  laissier; 
«  Dieux  ces  trois  poins  en  toy  efface, 

a.  Qui  n'entend  goûte.  —  b.  Qui  entend  bien. 


BALADES  365 


«  Gracy  loy  a,  va  t'en  hosteler  *; 
282  c     «  Nostre  Sire  t'a  fait  grant  grâce  !  » 


I/ENVOY 


Prince,  ainsi  me  voult  refuser  2  5 

Sanz  vouloir  que  plus  demandasse 
Cilz  qui  dist  pour  moy  conforter  : 
t  Nostre  Sire  t'a  fait  grant  grâce!  » 


MLXX 

Balade  ¥. 
(Des  moyens  de  parvenir  à  la  cour.) 

Apprenez  moy  comment  j'aray  estât 
Soudainement,  dame,  je  vous  en  prie, 
Et  en  quel  lieu  je  trouveray  bon  plat 
Pour  gourmander  et  mener  glote  vie  c. 
—  Je  le  t'octroy;  traison  et  envie  5 

Te  fault  sçavoir,  ceuls  te  mettront  avant; 
Mentir,  flater,  parler  de  lecherie  d  : 
Va  a  la  court,  et  en  use  souvent. 

Pigne  toy  bel  e,  ton  chaperon  abat, 

Soies  vestus  de  robe  tresjolie,  10 

•  Publiée  par  Crapelet,  page  106. 

a.  Remercie-le.  —  b.  Rentre  chez  toi.  — -  c.  Gloutonne.  —  d. 
Débauche,  libertinage.  —  e.  Peigne-toi  bien. 


366  BALADES 

Fourre  toy  bien,  quoy  qu'il  soit  de  l'achat, 
Tien  toy  brodé  d'or  et  de  pierrerie, 
Ment  largement  afin  que  chascuns  rie, 
Promet  assez  et  tien  po  de  convent  a  ; 
i5        Fay  tous  ces  poins,  ne  te  chaille  qu'om  die  : 
Va  a  la  court  et  en  use  souvent. 

A  maint  l'ay  veu  faire  qui  s'i  embat, 
Soy  acointier  de  l'eschançonnerie, 
Jouer  aux  dez  tant  qu'il  gaingne  ou  soit  mat; 
20        Qu'il  jure  fort,  qu'il  maugrie  et  regnie, 
Et  lors  sera  de  la  droitte  mesgnie. 
Fay  donc  ainsis,  met  toy  tousjours  devant, 
Pour  avoir  nom,  tous  ces  vices  n'oublie  : 
Va  a  la  court  et  en  use  souvent. 

l'envoy 

25        Princes,  bien  doy  remercier  Folie  282  d 

Qui  m'a  aprins  ce  beau  gouvernement 
Et  qui  m'a  dit  :  «  A  ces  poins  estudie, 
«  Va  a  la  court  et  en  use  souvent.  » 

a.  Promesse. 


G 


BALADES  367 

MLXXI 

(Questions  et  réponses.) 

Question 

ens  qui  ne  partent  d'une  place 
Sanz  chevauls  avoir  ne  despense 
Fors  sanz  plus  que  l  d'emplir  leur  pense, 
Ont  d'amasser  temps  et  espace. 

RESPONCE 

Vous  dittes  voir,  qui  bien  y  pense; 
Gaiges  ont  grans  :  en  po  d'espace 
De  temps  font  grant  trésor  en  mace, 
Mais  tel  trésor  est  en  balance. 

QUESTION 

Ceuls  qui  cuident  estre  plus  saiges 
10  Et  qui  soustiennent  divers  cas 

Pour  l'argent,  com  les  advocas 
Se  déçoivent  par  leurs  oultraiges. 

RESPONCE 

Ou  la  paix  est  mettent  debas 
Pour  l'argent,  telz  est  leurs  usaiges  ; 
i5  Mais  li  tiers  hoirs 2  en  leurs  linaiges 

Du  mal  acquis  n'eritent  pas. 

QUESTION 

Aucuns  clers,  il  a  ja  long  temps 
Ont  mis  sus  la  chevalerie 
Tous  maulx,  tous  vices,  tous  contemps, 
20  En  donnant  la  gloire  a  clergie. 

RESPONCE 

Maint  sont  clers  ou  n'a  que  folie, 

1.  que  manque.  —  2.  homs 


368  BALADES 

Car  sanz  sçavoir  sont  hors  du  sens, 

Si  se  puet  l'en  bien  chevir  sans 

Telz  clers,  ou  science  n'est  mie.  283  a 

QUESTION 

25  Comment  ont  les  mauvais  le  temps 

Occupé  si  longue  saison, 
Ravi  les  biens  contre  raison, 
Destruit  le  monde  et  povres  gens? 

RESPONSE 

Tu  verras  en  fin  leur  maison, 
3o  Leurs  corps,  leurs  femmes,  leurs  enfans 

Destruis,  pour  leurs  péchiez  nuisans, 
Si  ne  doit  nulz  estre  mais  hom  a. 

QUESTION 

Quant  seront  les  bons  exaucez, 
Et  quant  aront  ilz  congnolssance? 
35  Quant  aront  les  saiges  puissance, 

Quant  seront  ilz  guerredonnez  *? 

RESPONSE 

Ce  sera  brief,  le  temps  s'advance 
Que  les  mauvais  seront  ostez 
D'entre  les  bons  ;  or  attendez, 
40  Si  verrez  de  Dieu  la  vengence. 

QUESTION 

Nuls  ne  veult  mettre  règle  en  li 
Ne  croire  que  mal  lui  avaingne 
Jusqu'à  temps  qu'où  péril  se  baingne 
Et  qu'il  s'i  voit  enseveli. 

RESPONSE 

45  Fouis  est  congnus  a  tele  ensaingne  : 

Jusqu'il  prant c  ne  craint  l'ennemi, 
Pour  ce  ne  treuve  nul  ami 


a.  Mauvais  homme.  —  b.  Récompensés.  —  c.  Jusqu'à  ce  qu'il 
reçoive  des  coups. 


BALADES  369 

En  sa  dolour,  ne  qui  le  plaingne. 

QUESTION 

Qui  d'autrui  mal  se  glorifie 
Qui  ne  lui  resgarde  ne  touche,  5o 

2  83  b     Tele  gloire  son  mal  approuche, 
Car  ce  n'est  que  mauvaise  envie. 

RESPONSE 

Cilz  qui  voit  le  feu  en  sa  bouche 

Doit  doubter  des  dens  en  partie 

Qu'ilz  n'ardent;  ne  s'assurent  mie  55 

Toit  sanz  feu,  s'a  l'ardent  n'atouche. 

QUESTION 

Comment  pourront  cesser  les  maulx 

Tant  que  les  fortunes  n'aviengnent 

Qui  toutes  les  vertus  estaingnent 

Des  petis  jusques  au  plus  hauls  ?  60 

RESPONSE 

Il  convient  qu'ilz  plourent  et  plaingnent 
Leurs  grans  péchiez  et  leurs  defaulx 
Envers  Dieu,  sanz  plus  estre  faulx, 
Et  que  leurs  grans  orgueilz  restraingnent. 

QUESTION 

Le  temps  est  que  de  la  parole  65 

Du  povre,  tant  soit  véritable, 

Se  moquent  maint  et  en  font  fable  ; 

Qui  povres  est,  on  le  rigole. 

RESPONSE 

Voire,  mais  se  riche  parole, 

Il  a  la  voix  si  agréable  70 

Que  l'en  tient  sa  mensonge  estable. 

Ceste  conclusion  est  foie. 


T. 


24 


370  BALADES 


A' 


MLXXII 

Balade  Morale. 

(Le  monde  doit  bientôt  finir,) 

dam,  Noé,  Abraham  et  Davit 
Et  en  après  la  transmigracion, 
L'advenement  du  fils  Dieu,  Jhesu  Crist, 
Le  temps  des  ans  de  s^ncarnacion 

5  Jusques  a  cy,  et  la  mutacion  283  c 

Qui  a  esté  en  quatorze  cens  ans, 
Entre  un  chascun  de  ces  aages  coulans, 
Nous  monstrent  bien  par  vraie  expérience 
Que  nous  sommes  de  la  fin  approuchans, 

10       Et  si  n'est  nul  qui  en  ait  congnoissance. 

Par  Levitique  nous  est  encore  descript, 
Pour  noz  péchiez,  no  grant  destruction, 
Quant  nous  ferons  contre  loy  et  l'edict 
De  Dieu  qui  fist  nostre  creacion, 

i5        Et  si  avons  l'adnonciacion 

Aux  pastouriaulx,  d'angels  a  eulx  parlans, 
Gloire  au  treshault  et  aux  hommes  donnans 
Paix  en  terre,  par  tele  convenance 
Que  volunté  eussent  bonne;  ainsi  prans, 

20        Et  si  n'est  nul  qui  en  ait  congnoissance. 

Joingnons  ces  poins  et  ce  qui  en  est  dit, 
Si  trouverons,  selon  m'entencion, 
Considéré  que  tuit  font  contredit 
A  la  loy  Dieu,  que  variacion 


BALADES  371 

Du  cours  du  monde  et  renovacion  25 

Se  fera  brief,  car  cilz  aages  dolans 

Est  en  pechié  et  mal  perseverans, 

Qu'en  bon  vouloir  n'a  homme  sa  plaisance, 

Dont  paix  avoir  nous  est  Dieux  deveans  a, 

Et  si  n'est  nul  qui  en  ait  congnoissance.  3o 

l'envoy 

Prince,  chascun  quiert  singulier  profit 
Et  le  commun  b  a  chascun  en  despit, 
En  convoitant  terres,  or  et  finance, 
Qui  destruisent  le  corps  et  Tesperit 
Dont  au  jour  d'ui  voit  on  que  tout  périt,  i5 

283  d  Et  si  îVest  nul  qui  en  ait  congnoissance. 


MLXX1II 

Balade. 
(Même  sujet.) 

Je  voy  Vengence  a  tout  s'espée 
Et  Fortune  qui  fait  muer 
Maint  royaume  et  mainte  contrée 
Par  trop  es  maulx  persévérer, 
Pugnir,  destruire  et  tourmenter 
L'un  en  l'autre,  par  cas  soudain. 
Li  Troyen  et  li  Rommain 

a.  Refusant.  —  b.  Le  bien  commun. 


372  BALADES 

Furent  par  leur  orgueil  destruit, 
Babilonien,  li  Commain  : 
10  Or  y  pensons  toutes  et  tuit. 

Vertu  est  reposte  a  et  celée, 

Amour  n'a  lieu  pour  demourer, 

Vérité  fault,  Justice  vée  b 

A  Raison  loy  exécuter, 
i5  Nulz  ne  veult  Honour  hosteler  c; 

Charité  muert,  dont  je  me  plain. 

Qui  régnent?  Tuit  vice  villain, 

Car  tous  grans  pécheurs  sont  en  bruit  d\ 

L/espée  de  Vengence  craim  : 
20  Or  y  pensons  toutes  et  tuit. 

La  terre  est  pour  ce  advironnée 

En  l'air,  en  Teaue  et  en  la  mer, 

D'ennemis  qui  font  la  meslée 

Pour  les  granz  pécheurs  assembler. 
25  Perseverans  par  guerre  oultrer 

Les  ferra  Dieux  e,  et  de  leur  main 

S'entreturront  a  jour  certain 

Pour  leur  pechié  qui  trop  les  nuit 

Si  tost  comme  d'ui  a  demain  : 
3o  Or  y  pensons  toutes  et  tuit. 

l'envoy 

Prince,  la  loy  Dieu  n'est  doubtée  ;  284  a 

No  foy  est  en  deux  divisée, 
Maulx  régnent  de  jour  et  de  nuit; 
Gomment  nous  seroit  paix  donnée? 
35  Sur  nous  vient  la  dure  journée  : 

Or  y  pensons  toutes  et  tuit. 

a.  Cachée.  —  b.  Défend,  refuse.  —  c.  Héberger.  —  d.  En  hon- 
neur. —  e.  Dieu  les  frappera. 


BALADES  373 

MLXXIV 

Autre  Balade. 
[Que  la  paix  soit  rendue  au  monde  et  à  l'Église,) 

O1  Charité,  Pité,  Miséricorde, 
Amour  de  Dieu,  alez  au  parlement  a, 
Montrez  aux  roys  qu^lz  ne  croient  Discorde 
Qui  a  voulu  guerre  trop  longuement 
Pour  terre  avoir,  qu'om  pert  en  un  moment;       5 
Faittes  oster  du  conseil  Convoitise 
Qui  a  honni  tout  anciennement  : 
Reformez  paix  au  monde  et  en  l'Eglise. 

Dittes  leur  bien  ce  que  Dieux  d'eulx  recorde  b 
Pour  leurs  péchiez,  et  du  peuple  ensement,       10 
Et  pour  l'orgueil,  la  vie  laide  et  orde  c 
Que  chascun  veult  mener  generalment 
Sanz  craindre  Dieu,  la  paine  et  le  tourment 
Qui  vient  sur  eulx,  mais  nul  ne  s'i  advise  : 
Pour  eschiver  d'iceulx  le  dampnement,  i5 

Reformez  paix  au  monde  et  en  l'Eglise; 

Ou  autrement  loy  divine  s'acorde 

Que  Vengence  vendra  soudainement 

A  tout  son  arc,  son  espée  et  sa  corde, 

Qui  des  pécheurs  fera  le  vengement,  20 

En  un  conflict,  si  merveilleusement 

Que  du  monde  yert  la  pugnicion  prinse. 

1 .  O  manque. 

a.  A  l'entrevue.  —  b.  Témoigne.—  c.  Sale. 


374  BALADES 

Pour  ces  dames  vous  pri  piteusement  : 
Reformez  paix  au  monde  et  en  l'Eglise. 

l'envoy 

25        Prince  mondain, qu'avez  gouvernement  ',  284b 
Terres,  pays,  royaumes,  tenement, 
La  grâce  Dieu  en  ce  cas  vous  souffise  : 
Ne  querez  plus  le  desheritement 
L'un  sur  l'autre,  mais,  pour  vo  sauvement, 

3o        Reformez  paix  au  monde  et  en  l'Eglise. 


MLXXV 

Autre  Balade. 
(Danger  d'une  révolution  prochaine.) 


p 


ireschier  de  Dieu  ne  les  vices  blasmer, 
Monstrer  les  maulx  qui  puelent  advenir 
Par  le  default  de  le  craindre  et  amer, 
Pour  exemples  dont  il  puist  souvenir, 

5  Lesquelz  Pen  voit  de  jour  en  jour  venir, 

Ne  se  veult  nulz  de  ses  péchiez  refraindre, 
Ne  Pire  Dieu  ne  sa  vengence  craindre, 
Mais  va  chascun  en  mal  persévérant, 
De  pis  en  pis,  contre  loy  et  sanz  faindre, 

10       Dont  grant  doleur  vendra  prochainement. 

1.  qui  avez  le  gouvernement. 


BALADES  375 

Car  l'en  ne  veult  aux  vertus  encliner, 

Garder  la  loy  n'a  raison  obéir, 

Fors  a  orgueil,  et  soy  desordonner 

A  maugrier,  parjurer  et  trahir, 

Contens  a  mouvoir  et  l'un  l'autre  hair,  i5 

Mauvais  lever  è,  les  prodommes  estaindre, 

Trop  convoitier  et  charité  restraindre, 

Pechié  de  char  faire  publiquement, 

Soy  en  tous  maulx  et  ordures  empaindre  c, 

Dont  grant  doleur  vendra  prouchainement.      20 

Si  feroit  bon  de  sa  vie  amender, 
Faire  le  bien  et  du  mal  abstenir 
Tant  qu'om  peust  soy  a  Dieu  racorder  ; 
Foulz  ne  doubte  jusqu'il  se  voit  ferir, 
Ne  pas  ne  croy  que  nul  cuide  mourir,  25 

Mais  si  fera;  mais  paour  me  fait  taindre  d. 
284  c  Telz  fist  le  grant  qui  puis  devint  le  maindre  ; 
Ayons  paour  du  divin  jugement. 
Le  monde  voy  de  tous  péchiez  ensaindre  * 
Dont  grant  doleur  vendra  prouchainement.      3o 

l'envoy 

Princes,  vueilliez  a  ces  poins  regarder, 

Honourer  Dieu  et  P  Eglise  garder, 

Et  un  chascun  face  semblablement, 

Prandre  vertus,  les  vices  rebouter, 

Ou  nous  arons  jugement  trop  amer  35 

Dont  grant  dolour  vendra  prouchainement. 

a.    Querelles.  —  b.    Elever.  —   c.  Se  jeter,    se   précipiter.    — 

d.  Changer  de  couleur,  pâlir.  -^  e.  Etre  plein. 


376  BALADES 


C 


MLXXVI 

Balade 

(Devoirs  des  bons  serviteurs.) 

euls  qui  aiment  leur  naturel  seigneur 
Ou  qui  servent  autrui  com  mercenaire 
Doivent  amer  leur  bien  et  leur  honeur 
Et  eulx  garder  en  tous  cas  de  meffaire, 

5  Et  devant  eulx  monstrer  tel  exemplaire 

Qu'om  ne  les  puist  de  leur  vice  reprandre 
Et  qu'om  ne  puist  exemple  de  mal  prandre 
En  leur  estât,  en  parole  n'en  fait. 
Telz  se  doivent  tous  bons  serviteurs  rendre  : 

10       Saiges  est  cilz  qui  tel  service  fait. 

Promesse,  don,  convoitise,  faveur, 
Ne  doivent  nul  esmouvoir  au  contraire, 
Car  puis  qu'il  sent  dommaige  et  deshoneur 
Qui  puet  venir  par  un  cas  voluntaire 

i5        A  son  seigneur,  de  ce  le 1  doit  retraire  a 

Et  lui  2  monstrer  qu'a  ce  ne  doit  entendre; 
De  l'en  oster  doit  a  toute  fins  tendre, 
Qu'il  ne  soit  veus  consentans  son  meffait 
Ne  pour  avoir  bon  renom  s'ame  3  vendre  : 

20        Saiges  est  cilz  qui  tel  service  fait.  284  d 

Car  ainsis  puet  retraire  de  foleur 

Le  bon  servent  son  seigneur,  et  attraire  b 

1.  lui.—  2.  lui  manque.  —  3.  name. 
a.  Détourner.  —  b.  Attirer. 


BALADES  377 

A  Dieu  amer,  par  voir  dire  et  cremeur  ", 

Non  consentir  pechié  nul  pour  lui  plaire  ; 

Mais  pluseurs  font  au  jour  d'uy  le  contraire,     25 

Qui  consentent  le  pechié  et  mesprandre  b 

A  leur  seigneur  pour  decepvoir  et  prandre 

Soy  et  le  sien;  telz  gens  soient  deffait. 

A  bon  servent  doit  prince  guerdon  1  rendre  : 

Saiges  est  c*ilz  2  qui  tel  service  fait.  3o 

l'envoy 

Prince,  servent  sont  loyal  serviteur 
Qui  dient  voir,  et  qui  ne  sont  flateur, 
Car  par  flater  maint  seigneur  se  deffait 
D'ame  et  de  corps,  de  bon  nom,  de  douceur  3; 
Et  quant  servent  sont  de  bon  et  vray  cueur,      35 
Saiges  est  cilz  2  qui  tel  service  fait. 


MLXXVII 

Autre  Balade 
[Tout  finit.) 


Selon  les  temps  et  les  douces  saisons, 
Selon  les  ans  et  aages  de  nature, 
Selon  aussi  .1111.  complexions, 
Vient  joie  ou  dueil  a  toute  créature. 

1.  guerredon.  —  2.  cil.  —  3.  doucour. 

a.  Par  vérité  et  par  crainte.  —  b.  La  mauvaise  conduite. 


378  BALADES 

5  Le  sec  aux  champs,  autre  foiz  la  verdure, 

Folie  et  sens,  povreté  et  richesce 
Es  corps  humains,  force,  vertu,  jeunesce, 
Et  puis  convient  tout  aler  a  déclin, 
Arbres,  bestes,  gens  mourir  par  viellesce  : 

10        II  n'est  chose  qui  ne  viengne  a  sa  fin. 

En  jeune  temps,  nous  nous  esjouissons 
Pour  le  sang  chaut;  lors  sommes  plains d'ardure, 
Nos  jeunesces  et  folies  faisons  \_285  a 

Sanz  y  garder  loy,  raison  ne  mesure, 

i5        Fors  volunté;  tout  est  en  adventure, 

En  cellui  temps  Cuidier  a  nous  point  b  et  blesce; 
C'est  le  doulz  May  qui  dormir  ne  nous  lesse, 
Qui  du  vert  bois  nous  monstre  le  chemin  ; 
Lors  a  un  coup  fleur,  fruit  et  vert  delesse  : 

20        II  n'est  chose  qui  ne  viengne  a  sa  fin. 

Mais  assez  tost  ceste  chaleur  laissons  ; 
Après  Printemps  vient  Esté  qui  po  dure, 
Ou  folement  de  noz  vouloirs  usons, 
Gastans  noz  corps  en  pechié  et  laidure. 

25        Autonpne  après,  moyenne  saison,  dure, 

Qui  des  .11.  temps  les  fruiz  meure  c  et  adresse  : 
Aux  bien  faisans  les  donne  a  grant  largesce, 
Mais  pareceux  n'ont  d'elle  bief  ne  vin, 
Dont  mainte  gent  muèrent  en  grant  destresce  : 

3o        II  n'est  chose  qui  ne  viengne  a  sa  fin. 

En  Décembre  fueilles  cheoir  veons 
D'arbres,  de  prez  et  venir  la  froidure  ; 
Es  chaux  foyers  pour  ce  nous  retraions, 
Qui  a  de  quoy,  et  qui  non,  si  endure. 
35        Recorder  fault  sa  foie  nourreture, 

a.  Présomption.  —  b.  Nous  pique.  —  c.  Mûrit. 


BALADES  379 

Ses  maulx  soufrir.  De  legier  se  courresse  a 
Homs  en  ce  temps  qui  de  mal  sent  l'appresce  b 
Et  li  chéent  par  viellesce  li  crin  ; 
Ainsis  s'en  vont  roys,  ducs,  conte  l  et  contesse  : 
Il  n'est  chose  qui  ne  viengne  a  sa  fin.  40 

Janvier,  Février  sont  neges  et  glaçons  2, 
Ceuls  sont  de  l'an  la  fin  froide  et  obscure; 
En  cel  aage  la  teste  blanche  avons, 
En  déclinant  vers  nostre  sépulture  ; 
Nous  sommes  lors  chargans  et  plains  d'ordure  45 
280  b  Hors  du  doulz  May  de  joie  et  de  leesce. 
La  vient  la  Mort  qui  sonne  nostre  messe, 
Car  riens  qui  naist  n'eschive  son  chemin 
Qui  par  ce  pas  sa  voie  ne  radresce  : 
Il  n'est  chose  qui  ne  viengne  a  sa  fin.  5o 


l'envoy 


Prince  3,  empereurs,  rois,  dames  et  barons, 

Religieus,  peuples,  considérons 

Que  tuit  sommes  du  monde  pèlerin 

Et  qu'en  passant  nous  y  trespasserons; 

Faisons  donc  bien  et  le  mal  eschivons  :  55 

Il  n'est  chose  qui  ne  viengne  a  sa  fin. 

1.  contes.  —  2.  neges  glaces  et  glaçons.  —  3.  Princes 
a.  Se  met  en  colère.—  b.  L'oppression. 


380  BALADES 


D 


MLXXVIII 

Autre  Balade. 
(//  ne  faut  jamais  mentir.) 

(epuis  qu'uns  homs,  de  quelqu'estat  qu'il  soit, 
N'a  vérité  et  ne  tient  son  convent  a, 
Sa  conscience  et  son  honneur  déçoit, 
Menteur  se  fait,  son  parler  n'est  que  vent, 

5  Chascun  le  fuit  comme  homme  decevent  ; 

Laisse  a  mentir,  soit  homme  véritable, 
Et,  s'il  promet,  soit  sa  parole  estable, 
Sanz  varier;  mentir  est  lait reprouche; 
Promette  pou,  et  ne  soit  mensongable: 

10       Ait  homs  toudis  bonnes  mains,  bonne  bouche. 

Car  uns  frans  cuers  s'attent  a  ce  qu'il  oit 
Et  met  son  corps  en  grant  péril  souvent 
Pour  promesse  d'aucun  qui  le  conjoit  b 
Jusqu'il  l  ait  fait  le  service  ou  cilz  tent 

i5        Qui  lui  promist,  or  le  va  exploitant, 
Puis  le  defuit,  ne  lui  est  agréable, 
Vir  c  ne  le  veult;  lors  tout  cuer  honourable 
Het  tel  menteur,  et  son  mentir  reprouche;  285  c 
L'en  fuit  son  fait  comme  homme  decevable  : 

20       Ait  homs  toudis  bonnes  mains,  bonne  bouche  2. 

Quant  plus  grans  est,  plus  de  honte  reçoit 

i.  Jusques  il  ait  — ■  2.  et  bonne  bouche. 

a.  Sa  promesse. —  b.  Qui  le  caresse.  —  c.  Voir. 


BALADES  38 1 

Homs  qui  promet  s'il  n'acomplist  :  il  ment, 

Car  chascun  scet  sa  villenie  et  voit, 

Puis  qu^l  puet  bien  faire  l'aquittement  a\ 

Mais  qui  promet  et  acomplist  briefment,  25 

Chascun  le  suit,  s'a  renom  proufitable, 

Chascun  lui  est  au  besoing  secourable, 

Tout  noble  cuer  le  compaigne  et  approche, 

L'autre  est  hay  ;  conclusion  finable  :  l 

Ait  homs  toudis  bonnes  mains,  bonne  bouche.  3o 


l'envoy 


Prince,  menteur,  robeur  ne  ravissable  b 

Ne  doit  estre  homs,  ne  l'avoir  a  sa  table; 

Princes  qui  soit  en  son  hostel  nel  couche  ; 

Tiengne  convent,  soit  aux  bons  amiable, 

Ne  face  nul  chose  deshonnourable,  35 

Ait  homs  toudis  bonnes  mains,  bonne  bouche. 


MLXXIX 

Autre  Balade  *. 
(Sur  les  gens  qui  volent  le  trésor  royal.) 


u 


ns  preudoms  fut  en  un  villaige 
Qui  devoit  donner  a  disner 


'  Publiée  par  Tarké,  tome  I",  page  ioy. 
i.  finale. 

a.  Car  il  peut  bien  s'acquitter.  —  b.  Voleur  ni  ravisseur. 


382  BALADES 

A  un  homme  de  son  linaige  a\ 
Si  ot  fait  fèves  atourner  b 

5  Au  lart,  mais  quant  il  fist  drecier  c, 

Les  fèves  trouva  seulement 
Sanz  le  lart;  lors  dist  a  sa  gent  : 
«  Je  feray  de  vous  grant  essart!  d  » 
L'un  respont  :  «  Faictes  autrement; 

10  «  Saichiez  qui  a  mangié  le  lart!  285  d 

—  Certes,  voirement  e  le  sçaray  je. 

Vous  me  voulez  deshonourer, 

Qui  ostez  le  gras  du  potaige, 

De  quoy  je  me  doy  gouverner. 
i5  Ailleurs  m'avez  peu  desrober 

En  bief,  en  vin;  on  donne,  on  vent  : 

Je  vois  trop  bien  appercevant 

Que  j'ay  perdu,  mais  c'est  trop  tart  : 

Et  si  m'avez  tuit  fait  serment  I 
20  Saichiez  qui  a  mangié  le  lart  ! 


\ 


—  Maistre,  »  dist  l'un,  «  vous  estes  saige  : 

«  Sur  chascun  devez  regarder  ; 

«  La  cresse/de  char  par  usaige 

«  En  chaleur  ne  se  puet  celer.  » 
25  Lors  regarda,  si  vit  fumer 

Le  sain  de  l'un;  adonc  le  prant, 

De  sa  mauvestié  le  reprant, 

Au  juge  l'envoya  a  part 

Pour  faire  justice,  en  disant  : 
3o  «  Saichiez  qui  a  mangié  le  lart!  » 


a.  Parenté.  —  b.  Apprêter.  —  c.  Servir.  —  d.  Destruction,  puni- 
tion. —  e.  Vraiment.  — /.  La  graisse. 


BALADES  383 


l'envoy 

Prince,  maint  sont  mal  gouvernant 

Sur  finances  d'or  et  d'argent 

Qui  en  prannent  plus  que  leur  part  ; 

La  gresse  a  leur  bouche  leur  part, 

S'acquestent  et  vont  maisonnant  A  :  35 

Saichiez  qui  a  mangié  le  lart! 


MLXXX 

Autre  Balade  *. 

(Qui  veut  s'élever  trop  haut,  tombe.) 

Aune  grant  court  tresnotable 
Alay  pour  vir  seoir  les  gens 
Dont  maint  se  mistrent  a  la  table, 
Les  uns  lourdes,  les  autres  gens  b\ 
Mais  la  fut  uns  petiz  sergens  5 

Qui  aises  sist  sur  basse  selle  c  ; 
Or  ne  lui  souffisoit  pas  celle, 
Une  autre  mist  sus,  qu'il  va  querre  ; 
Mais  il  chut,  en  cheant  sur  elle  : 
De  deux  celles  le  cul  a  terre.  io 


'  Publiée  par  Tarbé,  tome  I*',page  i32. 

a.  Ils  achètent  et  bâtissent  des  maisons.  —  b.  Les  uns  lourdauds, 
les  autres  gentils.  —  c.  Qui  était  à  son  aise,  assis  sur  une  chaise 
basse. 


384  BALADES 

A  maint  fut  ce  fait  agréable, 
Chascun  s'en  rit  ;  la  ot  venans 
Qui  pour  ceste  chose  muable 
Sont  les  .11.  celles  agrapans  a; 
1 5  Sus  se  sirent.  «  Las  !  moy  repans,  » 

Dist  cilz  qui  chut,  «  caille  ay  prins  belle, 
«  Bien  déçus  suy  par  ma  cautelle  *; 
«  Qui  bien  est,  s'il  se  muet,  il  erre  : 
«  Gheus  suy,  par  folie  nouvelle, 
20  «  De  deux  celles  le  cul  a  terre.  » 

Cest  exemple  est  bien  recitable 

Et  moral  pour  pluseurs  servans 

Qui  ont  office  proufitable 

Et  qui  sont  autres  convoitans, 
2  5  Puis  sont  l'un  et  l'autre  perdans. 

Au  petit  ru  c  boit  teurterelle 

Plus  aise  qu'en  rivière  isnelle  d, 

Son  I  nif  e  en  lieu  moien  enserre  : 

Cheoir  ne  veult,  par  hault  voul  d'aelle  /, 
3o  De  deux  celles  le  cul  a  terre. 

L  ENVOY 

Prince,  estre  doit  chascuns  contens 
De  son  estât  selon  son  sens, 
Il  ne  fait  pas  bon  trop  acquerre 
Ne  vouloir  monter  es  haulz  rens 
35  Dont  chéent  les  plus  acquerans  286  b 

De  deux  celles  le  cul  a  terre. 

1 .  Lun. 

a.  Saisissant  les  deux  chaises.  —  b.  Rose.  —  c.  Ruisseau.  —  d 
Rapide.  —  e.  Nid.  — /.  Par  haut  vol  d'aile. 


BALADES  385 


MLXXXI 

Balade. 
(Les  grands  états  sont  dangereux.) 

Mieulx  vault  mangier  du  potaige  et  des  chos  •, 
Estre  vestu  d'un  gros  drap  de  villaige, 
En  labourant  soy  tenir  ront  et  clos  *, 
Sur  son  bestail  vivre  de  labouraige 
Moiennement,  en  son  petit  mesnaige,  5 

Franc  de  son  corps  en  seurté  et  en  l  pès  c, 
Qu'estre  en  paour  en  un  riche  paies 
Et  monter  hault  pour  descendre  trop  bas  ; 
Car  es  hauls  lieux  sont  les  vens  trop  mauves  : 
Perilleus  sont  par  tout  les  grans  estas.  10 

—  Pour  quoy  ?  —  Pour  ce  que  pou  a  de  repos 

En  telz  estas,  car  homme  n'est  si  saige 

Qu'il  ne  faille  2  soufrir  de  divers  mos  ; 

Tant  face  bien,  on  lui  met  sus  la  raige, 

Et  se  l'en  voit  qu'il  soit  riche  a  oultraige  d,        1 5 

Envie  aqueurt  e;  on  dit  qu'il  s'est  meffès/ 

Vers  le  seigneur,  en  une  heure  est  deffès, 

De  son  honeur  vitupérez  et  mas  8  ; 

Aient  advis  a  ces  poins  clers  et  lès  h  : 

Périlleux  sont  par  tout  les  grans  estas.  20 

1.  en  manque.  —  3,  ne  lui  faille. 

a.  Choux.  —  b.  Tranquille  et  enfermé.  —  c.  En  sûreté  et  paix. 
—  d.  Excessivement.  —  e.  Accourt.  —  /.  Qu'il  a  commis  un  mé- 
fait. —  g.  Blâmé  et  déchu.  — -  h.  Clercs  et  laïques. 

T.  V  25 


386  BALADES 

Car  .lx.  ans  régner,  a  mon  propos, 
En  hault  degré  tant  le  cuer  n'assouaige  a 
Com  le  cheoir  tourmente  cuer  et  dos, 
En  un  moment,  en  bas  du  hault  estaige. 

2!>        Homs  de  labour  vit  d'eufs  et  de  frommaige, 
S'il  prant  en  gré,  autre  estât  n'ait  jamès  ; 
Enviez  n'est,  couru  sus  ne  detrès  b, 
Comme  les  grans,  joieus  vit  sanz  debas. 
Saiges  sont  ceuls  de  telz  perilz  retrès  c  : 

3o       Perilleus  sont  par  tout  les  grans  estas.  286  c 

l'envoy 

Prince,  bon  fait  vers  Dieu  estre  devos, 
Vivre  du  sien;  avoir  du  peuple  los  d 
Pour  eschiver  pluseurs  périlleux  cas 
35        Qui  adviennent  a  pluseurs  comme  fols, 
Pour  les  estas  de  viandes,  de  rosts1  : 
Perilleus  sont  par  tout  les  grans  estas. 


MLXXXII 

Rondeau. 
{Eloge  de  la  médiocrité.) 

Ne  désire  nulz  les  hauls  lieux 
Ne  les  trop  bas,  mais  le  moien, 
Et  il  lui  sera  tousjours  bien. 

i.et  de  rosts. 

a.  N'est  agréable  au  cœur.  —  b.  Tiraillé,  déchiré.  —  c.    Qui  se 
retirent.  —  d.  La  louange. 


BALADES 


387 


A  mon  jugement  c'est  le  mieulx 
Et  le  plus  seur  au  derrien  : 
Ne  désire  nulz  les  hauls  lieux, 

Car  les  hauls  lieux  sont  périlleux, 
Les  trop  bas  de  foible  merrien. 
Pran  entre  deux  et  la  te  tien  : 
Ne  désire  nulz  les  hauls  lieux. 
Ne  les  trop  bas,  mais  le  moien.  l 


MLXXXIII 

Autre  Rondel. 
(Amoureux.) 

Puis  que  Soûlas,  Joie  et  Déduit 
Veulent  mener  joieuse  vie, 
Ne  soit  nulz  qui  le  contredie. 

Cornez  a,  menestrelz,  faictes  bruit, 
Resbaudissiez  b  la  compaignie, 
Puis  que  Soûlas,  Joie  et  Déduit 
Veulent  mener  joieuse  vie  K 

Jousteurs,  tournoieurs,  venez  tuit, 
Heraulx,  criez  a  chiere  lie  : 
Chascuns  face  bien  pour  s'amie, 
Puis  que  Soûlas,  Joie  et  Déduit 
Veulent  mener  joieuse  vie  K 

i.  Ce  vers  manque. 

a.  Sonnez  du  cor.  —  b.  Réjouissez. 


10 


10 


388  BALADES 

MLXXXIV 

Autre  Rondel. 

CONTRAIRE 

Doleur,  Paine,  Ennuy  et  Tristesse      286  d 
Ne  veulent  joie  ne  soûlas 
Ne  déduit,  fors  crier  :  helas  ! 

Trop  sont  en  obscure  fortresse 
5  Prins,  et  tenus  en  divers  las  ; 

Doleur,  Paine,  Ennuy  et  Tristesse 
Ne  veulent  joie  ne  soûlas  h 

Et  encore  ce  qui  plus  les  blesse 
Est  d'ouir  feste  hault  ne  bas, 
Et  pour  ce  je  tien  qu'en  tel  cas, 
10  Doleur,  Paine,  Ennuy  et  Tristesse 

Ne  veulent  joye  ne  soûlas. 


MLXXXV 

Balade. 
(Le  conseil  ne  suffit  pas,  il  faut  V  exécution.) 


L 


es  aveugles  que  fonda  saint  Loys, 
Qui  .xv.  vins  sont  en  une  maison, 


1.  Ce  vers  manque. 


BALADES  38g 

Voient  du  cuer,  des  oeulx  sont  esbloys  a  ; 
D^ulx  pourchacier  b  ont  manière  et  raison 
Sanz  vir  des  oeulx,  et  en  toute  saison  5 

Quierent  par  sens  ce  qui  mestier  c  leur  est, 
D'exécuter  leur  bon  advis  sont  prest, 
Et  si  ne  vont  quelque  part  fors  en  doubte  d; 
Bien  font  leurs  faiz  ;  or  regardez  que  c'est  : 
Maint  ont  grans  oeulx  et  si  ne  voient  goûte!     10 

Car  au  conseil,  mais  qu'ilz  soient  oys, 
Scevent  monstrer  tout  ce  qui  seroit  bon, 
Mais  il  convient,  comme  dist  la  souris, 
Vir  qui  pandra  la  cloquette  au  mynon  e. 
C'est  trop  bien  dit,  pour  quoy  ne  le  fait  on?      i5 
Pour  ce  que  foulz  de  parole  s'apest/; 
Sentence  est  rien  sanz  mettre  a  fin  Tarrest. 
Que  vault  conseil  qui  avant  ne  le  boute  s? 
Tout  ne  vault  rien  puis  qu'exécutez  n'est  : 
Maint  ont  granz  oeulx  et  si  n'en  voient  goûte  !  20 

287  a  Considerans  et  voyans  les  perilz, 

Le  feu  ardant  auprès  de  leur  maison 

Sanz  résister,  de  négligence  esprins  A, 

D'exécuter  ne  sera  jamais  hom 

Embesongniez;  nous  nous  entroublion  25 

Et  un  autre  de  noz  robes  se  vest 

Qui,  diligens,  par  force  nous  devest 

Executans  son  fait  a  pou  de  route  * , 

Sanz  long  conseil,  dont  ce  mot  me  desplaist  : 

Maint  ont  grans  oeulx  et  si  n'en  voient  goûte!  3o 

a.  Troublés.  —  b.  De  se  conduire.  —  c.  Ce  dont  ils  ont  besoin. 
—  d.  Avec  précaution.  —  e.  Qui  pendra  la  sonnette  au  chat,  allu- 
sion à  une  ballade  de  Deschamps,  publiée  sous  le  numéro  VIII, 
tome  I,  pages  i5i-i52.  — /.  Se  repaît.  —  g.  Qui  ne  le  pousse 
plus  avant,  qui  ne  l'exécute.  —  h.  Pris.  —  i.  A  petit  bruit,  sans 
grande  compagnie. 


3ç)0  BALADES 


L  ENVOY 

Prince,  soiez  a  veoir  ententis  at 
Brief  en  conseil,  executans  toudis 
Ce  qui  est  bon,  car  tel  chose  reboute 
L'emprinse  et  mal  de  pluseurs  ennemis. 
35        Ouvrons  nos  oeulx,  que  ne  soions  laidis  : 

Maint  ont  grans  oeulx  et  si  n'en  voient  goûte  ! 


MLXXXVI 

Balade. 
(Comparaison  de  l'Etat  avec  une  tour.) 


s 


ur  trois  pilliers  ay  fondé  une  tour 
De  matere  si  fort  et  si  durable, 
Ronde  dehors,  et  de  si  grant  haultour 
Qu'elle  est  sanz  fin,  qui  vouldra  perdurable  b, 

5  Ne  homs  mortelz  que  par  Tengin  du  diable 

Ne  la  pourroit  rompre  ne  trebuchier  c, 
Ne  diable  encor  ne  la  puet  approuchier 
Se  la  garde  du  lieu  ne  s'i  consent  : 
Donc  doit  chascun  celle  tour  avoir  chier, 

10       Qui  ces  pilliers  et  leur  nature  sent. 

L'un  est  fondé  d'amer  son  creatour, 
Et  le  second  de  justice  tenable, 

a.  Attentif.  —  b.  Eternelle,  si  on  le  veut.  —  c.  Renverser. 


BALADES  3g l 

Le  tiers  qu'on  ait  de  ses  subgiez  l'amour, 
287  b  En  eulx  gardant  la  voie  raisonnable. 

Sur  ces  pilliers  fut  ceste  tour  estable  a  i5 

Par  treslong  temps,  or  la  voy  eslochier  b. 

—  Pour  quoy?  —  Pour  ce  que  j'ay  veu  clochier  c 

Le  chastellain  et  contre  l'innocent, 

Dont  de  pitié  doit  le  cuer  approuchier 

Qui  ces  pilliers  et  leur  nature  sent.  20 

Quant  on  les  voit  changier  en  deshonour, 

Dieu  non  doubter,  Justice  estre  muable, 

Que  la  brebis  se  pert  par  le  pastour, 

Qu'om  eslieve  le  pécheur  decevable, 

Qu'om  het  le  bon,  qu'om  nuist  au  véritable,     2  5 

Et  qu'om  ne  veult  fors  que  l'or  acrochier, 

Cela  des  lors  fîst  la  tour  desrochier  <*, 

•Fendre  et  frémir,  qui  par  ce  se  desment e, 

Que  chascuns  dust  des  princes  redrecier, 

Qui  ces  pilliers  et  leur  nature  sent.  3o 

l'envoy 

Princes,  pensez  et  de  nuit  et  de  jour 

Aux  trois  pilliers,  lesquelz  vostre  ancesour  l 

Gardèrent  bien,  Charlemaine  et  Rolant, 

Ou  autrement  tout  cherra  en  destour  : 

Dont  tout  homme  doit  avoir  grant  dolour         35 

Qui  ces  pilliers  et  leur  nature  sent. 


t.  anceseur 


a.  Etablie.  —  b.  Ébranler.  —  c.  Manquer.  —  d.  Disjoindre.  -*-  e. 
Détruit. 


E 


392  BALADES 


MLXXXVII 

Chançon  Royal. 
(Dieu  punit  le  peuple  qui  pèche.) 

n  un  pais  avoit  une  fontaine 
Qui  tant  par  lui  comme  par  ses  ruisseaulx, 
Habondamment  faisoit  la  terre  plaine 
D'erbes,  de  grains,  de  vins,  de  fruiz  nouveaux, 

5  De  volailles,  de  bestes  et  d'oiseaulx, 

Et  pour  ce  estoit  de  grant  peuple  peuplée, 
Franche  en  tous  cas,  en  justice  gardée,         287  c 
De  grant  renom,  doubtant  Dieu,  mais  la  tesche  a 
De  convoiter  et  pechier  Fa  gastée, 

10       Car  Dieu  partout  pugnit  peuple  qui  pèche 

Par  long  temps  fut  la  la  demeure  saine, 
Aux  estrangiers  estoit  le  pais  beaux, 
Pour  ce  que  loy  s'i  gardoit  souveraine, 
Foy  et  amour,  humilité  entr'iaulx  b. 

i5        Chascuns  Pâma;  paix,  festes  et  reviaulx  c 
Regnoit  adonc  ;  la  terre  fut  doublée  d 
Et  d'elle  aussi  mainte  autre  conquestée  ; 
Mais  ce  conquest  pieça  deffault  et  sèche 
Par  l'ire  Dieu  qui  est  sur  eulx  tournée, 

20       Car  Dieu  partout  pugnit  peuple  qui  pèche. 

Pour  ce  qu'en  temps  quHlz  orent  grant  demaine, 


a.  La  tache,  le  vice.  —  b,  Entr'eux.   —  c.  Plaisirs,  divertisse- 
ments. —  d.  Redoutée. 


BALADES  393 

Pechié  de  char  et  orgueil  vint  en  eaulx, 

Haine  aussi,  division  mondaine, 

Convoitise,  tous  vices  desloyaulx, 

Despiter  Dieu,  destruire  1  gens  loyaulx;  25 

Justice  et  loy  fut  par  eulx  défoulée, 

Et  Dieu  leur  a  grant  guerre  suscitée 

Qui  tous  mauvais  en  leur  pais  alesche  a, 

Leur  chief  soubmet  et  destruit  leur  contrée  : 

Car  Dieu  partout  pugnit  peuple  qui  pèche.       3o 

Par  sang  crueux,  non  pas  extrait  de  vaine, 

Donne  leurs  chars  aux  champs  et  leurs  boyaulx, 

Mors  et  occis,  par  vengence  soudaine, 

Viande  aux  loups,  aux  chiens  et  aux  pourceaulx; 

Commocions  entre  les  jouvenceaulx  35 

Et  le  peuple  est  par  division  née; 

Du  père  au  fil  est  traison  trouvée, 

Le  feu  se  met  partout,  par  ardant  mesche, 

Et  l'Eglise  est  polute  et  violée, 

Car  Dieu  partout  pugnit  peuple  qui  pèche.       40 

287  d  Franchise  fault,  car  Teaue  premeraine 

Se  prant  et  vent  en  trop  divers  vaisseaulx, 

Dont  les  brebis  derTaillent  de  leur  laine, 

Des  prez,  des  blez  descroissent  les  monceaulx  ; 

Le  labour  fault,  car  ne  sçay  quelz  louviaux     45 

Ont  trop  celle  eaue  et  sa  vois  estoupée  *; 

Courir  ne  puet,  tout  va  a  la  hapée  c 

Si  qu'en  brief  temps  ne  sera  buef  a  crèche  : 

Dont  l'en  verra  seignourie  muée, 

Car  Dieu  partout  pugnit  peuple  qui  pèche.        5o 

1.  destruit. 

a.  Attire.  —  b.  Bouchée,  fermée.  —  c.  A  la  saisie. 


394  BALADES 


LENVOY 


Prince  mondain,  soit  ceste  eaue  avisée 
Et  franchement  au  peuple  divisée. 
S'il  se  repent,  nul  du  mal  ne  s'entesche  a\ 
Amour,  pité  soit  en  nos  cuers  fichée  : 
55        Courons  a  Dieu  de  cuer  et  de  pensée, 

Car  Dieu  partout  pugnit  peuple  qui  pèche; 


L 


MLXXXVIII 

Balade. 
[Tout  se  détruit.) 

y  airs,  ly  temps,  ly  ans,  ly  .xn.  moys, 
Arbres,  les  prez  et  les  .«il.  saisons, 
Les  mons,  les  vaulx,  les  terres  et  les  bois, 
Gens  et  bestaulx,  les  oyseauls  et  poissons, 

5  Les  semences,  les  vignes,  les  moissons, 

Tout  ce  qui  est  au  dessoubz  de  la  lune 
Change  et  se  muet  par  diverse  fortune, 
En  délaissant  son  propre  mouvement  ; 
Dont  chascun  dit,  et  aussi  fait  chacune  : 

io       Tout  se  destruit  et  ne  scet  on  comment. 

Ly  airs  est  chaulz  quant  il  deust  estre  froys, 
Et  la  froidour  pour  la  chalour  avons, 

a.  Ne  se  rende  coupable. 


BALADES  3g5 

Les  jours  sont  cours  et  longs  aucune  fois, 
288  a  Et  autrement  que  veu  ne  les  avons; 

Arbres  chetif,  es  prez  n'a  que  chardons,  1 5 

Et  des  saisons  ne  semble  l'autre  l'une  ; 
Gens  sont  petiz,  mauvais,  plains  de  rancune, 
Bestaulx,  oysiaulx,  de  povre  fondement 
Poissons  menuz,  semence  maigre  et  une  a  : 
Tout  se  destruit  et  ne  scet  on  comment l.  20 

Vignes  valent  petit  et  leur  explois  *, 

N'elles  n'ont  pas  profitables  boissons; 

Les  blez  qu'on  queult  c  s'empirent  soubz  les  toys 

Ou  en  la  grange,  et  pou  en  requeillons; 

Pour  amasser  chevance  traveillons  ;  25 

Convoitise  est  entre  nous  trop  commune, 

Despitez  est  qui  grant  avoir  n'aune  rf, 

Monter  voulons  jusques  au  firmament, 

Sanz  foy  garder  a  aucun  n'a  aucune  : 

Tout  se  destruit  et  ne  scet  on  2  comment.  3o 

l'envoy 

Princes,  certes  les  maulx  que  nous  faisons 

Font  minuer  les  biens  dont  nous  parlons 

Pour  nous  pugnir,  et  c'est  droit  jugement. 

A  bien  faire  désormais  entendons, 

De  nostre  cuer  amons  Dieu  et  servons  :  35 

Tout  se  destruit  et  ne  scet  on  comment. 

1.  Tout,  etc.  —  2.  on  manque. 

a.  Qui  ne  fructifie  pas.  —  b.  Leur  rapport.  —  c.  Récolte.  —  d. 
N'amasse. 


N 


3g6  BALADES 


MLXXXIX 

Autre  Balade. 
[Il  faut  penser  à  son  salut.) 

ulz  ne  pense  au  bien  souverain 
N'a  la  joye  perpetuele, 

N'au  tourment  de  Tarne  soudain 

Qui  advient  par  euvre  mortele 
5  De  pechié,  par  mort  naturele 

Du  corps  corrumpu  corrompable, 

Que  char  et  monde  est  decevable 

Et  qui  trespasse  en  un  moment, 

Ces  deux  le  temptent  et  le  diable:  288  b 

10  Pensons  de  nostre  sauvement. 

Car  nous  avons  juge  certain 

Et  nostre  cause  est  criminele; 

En  nous  sont  tuit  pechié  villain, 

La  poursuite  continuele 
1 5  De  faire  mal,  vie  cruele, 

Haultaine,  envieuse  et  dampnable, 

Larrecineuse  f  et  convoitable 

Maine  chascun  communément 

Sanz  craindre  Dieu  ;  soyons  estable, 
20  Pensons  de  nostre  sauvement. 

Les  signes  nous  monstrent  a  plain 
Du  ciel  et  de  la  terre,  quele 


a.  Voleuse. 


BALADES  397 

Mutacion  vient  par  la  main 

De  Dieu  pour  nostre  corruptele  a  ; 

Veue  ne  fut  vengence  tele,  25 

Car  guerre,  mort,  faulte  nuisable 

De  tous  biens  et  fin  périssable 

De  ce  monde  verrons  briefment 

S'a  Dieu  ne  sommes  racordable  b  : 

Pensons  de  nostre  sauvement.  3o 

l'envoy 

Princes,  laissons  Testât  muable 

Du  monde  ;  a  la  fin  pardurable 

Advisons  bien  et  saigement  ; 

Faisons  toute  euvre  charitable, 

Doubtons  le  juge  espouentable  \  35 

Pensons  de  nostre  sauvement. 


MXC 

Autre  Balade. 
(Chacun  va  à  sa  fin.) 

e  cours  de  ceste  vie  humaine 
N'est  c'un  petit  trespassement 
288  c      Quant  au  corps  qui  a  mort  nous  maine, 
Et  je  vous  monstreray  comment. 


L 


1.  Le  hault  juge  espouentable 

a.  Corruption.  —  b.  Si  nous  ne  nous  réconcilions  avec  Dieu. 


398  BALADES 

5  Car  puis  qu'om  a  eutendement, 

On  désire  Yver,  puis  Esté, 
Qu'il  soit  jour,  qu'il  soit  avespré, 
Pasques,  Toussains,  la  Saint  Martin, 
Panthecouste,  Printemps,  Noé  a  • 

1  o  Ainsis  va  chascuns  a  sa  fin . 

Car  la  char  de  misère  plaine, 
Dès  qu'elle  naist  a  mourir  prant 
Pour  sa  corrupcion  mondaine, 
Par  viellesce  ou  par  accident  ; 

14  Mais  Tesperit  perpétuent 

Que  Dieu  a  en  corps  inspiré 
Désire  qu'il  soit  séparé 
De  la  char  ou  trop  est  enclin, 
Pour  vivre  en  pardurableté  : 

20  Ainsi  va  chascuns  a  sa  fin. 

La  poursuite  du  corps  est  vaine, 
La  mort  nous  vient  soudainement  ; 
Diable,  la  char,  le  monde  \  paine 
De  tout  mener  a  dampnement; 

25  Passons  donques  dévotement 

Ce  pas  qui  est  tant  redoubté, 
Amons  Dieu,  faisons  a  son  gré, 
Prenons  du  ciel  le  hault  chemin; 
Tuit  li  grant  roy  sont  trespassé  : 

3o  Ainsis  va  chascuns  a  sa  fin. 


I.  se  paine. 
a.  Noël. 


BALADES  399 


MXCI 

Autre  Balade. 
(Ce  que  Justice  devrait  être  à  la  cour.) 

288  d      P\ont  viens  tu?  —  De  la  court  du  roy, 

\*J  Ce  dist  Justice  a  Congnoissance. 

—  Es  tu  de  l'ostel?  —  Mieulx  que  toy. 

—  Donc  y  as  tu  pou  de  puissance, 
Car  se  ne  sont  gens  de  finance  5 
On  n'y  congnoist  droit  ne  raison  ; 
L'ostel  maines  par  la  maison, 
Aux  offices  puez  commander, 
Mais  pour  toy  ne  fait  un  bouton  : 
Tu  deusses  tout  faire  trembler.                       10 

—  De  mon  acort  ame  n'y  voy; 
Folie  y  est,  Oultrecuidance  ; 
Envie  y  a  la  dent  sur  moy, 
Quant  servir  vueil,  Barat  s'advance; 
Larrecin  brait,  Orgueil  me  tance  ;  i5 
Se  pour  mefFait  y  est  prins  hom, 
Tantost  est  mis  hors  de  prinson, 
Toudis  font  ces  maulx  pardonner. 

—  S'en  faiz  tantost  pugnicion  : 
Tu  deusses  tout  faire  trembler.  20 

—  Je  ne  puis.  —  Or  me  dy  pour  quoy. 

—  Car  a  tu  n'es  pas  de  m'aliance. 
Fay  congnoistre  droiture  et  loy 
Au  souverain.  Je  n'ay  fiance 

a.  C'est  que. 


400  BALADES 

25  Qu'en  toy,  car  ceste  demonstrance 

T'appartient  de  ton  propre  nom. 

De  princes  tout,  veillent  ou  non, 

Les  mauvais,  tout  feray  bransler, 

Car  en  mal  on  ne  chiet  par  don. 
3o  —  Tu  deusses  tout  faire  trambler. 

l'envoy 

Prince,  pour  faire  obéissance  28g  a 

A  Dieu, devez  par  atrempance  a 
Justice  et  Congnoissance  amer, 
Droiture  faire  a  la  balance. 
35  Quier  pour  ce  faire  escu  et  lance  : 

Tu  deusses  tout  faire  trambler. 


MXCII 

Autre  Balade. 


(La  loyauté  ne  se  trouve  pas  à  la  cour,) 

Qui  veult  perdre  sens  et  entendement, 
.  Oublier  Dieu  et  vivre  en  grant  misère, 
Envie  avoir,  courroux,  paine  et  tourment, 
Voist  ou  li  fils  detrairoit  b  a  son  père, 
La  fille  aussi  y  trairoit  sa  mère 
Pour  querre  l  honeur  et  l'avoir  devant  eulx, 


1  Quérir. 

a  Tempérament»—  b.  Nuirait. 


BALADES  40 I 

Car  en  honeur  veult  chascuns  estre  seulx; 
C'est  aux  grans  cours,  telz  sont  les  curiaulx  a  ; 
Le  demourer  pour  l'ame  y  est  doubteux, 
Qu'a  b  grant  paine  sont  gent  de  court  loyaulx.  10 

Et  se  bon  sont  en  leur  advenement 

Et  qu'ilz  aient  l'entente  vraie  et  clere 

Au  bien  commun,  a  bon  gouvernement, 

Leur  voulenté  change  et  devient  amere 

En  un  moment,  car  quant  d'estat  se  père  c         iS 

L'un  d'eulx,  tantost  devient  presumptueux,     . 

Et  lors  se  joint  et  se  conseille  a  ceulx 

Qui  ont  ravi  terre,  argent  et  joyaulx 

Pour  taire  voir  ;  c'est  uns  lieux  périlleux, 

Qu'a  grant  paine  sont  gent  de  court  loyaulx.     20 

Et  je  vous  puis  assez  monstrer  comment: 
Car  ou  li  uns  appelle  l'autre  frère, 
Il  le  traist  par  derrier  faintement  d 
Et  le  blandist  afin  qu'amis  appere  e 
Pour  décevoir,  puis  lui  fait  le  cuir  rere  /,  25 

28g  b  Car  des  estas  sont  trestouz  envieux 

L'un  sur  l'autre;  la  n'a  vray  cuer  piteux, 
Ainçois  runge  tout  jusques  aux  boyaux, 
Et  sanz  pité.  Dieux  nous  gart  de  telz  leux, 
Qu'a  grant  paine  sont  gent  de  court  loyaulx.     3o 

l'envoy 

Prince,  bon  fait  quérir  son  sauvement 

Et  corrigier,  comme  anciennement, 

Les  meurs  mauvais  de  celles  et  de  ceaulx 

Qui  gouvernent  les  cours  communément, 

Qu'a  grant  paine  sont  gent  de  court  loyaulx.    35 

a.  Courtisans.  —  b.  Car  à.  —  c.  Se  pare,  —  d.  Faussement.  —  e. 
Paraisse.  —  f.  Raser. 

T.  V  a6 


402  BALADES 

MXCIII 

Autre  Balade. 
(Qui  veut  tuer  son  chien  l'accuse  de  la  rage.) 


Q 


ui  ayme  bien  ne  croit  pas  de  legier  a 
Que  son  ami  lui  voulsist  nul  mal  faire, 
Ne  qu'il  vouldroit  contre  lui  pourchacier  b\ 
Mais  au  jour  d'uy  sont  maint  de  tel  affere, 

5  Et  ont  le  cuer  si  lasche  et  si  contraire 

A  fermeté  de  vray  et  bon  amour 
Qu'ilz  se  glacent  et  quierent  la  rumour 
A  ce  qu'amer  deussent,  s'ilz  fussent  saige, 
En  diffamant  leur  ami  ;  c'est  folour  : 

i  o       Qui  son  chien  het,  on  li  met  sus  la  raige. 

Et  comment  puet  un  loial  cuer  cuidier 
Que  vray  ami  se  voulsist  contrefaire, 
Qui  prest  ne  fust  pour  son  ami  aidier? 
Puis  qu'amis  est,  il  se  lairoit  detraire  c 

1 5        A  bons  chevaulx,  ains  qu'il  voulsist  retraire 
De  son  ami  ou  l  blasme  ou  deshonour  ; 
Mais  cil  qui  croit  pour  néant  tel  errour 
A  cuer  coulant,  et  cuide  estre  volaige  d, 
Gomme  le  sien,  cuer  d'ami  plain  d'onnour  :  28g  c 

20       Qui  son  chien  het,  on  lui  met  sus  la  raige. 

Las  !  quel  péril  de  croire  losangier  e 

1.  ou  manque. 

a.  Légèrement.  —  b.  Se  mettre  en  concurrence   avec  lui.  —  c. 
Tirer.  —  d.  Inconstant.  —  e.  Médisant,  menteur. 


BALADES  40 3 

Sur  son  ami!  Cil  vault  pis  que  Macaire 

Le  traitreux,  quant  il  point  par  derrière; 

On  le  devroit  a  un  gibet  deffaire  ; 

A  toutes  gens  doit  un  menteur  desplaire,  25 

Car  par  son  fait  vient  haine  et  tristour, 

Perte  d'amis,  tous  maulx,  toute  dolour; 

Diable  ont  menteurs  si  fort  mis  en  usaige 

Qu'om  voit  par  eulx  et 1  de  nuit  et  de  jour  : 

Qui  son  chien  het,  on  lui  met  sus  la  raige.        3o 

l'envoy 

Prince,  bon  fait  le  cuer  avoir  entier, 

Sanz  contre  ami  croire  ainsis  en  derrier; 

Du  losangier  eschivés  le  langaige 

Et  en  tous  temps  tenez  vostre  ami  chier, 

On  ne  doit  pas  encontre  lui  clochier  :  35 

Qui  son  chien  het,  on  lui  met  sus  la  raige. 


MXCIV 

Balade. 
(Contre  les  menteurs.) 

Le  droit  signe  de  perdre  seignourie, 
Varier  loy,  royaume  anientir, 
Est  quant  l'en  fait  gouverner  Menterie 
Et  qu'estât  ont  ceuls  qui  scevent  mentir. 


1.  et  manque. 


404  BALADES 

5  Car  telz  menteurs  font  les  cuers  départir 

De  vraie  amour  ou  Menterie  règne 
Et  du  seigneur  en  délaissant  son  règne, 
Quant  il  eslist  pour  Vérité  Mençonge. 
Lors  se  destruit  comme  firent  li  Sesne  a  : 

10       Si  je  di  voir,  ne  cuidiez  que  je  songe. 

Car  en  telz  gens  n'a  fors  que  tricherie,         288  d 
Qui  au  seigneur  et  au  peuple  sentir 
Font  par  leur  art  que  la  terre  yert  b  perie 
Quant  a  nul  bien  ne  veulent  assentir  c. 

1 5        A  tart  venrront  li  prince  a  repentir 

D'eulx  bailler  frain  qui  a  si  longue  resne, 
Auquel  l'en  deust  donner  trasce  de  chesne  d 
En  hault  levé  et  de  corde  une  longe, 
Ou  les  getter  dedenz  le  fleuve  d'Esne  e  : 

20       Si  je  di l  voir,  ne  cuidiez  que  je  songe. 

Par  telz  menteurs  toute  terre  apovrie  /, 
Si  ne  puet  plus  Dieux  leurs  péchiez  soufrir, 
Qu'a  leur  seigneur  meismes  font  tricherie, 
Pour  ce  les  veult  nostre  Seigneur  pugnir, 

25        Perdre  le  corps,  la  povre  ame  honnir; 

Comme  forfaiz,  pis  mourront  que  d'alesne  £", 
Plus  lapidez  seront  que  saint  Estene  A, 
De  leurs  tourmens  n'aront  respit  n'alonge  *  ; 
De  leur  avoir  ne  donrroye  un  seul  fresne  : 

3o        Si  je  di  voir,  ne  cuidez  que  je  songe. 

l'envoy 
Princes,  mentir  est  trop  grant  villenie, 

1.  dis. 

a.  Saxons.  —  b.  Sera.  —  c.  Consentir.  —  d.  Billot  de  bois  de 
chêne.—  e.  L'Aisne.—  /.  Devient  pauvre.—  g.  De  piqûres  d'alênes. 
—  h.  Saint  Etienne.—  1.  Retard. 


BALADES  405 

Et  Veritez  est  des  loyaulx  amie  ; 

C'est  de  douçour  et  d'amisté  Tesponge, 

Qui  fait  régner  les  seigneurs  en  partie, 

Et  mentir  fait  des  bons  la  départie  a  :  35 

Si  je  di  voir,  ne  cuidez  que  je  songe. 


MXCV 

Autre  Balade  \ 

[Contre  les  généraux  de  finance.) 


o 


|U  j'arderay  b  tous  les  livres  que  j'ay, 
Qui  ont  traitté  de  vertus  et  de  vices, 
Ou  en  brief  temps  le  jugement  verray 
Des  granz  menteurs  qui  tiennent  les  offices 
2go  a  Qui  ne  leur  sont  a  gouverner  propices,  5 

Qui  destruisent  par  mentir  leur  seigneur, 
Qui  sont  riches,  et  si  n'ont  riens  du  leur 
Fors  de  ravir  sur  le  bien  communal, 
Desquelz  je  sens  approuchier  la  doleur, 
Et  qui  sont  il?  —  Ce  sont  li  gênerai  c.  10 

Autres  gens  n'ont  en  ce  monde  le  glay  d, 
Hz  ont  passé  d'abondance  les  lices, 
D'or  et  d'argent  ont  tant  que  je  ne  sçay 
Qui  nombreroit  le  coust  des  édifices, 


*  Cette  ballade  est  différente  du  »•  DCCXCIV  publié  dans  le  tome  IV,  pa- 
ges 3o3~3o4,  bien  que  le  refrain  soit  le  même. 

a.  Le  parti.  —  b.  Ou  je  brûlerai.  —  c.  Les  généraux  de  finances. 
—  d.  Le  plaisir,  la  joie. 


406  BALADES 

i5        De  leurs  chasteauls  et  maisons.  Bien  sont  nices  a 
Ceuls  qui  mettent  gens  de  pou  de  valeur 
En  tel  estât,  et  qui  vivent  du  leur 
Si  grandement  que  tout  s'en  porte  mal, 
Dont  en  la  fin  mourront  a  deshonneur  : 

20       Et  qui  sont  ilz?  —  Ce  sont  li  gênerai, 

Sur  lesquelz  voy  approuchier  le  hahay  *, 
Car  d'or  sera  et  d'argent  grant  esclipces 
Par  Povreté,  et  le  gast  c  que  veu  ay 
Faire  a  iceuls;  si  devenrront  nourrices, 

25        Car  ilz  rendront  ce  que  leur  avarices 
A  rapine,  et  cherront  en  fureur 
Du  souverain,  qui  par  loy  de  rigueur 
Ne  leur  laira  la  vaillance  d'un  pal  d 
Pour  leurs  péchiez  et  leur  mauvese  erreur  : 

3o        Et  qui  sont  ilz?  —  Ce  sont  li  gênerai. 

l'envoy 

Prince,  comment  osent  gens  de  labeur, 
De  petit  lieu,  de  nul  sens,  tel  foleur 
Entreprandre,  s'ilz  ne  sont  bien  loyal  ? 
Pour  les  regnans  n'y  voy  bonne  couleur 
35        Fors  que  la  mort  qui  leur  vient  a  l  doleur  : 
Et  qui  sont  ilz  ?  —  Ce  sont  li  gênerai. 

i.  vient  paine  et  doleur 

a.  Sots.  —  b.  La  douleur,  la  peine.  —  c.  Dégât.  —  d.     La  valeu 
d'un  pieu,  c'est-à-dire  rien. 


BALADES  4O7 

MXCVI 

Autre  Balade 
[Contre  la  fausseté  des  gens  de  cours.) 


2 90  h      /^^\ui  sont  ceuls  qui  aux  cours  roiaulx 
V^.  Ont  ordonnance  et  retenue? 
Les  bons,  les  saiges,  les  loyaulx, 
Pour  ce  est  la  court  bien  maintenue; 
Chascun  s'i  ayme,  retenue  5 

N'y  est,  chose  que  l'en  ne  paye, 
On  y  sert  Dieu  d'entente  vraye, 
La  est  Veritez  sanz  mençonge, 
Pitié,  Charité  s'i  essaye... 
J'ay  menti  ;  je  croy  que  je  songe.  1  o 

Car  pluseurs  en  y  a  de  ciaulx 

Dont  chascuns  d'eulx  les  biens  mangue 

D'autrui  sanz  paier  ;  telz  morseaulx 

Sont  de  cygongne  et  non  de  grue; 

L'un  fiert  devant  et  l'autre  rue  i5 

Par  derrier,  li  uns  l'autre  abaye  a, 

De  la  langue  chascun  s'i  playe  *, 

Venin  s'i  baille  sanz  esponge, 

Bons  n'y  vient  qu'on  ne  le  délaye  c... 

J'ay  menti  ;  je  croy  que  je  songe.  20 

Il  n'y  a  plus  nulz  cuideriaulx  d, 


a.  Aboyé.  —  b  Blesse,  fait  des  plaies.  —  c,  Qu'on  ne  le  remette. 
—  d.  Présomptueux,  fats. 


408  BALADES 

Ne  homme  de  grant  esternue  a, 
Grans  parleurs  sur  les  faiz  nouveaulx, 
Petiz  faiseurs  en  leur  venue, 

25  Ne  moqueurs  de  la  gent  chanue  *, 

Ne  convoiteux  qui  a  lui  traye, 
Par  jangler,  vaisselle  et  monnoye, 
Terre,  argent,  or,  et,  par  la  longe, 
Cheval,  harnoys,  ou  archegaye... 

3o  J'ay  menti  ;  je  croy  que  je  songe. 

l'envoy 

Princes,  tout  est  jusqu'aux  boyaulx  2g 0  c 

Cerchié  a  court,  or  et  joyaulx  ; 
Chascunsqui  puet  y  pince  et  ronge, 
Escoufles  c,  renars  et  louveaulx  ; 
35  Mais  mains  d'eulx  y  lairont  les  peaulx... 

J'ay  menti  ;  je  croy  que  je  songe. 


MXCVII 

Balade. 
(Sur  les  vices  du  temps.) 

Tresdoulz  amis,  mais  qu'il  ne  vous  desplaise, 
Des  nouvelles,  s'il  vous  plaist,me  ■  comptez. 
—  Tresvoluntiers.  Je  ne  voy  personne  aise 

i.me  manque. 

a.  De  grande  situation.  —  b.  Chenue,  vieille.  —  c.  Espèce  de 
milan,  oiseau  de  proie. 


BALADES  409 

Et  qui  ne  soit  mas  et  desconfortez  : 

Deux  pappes  sont  de  pluseurs  gens  portez,  5 

Dont  il  convient  ou  que  l'un  ou  l'autre  erre, 

Et  pour  ce  avons  d'ame  et  de  corps  grant  guerre; 

Or  se  gart  donc  qui  l'inimistié  maine  l  ; 

Car  qui  vourra  sur  ce  vérité  querre, 

Tout  yra  bien. —  Et  quant?—  L'autre  sepmaine.  1  o 

Homme  ne  voy  qui  envers  Dieu  s'appaise, 
L'en  vent  ses  biens  qui  estoient  donnez 
Aux  povres  clers,  du  temps  de  saint  Nycaise  ; 
Par  symonie  est  ly  mons  gouvernez, 
Bons  clers  n'ont  rien,  chetis  sont  eslevez  1 5 

Par  prières  ou  par  don  qui  enferre  a, 
D'argent  ou  d'or,  de  joyaulx  ou  de  serre, 
Princes,  prelas,  qu'Avarice  demaine; 
Mais  se  Raison  fraintleur  orgueil  et  terre, 
Toutyrabien. —  Etquant? — L'autre  sepmaine.  20 

Nostre  vie  est  orde,  laide  et  punaise, 
Justice  fault,  raisons  et  equitez; 
Es  trois  climas  d'Europe,  Aufrique  et  Ayse, 
Luxure  court,  orgueil,  toute  viltez, 
Convoitise,  toute  desloyautez,  25 

2go  d  Sanz  craindre  Dieu,  en  chemin  d'enfer  erre  ; 
Chascun  y  va,  qui  bien  en  veult  enquerre, 
Dont  de  doleur  le  povre  cuer  me  sayne  ; 
Mais  qui  vouldra  Dieu  par  pitié  requerre, 
Tout  yra  bien.-—  Et  quant  ?  —  L'autre  sepmaine.  3o 

l'envoy 
Prince,  quant  cil  m'ot  ces  maulx  racontez 

1  demaine. 

a.  Qui  enchaîne. 


41 0  BALADES 

Et  les  péchiez  dont  chascun  est  temptez, 
Esbahy  fu,  et  pour  fuir  la  paine, 
Ly  demanday  se  nous  serions  dampnez  : 
35        II  dist  :  oil,  mais,  se  vous  repentez, 

Toutyra  bien,  —  Et  quant?  —  L'autre  sepmaine. 


MXCVIII 


E 


Autre  Balade. 
(La  richesse  arrive  trop  tard.) 

n  ce  doubteus  pelerinaige 
De  ceste  mortel  vie  humaine 
A  moult  de  péril  et  de  raige 
Et  de  la  mort  heure  incertaine, 

5  Traveil,  desplaisir,  doleur,  paine 

D'acquérir  avoir  et  chevance, 
Renommée  avoir  et  puissance; 
Et  lors  qu'on  cuide  estre  plus  hault, 
Ont  pluseurs  mort  et  pestillence, 

io  Car  quant  avoir  vient  et  a  corps  fault. 

En  jeune  temps  se  fait  oultraige 
Qui  maint  homme  a  deshoneur  maine  ; 
Ou  moien  b  quiert  l'un  heritaige, 
L'autre  va  en  guerre  soudaine, 
i5  L'un  va  par  mer,  l'autre  par  plaine, 

a.  Voilà  que.  —  b.  Dans  l'âge  moyen. 


BALADES  41 I 

L'autre  met  en  fust  d'une  lance  a 
Sa  vie,  l'un  par  bien  s'avance, 
L'autre  non,  car  ne  lui  en  chault  ; 
2gi  a    Vivons  donc  tuit  a  souffisance 

Car  quant  avoir  vient  et  corps  fault.  20 

Grant  traveil  ont  pour  vivre,  sai  ge, 

Ainçois  que  leur  bourse  soit  plaine 

Ly  noble  homme  de  hault  couraige 

Qui  b  Fortune  en  mains  lieus  pourmaine 

Pour  los  avoir  ;  chascun  d'eulx  paine;  25 

Les  marchans  ont  moult  de  pesance, 

Serviteurs  de  maie  meschance; 

Or  ont  l'avoir,  et  lors  leur  sault 

Goûtes,  maladie  ou  grevance  : 

Car  quant  avoir  vient  et  corps  fault.  3o 

l'envoy 

Prince,  il  fait  tresbon  dès  s'enfance 

Congnoistre  Dieu,  avoir  plaisance 

A  vivre  en  honeur  qui  moult  vault, 

Liement,  en  bonne  espérance, 

Sanz  trop  de  biens,  sanz  mendiance,  35 

Car  quant  avoir  vient  et l  corps  fault. 


I  le. 

a.  Au  bois  d'une  lance,  —  b.  Que  la  fortune  promène  en  maints 
lieux. 


412  BALADES 


MXC1X 

Autre  Balade. 
(Heureux  l'homme  qui  est  indépendant.) 


L 


y  homs  qui  a  de  Dieu  principalment 
Des  biens  mondains,  son  estât,  sa  chevance, 
Par  son  labeur,  par  bon  gouvernement, 
Par  clergie,  par  servir,  par  vaillance, 

5  Par  ses  amis,  d'ancienne  puissance, 

En  succédant  a  eulx  selon  les  drois, 
Sanz  offices  de  princes  et  de  roys, 
Et  sanz  leurs  dons,  doit  Dieu  bien  gracier, 
Car  joieux  vit  et  frans  selon  les  loys  : 

10       Telz  homs  doit  bien  son  Dieu  remercier, 

Pour  les  âmes  prier  dévotement 

Des  trespassez,  sanz  mettre  en  oubliance 

Les  biens  qu^m  a  par  leur  trespassement,  2gi  b 

Art  ou  mestier  pour  vivre  a  souffisance 

i5        Sanz  court  suir  ne  la  desordonnance 
Ou  Envie  grieve  homme  mainte  fois; 
La  devient  sers,  dolereux  et  destrois  a, 
Si  vault  de  Dieu  mieulx  estre  officier, 
Car  qui  le  sert  humblement  a  son  chois, 

20       Telz  homs  doit  bien  son  Dieu  remercier. 

Car  il  est  hors  de  paine  et  de  tourment, 
a.  Tourmenté. 


BALADES  41 3 

De  grant  dangier,  de  mainte  desplaisance, 

Et  n'est  tenu  fors  a  Dieu  seulement 

Des  biens  qu'il  a  ;  autres  sont  en  balance, 

Gréez  d'autrui,  mais  cilz  que  nulz  n'avance      2  5 

Et  vit  du  sien,  s'il  est  doulz  et  courtois, 

Vit  seurement  sanz  seoir  en  hault  doys  «, 

Et  sanz  paour  qu'il  doie  trebuchier  : 

Qui  ainsis  fait,  s'il  est  humbles  et  frois, 

Telz  homs  doit  bien  son  Dieu  remercier.  3o 

l'envoy 

Princes,  li  homs  qui  vit  de  pourveance 

En  son  labour,  et  qui  met  atrempance  b 

Sur  son  estât,  a  tousjours  plain  grenier  ; 

Il  règne  en  paix,  en  joie  et  en  plaisance 

Sanz  estre  sers;  qui  a  tele  ordonnance,  35 

Telz  homs  doit  bien  son  Dieu  remercier. 


a.  Taille  due  au  seigneur.  —  b.  Modération 


414  BALADES 


H 


MC 

Autre  Balade. 
(Devoirs  des  princes.) 

onourer  Dieu,  doubter  et  obéir, 
Le  bien  commun  et  son  prochain  amer, 
Largesce  avoir  pour  les  bons  remerir, 
Pugnicion  et  justice  garder 

5  Sur  les  mauvais  doit  sanz  dissimuler 

Tout  franc  seigneur  et  gouverneur  de  terre    2çi  c 

Quérir  la  paix  et  eschiver  la  guerre 

A  son  pouoir,  sanz  avoir  convoitise 

Des  biens  d'autrui,  n'estrange  avoir  acquerre; 

10       Servir  a  Dieu,  bien  régner  lui  souffise. 

Car  faire  ainsi  est  pour  terre  tenir, 
Bon  peuple  avoir,  son  pais  augmenter, 
Soy  faire  en  bien  de  ses  voisins  cremir, 
Moiennement,  sanz  soy  trop  eslever, 
1 5        Ne  ses  subgiez  contre  droit  requérir, 
De  son  pais  et  de  ses  gens  enquerre, 
Pour  oster  ceuls  ou  avarice  est  prinse 
Ou  cas  villain  ;  s'ainsi  ne  fait  il  erre  : 
Servir  a  Dieu,  bien  régner  lui  souffise. 

20        De  tous  péchiez  doit  son  corps  abstenir 
Et  bon  exemple  a  ses  subgiez  donner  ; 
Mieulx  en  feront,  et  les  pourra  pugnir 
Plus  justement,  se  mal  veulent  ouvrer; 
Des  prodommes,  sy\\  en  puet  recouvrer, 


BALADES 

2  5        Ait  devers  lui  et  saiges,  c'est  la  serre  a 
Qui  les  pais  et  les  royaumes  serre 
Si  qu'on  n'y  puet  fere  villaine  emprise. 
Tous  ces  poins  doit  princes  tenir  et  querre  : 
Servir  a  Dieu,  bien  régner  lui  souffise. 


4i5 


L  envoy 

3o        Princes,  qui  veult  en  ce  monde  régner 
Doit  tous  ses  faiz  selon  Dieu  ordonner, 
La  loy  garder,  défendre  saincte  Eglise, 
Aux  soufraiteux  et  povres  aumosner  b 
De  son  avoir,  saincte  vie  mener. 

35        Servir  a  Dieu,  bien  régner  lui  souffise. 

a.  La  serrure.—  b.  Faire  l'aumône  aux  pauvres  et  aux  indigents. 


TABLES 


T.  V 


27 


TABLE 


DES 


MATIERES   DU    CINQUIEME   VOLUME 


Ballades. 


DCCCXXXII. 
DCGGXXXIII. 
DCCCXXXIV. 

DCCCXXXV. 

DCGCXXXVI. 
DCGCXXXVII. 

DGCCXXXVIII. 

DCCCXXXIX. 

DGCCXL. 

DCCGXLI. 

DCCCXLII. 

DCCCXLIII. 

DGCGXLIV. 

DCCCXLV. 

DCGCXLVI. 

DCCCXLVII. 


Pages. 

Regrets  d'avocats i 

Il  faut  être  bien  portant  pour  plaire.  2 

Gontre  le  mal  de  dents 4 

11  ne  doit  plus   s'appeler  Eustache, 

mais  Brûlé  des  Champs 5 

Sur  le  désastre  de  la  ville  de  Vertus.  6 
Les  hommes  d'armes  sont  seuls  esti- 
més    7 

Raillerie  sur  une  dévote 8 

L'habit  ne  fait  pas  le  moine 9 

Un  de  perdu,  deux  de  retrouvés 10 

Sur  une  ordonnance  du  Roi 12 

Allégorie '  1 3 

Sur  les  différentes  manières  de  rire..  14 

Sur  les  différentes  manières  de  manger  1 5 

Doléances  de  la  ville  de  Vertus 17 

Utilité  de  l'écriture 18 

■  Pourquoi   Dieu  a-t-il   mis  un  grand 

cœur  dans  un  corps  chétif? 20 


420  BALADES 

DCCCXLVIII.  —  Pourquoi    Dieu    a-t-il   mis   un   petit 

cœur  dans  un  grand  corps 21 

DGGGXLIX.  —  Injures  contre  une  femme 22 

DGGGL.  —  Un  serviteur  fait  son  éloge 23 

DCGCLI.  —  Même  sujet  (1) 25 

DGCCLII.  —  Défauts  d'un  varlet 26 

DGGCLIII.  —  Une  dame  se  plaint  de  la  jalousie  de 

son  mari 27 

DCCCLIV.  —  Sur  les  mandemens  du  roy 29 

DGGGL V.  —  Conseil  de  ne  pas  se  rendre  aux  man- 
dements [i386-i  387] 3o 

DCCGLVI.  —  Injures  à  un  homme 32 

DCCCLVTI.  —  Sur  sa  détresse 33 

DGGGL VIII.  —  Les  bêtes  valent  mieux  que  les  gens.  34 

DGCGLIX.  —  Sur  sa  malechance 36 

DCCCLX.  —  On  ne  vaut  rien  si  on  ne  se  vante...  37 

DCCGLXI.  —  Il  faut  savoir  dissimuler 38 

DCGCLXII.  —  Sur  sa  pauvreté 3g 

DCCCLXIII.  —  Sur  les  maiours  de  Veucq.uessin 41 

DGCGLXIV.  —  Requête  aux  ducs  d'Anjou  et  de  Bour- 
gogne [1 38 1] 42 

DCCCLXV.  —  Sur  sa  vieillesse 43 

DGGGLXVI.  —  Balade  faicte  par  manière  de  suppli- 

cacion 45 

DGGCLXVII.  —  Comment    on    souloit   anciennement 

MOULT   HONOURER    LES    SAIGES  ET    AN- 
CIENS PLUS    QUE    ON   NE  FAIT   AU   JOUR 

d'ui.  —  Des  têtes  chauves  à  la  cour.  46 

DCCCLXVIII.  —  Sur  les  Anglais 48 

DGCGLXIX.  —  Contre  un  dépensier 49 

DGCCLXX.  —  Réponse  d'une  dame  à  des  proposi- 
tions   5o 

DCGCLXXI.  —  Adieux  à  Paris 5 1 

DCCCLXXII.  —  A  un  poète 53 

DCCCLXXIII.  —  Demande  d'un  cheval 54 

DCCCLXXI V.  —  Sur  une  coiffure  de  queue  de  martre.  55 

DCGCLXXV.  —  Sur  un  mariage  manqué 57 

DGGCLXXVI.  —  Sur  son  désir   de  rentrer  en  France, 

après  la  guerre  de  Flandre 58 

DCCCLXXVII.  —  Contre  les  maris  jaloux 59 

DCCCLXXVIII.  —  Sur  foul  cuidier 61 


1)  Même  ballade  que  la  précédente. 


TABLE    DES   MATIERES  421 
DCCCXXIX.  —  Sur    les    mandemens     faiz   pour   la 

GCERRE  DE    FRANCE 62 

DGCCLXXX.  —  Contre  les  mariages  disproportionnés.  63 

DCGCLXXXI.  —  Balade  d'amour  forsennée 64 

DCCCLXXXII.  —  Sur  la  guerre  entre  les  Anglais 66 

DCCCLXXXIII.  —  Vœu  pour  la  paix 67 

DCGCLXXXIV.  —  Ballade  en  picard 69 

DCCGLXXXV.  —  Sur   le   mariage  d'un   jeune  homme 

avec  une  vieille  femme 70 

DCCCLXXXVI.  —  Même   sujet,  allégorie 71 

DGCCLXXXVII.  —  Sur  son  varlet,  nommé  Jeannin 72 

DCCCLXXXVIII.  —  Contre  le  mariage 73 

DCGCLXXXIX.  —  Sur  sa  mauvaise  chance 75 

DCCCXC.  —  Deschamps  réclame  une  épée  promise 

à  Ardres 76 

DCCCXCI.  —  Demande  d'argent  pour  payer  la  dé- 
pense de  ses  chevaux 77 

DCCCXCII.  —  Le  femme  de  Giraudon  se  plaint  de 

son  mari 78 

DCCCXCII1.  —  Récit  d'une  aventure  à  Calais 79 

DCCCXCI V.  —  Sur  le  j eune  de  la  Barrée 81 

DCCCXCV.  —  Mauvais  emploi  des   mots 82 

DCGCXGVI.  —  Il  veut  mentir  puisque  chacun  lui  ment  83 
DCCCXGVII.  —  Supériorité  de   la  Champagne   sur  la 

Brie 84 

DCCCXCVIII.  —  Tout  va  au  rebours  de  la  raison 86 

DCCCXCIX.  —  Contre  les  exactions  des  routiers  ...  88 
DCCCC.  —  Il  ne  faut  pas  laisser  aller  sa  femme 

aux  fêtes 90 

DCCCCI.  —  Avis  aux  serviteurs  des  princes 91 

DCCCCII.  —  Maladie    d'argent    d'Eustache    Des- 
champs    93 

DCCCCIII.  —  Supplicacion.  —  Eustache  réclame  une 
houppelande  promise  par  le  duc  de 

Bourbon 94 

DCCCCIV.  —  Contre  les  chevaux  trop  jeunes g5 

DCCCCV.  —  Demande  de  bois  pour  l'hiver 97 

DCCCCVI.  —  Conseils  contre  l'hiver '     98 

DCCCCVII.  —  Contre  les  regards  mauvais 100 

DCCCCVIII.  —  Contre  un    savetier  devenu,  un  mo- 
ment, écuyer  et  brigand 10 1 

DCCCCIX.  —  Il  faut  pendre  les  malfaiteurs io3 

DCCCCX.  —  Contre  les  bandits io5 

DCCCCXI.  —  Requête  d'une  fiancée., 107 


42  2  BALADES 

DCCCCXII.  —  Vénalité  de  la  justice 109 

DGGGCXIII.  —  Sur   un   faux  brave  humilié   par  un 

moine m 

DCCCCXIV.  —  Plus  de  guerres u3 

DGCGCXV.  —  La   grandeur    et  la  richesse  ne  font 

pas  le  bonheur 1 1 5 

DCGCCXVI.  —  Eloge  de  la  largesse,  sauf  en  amour.  117 

DCCCCXVTI.  —  Eloge  de  l'épargne,  sauf  en  amour. . .  118 
DCCCCXVIII.  — Sur  sa  nomination   comme  bailli  de 
Senlis.  Jeux  de  mots  sur  le  nom  de 

Senlis 119 

DCGCCXIX.  —  Demande  au  prince  de  Bar  d'un  cheval 

promis  depuis  longtemps 121 

DGGGCXX.  —  Quand  reviendra  notre  roi  à  Paris? 

[1389] 122 

DCGCCXXI.  —  Plus  on  le  voit,  moins  on  le  prise...  124 

DCGCGXXII.  —  Contre  Brugaud 126 

DCCGGXXIII.  —  Contre  la  danse  au  son  du  chalumeau.  127 
DCCCGXXIV.  —  Guerre   de  J.   d'Armagnac  contre  J. 

G.  Visconti.  [i3g  1] 129 

DCCCCXXV.  —  Deschamps  demande  conseil  à  maître 

Mathieu  et  à  maître  Regnault 1 3o 

DCCCCXXVI.  —  Récit  d'une  aventure  amoureuse 182 

DCCGCXXVII.  —  Sur  l'ordre  de  la  Baboue 134 

DCGCCXXVIII.  —  Sur  sa  mauvaise  chance  et  sa  pauvreté.  i36 

DCGGCXXIX.  —  Contre  le  mariage 1 38 

DGCCCXXX.  —  Rondel  équivoque.  —  Jeu  d'esprit...  139 
DGGGGXXXI.  —  Autre  rondeau  équivoque.  —  Contre 

le  mariage 140 

DCCCGXXXII.  —  Campagne  d'Ecosse  (1) 140 

DCCCCXXXIII.  —  Décadence  du  temps  présent 142 

DCGCCXXXIV.  —  Conseils  donnés   par  une  dame  à  un 

jeune  homme 143 

DCCGCXXXV.  —  La  Règle  se  plaint  d'être  délaissée...  145 
DCGCGXXXVI.  —  Comment  le  premier  aage  fut  igno- 
rant, MAIS  LE  .VIIr.  A  PRESENT  EST  MA- 
LICIEUX, INIQUE,  LASCHE  ET  DECOURANT  147 

DCCCCXXXVII.  —  Comment  le  mendre  des  .vu.  ars  fondé 

SUR   PURE  CONVOITISE  REGNE  AU    JOUR 

D'UI  DE  TOUTES  PARS I  48 

DCCCGXXX  VIII.  —  D'arismetique 1 5o 

DCGCCXXXIX.  —  De  la  complainte  de  gramaire ibz 

(1)  Même  ballade  que  le  numéro  LXII,  tome  I,  page  i  56. 


TABLE   DES   MATIÈRES  42  3 

DGCCCXL.  —  Il  faut  faire  des  économies i53 

DCCGCXLI.  —  Comment  on  eslieve  au  jour  d'ut  mâle 

HERBE  EN  HAULT  ET  LAISS'ON  LA  BONNE   I  56 

DCCCCXLII.  —  Delà  grant  complainte  de  Babiloine.  i  57 
DCCCCXLIII.  —  Sur  tous  maulx  qui  régnent  en  chas- 

CUNE  COURT i5g 

DCGCCXLIV.  —  Le  bien  d'autrui  ne  profite  pas 160 

DCGGCXLV.  —  Rondeau.  Même  sujet 162 

DGGCCXLVI.  —  Comment  envies,  haines  et  convoitises 

DESORDONNÉES  REGNENT  AU   JOUR  D'UI 
PARTOUT l62 

DCCCCXLVII.  —  De  la  complainte  que  un  amant  fait 

A  SA  DAME  AMOUREUSEMENT I  64 

DCCCCXLVIII.  —  Balade    faicte    sur    la   division  et 

CISME    DE    L'EGLISE     QUI    EST  AU    JOUR 

D'UI   MOULT  TROUBLÉE  PAR  LA  LUNE..        l65 

DGGCCXLIX.  —  Comment  vérité,  charité  et  loyauté, 

FOY  ET  CREANCE  FONT  AU  JOUR  d'UY 

LE  CONTRAIRE  DE  LEURS  NOMS 167 

DGGCGL.  —  Sur  prodiges  et  corps  monstrueux.  .      168 
DCCCCLL  —  Sur  un  saint  corps  miraculeux  comme 

uns  loups..... 170 

DCCCGLII.  —  Sur  gouverneurs,  baillis  et  senes- 

CHAULX I7I 

DCCGCLIII.  —  On  ne  peut  être  aimé  de  tous 173 

DGCCGLIV.  —  Sur  envie  et  povreté 175 

DCCGCLV.  —  Parlant  d'un  monstre  nommé  Mino- 

taurus 176 

DCCGCLVI.  —  Précautions     que    doit    prendre    un 

prince  avant  d'entrer  en  campagne.      179 
DGCCCLVII.  —  Balade   qui  parle  des  estraines  du 

jour  de  l'an 1 8 1 

DCCCCLVIII.  —  Comment  le   chief   se  duelt  de  ses 
membres.  —  Demande  de  garder  le 

chaperon  sur  la  tête i83 

DCCCCLIX.  —  Ce  qui  est  violent  ne  dure  pas 184 

DCGCGLX.  —  Amoureuse.  —  A  une  dame 186 

DGCGCLXI.  —  Balade  faicte  par  Eustace  sur  la- 
mutacion  du  ciel  et  de  la  terre  et 
comment  Lucifer  trébucha  en  enfer 
par  son  orgueil  et  grant  presump- 

cion.  —  Double  chançon  royal 1 88 

DCCCGLXII.  —  Il  faut  tenir  sa  parole 192 

DGGCGLXIII.  —  Danger  d'aimer  en  trop  haut  lieu....      193 


4^4  BALADES 

DCCCCLXIV.  -—  Que  chacun  cherche  son  refuge......  ig5 

DGCGGLXV.  —  Comparaison  d'un  homme  vieux  avec 

une  vieille  selle  de  cheval 196 

DCGCCLX VI.  —  Sur  les  serviteurs 1  gg 

DCCCCLXVII.  —  On  n'est  connu  qu'après  sa  mort....  200 

DCCGCLXVIII.  —  Des  perilz  qui  sont  a  suir  la  court.  202 

DGGGGLXIX.  —  Vanité  de  la  vie  humaine 204 

DCCCGLXX.  —  Sur  l'estat  moyen 2o5 

DGGGCLXXI.  —  Sur  la  court  celestial 207 

DCCCCLXXII.  —  En  alléguant  Boece,  de  consolacion, 

COMMENT   IL   FUT  MOULT   CONSTANT    EN 
TRIBULACION  ET  DE  GRANT  RECONFORT.        20g 

DCCCCLXXIII.  —  Sur  les  estaz  moyens  et  qu'ilz  sont 

LES  PLUS   SEURS 211 

DGCGCLXXIV.  —  Amoureuse.  —  Souvenir  à  une  dame.      212 
DGGCGLXXV.  —  Injures  contre  une  femme  qui  l'avait 

trahi 214 

DCCCGLXX VI.  —  Morale.  —  Contre  le  mariage 216 

DGCGCLXXVII.  —  La    complainte  d'un   gentil    homme 
marié  en  aage  moien,  faicte  par  Eus- 

tace  par  maniere  de  balade 2  i  7 

DCCGCLXXVIII.  —  Comment  le  chief  se  plaint  moult 

DUREMENT  DE  SES  MEMBRES  I  C'EST  AS- 
SAVOIR l'église 219 

DGCCCLXXIX.  —  Contre  l'arithmétique 221 

DCGCCLXXX.  —  Touchant  le  royaume  des  François..      222 
DCGCGLXXXI.  —  Du   diluge  et  comment    les  quatre 
citez  fondirent.  —  Prédiction  d'une 

révolution  prochaine 224 

DCGGCLXXXII.  —  De  luxure  et  d'orgueil.  -—  Le  monde 

approche  de  sa  fin 226 

DCCCGLXXXIII.  —  Comment  toute  terre  qui  a  vaines 
d'or  et  d'argent  se  doit  moult  amer 
et  chierir  et  reclamer  plus  que 
Dieu,  car  nous  laissons  Dieu  pour 

acquerir  l'or  et  l'argent 227 

DCCCGLXXXIV.  —  Comment  les  flours  naissent.  —  Sur 

un  manuscrit  qu'on  lui  avait  pris..      229 

DCCGCLXXXV.  —  Sur  la  division  de  l'Eglise 23o 

DGCGCLXXXVI.  —  Tout  est  fondé  sur  convoitise 232 

DCCCCLXXXVII.  —  Morale  sur  le  conseil  du  roy 234 

DCCGCLXXXVIII.  —  Le  monde  va  de  mal  en  pis 235 

DGCCCLXXXIX.  —  Il  faut  penser  à  la  mort. . , 237 

DGCCCXG.  —  De  l'amour  que  homme  aajeunesce..      23g 


TABLE    DES   MATIÈRES  425 
DCCGCXGl.  —  Comment  nulz  homs  ne  se  doit    es- 

BAH1R  DE  CHOSE  QU'lL   VOYE 24O 

DGCCCXCII.  —  Sur  les  granz  estaz 242 

DCCCCXCIII.  —  Comment   on   honoure  au    jour  d'ui 

PLUS  L'ABIT  QUE  LE  PORTEUR  û'iCELLUI  244 

DCCCCXCIV.  —  Contre  l'orgueil 245 

DCCCCXCV.  —  On  ne  parle  plus  que  d'argent 246 

DCCCCXCVI.  —  Il  faut  des  e'poux  assortis 248 

DCCCCXCVII.  —  Sur  le  bon  temps  passé 249 

DCCCCXCVIII.  —  Même  sujet 25o 

DCCCCXCIX.  —  Contre  les  mécontents 2Ô2 

M.  —  Sur  l'office  des  huissiers  d'armes 253 

MI.  —  Il  faut  apprendre  en  tout  temps 255 

Mil.  —  11  faut  penser  à  la  miséricorde  de  Dieu.  256 

MIII.    —    DE  LA  GLOIRE  DES  ROYS 258 

MIV.  —  Heureux    sont   ceux   qui    n'ont    pas 

d'enfants  ! 25g 

MV.  —  Misères  du  temps  présent 261 

MVI.  —  Comment  tous  roys  et  princes  se  doi- 
vent   FAIRE     DOUBTER     ET     OBEIR     EN 

TOUS    CAS  (  i) 263 

MVII.  —  Sur  l'estat  de  cest  monde 265 

MVIII.  —  Amoureuse 267 

MIX.  —  Sur  pastours  qui  estoient  entre  Da- 

MERY  ET  ESPARGNAY 2Ô8 

MX.  —  Dumauvaisgouvernementduroyaume  271 
MXI.  —  Comment  les  bestes  ensuivent  mieulx 

LEUR  LOY  ET  CONGNOISSENT  LEUR  NA- 
TURE QUE  LES  HOMMES 2"]1> 

MXII.  —  Balade  qui  parle  sur  l'estat  de  re- 
ligion    276 

MXIII.  —  On  hait  les  gens  de  justice 278 

MXIV.  —  Causes  de  la  destruction  du  royaume.  27g 

MXV.  —  Il  faut  récompenser  les  bons  serviteurs  281 
MXVI.  —  L'humilité  des  grands  attire  le  coeur 

des  petits 282 

MXVII.  —  Le  bon  sens  n'est  pas  à  la  cour 284 

MX VIII.  —  Il  fait  bon  d'être  loin  de  la  cour '  285 

MXIX.  —  Tout  se  détruit  dans  le  monde 286 

MXX.  —  Sur  ce  qui  doit  advenir  [1 392]  (2). . . .  288 


(1)  Même  ballade  que  le  numéro  CCXCVI,  tome  II,  page  154. 

(2)  Même  ballade  que  le  n°  LXXXI,  tome  I,  pages  183-184. 


426  BALADES 

MXXI.  —  Conseil  de  fuir  la  cour 28g 

MXXII.  —  Dialogue  entre  deux  voleurs 2g  1 

MXXIII.  —  Eloge  de  la  tranquillité  d'esprit 292 

MXXIV.  —  Contre  Jehan  de  Saint-Symon 294 

MXXV.  —  Contre  quatre  mauvais  sujets 295 

MXXVI.  —  Dialogue 297 

MXXVII.  —  Sur  l'office  que  Deschamps  remplit  à 

la  cour 298 

MXXVIII.  —  Il  vaut  mieux  coucher  seul  qu'à  deux.  3oo 
MXXIX.  —  Sur  la  défense,  faite  par  le  médecin, 
d'assister  au  repas  du   roi,  au  châ- 
teau de  Beauté 3o2 

MXXX.  —  Cupidité  des  gens  de  cour 3o3 

MXXXI.  —  Assaut  de  politesse 3o5 

MXXXII.  —  Comment  il  faut  aimer 3o6 

MXXX1II.  —  Conseils  pour  réussir  à  la  cour 3o8 

MXXX1V.  —  Ainsi  va  le  monde 309 

MXXXV.  —  Sur   sa  maie  chance,  au   sujet   d'un 

accident  à  la  jambe 3 1 1 

MXXXVI.  —  Sur  les  ennuis  de  sa  charge  de  Bailli 

de  Senlis 3 1 3 

MXXXVII.  —  Voyage  des  princes  en  Lombardie...  3 14 
MXXXVIII.  —  Requête  de  Deschamps  au  pape,  afin 
d'obtenir  un  canonicat  pour  son  fils, 

Gillet  Deschamps 3 16 

MXXXIX.  —  Plaintes  de  l'Amant  (i)....r 3 18 

MXL.  —  Sur  le  départ  du  Roi 319 

MXLI.  —  Prophecie  des  doulours  qui  sont  ad- 
venir..    320 

MXLII.  —  Deschamps  se  plaint  que  ses   valets 

dépensent  trop  d'argent 324 

MXLIII.  —  Ballade  amoureuse 325 

MXLIV.  —  Chacun  fait  ce  qui  lui  plaît 326 

MXLV.  —  Que  Dieu  ait  pitié  de  nous  ! 328 

MXLVI.  —  Prophétie  de  Sybille 329 

MXLV1I.  —  Les  maîtres  de  Deschamps 33 1 

MXLV1II.  —  11  vaut  mieux  coucher  seul  qu'à  deux  (2)  332 

MXLIX.  —  Allégorie  à  la  vigne 334 

ML.  —  A  une  dame 335 

MLl.  —  Ballade  amoureuse 336 


(1)  Même  ballade  que  le  n°  DXXX1 V,  tome  III,  pages  372-373. 
(2]  Même  ballade  que  le  n°  MXXVIII,  pages  3ooet  3oi. 


TABLE  DES  MATIÈRES  427 

MLII.  —  L'amour  est  aveugle 338 

MLIII.  —  Sur  son  éloignement  d'une  dame  qu'il 

aime 340 

MLIV.  —  Chançon  baladée.  Amoureuse 341 

MLV.  —  Autre  chançon  baladée.  Sur  les  mœurs 

du  temps  présent 343 

MLVI.  —  Dialogue  entre  la  tête  et  le  corps .....  344 

MLVII.  —  Allégorie 346 

MLVIII.  —  Sur  les  vices  du  temps 348 

MLIX.  —  Préparatifs  pour  passer  en  Angleterre 

[1 386- 1387] 35o 

MLX.  —  Même  sujet  [1386-1087] 35 1 

MLXI.  —  Allusion  politique  à  un  jeu  de  quilles.  353 

MLXII.  —  Il  faut  toujours  mentir 354 

MLXIII.  —  Deschamps  renonce  à  corriger  les  gens.  356 

MLXI V.  —  Ballade  amoureuse 357 

MLXV.  —  Mendiant  d'amour 358 

MLXVI.  —  Le  monde  ne  se  corrige  pas 36o 

MLXVII.  —  Récit  d'une  aventure  galante 36i 

MLXVIII.  —  Injures 362 

MLXIX.  —  Heureux  qui  est  aveugle,  muet  et  sourd  364 

MLXX.  —  Des  moyens  de  parvenir  à  la  cour...  365 

MLXXI.  —  Questions  et  réponses 367 

MLXXII.  —  Le  monde  doit  bientôt  finir 370 

MLXXIII.  —  Même  sujet 371 

MLXXIV.  —  Que  la  paix  soit  rendue  au  monde  et 

à  l'Église 373 

MLXXV.  —  Danger  d'une  révolution  prochaine..  374 

MLXX VI.  —  Devoirs  des  bons  serviteurs 376 

MLXXVII.  —  Tout  finit 377 

MLXXVIII.  —  Il  ne  faut  jamais  mentir 38o 

MLXXIX.  —  Sur  les  gens  qui  volent  le  trésor  royal.  38i 

MLXXX.  —  Qui  veut  s'élever  trop  haut,  tombe..  383 

MLXXXI.  —  Les  grands  états  sont  dangereux... ..  385 

MLXXXII.  —  Rondeau.  Eloge  de  la  médiocrité....  386 

MLXXXIIl.  —  Autre  Rondel.  Amoureux 387 

MLXXXIV.  —  Autre  Rondel  contraire 388 

MLXXXV.  —  Le  conseil  ne  suffit  pas,  il  faut  l'exé- 

cution 388 

MLXXXVI.  —  Comparaison  de  l'État  avec  une  tour.  3go 

MLXXXVII.  -—  Dieu  punit  le  peuple  qui  pèche 3g2 

MLXXXVIII.  —  Tout  se  détruit 394 

MLXXXIX.  —  Il  faut  penser  à  son  salut 3q6 

MXG.  —  Chacun  va  à  sa  fin ....  • 397 


428  TABLE    DES   MATIÈRES 

MXCI.  —  Ce  que  Justice  devrait  être  à  la  cour.  399 

MXCU.  —  La  loyauté  ne  se  trouve  pas  à  la  cour.  400 
MXGIII.  —  Qui  veut  tuer  son   chien  l'accuse  de 

la  rage 402 

MXCIV.  —  Contre  les  menteurs 403 

MXCV.  —  Contre  les  généraux  de  finance 405 

MXCV1.  —  Contre  la  fausseté  des  gens  de  cour..  407 

MXCVII.  —  Sur  les  vices  du  temps 408 

MXCVIII.  —  La  richesse  arrive  trop  tard 410 

MXCIX.  —  Heureux  l'homme  qui  est  indépen- 
dant   4i3 

MC.  —  Devoirs  des  princes 414 

Table  des  matières  du  cinquième  volume 416 

Table  alphabétique  des  refrains  des  ballades  dans  le  cin- 
quième volume 426 


TABLE  ALPHABETIQUE 

DES 

REFRAINS  DES  BALLADES  CONTENUES   DANS  CE  CINQUIÈME 

VOLUME 


Adieu  Paris,  adieu  petiz  pastez  ! 5 1 

A  dire  voir,  c'est  pour  quoy  nous  amons 3o6 

Advise  cy  toute  noble  personne 179 

A  grant  moqueur  fault  grande  moqueresse 5o 

Aies  sur  ces  poins  ton  advis 143 

Ainsi  seront  tuit  mignez  mes  quevaulx 69 

Ainsi  va  chascun  a  sa  fin 397 

Ainsis  cilz  mondes  se  demaine. , 265 

Ainsis  va  des  choses  du  monde 309 

Aise  sont  ceulx  qui  n'ont  ne  filz  ne  fille  259 

Ait  homs  toudis  bonnes  mains,  bonne  bouche.   38o 

Alez  a  Dieu,  l'aumosne  est  faicte 358 

Alez  disner,  ce  dit  maistre  Regnault 3o2 

Amour  n'y  voy  fors  l'amour  de  Renart .'.  34 

Ancor  est  Dieu  ou  il  souloit 252 

Ancre,  cire,  pappier  et  parchemin 18 

Aussi  tost  vient  a  Pasques  limeçon 1 1 5 


B 

Bon  fait  sanz  court  vie  et  chevance  avoir 202 

Bon  temps,  ne  revendras  tu  mie  ?.. 149 

Bonne  et  belle,  gracieuse  et  courtoise * 267 


43o 


BALADES 


Car,  chascun  jour,  meschiet  il  qui  que  soit 3 1 1 

Car  de  telz  dons  voy  po  joir  nullui 192 

Car  Dieu  partout  pugnit  peuple  qui  pèche 392 

Car  en  tous  fault  que  jonesse  se  passe  ! 212 

Car  nulz  ne  veult  fors  que  parler  d'argent 246 

Car  on  ne  het  fors  les  gens  de  justice 278 

Car  quant  avoir  vient  et  corps  fault 410 

Car  tout  le  monde  me  fait  guerre 157 

Car  un  chascun  fait  du  sien  a  sa  guise 326 

Car  vostre  amour  trop  fort  au  cuer  me  touche 1 07 

C'est  Alixandre  le  poing  clos 49 

C'est  beau  gieu,  mais  qu'om  ne  te  voie  ! 291 

C'est  ce  qui  destruit  les  provinces 279 

C'est  de  dancier  au  son  des  chalemiaulx 127 

C'est  droitement  Jhesus  sur  une  pelé 9 

C'est  grant  péril  que  de  tant  amer  l'or 227 

C'est  li  règnes  de  paradis 207 

Ceuls  de  Brie  la  mousse  aux  Champenoys 84 

Char  a  espée  au  jour  d'uy  ne  vault  rien 1  g3 

Char  a  espée  ne  vault  rien 160 

Chiere  dame  qui  n'avez  vo  pareille 335 

Com  viel  roucin,  mourir  a  la  Saussaye 91 

Congié,  pour  Dieu,  d'avoir  noz  chaperons  ! 1 83 

Congnoissance  se  tient  trop  pou  a  court 284 

Convoitise  déçoit  et  foui  et  saige 73 

Corps,  doulz  amis,  dy  moy  donc  que  feray  ge  ? 344 

Crions  mercy,  demandons  grâce  et  paix  ! 256 


D'acort  commun  a  Rodelinguehem , 67 

De  ces  trois  bons  ne  vueil  nul  retenir 82 

De  deux  celles  le  cul  a  terre 383 

De  faulx  parler  et  de  mauvaise  envie 181 

De  jour  en  jour  vo  beauté  renouvelle 186 

De  mentir,  puisqu'on!  me  ment 83 

De  mes  seigneurs  d'Anjou  et  de  Bourgongne 42 

D'escrevice,  qui  en  alant  recule 35o 

Des  or  me  fault  jouer  a  l'esbahi ^4 


TABLE   ALPHABÉTIQUE  43  I 

D'estre  monarchie  muée 224 

De  tous  ces  maulx  est  servie  Vertus 17 

De  voluntiers  tenir  vostre  promesse 121 

Dieux  gart  les  veaulx  de  Veucquessin 41 

Dieux  nous  vueille  garder  et  Nostre  Dame  ! 204 

Dieux  nous  vueille  tous  getter  de  ta  main 168 

Donnez  leur  l'ordre  du  cordier 1  o3 

Dont  grant  doleur  vendra  prouchainement 374 

Durer  ne  peut  royaume  sans  justice  (1) » 2Ô3 

Du  temps  qui  court  ay  grant  merveille 273 


E 

En  disant  :  «  A  ce  coup  la  quille!  » 353 

En  cel  estât  puis  bien  servir  le  roy 29 

En  jeusne  amour  ne  se  doit  nul  fier 239 

En  tous  estas  et  par  tous  les  pais 209 

En  tous  temps  fait  bon  couchier  a  par  soy 3oo 

En  tous  temps  fait  bon  couchier  a  par  soy  (2) 332 

Entra  vous,  roys,  a  ces  poins  advisez 222 

Envie  est  en  cloistre  et  en  court 175 

Es  grans  cours  n'a  siège  qui  soit  certains 242 

Est  il  saiges  qui  ainsi  s>e  marie ? 63 

Et  a  tous  ceuls  qui  ont  pou  de  cheveulx 46 

Et  ce  sçavoir  nous  fait  Expérience 200 

Et  comment  feray  je,  comment? 145 

Et  de  putain  ne  face  ja  grenier.   118 

Et  lors  doivent  monarchies  changier « 329 

Et  panduz  soit  qui  ainsi  m'assena! 27 

Et  par  ce  convient  que  tout  fonde 234 

Et  qui  sont  il?  —  Ce  sont  li  gênerai 405 

Et  se  je  fail  je  doy  bien  dire  :  Helas! 61 

Et  si  n'est  nul  qui  en  ait  congnoissance ,.  370 

Eustace  dit  que  c'est  folie 129 

Excusez  vous  par  le  conseil  d'Eustace 62 


F 
Faittes  du  pis  que  vous  pouez 356 


(1)  Même  ballade  que  le  n°  CCXCV1,  tome  II,  page  1 54. 

(2)  Mêmes  ballades. 


432 


BALADES 


Faictes  sur  ce  vo  jugement 294 

Faisons  le  bon  plant  aluchier iï>6 

Fors  bouche  a  court,  senz  riens  mettre  dedens 12 


G 

Gardez  vos  brebis  pour  les  leux 346 

Garnissez  vous  avant  qu'iver  vous  fiere 98 

Geline,  oe,  ne  poucin  ne  chapon 88 

G'y  renonce  ;  a  Dieu  les  commans  ! 3o 


Haro  !  Haro  !  est  ce  bien  gracieuse  ? 8 

Humilité  attrait  le  cuer  des  gens.. 282 

Hurter  ne  veult  plus  a  mon  huis  derrière 78 


Il  a  tousjours  eufs  ou  pigons 81 

Il  fait  trop  bon  son  pain  en  paix  mangier 285 

Il  me  fault  coucher  sur  l'estrain 119 

Il  me  souffist  que  je  soie  bien  aise 292 

Il  n'est  chose  qui  ne  viengne  a  sa  fin 377 

Il  n'est  doleur  fors  que  le  mal  des  dens 4 

Il  ne  vault  rien  au  jour  d'ui  qui  ne  soufle 37 

Hz  ne  cèlent  rien  l'un  a  l'autre 295 

J 

Jamaiz  dame  forment  ne  l'aimera 2 

Ja  ne  deissent  sur  autrui  tel  goulée 7 

Ja  sur  mon  corps  n'en  cherroit  une  goûte 1 36 

J'aray  desor  a  nom  Brûlé  des  Champs 5 

J'ay  grant  paour  qu'om  ne  me  vueille  pandre 101 

J'ay  menti  ;  je  croy  que  je  songe 407 

Jehanne?  —  Nenil.  —  Le  vit  ne  te  veult  tendre i32 

Je  Tay  juré,  ne  m'en  parjurray  mie 64 

Je,  Mémoire,  scay  ce  que  Dieu  fist  estre 188 

Je  me  tue  et  si  ne  faiz  rien.... 36 


TABLE   ALPHABÉTIQUE  433 

Je  n'attens  riens  fors  que  mort  ou  mercy 3i8 

Je  n'en  vueil  point  ;  varlet  soit  il  au  diable  ! 26 

Je  ne  requier  fors  la  paille  d'amours 336 

Je  pri  a  Dieu  que  mal  feu  d'enfer  Tarde 22 

J'estoie  trop  mal  informez 109 

Je  suis  de  paupere  regno  : 3g 

Je  suis  perduz  quant  on  ne  boit  de  vin 58 

Je  vien  toudis  a  escourre  les  napes 75 

Je  vous  di  que  la  gist  le  lièvre 38 

Jusques  il  ait  verificacion 43 

Justice  fault,  loy  et  honneur,  a  plain 261 


L 

Labour  des  mains  et  hostel  de  mesnaige „ . . . .  2o5 

La  Folie  passe  le  Sens 271 

Languir  me  fault,  ma  dame  souveraine 164 

Las!  Et  de  lui  si  eslongié  me  voy  ! 340 

Le  crucefis  et  je  n'ont  que  .11.  crois 33 

Le  mal  que  j'ay  jusqu'après  la  Toussains g3 

L'en  leur  oste  leurs  drois  de  jour  en  jour 253 

Lerres  ne  croit  soy  mesmes  au  jour  d'ui 5g 

Les  autres  mois  vueil  faire  ma  besongne 33i 

Le  temps  toudis  m'est  tel  comme  il  souloit 36o 

Levez  vostre  queue,  levez  ! 48 

Lors  dis  :  Oil,  je  voy  vo  queue 7g 

Ly  Dieux  d'amours  qui  me  desvoye 338 

Ly  mondes  en  sera  perdus 147 


M 

Maint  ont  granz  oeulx  et  si  n'en  voient  goûte  ! 388 

Mais  a  présent  n'en  suis  pas  bien  d'acort 77 

Mais  au  jour  d'ui  ne  voy  régner  que  vice 142 

Mais  de  paour  les  voy  trambler 35 1 

Mais  des  .vi.  ars  voy  la  destruction 152 

Mais  encor  n'est  ce  pas  le  bout 162 

Mais  vous  qui  me  cuidez  maudire  ! 362 

Mal  chief  fait  les  membres  doloir 276 

Mauditte  soit  la  couille  de  Brugaut  ! 1 26 

Ment  donc  toudis  et  le  voir  vueilles  taire 354 

Mes  seigneurs,  j'oy  bien  que  vous  dites.  1 3 

T,  V  28 


434  BALADES 

Mieulx  que  n'a  fait  Jehannin,  varlet  Eustace 72 

Muez  vostre  verdeur  en  vin 334 


N 

N'autre  après  lui  jamais  ne  vueil  avoir 57 

Ne  face  nul  grant  largesee  d'amours 117 

Ne  plus  que  fait  une  bûche  vestue 244 

Nostre  sire  t'a  fait  grant  grâce! 364 

Nulz,  Dieu  mercy,  ne  me  scet  riens  apprendre 23 

Nulz,  Dieu  mercy,  ne  me  scet  riens  apprendre  (1) 25 


On  ne  puet  estre  amé  de  tous 173 

Onques  ne  vi  gens  ainsi  requinier i5 

Ont  pour  déduire  les  belles 3 14 

Or  devinez  qui  ce  puet  estre 1 70 

Or  gart  chascun  qu'il  n'y  soit  atrapé 217 

Or  ne  vueillez  vo  promesse  noier 76 

Or  quiere  chascun  son  refuge i  g5 

Or  se  gart  donc  qui  s'ara  a  garder 348 

Or  y  pensons  toutes  et  tuit 371 


Pardonnez  moy  se  j'ay  en  riens  failli 97 

Par  faire  mal  n'aprivois'on  pas  chien! 281 

Par  mon  conseil,  refusez  la  a  tous  ! 90 

Par  vous  s'en  est  tout  li  bon  temps  fuis 2  5o 

Pensons  a  la  fin  pardurable 237 

Pensons  de  nostre  sauvement 396 

Perdu  avons  nostre  saison 1 

Perilleus  sont  par  tout  les  grans  estas 385 

Pestillence,  guerre  et  mortalité 23o 

Plus  me  voit  on,  tant  suis  je  moins  prisiez 124 

Pou  dure  chose  violent 184 

Pour  ce  hair  doit  chascun  Mauregart 100 


(1)  Mêmes  ballades. 


TABLE   ALPHABÉTIQUE  435 

Pour  ce  mist  Dieux  en  gros  corps  petit  cuer 21 

Pour  ce  ne  doit  nulz  homs  amer  poulain g3 

Pour  ce  que  foui  ne  doubte  jusqu'il  prant 289 

Pour  ce  te  pri,  gardes  bien  ou  tu  vas  ! 6 

Pour  ce  vous  lo  porter  queue  Je  martre 55 

Pour  l'amour  Dieu,  envoiez  moy  requerre 3 1 3 

Pour  un  perdu  j'en  ay  deux  retrouvez  ! 10 

Pour  quoy  mist  Dieux  grant  cuer  en  povre  pense  ? 20 

Prions  a  Dieu  que  vers  nous  se  rapaise!. 328 

Puis  que  je  voy  vouloir  régner  la  lune i65 


Qu'a  grant  paine  sont  gent  de  court  loyaulx  ! 400 

Qu'ainsi  est  il  pieça  prédestiné 288 

Quant  me  souvient  du  doulz  département 325 

Quant  on  baille,  je  faiz  des  crois 298 

Quant  régner  voy  le  mendre  des  .vu.  ars 1 5o 

Quant  revendra  nostre  roy  a  Paris  ! 122 

Que  ce  semble  le  ris  d'un  cardinal 14 

Que  grant  proufit  de  la  court  vous  venrra 3o8 

Que  la  dance  est  durement  retournée 235 

Que  le  monde  approuche  sa  fin 226 

Que  mon  cuer  noyé  en  larmes  et  en  plours 357 

Que  pour  noz  maulx  la  fin  du  monde  approche 167 

Que  prandre  rumoreus  n'yvrongne 199 

Que  telz  porte  l'abit  de  hault  parage 245 

Qu 
Qu 
Qu 
Qu 
Qu 
Qu 
Qu 
Qu 
Qu 
Qu 


ces  pilliers  et  leur  nature  sent 3go 

en  tout  temps  ne  doye  bien  aprendre 255 

fuit  toudis  treuve  bien  qui  le  chace io5 

ne  craint  Dieu  et  justice,  il  a  tort 258 

onques  vit  corps  de  telle  façon. .  .  .  , 32 

s'appelle  l'ordre  de  la  Baboe 134 

se  marie,  il  est  foui,  ce  me  semble 216 

son  chien  het  on  lui  met  sus  la  raige 402 

voit  gens  armez,  chascun  fuit 268 

voulsist  bien  ceste  conclusion 176 


R 

Ramenez  moy  deux  couples  de  Bretons 66 

Reformez  paix  au  monde  et  en  l'Eglise 373 


436  BALADES 

Régner  ne  voy  fors  l'art  d'arismetique 221 

Remède  nul  n'y  a  que  boire  fort 1 3o 

Restraingnons  ;  si  ferons  que  saige 1 53 

Ribaut,  trop  avez  de  langaige ! 1 1 1 


S 

Sages  est  cilz  qui  ainsy  se  marie 248 

Saichiez  qui  a  mangié  le  lart! 38 1 

Saiges  est  cilz  qui  tel  service  fait 376 

S'ainsi  le  pers,  c'est  trespovres  consaulx 229 

Serfs  gouverneurs,  seneschaulx  et  baillis 171 

Serve  Dieu,  face  sa  besongne 211 

Servir  a  Dieu,  bien  régner  lui  souffise 41 3 

Si  grant  faiseur  ne  si  noble  poète 53 

Si  je  di  voir,  ne  cuidiez  que  je  songe 4o3 

S'il  ne  revient,  a  tousjours  languiray 3 19 

Si  prira  Dieu  pour  vous  ledit  Eustace 94 

Sire,  souviengne  vous  de  moy 3o3 

Subgiez  tiennent  tous  les  offices 148 


T 

Tais  toy  ;  les  dens  devant  sont  bons i5g 

Tant  qu'elle  dist  :  a  Fuy  de  cy,  tu  me  blesces.  » 36 1 

Tant  qu'il  ne  m'est  demouré  croix  ne  pille 324 

Te!z  homs  doit  bien  son  Dieu  remercier 412 

Tousjours  fault  ouvrer  en  viez  selle 196 

Tous  les  diables  vous  aiment  par  amours 214 

Toutes  vertus  au  jour  d'ui  se  déclinent 219 

Tout  est  fondé  sur  pure  convoitise 232 

Tout  fu  et  tout  sera  autruy 240 

Tout  se  destruit  et  ne  scet  on  comment 3g4 

Tout  se  destruit,  rien  n'est  qui  me  conforte 286 

Tout  va  ce  que  dessoubz  dessus 86 

Tout  yra  bien.  —  Et  quant?  —  L'autre  sepmaine 408 

Trop  me  faites  dure  responce 297 

Tu  deusses  tout  faire  trembler 3g9 

Tu  es  foui,  pran  une  massue i38 

Tu  porteras  ma  bannière 4^ 


TABLE  ALPHABÉTIQUE  46*] 

U 

Un  esprevier  qui  prant  vielle  perdris 71 

V 

Va  a  la  cour  et  en  use  souvent 365 

Vielle  d'avoir,  riche  de  cinquante  ans 70 

Voler,  chacier,  jouster  et  tournoier n3 

Vous  ne  passerez  plus  avant 3o5 

Vous  n'estes  pas  sur  Grant  Pont  a  Paris  (1) 14° 

Vueillez  lui  faire  vostre  grâce 3 1 6 

Chançons  baladées. 

Advisez  tuit  a  ma  dolour 343 

Je  n'ay  leesce  ne  confort 341 

Prophecie. 

L'an  de  dolours  et  de  reprouche 3îo 

Questions  et  responces. 

Gens  qui  ne  partent  d'une  place 367 

Rondeau  équivoque. 

Grant  foleur  fait  qui  se  marie 140 

Rondeaux. 

Ne  désire  nulz  les  hauts  lieux 386 

Ne  prenez  pas  char  a  espée 162 

(1)  Même  ballade  que  le  numéro  LX11,  tome  I,  page  1 56. 


438  BALADES 

Rondel. 
Puisque  Soûlas.  Joie  et  Déduit ,....; «.»..». »*t*..*      387 

Rondel  contraire. 
Doleur,  Paine,  Ennuy  et  Tristesse ...      388 

Rondel  équivoque. 
Il  convient  le  fol  foloier *3g 


Publications  de  la  Société  des  anciens  textes  français. 
(En  vente  à  la  librairie  Firmin  Didot  et  Gie,  56,  rue 
Jacob,  à  Paris.) 


Bulletin  de  la  Société  des  anciens  textes  français  (années  1875  à  1886). 
N'est  vendu  qu'aux  membres  de  la  Société  au  prix  de  3  fr.  par  année,  en  pa- 
pier de  Hollande,  et  de  6  fr.  en  papier  whatman. 

Chansons  françaises  du  xv*  siècle,  publiées  d'après  le  manuscrit  de  la  Biblio- 
thèque nationale  de  Paris,  par  Gaston  Paris,  et  accompagnées  de  la  musi- 
que transcrite  en  notation  moderne  par  Auguste  Gevaert  (1875).       Epuisé. 
Il  reste  quelques  exemplaires  sur  papier  Whatman,  au  prix  de....    37  fr. 

Les  plus  anciens  Monuments  de  la  langue  française  (ix«,  xe  siècles),  pu- 
bliés par  Gaston  Paris.  Album  de  neuf  planches  exécutées  par  la  photogra- 
vure (1875) 3o  fr. 

Brun  de  la  Montaigne,  roman  d'aventure,  publié  pour  la  première  fois  d'après 
le  manuscrit  unique  de  Paris,  par  Paul  Meyer  (1875) 5  fr. 

Miracles  de  Nostre  Dame  par  personnages,  publiés  d'après  le  manuscrit  de 
la  Bibliothèque  nationale  de  Paris,  par  Gaston  Paris  et  Ulysse  Robert. 
t.  I  à  VII  (1876,  1877,  1878,  1879,  1880,  1881,  1882),  le  vol 10  fr. 

Guillaume  de  Paterne,  publié  d'après  le  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  l'Ar- 
senal à  Paris,  par  Henri  Michelant  (1876) 10  fr. 

Deux  Rédactions  du  roman  des  Sept  Sages  de  Rome,  publiées  par  Gaston 
Paris  (1876) 8  fr. 

Aiol,  chanson  de  geste  publiée  d'après  le  manuscrit  unique  de  Paris,  par 
Jacques  Normand  et  Gaston  Raynaud  (1877) 12  fr. 

(Ouvrage  couronné  par  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres.) 

Le  Débat  des  Hérauts  de  France  et  d'Angleterre,  suivi  de  The  Debate  be- 
tween  the  Heralds  of  England  and  France,  by  John  Coke,  édition  com- 
mencée parL.  PANNiERet  achevée  par  Paul  Meyer  (1877) 10  fr. 

Œuvres  complètes  d'Eustache  Deschamps,  publiées  d'après  le  manuscrit  de  la 
Bibliothèque  nationale  par  le  marquis  de  Queux  de  Saint-Hilaire,  t.  I, 
II,  III,  IV  et  V  (1878,  1880,  1882,  1884,  1887),  le  vol 12  fr 

Le  Saint  Voyage  de  Jherusalem  du  seigneur  d'Anglure,  publié  par  François 
Bonnardot  et  Auguste  Longnon  (1878) 10*  fr. 

Chronique  du  Mont-Saint-Michel  (1343-1468),  publiée  avec  notes  et  pièces 
diverses  par  Siméon  Luce,  t.  I  et  II  (1879,  i883),  le  vol 12  fr. 

Élie  de  Saint-Gille,  chanson  de  geste  publiée  avec  introduction,  glossaire  et 
index,  par  Gaston  Raynaud,  accompagnée  de  la  rédaction  norvégienne  tra- 
duite par  Eugène  Koelbing  {1879) 8  fr. 

Daurel  et  Béton,  chanson  de  geste  provençale  publiée  pour  la  première  fois 
d'après  le  manuscrit  unique  appartenant  à  M.  A.  F.  Didot  par  Paul  Meyer 
(1880) 8fr. 

La  Vie  de  saint  Gilles,  par  Guillaume  de  Berneville,  poème  du  xn«  siècle,  pu- 
blié d'après  le  manuscrit  unique  de  Florence  par  Gaston  Paris  et  Alphonse 
Bos  (1  «Si) 10  fr. 

Raoul  de  Cambrai,  chanson  de  geste  publiée  par  Paul  Meyer  et  Auguste 
Longnon  (1882) i5  fr. 


Le  dit  de  la  Panthère  d'Amours,  par  Nicole  de  Margival,  poème  du  xin«  siè- 
cle, publié  par  Henry  A.  Todd  (i883) 6  fr. 

Les  œuvres  poétiques  de  Philippe  de  Rémi,  sire  de  Beaumanoir,  publiées  par 

H.  Suchier,  t.  I-II  (1884-85)  , 25  fr. 

Le  premier  volume  ne  se  vend  pas  séparément  ;  le  second  volume  seul    i5  fr. 

La  Mort  Aymeri  de  Narbonne,  chanson  de  geste  publiée  par  J.  Couraye  du 
Parc  (1884) 10  fr. 

Trois  versions  rimées  de  l'Evangile  de  Nicodème  publiées  par  G.  Paris  et 
A.  Bos(i885) 8  fr. 

Fragments  d'une  vie  de  saint  Thomas  de  Cantorbery,  publiés  pour  la  pre- 
mière fois  d'après  les  feuillets  appartenant  à  la  collection  Goethals  Vercruysse, 
avec  fac-similé  en  héliogravure  de  l'original,  par  Paul  Meyer  (i885)..    10  fr. 

Œuvres  poétiques  de  Christine  de  Pisan,  publiées  par  Maurice  Roy,  t.  1 
(1886)........ 10  fr. 

Le  roman  de  Merlin,  p.  p.  MM.  G.  Paris  et  J.  Ulrich,  t.  I  et  II  (1886)    20  fr. 


Le  Mistére  du  Viel  Testament,  publié  avec  introduction,  notes  et  glossaire, 
par  le  baron  James  de  Rothschild,  t.  I,  II,  III,  IV  et  V  (1878,  1879, 
1881,  1882,  i885),levol , 10  fr. 

{Ouvrage  imprimé  aux  frais  du  baron  James  de  Rothschild  et  offert 
aux  membres  de  la  Société-J 


Tous  ces  ouvrages  sont  in-8°,  excepté  Les  plus  anciens  Monuments  de  la 
langue  française,  album  grand  in-folio. 

Il  a  été  fait  de  chaque  ouvrage  un  tirage  sur  papier  Whatman.  Le  prix  des 
exemplaires  sur  ce  papier  est  double  de  celui  des  exemplaires  en  papier  ordi- 
naire. 

Les  membres  de  la  Société  ont  droit  à  une  remise  de  2  5  p.  100  sur  tous  les 
prix  indiqués  ci-dessus. 


La  Société  des  Anciens  Textes  français  a  obtenu  pour  ses  pu- 
blications le  prix  Archon-Despérouse,' à  l'Académie  française,  en 
1882  ,  et  le  prix  La  Grange,  à  V Académie  des  Inscriptions  et 
Belles-Lettres y  en  i883. 


Le  Puy.  —  Imprimerie  de  Marchessou  fils,  boulevard  Saint-Laurent,  23. 


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